| L'anglais est une langue indo-européenne que l'on classe, du fait de sa structure, parmi les langues germaniques. Les sources variées auxquelles a puisé son lexique lui donne cependant un caractère original. Telle qu'elle se parle et s'écrit de nos jours, cette langue eut pour éléments constitutifs le celtique, idiome primitif des peuples occidentaux; le teuton ou germain, apporté au Ve siècle dans la Grande-Bretagne par les Anglo-saxons, et le normand ou français mélangé, que parlaient au XIe siècle Guillaume le Conquérant et ses compagnons; de sorte qu'on pourrait dire que l'anglais actuel se compose d'un tiers, ou à peu près, de mots gaéliques, d'un tiers de mots saxons ou allemands, et d'un grand tiers de mots français et de certains mots latins qui ne sont pas restés dans la langue française. La langue des Anglo-saxons, en usage pendant six siècles dans tout le pays, excepté dans le Cumberland, les pays de Galles et de Cornouailles, où la population primitive avait cherché un refuge contre l'invasion germanique, ne disparut entièrement de l'usage que plus d'un siècle après la conquête normande. Dégradée par cette conquête, qui en abandonna l'emploi exclusif aux classes populaires et donna la prééminence au langage français, elle résista cependant, et s'enrichit, avec les années, d'expressions nouvelles. Quel est le point précis de la formation de la langue anglaise? Vers 1150, dit Johnson, l'anglo-saxon prit une forme dans laquelle on démêle déjà les premiers éléments de la langue anglaise actuelle; l'introduction du nouvel idiome ne fut pas, comme on paraît le croire généralement, l'effet immédiat de la conquête, vu le peu de mots français que l'on voit se mêler au langage parlé ou écrit pendant tout le dernier siècle. Il ne faut pourtant pas oublier qu'en 1042, sous le règne d'Édouard le Confesseur, qui avait passé vingt-sept ans d'exil en Normandie, la langue française n'était pas complètement étrangère à la cour de ce monarque, et il n'y a rien d'étonnant à ce que certains auteurs aient placé l'apparition de la langue anglaise à une époque antérieure à celle que lui assignent Johnson, Ellis, Hallam, Campbell, etc. Quoique, depuis la conquête, la langue primitive ne parût plus dans les actes publics et dans les habitudes des classes dirigeantes, on trouve encore quelques écrits en prose anglo-saxonne, jusque vers le règne du roi Etienne (1135). Les Chroniques saxonnes offrent le même langage, avec moins de pureté peut-être, oubli et négligence de quelques règles grammaticales, intrusion de mots français qui s'imposaient eux-mêmes, mais cela seulement dans les dernières pages de ces chroniques. Un quatrain attribué à Saint Goderic, qui mourut en 1170, offre des vers d'un saxon déjà fort altéré, mais pourvus d'une certaine mesure et surtout de la rime, caractères auxquels la poésie anglo-saxonne avait été jusque-là étrangère, et qui semblaient présager l'approche de la langue nouvelle à laquelle ces caractères étaient plus familiers. Un contemporain du poète anglo-normand Wace, l'Anglo-Saxon Layamont, fit dans sa langue maternelle une traduction du Brut de ce poète : son oeuvre doit signaler le commencement de l'ère anglaise, par le mélange des mots normands introduits dans le poème et déjà consacrés par l'usage. Il y a aussi une composition littéraire qu'un savant du XVIe siècle, Petrus Nobilis, fit connaître à la France, sans rappeler son origine anglaise : le Pays de Cocagne (en anglais the Land of Cokayne) a servi aux chercheurs des origines de la langue anglaise à préciser, à peu près, l'époque de son complet établissement. D'après leurs diverses opinions, il a fallu presque deux siècles pour arriver à ce résultat car l'extinction des inflexions saxonnes, et, ce qui caractérise surtout la langue anglaise, ses nombreux gallicismes, qui s'introduisent seulement au XIIIe siècle, en font foi. Si l'on compare, dit Hallam, l'anglais du XIIIe siècle avec l'anglo-saxon du XIIe, on voit que le premier idiome est une langue toute particulière plutôt qu'une modification du dernier. Divers procédés ont bien pu concourir à cette transformation du saxon en anglais, tels que la contraction ou modification de la prononciation et de l'orthographe des mots; l'omission de certaines inflexions, principalement dans les noms, et, par conséquent, un plus fréquent emploi de l'article et des auxiliaires; l'adoption fréquente des terminaisons françaises; enfin l'usage de l'inversion et de l'ellipse, surtout en poésie. Mais le développement de la nouvelle forme de langage fut si lent, si gradué, que la difficulté d'arriver à une solution quelconque reste presque la même; car telles Compositions littéraires de cette époque peuvent passer pour les derniers produits de la langue mère, ou pour les premiers fruits de celle qu'on lui donne pour fille. En désespoir de cause, les meilleurs maîtres modernes ont fini par introduire, dans leurs traités sur le vieux langage, le mot français semi-saxon pour exprimer cet état mixte et tout ce qui a paru de 1150 à 1250. On pourrait même ajouter que l'idiome anglais ne devint populaire que vers le temps de Chaucer (1328), l'homme qui contribua peut-être le plus efficacement à la formation de la langue. Pendant longtemps les peuples d'origine anglo-saxonne avaient exprimé dans leur propre langue, par des chants de lamentations ou satiriques, les malheurs de la nation ou leur haine contre ses oppresseurs. Mais, avec le temps, toutes les passions s'apaisent. Durant le temps qui s'écoula entre la conquête (1066) et le milieu du XIIIe siècle, les normands et les races primitives s'unirent peu à peu, et finirent par confondre leurs intérêts et leurs sentiments. A mesure que la sécurité et le bien-être s'établirent, il est à présumer que la poésie native se ranima : les ménestrels, traduisant ou imitant les ballades normandes, les contes et les fabliaux de nos Trouvères, enrichirent la langue de mots nouveaux, empruntés à l'original étranger; suivant le besoin qu'ils éprouvaient de les substituer à ceux de leur propre vocabulaire, ils les employèrent comme plus expressifs ou plus agréables. Il est probable que tout d'abord il s'établit parmi le peuple une espèce de jargon, mélange des deux idiomes ; toutefois la langue nationale, en recevant du français une certaine quantité de mots, devenus nécessaires pour exprimer des idées ou des choses nouvelles, ne les aura admis que par degrés; elle les aura soumis aux règles de son propre idiome, de sa grammaire, et suivant le tour d'esprit qui lui était propre. C'est ce qui donne un caractère tout particulier à la langue anglaise, que, formée d'éléments divers, elle a se nourrir des autres langues sans rien perdre de son originalité. La langue anglaise offre certaines particularités qui tiennent peut-être à son originalité primordiale plutôt qu'à aucun des différents idiomes qui lui ont été imposés, et dans lesquels en effet on ne retrouve rien de semblable. Ainsi, un seul monosyllabe, the sert d'article défini pour tous genres et tous nombres. A ou an, suivant que le mot qui suit commence par une consonne ou une voyelle, sert d'article indéfini pour les deux genres. Le pronom possessif présente une autre particularité : il se rapporte, non au genre de la chose possédée, mais à celui du possédant : his (son, sa, ses) s'emploie quand le possédant est du genre masculin (his son, son fils, en parlant du père), her quand il est féminin (her son, en parlant de la mère). Il y a aussi un pronom particulier pour les animaux et les choses inanimées: its. Le futur dans les verbes auxiliaires et autres offre une singularité remarquable: il se compose de l'infinitif avec deux auxiliaires shall et will, dont l'emploi change tout à fait le sens de la phrase. Shall à la première personne et will aux deux autres désignent simplement une action future; will à la première personne et shall aux deux autres expriment la volonté de celui qui parle, la résolution, la promesse, l'ordre ou la menace : you will see, vous verrez; you shall see, c'est moi qui parle, je vous ferai voir. Un usage spécial à la langue anglaise, c'est la prodigieuse quantité d'abréviations dont elle fait usage dans la langue parlée, et qui en rendent l'audition si difficile aux étrangers; quelques-unes de ces élisions se montrent dans la poésie. La versification anglaise n'offre rien de bien particulier, si ce n'est que, différente en cela de la versification française, elle observe une mesure de longues et de brèves et vice versa. Outre les vers de différentes mesures, il y en a de quatorze pieds; mais ces grands vers se coupent en césures alternées de huit et de six syllabes. Les différentes combinaisons des longues et brèves et surtout l'accent tonique donnent beaucoup d'harmonie à la poésie anglaise; et c'est peut-être en raison des ressources que les auteurs anglais trouvent dans la prosodie de leur langue, qu'ils négligent parfois la rime, indispensable aux vers français. La langue anglaise a des dialectes, presque autant que de comtés; on peut citer, entre autres, ceux de la cité de Londres (le cockney), des comtés d'Oxford, de Suffolk, de Norfolk, de Berks (le jowring ), de Somerset, et le northumbrien, comprenant beaucoup de mots danois, et parlé dans les comtés de Northumberland, de Cumberland, de Westmoreland et d'York. Mais tous ces dialectes ne s'éloignent pas sensiblement de l'anglais standard. Les différences consistent dans une tendance plus prononcée aux abréviations, dans la conservation d'un certain nombre de mots vieillis ou inusités ailleurs, dans l'emploi de quelques idiotismes locaux; il y aussi dans les dialectes moins de formes romanes que dans la langue littéraire. l'anglo-américain peut également être considéré comme un dialecte de l'anglais. L'anglo-américain. L'anglo-américain, la langue parlée aux États-Unis, est l'anglais, mais modifié par suite de la différence des idées, des institutions et des moeurs : bien qu'elle s'éloigne de plus en plus du type ancien, elle ne peut pas plus perdre son caractère primordial que le français de Genève ou de Bruxelles ne peut cesser d'appartenir à la langue française. Les altérations, que la langue anglaise a subies aux États-Unis expliquent la publication d'un Dictionnaire américain de la langue anglaise par Webster, et celle du Dictionnaire des américanismes par J.-R. Barlett; elles étaient inévitables en présence des causes puissantes qui travaillent sans cesse à la modifier. L'immensité du territoire a pour résultat d'isoler, sur certains points, des habitants qui n'ont plus de communication régulière avec leurs concitoyens, et qui sont trop loin d'une influence littéraire quelconque. Il n'y a pas eu de centralisation aux États-Unis, et l'instruction a longtemps eu un but simplement pratique, avec pour but principal la connaissance des affaires; pendant longtemps aussi les journaux, généralement rédigés sans aucun souci de la forme, ont été la seule littérature du plus grand nombre. Les Hollandais à New-York, les Allemands en Pensylvanie, les habitants du pays de Galles dans ces deux États, les Norvégiens dans l'Illinois, les Espagnols en Floride et en Californie, les Français dans la Louisiane, ont apporté un contingent considérable de solécismes et de barbarismes. Si les émigrants ont introduit et introduisent tous les jours avec eux des idiomes étrangers, la population elle-même des États-Unis, naturellement voyageuse, est allée chercher des termes nouveaux dans toutes les parties du monde. De là toutes les particularités de la langue anglo-américaine. Pour les noms de villes aux États-Unis, on a fait des emprunts aux langues anciennes aussi bien qu'aux langues modernes : on a pris des noms de batailles, de guerriers, de poètes, de législateurs, d'orateurs, etc., dans tous les siècles et chez toutes les nations. Une foule de mots anglais apportés en Amérique par les premiers colons ne représentent plus rien aux Etats-Unis : tels sont ceux qui concernent la fauconnerie, le blason, le régime féodal. D'un autre côté, les institutions nouvelles des États-Unis ont donné naissance à des mots nouveaux ou forcé les anciens de modifier leur acception. La prononciation surtout est devenue différente : on place, par exemple, un son nasal devant ow (kyow au lieu de cow, vache); on abrège les longues o et u dans les syllabes finales (fortun, natur, pour fortune, nature), ou bien on allonge les brèves (nauthin pour nothing) : on rapproche l'accent de la dernière syllabe dans les polysyllabes, et on prononce territòry, legìslative, au lieu de térritory, législative, etc. Dans l'Ouest, où la langue a été le plus soumise au caprice des individus, on allonge ou on redouble les syllabes (salvagerous pour savage, sauvage). (A. L-Y.). | |