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Architecture médiévale
L'architecture gothique
Aperçu
Architecture byzantine
Architecture romane
Architecture gothique
L'architecture ogivale est un style d'architecture caractérisé principalement par l'emploi systématique de l'ogive, non seulement comme procédé de construction, mais encore comme ornementation, et qui, succédant au style romano-byzantin, fut en usage depuis la fin du XIIe siècle jusqu'au milieu du XVIe. C'est Raphaël, semble-t-il, qui, le premier, dans son célèbre rapport à Léon X, a appliqué la dénomination de gothique à l'architecture en honneur durant les trois derniers siècles du Moyen âge. Vasari, et, après lui, Palladio et quelques autres architectes italiens de la Renaissance ont mis le terme à la mode. Ce n'était pas qu'ils attribuassent cette architecture qu'il qualifiaient aussi de tudesque, aux Allemands ou aux Goths, mais les deux expressions étaient, dans leur pensée, synonymes de barbare, et ils regardaient  tout ce qui ne procédait pas de l'Antiquité comme barbare et, pour accentuer davantage sa manière de voir, ils choisirent parmi les peuples qui avaient envahi l'empire romain celui dont la réputation était la plus mauvaise. 

Mieux vaudrait assurément avec quelques-uns se servir du terme d'architecture ogivale, si on voulait par là indiquer seulement une manière de bâtir qui a pour générateur la voûte sur nervures croisées diagonalement, autrement dit sur ogives. Mais on a trop souvent l'habitude de faire allusion à l'emploi des arcs brisés qui n'ont jamais porté le nom qu'on leur donne et sont loin, d'ailleurs, de se montrer exclusivement. Aussi, dans le but d'éviter tout malentendu, l'architecture en question devrait-elle même être appelée, en utilisant un mot récent, francilienne, en souvenir de la province (l'Île-de-France) où non seulement elle est née, mais où elle a pris son développement.

Plus tard, le mot gothique fut pris à la lettre, et on supposa, par erreur ou ignorance, que l'architecture du Moyen âge venait des Goths, sans songer qu'un peuple qui disparut de l'Italie au VIe siècle, de l'Espagne et de la Gaule au VIIIe siècle ne pouvait avoir exercé d'influence sur une forme architecturale qui a pris naissance seulement au XIIe. Néanmoins, les mots architecture gothique, bien que parfaitement impropres, ont reçu de l'usage une espèce de consécration. On a également supposé quelquefois que, les Goths ayant été habiles dans l'architecture, le nom de gothique avait été appliqué à toute belle construction, et qu'on l'aurait ainsi donné aux monuments de style ogival. Quelques auteurs ont distingué le vieux gothique et le gothique moderne, entendant par le premier l'architecture postérieure à l'invasion des Barbares et plus convenablement appelée architecture de style latin ou roman, et par le second l'architecture ogivale : mais ce sont là des qualifications vagues et qui ne précisent rien pour l'esprit. 

L'évolution des styles

Les monuments du style gothique, tant ancien que moderne, ont été quelquefois aussi classés par rapport aux pays qui les élevèrent. A ce point de vue, on a distingué le gothique du Nord, comprenant le breton ou anglais, le flamand et le normand, le gothique germain, subdivisé en saxon, tudesque et lombard; le gothique du midi, avec des espèces fort variées; le gothique asiatique, où l'on distingue le syrien, l'arabe, le sarrasin et le moresque. Outre qu'elle n'a rien de scientifique, outre qu'elle ne repose pas sur les caractères intrinsèques des monuments, cette classification confond des styles très divers. 

Par rapport à l'exécution artistique, on a imaginé encore les divisions suivantes : le gothique à trèfle, qui aurait fleuri du IXe au XIe siècle; le gothique rosé et fuselé, dans lequel les vitraux sont disposés en roses ou corolles aplaties, et les piliers composés d'un gros fût principal et de nombreuses colonnettes en fuseaux; le gothique ondulé et panaché, chargé de galbes, d'ondulations, de clefs pendantes; le gothique flamboyant et le gothique fleuri, développement ou exagération du précédent. C'est là encore une classification peu précise, et qui s'appuie trop souvent sur des détails accessoires.
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Beauvais : église Saint-Etienne.
Portion de la façade gothique de l'église Saint-Germain, à Amiens.

Il existe cependant des caractères qui permettent de suivre, au moins en France, l'évolution de l'architecture gothique et qui peuvent servir à faire reconnaître les monuments et à les classer chronologiquement. La première période de son développement, qui embrasse le XIIe et le XIIIe siècle, offre le style ogival primitif ou à lancette; la deuxième, comprenant le XIVe siècle, le style ogival secondaire ou rayonnant; la troisième, embrassant le XVe siècle et la première moitié du XVIe, le style ogival tertiaire ou flamboyant. Ces styles se distinguent par des différences dans la disposition générale de l'édifice, dans quelques dispositions partielles, et dans l'ornementation :

Le gothique primitif (style à lancette). 
Le plan général adopté pour la construction des grandes églises de style romano-byzantin reçoit seulement quelques changements dans la première période de l'architecture ogivale : le choeur et les nefs s'agrandissent; les collatéraux, formant déambulatoire, tournent autour du sanctuaire; les chapelles absidales, se multipliant atteignent quelquefois le nombre de quinze (à Tours), et si l'on trouve d'autres chapelles sur les flancs des nefs mineures (Reims, Chartres, Amiens), on peut affirmer qu'elles ont été ajoutées postérieurement au XIIIe siècle; dans quelques cathédrales (Paris, Bourges), les bas-côtés ont été doublés, disposition qui a été aussi pratiquée quelquefois plus tard; plusieurs églises, dépourvues d'absides et de chapelles absidales (Laon, Dol), se terminent par une muraille plane, percée d'une ou de plusieurs fenêtres ogivales; la chapelle de la Vierge, au fond de l'abside, reçoit parfois de très grandes dimensions (Coutances, Le Mans, Rouen).

Dans la construction, le petit appareil régulier, ou à losange, ou en arêtes de poisson, a disparu. Le moyen appareil, assez rare, ne peut fournir d'indications chronologiques. On se sert de pierres de grand appareil, communément plus longues que hautes, bien posées sur d'épaisses couches de mortier.

Les colonnes se groupent autour des piliers qui soutiennent les voûtes, de manière que les trois quarts de leur fût restent apparents; il en est (à Laon, à Canterbury) qui sont complètement détachées du pilier qu'elles accompagnent, et quelquefois garnies d'annelets. Les proportions en hauteur et en diamètre varient suivant les édifices, et aussi selon les intentions particulières de chaque architecte (Base, Chapiteau).

L'ogive règne à peu près exclusivement dans les arcades. Si l'on rencontre encore le plein cintre en quelques endroits, c'est par exception, et il apparaît entouré des moulures et des ornements du style ogival. Les entablements présentent des dents de scie, comme à la fin de la période romano-byzantine, et aussi des feuillages à crochets. 

Le gothique rayonnant. 
La limite qui sépare le style à lancette du style rayonnant est difficile à déterminer, et le passage s'est opéré de l'un à l'autre d'une manière peu sensible. Toutefois, dans un grand nombre d'édifices, le style rayonnant présente des caractères qui lui sont propres et qu'il a acquis par un développement particulier. Dès le commencement du XIVe siècle, le plan des grandes églises reçoit une modification importante, par l'addition de chapelles le long des collatéraux depuis les transepts jusqu'au portail occidental. Dans les piliers, le fût des colonnes s'amincit, et les feuilles des chapiteaux sont plus petites et plus nombreuses. Les fenêtres deviennent plus en plus grandes, avec des meneaux plus nombreux, et leur amortissement est formé de figures rayonnantes, de quatre-feuilles, de quintefeuilles et de rosaces; extérieurement elles sont souvent, comme les portes, surmontées de frontons aigus.

 Les roses des portails augmentent leur diamètre et la richesse de leurs compartiments. Les clochetons qui s'élèvent au-dessus des contreforts extérieurs s'allègent et s'évident, ou sont remplacés par des aiguilles garnies de crochets. Les clochers sont placés assez arbitrairement dans diverses parties de l'édifice. Les balustrades des galeries abandonnent les arcades trilobées pour les trèfles, les quatre-feuilles et les quintefeuilles encadrés. Quant à l'ornementation, si les sujets ont beaucoup d'analogie avec ceux de l'âge précédent, on remarque des différences notables dans l'exécution et dans les détails : les moulures toriques sont moins prononcées et les profils plus maigres; la statuaire a plus de finesse et de régularité; les supports en encorbellement commencent à s'orner de figures bizarres, quadrupèdes, reptiles, etc.
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Notre-Dame de Paris. Vous avez dit gothique? (© Photos : Serge Jodra, 2009).

Le gothique flamboyant.
Le style flamboyant a été ainsi appelé, parce que les meneaux qui forment des compartiments dans les grandes fenêtres se contournent en sens divers, de manière à former des espèces de flammes . C'est à ce style qu'on a aussi donné le nom de Gothique fleuri. Il n'y a pas de changements à noter dans le plan des édifices : le style flamboyant se caractérise par les modifications apportées aux piliers, aux fenêtres, et à l'ornementation. Les anciennes colonnes cylindriques, isolées ou cantonnées, passent à l'état de colonnettes, de tores, de baguettes, de minces nervures prismatiques : les piliers les plus massifs sont couverts de ces nervures sur toutes leurs faces; mais si le travail en est compliqué et délicat, l'oeil ne peut le percevoir à distance, et l'effet général de la perspective a perdu quelque chose de sa beauté. Souvent les nervures des piliers suivent le contour des arcades, ou s'élèvent le long des murailles jusqu'aux voûtes, qu'elles traversent pour se réunir à la clef. Les chapiteaux ont disparu, et font place à des bouquets de feuilles frisées, à une ou deux guirlandes de feuillages. 

Cela étant dit, on doit bien garder à l'esprit que hors de France cette classification n'est plus pertinente. Suivant le pays où le style ogival s'est implanté, ces principaux caractères se modifient par suite de son alliance avec le style d'architecture qui l'a précédé; ce qui fait que l'Italie, l'Angleterre, l'Espagne, l'Allemagne, la Belgique et la France ont bien un style ogival commun, qui a ses trois grandes périodes chez tous ces peuples, mais l'architecture de chaque pays a des particularités qui la différencient. 

Les origines et la diffusion du gothique

D'où est venu ce style particulier à la seconde moitié du Moyen  âge? Un savant archéologue du XIXe siècle, Jules Quicherat, a voulu faire remonter jusqu'à l'Antiquité l'invention de la croisée d'ogive. Suivant lui nous aurions là l'explication du mot cancri dont se servent certains auteurs dans leur description du phare d'Alexandrie et du théâtre d'Héraclée. Mais il est bien plus probable que par une telle expression il faut entendre la voûte d'arêtes si communément employée à l'époque romaine. Cette dernière seule remonte jusqu'aux Grecs qui, par exception, en ont fait usage au temps de leur déclin. Du reste, si notre interprétation était erronée, d'une part il existerait un terme quelconque pour désigner la voûte en question et, de l'autre, une invention aussi féconde ne serait pas demeurée sans résultat durant plusieurs siècles. Dans ses dernières années, Quicherat croyait à l'origine orientale de l'ogive. Il partageait cette hypothqèe avec quelques autres auteurs qui pensaient que ce style avait été importé d'Orient en Europe à l'époque des Croisades : mais les églises gothiques de la Palestine ont été construites au plus tôt par les derniers croisés, c.-à-d. au XIIIe siècle, et, quant aux monuments de la Perse où l'on a trouvé des ogives, rien ne prouve qu'ils soient antérieurs au XVe.

D'autres ont donné à l'architecture ogivale une origine arabe, sarrasine ou moresque, en s'appuyant sur la présence de quelques ogives au palais de Ia Ziza près de Palerme, et dans plusieurs monuments élevés par les Musulmans en Espagne : d'après cette opinion, le style ogival aurait été apporté de Sicile par les Normands au XIeou au XIIe siècle, ou serait venu d'Espagne en France. C'est ce que les faits sont loin de confirmer. Le palais de la Ziza, qu'on dit avoir été bâti du IXe au XIe siècle par les Arabes, ne daterait, d'après les recherches des archéologues, que de l'an 1279, et l'emploi de l'ogive serait, au contraire, une importation des Normands en Sicile. D'un autre côté, les Arabes ont élevé leurs monuments dans le goût byzantin ; il n'y a aucun air de famille entre l'arc en fer à cheval et l'arc ogive, entre la coupole à minarets et la flèche gothique; les ogives de la mosquée de Cordoue n'appartiennent pas à la construction primitive, mais à des remaniements ultérieurs, et l'Alhambra de Grenade, qui est bien en ogives, a été bâti à la fin du XIIIe siècle, longtemps après que l'ogive eut été adoptée dans toute l'Europe. Si l'ogive était venue d'Espagne en France, on ne comprendrait pas qu'elle n'eût pas été employée tout d'abord dans le Sud de ce dernier pays, où, au contraire, elle a paru plus tard que dans le Nord.

Il faut donc admettre que le style ogival appartient en propre au Moyen âge européen. Certains auteurs, alors, l'on fait naître d'abord en Italie, où il est constant, au contraire, qu'il fut assez mal accueilli, et que les monuments qui s'y rapportent ont été bâtis par des Allemands ou des Français. D'autres ont attribué à l'Angleterre le développement primitif de l'architecture gothique-: mais l'étude comparative des monuments prouve que les églises gothiques de France sont plus anciennes que celles de l'Angleterre. L'Allemagne ne peut pas non plus prétendre à la priorité. L'emploi de l'ogive n'y apparaît qu'au milieu du XIIe siècle, tandis qu'on la trouve dès le commencement de ce siècle à Saint-Jacques de Compiègne, à Saint-Jean-des-Vignes et à la cathédrale de Soissons, à Saint-Jean de Lyon, à St-Gatien de Tours, etc. D'ailleurs, Roisin, dans un travail sur la cathédrale de Trèves (1861), reconnaît que les moines de Cîteaux ont été les missionnaires de l'art gothique sur le Rhin et au delà, et que l'église ogivale de Trèves, qui a fait école en Allemagne, a eu pour prototype l'église de Saint-Yved, à Braisne (Soissonnais). La France est, à n'en pas douter, le berceau du style ogival, et c'est au nord de la Loire que ce style a donné ses premiers et ses plus beaux monuments. Le style de transition, c.-à-d. l'architecture de fusion entre le style romano-byzantin qui finit et le style ogival qui commence, n'apparaît dans le Midi et sur les bords du Rhin qu'au XIIIe siècle, et, en Allemagne principalement, quand les architectes se décidèrent à adopter le système ogival, ils le prirent dans l'état où il était déjà parvenu, à sa période rayonnante.

Cathédrale de Laon.
Plan de la cathédrale de Laon.
Les cathédrales de Noyon et de Laon sont les prototypes évidents de celles de Lausanne et de Limbourg, voire même d'une partie de celle de Bamberg. Quant au célèbre dôme de Cologne, terminé à grands frais au XIXe siècle, il n'est dans son choeur, entrepris en 1248, qu'une habile compilation des cathédrales d'Amiens et de Beauvais, faite par un artiste ayant vécu en Picardie. Du reste, nous voyons un peu partout qu'il en est ainsi, et l'Europe se dispute les architectes français qui vont en Espagne bâtir les cathédrales de Léon, de Burgos et de Tolède, au Portugal celle de Coimbra, en Hongrie celle de Colocza, en Suède celle d'Upsala. A cette liste, nous pourrions ajouter, en Angleterre, les cathédrales d'York et de Lincoln, en Italie une partie de celle de Milan.

Viollet-le-Duc ne reconnaissait en France que quatre écoles : Ile-de-France, Bourgogne, Champagne et Normandie. C'est, à notre avis, commettre une injustice envers certaines contrées, particulièrement l'Anjou et le Languedoc. Mais l'espace nous manque pour étudier chacune des applications diverses du même principe, aussi bien en France qu'à l'étranger. Disons seulement que de l'autre côté des Alpes, par une singulière ignorance de sa véritable fonction, l'arc brisé est toujours appareillé comme un plein-ceintre, c.-à-d. que les joints des claveaux tendent à un seul centre, ce qui est un contre-sens. En outre, le rapport de proportions entre la base et la hauteur des mêmes arcs est absolument défectueux. D'où il s'ensuit que les monuments gothiques d'Italie présentent toujours une physionomie désagréable, malgré la richesse des matériaux employés et la multiplicité des ornements dont on les couvre.

Choeur de saint-Martin des Champs.
Choeur de saint-Martin des Champs.

L'évolution de l'architecture religieuse

Les plus anciennes croisées d'ogive signalées en Europe remontent à peine à l'an 1100. On les trouve à l'état d'essai, et sur une toute petite surface, dans trois édifices célèbres Sainte-Croix de Quimperlé, Saint-Victor de Marseille et l'abbaye de Moissac. Quant à la belle crypte de Saint-Gilles (Gard), où le système se développe sous une main habile, elle n'a été commencée qu'en 1166. Sa construction n'a que de très peu de temps précédé celle de plusieurs églises situées à l'opposé de la France, dans la vallée de l'Oise : Saint-Etienne de Beauvais, Saint-Germer-de-Fly, Saint-Evremond de Creil. Mais la question de date n'a ici qu'une importance secondaire, il s'agit de savoir surtout quelle influence a été exercée par ces différents monuments. Or, en Bretagne, aussi bien que dans le Midi, nous ne trouvons que des manifestations isolées; nul ne semble se douter des ressources fournies par le nouveau système, qui ne se généralisera qu'un siècle plus tard, lorsqu'il aura acquis ailleurs tous ses perfectionnements.

A proprement parler, c'est dans l'ancienne province de l'Île-de-France qu'un terrain favorable se présente seulement pour la croisée d'ogive. A peine s'est-elle montrée au Nord de Paris que nul architecte n'ose plus construire sans en faire usage. Citons, au hasard, parmi les églises où on peut le mieux étudier son développement, Saint-Martin des Champs, à Paris, la cathédrale de Noyon et l'abbatiale de Saint-Denis. Du reste l'impulsion est tellement vigoureuse qu'elle se fait sentir dans toutes les directions. Saint-Nicolas de Blois a été commencé en 1138, Saint-Etienne de Sens en 1140, Saint-Pierre de Lisieux en 1142. Quant aux exemples qui se produisent après 1150, on ne les compte plus. Le succès de la nouvelle combinaison est dès lors aussi définitif que complet.

Nous avons parlé seulement des arcs bandés diagonalement; il ne faut pas oublier non plus ceux engagés dans les parements des murs et qui ont reçu le nom de formerets. Leur rôle est d'une importance capitale, car ils isolent entièrement la voûte des anciens supports latéraux. Grâce à eux, charge et poussée se trouvent concentrées en des endroits déterminés qu'il s'agit alors de rendre aussi résistants que possible. Pour y arriver, d'une part, on multiplie, à l'intérieur, les pièces montantes et, de l'autre, on jette au dehors, par-dessus les bas-côtés, un ou deux étages de demi-cintres qui viennent empêcher tout déversement et maintiennent l'édifice en équilibre. Sans arcs-boutants, la croisée d'ogive ne peut exister qu'à l'état presque embryonnaire; c'est l'élément indispensable de l'architecture gothique, celui qui permet de donner aux grandes églises, en même temps qu'une incroyable légèreté, une physionomie pittoresque. 

L'une des conséquences du système adopté fut la facilité accordée aux architectes de substituer à leur gré des vides aux pleins dans tout l'espace laissé entre les piliers. Comme il n'y avait plus là qu'une sorte de remplissage, l'édifice n'était point atteint dans sa solidité par d'immenses fenêtrages qui, du haut en bas, remplacèrent les murs d'autrefois. On en vint même, vers le milieu du XIIIe siècle, en donnant au toit des bas-côtés une double inclinaison, jusqu'à ajourer le mur de clôture du triforium. Ce dernier, pour ainsi dire, ne fut plus que la continuation des fenêtres hautes et bien souvent le meneau horizontal nécessité par la dalle formant plafond de la galerie qu'il faut cacher aux regards, s'interrompt au passage des colonnettes et vient buter sur les côtés contre les moulures de l'encadrement. Pour en finir avec la question qui nous occupe en ce moment, disons que les plus beaux types de triforium ainsi ajourés extérieurement se voient à Saint-Denis, à la cathédrale de Troyes, à celle de Tours et à celle de Séez. Dans tout le Nord de la France, d'ailleurs, on ne construisit guère autrement depuis le temps desaint Louis jusqu'à la fin du XIVe siècle.

XIIIe siècle.
Généralement le choeur des églises romanes était assez restreint et, sur le bas-côté, s'il y en avait un, s'ouvraient trois ou cinq chapelles. Dans les églises gothiques, au contraire, le choeur finit parfois par égaler la superficie de la nef. Sa largeur surtout prend des proportions extraordinaires, vu l'augmentation du nombre des collatéraux et la plus grande profondeur des chapelles qui se suivent sans interruption. Celle de la Vierge, en outre, placée dans l'axe de l'édifice, dépasse en longueur toutes les autres. Quant à leur forme, au lieu d'être circulaire ainsi que dans le siècle précédent, elle décrit le contour d'un demi-polygone, les plans rectilignes étant plus favorables au percement de larges fenêtres. Bien entendu il en est différemment pour les chapelles disposées le long des bas-côtés de la nef. Ces dernières, dont l'apparition ne remonte guère au delà du règne de Philippe le Hardi (1270-1285), étaient nécessairement bâties sur plan rectangulaire.

Nous ne pouvons entrer dans de grands détails sur la construction des églises gothiques. Des articles spéciaux feront connaître le rôle de chacune des parties dont elles se composent. Toutefois il est bon de dire dès maintenant que dans ces édifices si compliqués rien n'est dû au hasard. Les balustrades, par exemple, qui garnissent les passages ménagés à la base des toits non seulement facilitent la surveillance et l'entretien de l'édifice, mais encore, conjointement avec les gâbles des fenêtres, les crêtes des arcs-boutants et les gargouilles, participent au système d'écoulement des eaux pluviales que les architectes gothiques, avec raison, rejettent le plus loin possible des murs. Quant aux pinacles, ils ont pour but d'assurer par leur poids une plus grande force de résistance aux contreforts et, partant, ils contribuent à maintenir les arcs-boutants dans la rigidité qui leur est indispensable. Tous les besoins matériels sont satisfaits, et c'est à peine si on s'en aperçoit, vu le soin apporté aux exigences du goût. Jamais décoration plus ingénieuse n'a été mise en oeuvre et nous avons affaire à de grands artistes en même temps qu'à d'habiles constructeurs.
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Basilique de saint-Denis : Gargouilles.
Cathédrale de Chartres : contreforts et arcs-boutants.
Gargouilles 
de la basilique de Saint-Denis
Contreforts et arcs-boutants 
de la cathédrale de Chartres.

La tendance à la légèreté, nous dirions presque à la maigreur qui se manifeste trop souvent est sagement atténuée dans la plupart des façades. Bien que couvertes de détails et percées d'arcatures sans nombre, elles n'en conservent pas moins une ampleur raisonnable. Comme chef-d'oeuvre du genre, nous pouvons citer la façade de Notre-Dame de Paris, où les lignes horizontales se combinent si heureusement avec les lignes verticales. Les tours ne se dégagent qu'à la partie supérieure et le pignon est en retrait derrière une admirable galerie à jour. Si l'architecte n'a pas connu les monuments antiques, du moins il a connu ce qui leur donnait un charme incomparable, le calme dans la richesse.

Quelques églises gothiques, Laon, Chartres, Reims, etc., outre les clochers placés sur la façade, en ont quatre autres dans les angles rentrants formés par la projection des transepts. Tous sont généralement quadrangulaires jusqu'au premier ou au second étage au-dessus des combles, et leurs faces présentent de longues baies accouplées qui, à Notre-Dame de Paris par exemple, n'ont pas moins de 25 m de hauteur. Sur la dernière corniche, privée le plus souvent de balustrade, prennent pied quatre clochetons d'angle et quatre lucarnes au milieu des côtés, dont le rôle est de ménager la transition entre le corps carré de la tour et la base octogonale de la flèche. Cette disposition, déjà usitée à la fin de l'époque romane, caractérise plus spécialement le XIIIe siècle.
Cathédrale de Burgos.
Cathédrale de Burgos.
La tendance à ne conserver des murs que ce qui était indispensable devait amener la création de ces immenses fenêtres en roue que le Moyen âge appelait des O et auxquelles nous donnons de nos jours le nom de roses. Elles occupent au-dessus de l'entrée principale, à l'Ouest, toute la largeur de la nef et souvent même on les voit se déployer aux deux extrémités du transept. Si, de l'intérieur, leur effet est prodigieux grâce aux vitraux qu'elles encadrent, à l'extérieur, par la multiplicité de leurs découpures, elles s'harmonisent avec les magnifiques portails qui, au nombre de trois, quelquefois de cinq, enrichissent la façade de nos cathédrales.

Après avoir été longtemps une dérivation du corinthien, les chapiteaux romans s'étaient transformés, au cours du XIIe siècle, en un bas-relief continu. La première préoccupation des architectes gothiques, au contraire, fut de revenir à la décoration végétale. On ne vit plus autour de la corbeille que des feuillages en bourgeon d'abord, ce que les archéologues appellent des crochets, puis des feuilles entièrement développées. Et des chapiteaux cette décoration s'étendit aux corniches, aux jambages de quelques fenêtres, aux arêtes des flèches. La figure humaine fut réservée pour les portes où elle se multiplia à l'infini, pour les principales galeries, les gables et les contreforts.

Durant toute la période gothique, les dispositions générales changèrent peu, mais il n'en fut pas de même des détails qui se transformèrent plusieurs fois. Les fenêtres, par exemple, en s'élargissant, nécessitèrent l'emploi de meneaux qui tantôt supportèrent de petites rosaces ou des ornements à lobes et tantôt se ramifièrent en courbes ondulées imitant assez fidèlement des flammes. De leur côté, les arcs qui présentaient d'abord une brisure peu accentuée devinrent de plus en plus aigus. On vit même apparaître au-dessus d'eux, comme pour les continuer et leur donner plus d'élancement, l'ornement connu sous le nom d'accolade et qui se compose de deux portions de cercle opposées par leur convexité et terminées par un fleuron d'une richesse exubérante. Il est vrai que durant ce temps, en guise de compensation, les chapiteaux des colonnes et colonnettes allaient toujours s'amaigrissant. Une fois réduits à de simples feuillages tapissant les corbeilles qui se confondaient avec le tailloir, leur raison d'être n'existait plus; aussi finirent-ils par disparaître sans laisser le moindre vide après eux.

Portail de la cathédrale d'Amiens.
Portail de la cathédrale d'Amiens.
L'architecture gothique atteignit son apogée au XIIIe siècle. C'est alors que furent construites ces admirables cathédrales qui ont nom Chartres, Amiens, Reims, Bourges, Troyes, Auxerre et Beauvais. Rien de pareil n'existe en aucun pays et la France possède le plus magnifique ensemble d'édifices religieux que le Moyen âge ait produits. Du reste, le même soin et la même élégance se retrouvent à tous les degrés et de simples églises paroissiales comme Notre-Dame de Semur et Notre-Dame de Dijon atteignent le dernier degré de la perfection. Les abbayes elles-mêmes, bien que l'époque romane leur eut laissé peu de choses à faire, ont créé des merveilles parmi lesquelles il faut citer Saint-Yved de Braisne, Saint-Père de Chartres et le cloître du mont Saint-Michel. Enfin, nous ne pouvons oublier en descendant encore au point de vue des dimensions, mais non de l'importance artistique, la Sainte-Chapelle du Palais de Justice, à Paris, la chapelle du château de monuSaintGermainLaye.htm et celle du palais archiépiscopal de Reims.

XIVe et XVe siècles.
Au XIVe siècle, les guerres anglaises ralentirent le mouvement. Cependant la grande et belle église de Saint-Ouen de Rouen date de cette époque. Il en est de même de Sainte Cécile d'Albi qui a fixé le type des monuments religieux du midi de la France. Quant à la cathédrale de Metz, dont les voûtes hardies semblent vouloir entrer en lutte avec celles d'Amiens et de Beauvais, elle était alors sur territoire dépendant de l'empire germanique et, par conséquent, rien n'empêchait qu'on pût tenter une aussi vaste entreprise. 

Les germes de déclin déjà sensibles dans les constructions des dernières années du XIIIe siècle, telles que le choeur de la cathédrale de Beauvais, la façade de Saint-Nicaise de Reims et toute l'église Saint Urbain de Troyes, devaient s'accentuer rapidement et il faut avouer qu'en bien des cas nous nous trouvons non devant des oeuvres de goût mais devant de véritables tours de force. Les architectes gothiques, en poussant à l'extrême leurs déductions, ne pouvaient que tomber dans la subtilité et le raffinement. La sagesse fait place aux froids calculs et tout cède aux combinaisons imposées par de savantes ouvertures de compas. Néanmoins, même après un siècle de déclin, tout n'est pas perdu encore et sous Charles VII, de même que sous Louis XI, nous voyons s'élever des églises qui ne manquent ni de grandeur ni de majesté. Citons au hasard l'abbatiale de Saint-Riquier, Saint-Wulfran d'Abbeville et Saint Germain d'Argentan

Le XVe siècle aime construire des clochers,  et il était poussé dans cette voie par les municipalités, qui trouvaient ainsi un moyen d'affirmer la richesse et l'importance de leur ville. Les plus élégants sont ceux de Harfleur, Hazebrouck, Fontenay-le-Comte, Niort, Marennes et Marciac. Quant à l''ogive équilatérale, elle est encore en usage au commencement du siècle : mais bientôt paraît l'ogive surbaissée, puis, surtout aux portes, l'arcade en accolade ou en doucine; au XVIe siècle, cette arcade règnera partout aux fenêtres, aux arcatures, aux baies des clochers, etc. Souvent l'arcade des portes est encadrée dans un vaste fronton, dont la surface est ornée de panneaux ou découpée à jour. Les sommets des ogives et des pignons sont couronnés par un bouquet épanoui, et leurs cotés garnis de feuilles et de crochets. Les dais des niches sont surmontés de pinacles dentelés, découpés à jour et ornés de feuillages. Les nervures des voûtes se croisent suivant des dessins très variés, et à chaque point d'intersection sont appliquées des figures en relief, des emblèmes ou des armoiries;  quelquefois la clef s'allonge en volumineux pendentif. 

Lorsque les tours du XVe siècle sont surmontées de flèches, celles-ci sont bâties avec la plus grande élégance; mais le plus souvent elles sont carrées, soutenues aux angles par des éperons garnis de niches, et décorés à leur sommet d'une balustrade finement découpée. A la même époque appartiennent la plupart des clochers pyramidaux en charpente, couverts d'ardoise, comme on en trouve un grand nombre dans les églises rurales. Quant à l'ornementation, elle devient de plus en plus riche : ce ne sont que bouquets fleuris, guirlandes de feuillages, dentelures à jour, festons, niches, statues, dais, pinacles, petits sujets assez ordinairement satiriques et grotesques; en un mot, la science a fait des progrès dans les procédés de l'exécution matérielle, mais on observe partout l'afféterie et l'exubérance.

Eglise San Zanipolo, à Venise.
Porte de la Charte (palais des Doges, à Venise).
Ca' d'Oro, à Venise.
Exemples d'édifices gothiques à Venise : L'église San Zanipolo; au dessous : la façade de
la Ca' d'Oro, sur le Grand Canal; à droite, la porte de la Charte (palais des Doges).
L'architecture militaire et civile

L'architecture gothique qui est celle des plus belles cathédrales convient bien à l'expression de la pensée religieuse. De tous côtés, dans le plan et dans les détails, ce ne sont que pieux symboles. Le prodigieux élancement des colonnes, l'élévation vertigineuse des voûtes, l'immensité et la mystérieuse obscurité du sanctuaire, ces forêts de clochetons et de pinacles, ces tours colossales et ces flèches aériennes, tout élève les idées et exalte les sentiments. 

"II n'est âme si revêche, dit Montaigne, qui ne se sente touchée de quelque révérence." 
On ne peut cependant oublier que cette architecture est contemporaine d'une autre architecture, que parfois elle se contente d'inspirer, mais que d'autres fois elle investit complètement, et que l'on retrouve dans les constructions militaires et civiles. Durant les XIIe et XIIIe siècles, l'architecture militaire n'existe encore que comme amas de murailles; ses ornements, si elle en possède, sont peu nombreux et directement empruntés aux églises. Aussi nous contenterons-nous d'indiquer la forme générale de certaines parties importantes de nos grands châteaux féodaux. 
Hôtel de Sens, à Paris (4e arrondissement).
L'Hôtel de Sens, à Paris.
© Photos : Serge Jodra, 2009 - 2012.
Le type des donjons sur plan carré, déjà fixé au XIe siècle, se perpétue dans les pays qui échappent à la domination royale, tels que la Normandie, le Poitou, le Dauphiné, l'Auvergne et toute la région pyrénéenne. Partout ailleurs, au contraire, à partir de Philippe-Auguste, c'est la tour cylindrique qui domine presque uniquement. Les donjons, composés de quatre demi-tours rassemblées par leurs diamètres, comme celui d'Etampes, ou simplement octogonaux, comme celui de Gisors, sont des exceptions. La place du donjon variait le plus souvent suivant l'assiette du terrain. Tantôt nous le trouvons au centre et tantôt au bord de l'enceinte intérieure qui renferme aussi la chapelle et les autres bâtiments principaux. Les tours, soit rondes soit carrées, soit rondes sur le dehors et carrées sur le dedans, flanquaient cette enceinte qui était la mieux défendue. L'invention des mâchicoulis, qui donnent un aspect si pittoresque aux constructions militaires, ne remonte qu'à la fin du XIIIe siècle. Auparavant murs et tours étaient seulement, en temps de guerre, couronnés de galeries en bois, appelées hourds, qui s'avançaient en encorbellement

C'est sous le règne de Charles V que l'architecture civile commence, à proprement parler, à se dégager de l'architecture religieuse. Dans le tracé des fenêtres, l'arc brisé est abandonné et s'y substituent l'arc bombé, l'anse de panier, quelquefois même le plein-cintre et le simple linteau. Puis les baies se subdivisent au moyen de meneaux verticaux et transversaux formant croix. Enfin, les sujets de sculpture sont pris dans les romans de chevalerie, les scènes de la vie publique ou les moeurs de l'époque. Comme types de constructions civiles, nous pouvons citer l'hôtel Jacques-Coeur à Bourges, l'hôtel de Sens à Paris (IVe arrondissement), et une foule de maisons plus on moins remarquables à Troyes, à Joigny, à Rouen, à Caen, à Angers, à Tours, à Saint-Malo, à Vitré et à Morlaix. Beaucoup de ces dernières sont en pans de bois avec hourdage de briques.

Maison de Jacques Coeur.
Le palais Jacques Coeur à Bourges.
Enfin, l'architecture gothique réussit admirablement dans la construction des hôpitaux dont le type le plus remarquable se voit à Beaune, en Bourgogne. Outre que toutes les salles sont vastes et bien éclairées, la facilité des communications est assurée par un double étage de galeries qui ajoutent au pittoresque des tours d'escalier placés dans les angles rentrants d'un vaste quadrilatère. On ne saurait également méconnaître l'art avec lequel sont disposés les beaux hôtels de ville de la Belgique et du Nord de la France. Au-dessus d'un rez-de-chaussée découpé en portique s'élève généralement une façade chargée d'ornements que domine un beffroi plus ou moins élancé. Le chef-d'oeuvre du genre se dresse au fond d'une immense place, à Bruxelles. Quant à la France, elle peut citer des monuments plus modestes, mais cependant dignes d'attention, à Douai, à Compiègne, à Noyon et à Saint-Quentin. (L. Palustre / B.).
Château de Coucy.
Le château de Coucy.
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