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Oliver Cromwell

Oliver Cromwell est un homme d'Etat anglais, protecteur de la république d'Angleterre. Il est né à Huntingdon le 25 avril 1599, et est mort à Whitehall (Londres) le 3 septembre 1658.

Sa jeunesse fut marquée par de violents désordres, mais il se maria de bonne heure et changea tout à coup de conduite. L'histoire politique de Cromwell commence avec le Long parlement (1640) où, sous la direction de Hampden, il prépara la révolution. En 1642, il obtint une commission de capitaine de cavalerie; il inspira à ses soldats l'ardeur que donne le fanatisme religieux, et vainquit les troupes royalistes à Marston-Moor (1644) et à Naseby (1645). 
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Oliver Cromwell.
Oliver Cromwell (1599-1658), par S. Cooper.

Nommé lieutenant général, il fut maintenu par exception dans le privilège de son commandement, malgré la loi du Renoncement à soi-même, qui interdisait aux parlementaires toute charge militaire ou civile, dès lors Cromwell peut donner libre cours à ses projets. ambitieux : il fait emprisonner Charles Ier, il réprime la seconde révolte des royalistes (1648), il épure le Parlement au moyen de la force armée, et institue enfin une haute cour de justice qui condamne à mort le monarque (1649 ).

Après la proclamation de la république, Cromwell part pour l'Irlande, où il fait massacrer les insurgés royalistes et catholiques. A son retour, il est traité en souverain et habite les résidences de Whitehall et de Saint-James. En 1650, il est appelé en Ecosse, où Charles II avait été proclamé roi; il triomphe à Dunbar et à Worcester, et pacifie le pays avec autant de modération qu'il avait montré de haine cruelle, l'année précédente, en Irlande. Sûr de la domination, il s'attache à dépopulariser ce Parlement, qui l'avait élevé si haut; il finit par le dissoudre violemment.

Il nomma ensuite une nouvelle assemblée plus mystique que parlementaire, qui se dispersa d'elle-même (1653). Cromwell devint alors lord-protecteur, et, pendant huit mois, il gouverna seul. Il fit élire un nouveau Parlement (1654), mais, l'ayant trouvé peu docile, il le cassa l'année suivante. Pendant dix-huit mois, Cromwell régna sans contrôle; puis, lassé de ce pouvoir, il fit encore appel à un nouveau Parlement qui, tout, dévoué au Protecteur, lui offrit le titre de « roi ». Il refusa après de longues hésitations, et se contenta d'assurer sa succession à son fils Richard Cromwell, ajournant ainsi la réalisation d'un rêve que la mort dissipa. (NLI).

Premières années de Cromwell.
Oliver Cromwell était le second fils de Robert Cromwell et d'Elisabeth Steward; fut baptisé le 29 avril et reçut le prénom porté par son oncle sir Oliver Cromwell d'Hinchinbrook; son père était le second fils de sir Henry Cromwell d'Hinchinbrook; celui-ci était fils de Richard Williams, neveu et protégé du fameux Thomas Cromwell, comte d'Essex, lequel dut sa fortune à ce grand personnage et adopta son nom; le père de Richard Williams, nommé Morgan Williams, était un Gallois du comté de Glamorgan, qui avait épousé Catherine, soeur aînée de Thomas Cromwell, et exerçait à Putney la profession de brasseur. Elisabeth Steward, mère d'Oliver Cromwell, était fille de Williams Steward dont la famille était originaire de Norfolk; on a vainement tenté de la relier aux Stuarts d'Ecosse. Cette famille avait depuis plusieurs générations affermé des biens de l'abbaye d'Ely. La mère d'Oliver Cromwell était une femme remarquable; elle mourut à Whitehall le 16 novembre 1654 dans sa 90e année.

Oliver Cromwell commença son instruction à l'école adjointe à l'hôpital Saint-John à Huntingdon. Le 23 avril 1616, il entra au collège Sidney Sussex de l'université de Cambridge, où prévalaient les tendances puritaines. Il se montra bien plus habile et passionné pour les sports (football, etc.) et les exercices physiques que pour les études proprement dites. En juin 1617, après la mort de son père, Oliver Cromwell paraît avoir quitté l'université pour venir faire à Londres les études juridiques indispensables à un homme de sa condition; il fut, dit-on, membre de la corporation de Lincolns Inn. Le 22 août 1620, il épousa à l'église Saint-Giles, de Cripplegate, Elisabeth Bourchier, fille d'un marchand de la Cité de Londres, sir James Bourchier, de Tower Hill; à ce moment encore le nom de Williams paraît avoir été donné au marié comme celui de Cromwell. II se rendit alors à Huntingdon où il établit sa résidence. 

Sa famille y avait beaucoup perdu de son importance, et son oncle dut en 1627 vendre sa maison d'Hinchinbrook à sir Sidney Montagne qui succéda à son influence. Oliver n'eut d'ailleurs que le tiers de l'héritage paternel, les deux autres tiers ayant été réservés par son père (durant vingt et un ans), pour sa mère et ses soeurs. Cependant, il fut élu en 1628 député d'Huntingdon au parlement convoqué par le roi Charles Ier. il n'y joua aucun rôle, prit seulement la parole une fois, le 11 février 1629, pour réclamer la liberté de prêcher la doctrine puritaine et de développer les controverses religieuses; il attaquait l'évêque de Winchester. Nul autre discours de Cromwell n'est mentionné, et celui-ci même fit peu d'effet. Pendant les onze années suivantes, où le roi gouverna sans parlement, nous savons peu de chose de Cromwell. Il fut nommé en 1630 juge de paix du bourg d'Huntingdon, entra en conflit avec la municipalité, s'excusa quand l'affaire fut portée devant le comte de Manchester, et obtint cependant gain de cause; il défendait la cause des pauvres. 

On a raconté qu'il voulut émigrer en Amérique; rien ne le prouve; en 1641, quand la lutte politique se fut engagée, il déclara, à ce que dit Clarendon, que si la remontrance au roi avait été rejetée, il aurait quitté l'Angleterre. Il s'occupait de ses affaires privées; en mai 1631, il aliénait presque toutes ses propriétés d'Huntingdon au prix de 1800 livres et en affermait à Saint-Ives. En 1636, il succéda à son oncle sir Thomas Steward comme fermier de l'abbaye d'Ely. A ce moment se place dans sa vie morale une crise grave; les passions religieuses, après une période de mélancolie et d'abattement, excitèrent chez lui un enthousiasme profond qui demeura son principal moteur.

Cromwell au Long Parlement.
Lorsqu'il fut envoyé en 1640 au Court Parlement (Short parliament), puis au Long Parlement (Long parliament) par la ville de Cambridge, il siégea naturellement avec les hommes du parti avancé, s'entendant surtout avec son cousin Hampden et avec Saint-John. Il prit une grande influence sur les chevaliers et les bourgeois des comtés de l'Est. Le 9 novembre 1640, il présenta la pétition de J. Silburne poursuivi pour avoir vendu les pamphlets de Prynne; il prenait une part active aux travaux des comités du parlement; il demanda la seconde lecture du bill renouvelant la loi d'Edouard III sur les parlements annuels (30 décembre 1640), et appuya la pétition des gens de Londres contre l'épiscopat (mai 1641). Lorsque la situation s'aggrava et que le parlement à l'approche d'un conflit commença d'empiéter sur le pouvoir exécutif, Cromwell manifesta la décision et l'énergie de son caractère; il fut un des promoteurs les plus résolus de toutes les mesures prises depuis la fin de 1641 pour subordonner l'armée au parlement, mettre le royaume en état de défense, souscrivant 600 livres, somme très forte eu égard à ses ressources, afin de reconquérir l'Irlande, puis 500 pour la défense du parlement, faisant occuper le château de Cambridge; avec l'aide de Valentin Walton, de sa soeur Marguerite et son beau-frère Desborough, qui avait épousé sa soeur Jane, il fit du comté de Cambridge un quartier général des parlementaires.

Son rôle dans la guerre civile.
Dès le début de la guerre civile, Oliver Cromwell se joignit à l'armée parlementaire où figura aussi son fils aîné, du nom d'Oliver. Il avait levé une compagnie de cavaliers dont il était le capitaine. A la bataille d'Edgehill, il servait dans le régiment d'Essex, sous les ordres de sir Philip Stapleton, et se distinguait par sa valeur. A la fin de l'année 1642, il revint dans son pays natal pour s'occuper de l'organisation des grandes associations des comtés de l'Est et du Centre, qui jouèrent un rôle considérable dans la révolution. Dans la première de ces associations, Cromwell siégeait pour le comté de Cambridge; dans la seconde, pour le comté d'Huntingdon. Il désarma les royalistes de la région et s'établit à Cambridge qu'il fortifia. En même temps, il accroissait sans cesse l'effectif de sa compagnie de 60 hommes, la transformant en un régiment; en janvier 1643, il n'est encore que capitaine, mais le 2 mars on l'appelle colonel. 

Au mois de septembre, il avait dix compagnies; plus tard il réunit jusqu'à quatorze doubles compagnies. Ces soldats étaient animés du même esprit que leur chef; c'étaient des fanatiques ne craignant que Dieu; ils servaient à leurs frais, sans solde, couchant sur la dure; les officiers étaient choisis avec grand soin; bourgeois ou petits gentilshommes campagnards, bien capables de résister à la brillante noblesse, et même aux routiers éprouvés du prince Robert. L'importance de ce régiment de cavalerie fut d'autant plus grande que précisément c'était la cavalerie qui faisait au début de la guerre civile la grande supériorité des royalistes. Cromwell se distingua dans des escarmouches où il aguerrit ses hommes; le 13 mai à Grantham, avec douze compagnies, il défit un corps royaliste deux fois plus nombreux. En même temps, il s'affirmait comme chef des purs, en démasquant les intrigues des gens qui jouaient double jeu, trahissant ou retardant les parlementaires. Il se préoccupait surtout de la défense des comtés associés; le parlement le nommait gouverneur de l'île d'Ely, mais il ne perdait pas de vue la cause générale. 

Quand on forma l'armée du comte de Manchester, il y fut l'un des quatre colonels de cavalerie; son mérite était déjà assez signalé pour qu'il fût en fait le second du général. Il eut une grande part à la victoire de Winceby (11 octobre 1643) qui rendit le comté de Lincoln aux parlementaires. Il fut nommé lieutenant général de l'armée du comte de Manchester (9 février 1644) ; cela l'obligea à contresigner officiellement le Covenant; en sa qualité d'indépendant, peu favorable aux presbytériens, il y avait grande répugnance, et ne se décida qu'à contre-coeur le 5 février. Il couvrit le siège de Lincoln, puis fut envoyé pour renforcer les armées de Fairfax et Leven qui assiégeaient York. Il prit part à la première des batailles décisives de la guerre civile, celle de Long Marston Moor. 

Cromwell commandait l'aile gauche des parlementaires formée des troupes de l'association des comtés de l'Est et de trois régiments écossais (vingt-deux companies) sous les ordres de David Leslie; en tout soixante-dix compagnies. Cromwell, à la tête d'un escadron de trois cents cavaliers, chargea la division du prince Robert; après un combat acharné, celui-ci prit l'avantage; Cromwell fut blessé; mais les escadrons de Leslie soutinrent le choc, et les troupes du prince Robert cédèrent. Leslie se porta alors contre l'infanterie du centre royaliste; Cromwell, légèrement blessé, poussa devant lui jusqu'à l'extrémité orientale de l'armée royaliste occupant les positions où se tenait primitivement l'aile commandée par Goring; lorsque celui-ci revint avec ses cavaliers de la poursuite des troupes de Fairfax qu'il avait rompues, il fut à son tour chargé et mis en déroute par Cromwell. Cette manoeuvre fut décisive et Cromwell ayant défendu de faire quartier, des milliers de vaincus jonchèrent le champ de bataille. On a beaucoup discuté sur le mérite respectif de Cromwell et Leslie, et la part qui revient à chacun dans la victoire de Marston Moor; elle semble égale : mais dès la fin de mai 1644, deux mois avant, Cromwell avait la réputation d'être le meilleur général de cavalerie de son armée, et Leslie avait désiré l'avoir pour chef; et le prince Robert le regardait comme son plus redoutable adversaire. 

Deux mois après la bataille, un journal donne pour la première fois à Cromwell le surnom de côte de fer (Ironside) en attribuant l'invention au prince Robert; ce surnom devint populaire dans l'armée, fut appliqué au régiment de Cromwell à qui l'histoire l'a conservé. Les Côtes-de-fer firent beaucoup pour le triomphe de la cause populaire. La popularité qui en résulta pour Cromwell fut d'autant plus grande qu'après la victoire de Marston Moor qui livrait le Nord aux parlementaires, leur général Essex fut contraint de capituler devant le roi dans l'Ouest en septembre, et qu'en novembre 1644, leur autre général, Manchester, fut mis en échec à Newbury où Cromwell se distingua. Dès le mois d'avril 1644, on appelait Cromwell le grand indépendant; il avait dans l'île d'Ely supprimé les cérémonies extérieures du culte anglican, et donné toute liberté de prêcher à ses soldats. 

Dans l'armée de Manchester, il profitait de son ascendant sur ce chef pour défendre les anabaptistes et les sectes religieuses extrêmes; les presbytériens, qui avaient à leur tête dans l'armée Crawford, étaient très mécontents; mais Cromwell obtint du parlement une décision officielle donnant à l'armée une véritable liberté religieuse. Après la seconde bataille de Newbury, une vive polémique s'engagea entre Manchester et Cromwell; le premier fut appuyé par les presbtériens d'Angleterre et d'Ecosse, et par la Chambre des lords; celle-ci nomma un comité chargé d'une enquête sur la conduite de Cromwell, tandis que la Chambre des communes nommait un comité pour faire une enquête sur la conduite de Manchester. Le débat était grave et la cause soutenue par Cromwell était celle d'une armée autonome, tout au moins commandée par des gens du métier. A l'instigation de Cromwell on décida, afin de poursuivre rigoureusement la guerre en établissant une stricte discipline militaire, de changer de méthode; on mettrait à la tête de l'armée des professionnels, non plus des délégués du parlement. Le vote de l'acte de renoncement (self-denying ordinance), par lequel les membres des deux Chambres s'excluaient de toute fonction militaire, fut décisif dans l'histoire de la révolution d'Angleterre.

Lorsque la Chambre des lords, après une vive résistance, eut accepté le bill et que celui-ci revint aux Communes pour le vote définitif, Cromwell partit pour l'armée de l'Ouest (février 1645), où il servit sous les ordres de Waller. Il se montra rigoureusement discipliné et obéissant. De même quand il revint à l'armée de Windsor commandée par Fairfax (avril 1645). Il fit merveille à la tête de la cavalerie. C'était le 13 mai que devaient expirer les pouvoirs militaires donnés à des commissaires de l'association. A cette date, Cromwell était aux prises avec le roi (qui avait pris Leicester) pour protéger les comtés de l'Est; on décida de prolonger ses pouvoirs pendant quarante jours. Le 5 juin, une pétition de la Cité de Londres à la Chambre des lords demanda que Cromwell fût mis à la tête des comtés associés de l'Est et du Centre; trois jours après arriva une lettre de Fairfax et de ses officiers le réclamant pour commander la cavalerie en affirmant qu'il ne pourrait y être suppléé. Le parlement lui donna ce commandement pour trois mois (18 juin 1645); ses pouvoirs furent successivement prolongés pour des périodes de quatre on six mois, les 8 août, 17 octobre 1645 et 26 janvier 1646. Cromwell eut ainsi une situation unique en Angleterre; il fut seul membre du parlement et seul homme politique considérable investi d'un commandement militaire; la chose était d'autant plus grave que déjà cette double situation lui avait permis de se faire le chef des « indépendants » et des puritains avancés, très nombreux à l'armée dont il était le porte-parole du parlement.

Cromwell, rappelé de l'Est par Fairfax, rejoignit l'armée la veille de la bataille décisive de Naseby; il commandait la droite de l'armée parlementaire et avait réglé les dispositions de toute la cavalerie; il paya de sa personne et décida la victoire en rompant l'infanterie royaliste du centre. Il opéra ensuite dans l'Ouest et compléta la victoire des puritains dans cette région. On lui en marquait une vive reconnaissance. La Chambre des communes décidait de lui donner une pension de 2500 livres sterling et de réclamer pour lui du roi le titre de baron (décembre 1645). Envoyé au parlement par Fairfax, il était solennellenient félicité et remercié des services rendus (avril 1646). En même temps il prévoyait déjà un conflit avec les presbytériens et les Ecossais et hâtait la fin de la lutte en faisant accorder de douces conditions aux royalistes d'Exeter et d'Oxford. Son influence s'exerçait constamment dans le sens de la modération. Quand la capitulation d'Oxford eut terminé la guerre, il revint à Londres où siégeait le parlement, y ramenant sa famille, sauf sa fille aînée, Bridget, qu'il venait de marier au brave Ireton (juin 1646). Une nouvelle carrière s'ouvrait à lui et il allait passer au premier plan.
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Cromwell à la bataille de Naseby.
Oliver Cromwell  à la bataille de Naseby.
Tableau de Ch. Landseer  (1799-1879).

Cromwell chef des Indépendants.
Les presbytériens avaient organisé le régime ecclésiastique selon leurs vues; Cromwell n'avait cessé de revendiquer la liberté religieuse promise en septembre 1644. Les élections partielles renforçaient régulièrement le parti indépendant au parlement. Toutefois, lorsque le roi se fut rendu auprès des Ecossais, le triomphe des presbytériens parut assuré. On trouvera ailleurs (Charles Ier) le récit de cette longue crise où l'obstination du roi rendit tout accord impossible. L'attitude de Cromwell fut remarquable; il était très gêné entre le parlement et l'armée qui le considérait comme son champion; dans le conflit qui s'aggravait, il fit les plus grands efforts pour sauvegarder l'autorité du parlement, seul pouvoir égal; il gagna beaucoup plus dans l'estime des plus purs chefs puritains comme Lilburn, tandis que Vane et Saint-John se déconsidéraient par leur duplicité. Quand la lutte devint imminente et que la pétition de huit régiments fut apportée à la Chambre des communes, Cromwell fut obligé de se prononcer. Il se rendit à l'armée. Son affidé, le cornette Joyce, enleva le roi et l'amena à l'armée (juin 1647).

Désormais les Indépendants étaient les maîtres de la situation. Cromwell se met ouvertement à leur tête et est le vrai chef de l'armée. Celle-ci occupe Londres (août 1647) et domine le parlement. Mais le roi ne traite pas plus avec les Indépendants qu'avec les Presbytériens, malgré les efforts de Cromwell. A ce moment se place l'étrange épisode de la fuite du roi dans l'île de Wight. Elle fut conseillée par les envoyés écossais, mais probablement consentie par Cromwell et Fairfax qui ne se sentaient pas maîtres de l'armée et craignaient de voir Charles ler tomber aux mains des agitateurs démagogues qui ébranlaient la discipline. Devenu suspect aux soldats, Cromwell, qu'on accusait de s'être vendu au roi pour le titre de comte d'Essex et l'ordre de la Jarretière, fut menacé dans sa vie. Il avait pris une lettre du roi à sa femme qui prouvait sa mauvaise foi. Cromwell et les officiers qui le suivaient se réconcilièrent avec les agitateurs; on célébra par le jeûne et les prières le rétablissement de l'entente. C'est le 10 novembre que le roi s'enfuit; c'est dans les trois grandes revues du 15 au 18 que Fairfax et Cromwell rétablirent leur ascendant sur les troupes. Ils s'engagèrent solennellement à faire redresser leurs griefs et à réformer le parlement, et obtinrent la promesse des soldats d'obéir au général et au conseil de guerre. Cromwell agit avec énergie; dans le régiment de Lilburn où prévalait la secte fanatique des Levellers, communistes et républicains, hostiles même au service militaire, il rétablit la discipline en faisant saisir les meneurs dont le principal fut fusillé devant le régiment. Durant le mois de décembre la réconciliation entre l'armée et ses chefs fut complétée et scellée par un jeûne général (23 décembre 1647).

Cromwell vainqueur des Presbytériens.
Le résultat fut la constitution d'un véritable gouvernement révolutionnaire. La direction des affaires passa aux mains d'un comité formé de sept lords et quatorze députés, indépendants déclarés tels que Cromwell, Haslerigh, les deux Vane, etc.; leur rôle a été comparé à celui qu'eut plus tard en France le comité de Salut public. Cromwell fut l'âme de ce comité qui prépara la république en constatant qu'il était nécessaire et possible de gouverner l'Angleterre sans le roi. On fit décider par le parlement que nulle adresse ne serait plus présentée à Charles Ier et qu'on ne tiendrait plus compte des Ecossais presbytériens et royalistes. Cromwell consacra tous ses efforts à rétablir l'accord entre toutes les fractions du parti avancé. Lui-même avait été incriminé et même formellement accusé de trahison par Lilburn à l'occasion de ses négociations avec le roi. Il était d'autant plus urgent de concentrer les forces des indépendants que les presbytériens et les Ecossais, inquiets de la tournure prise par les affaires, se montraient disposés à soutenir le roi, lequel ne se départait pas de son attitude intransigeante. Non seulement les Ecossais armaient, les royalistes se groupaient dans le nord et dans l'ouest de l'Angleterre, mais à Londres même on criait « Vive le roi ! » et le parlement était menacé. 

Cromwell ne faiblit pas; il s'écria, dit-on, qu'il fallait obliger la capitale à l'obéissance ou la réduire en cendres. Il entretint l'énergie des soldats; au mois d'août 1648, il passa avec eux trois jours en prières à Windsor. Les indépendants restèrent les plus forts; Fairfax comprima le mouvement au Sud-Est; Maidstone, à Londres; Cromwell dompta le Pays de Galles (mai); six semaines le siège de Pembroke l'arrêta; il ménagea plus les Royalistes que les Presbytériens qu'il traitait d'apostats. Quand il fut libre, il marcha vers le Nord pour rejoindre le corps de Lambert que refoulait l'armée écossaise d'Hamilton; marchant par la vallée de la Ribble, il surprit ceux-ci dans le comté de Lancaster entre Preston et Warrington; après trois jours de bataille, l'armée écossaise fut complètement détruite (18-20 août); l'infanterie, puis la cavalerie capitulèrent. Ces combats furent décisifs pour l'avenir de la révolution d'Angleterre; la victoire remportée par les indépendants anglais, malgré l'infériorité numérique, ruina à jamais l'influence des presbytériens appuyés sur l'Ecosse, qui depuis six ans dirigeaient la politique anglaise. Cromwell vainqueur ne se contenta pas de reprendre tout le sol anglais, il passa la Tweed et envahit l'Ecosse, occupa les places de Berwick et Carlisle, et le 4 octobre entra à Edimbourg, solennellement fêté par les Covenantaires; le parti modéré d'Hamilton avait succombé, et les Puritains dirigés par Argyle revenaient au pouvoir  ils se rallièrent à Cromwell; un nouveau pacte fut conclu qu'on appela « whiggamoores raid » (de là vint le nom de whig) et l'on destitua tous les Ecossais qui avaient porté les armes contre l'Angleterre. En même temps la flotte, qui s'était mise aux ordres du prince de Galles, rentra dans l'obédience du parlement anglais. Les victoires remportées par Cromwell le rendaient maître de la situation. Ses messages datés de Pembroke et de Preston témoignent de la confiance qu'il puisait dans ses convictions religieuses et de sa résolution d'aller jusqu'au bout.

« Le Seigneur ne veut pas que nous courbions indéfiniment notre nuque sous le joug du péché; il brisera le sceptre de l'oppresseur comme aux jours de Midian [...] ce qui est arrivé est l'oeuvre de Dieu; il abaisse ceux qui s'élèvent [...], accomplissons vaillamment l'oeuvre de Dieu et exterminons ceux qui ne veulent pas vivre en paix [...] le peuple rejette même les rois. »
Procès du roi.
A ce moment, le parlement et le roi également menacés finirent par s'entendre; il était trop tard. L'armée du Nord adressa au parlement une remontrance, protestant contre ce projet de traité et réclamant la punition des auteurs de la guerre. L'armée du Sud (commandée par Fairfax) accentua encore son opposition. Cromwell qui avait été personnellement mis en cause à la Chambre des lords, s'associa à ces protestations; il considérait les batailles comme des jugements de Dieu et déclarait que la Providence avait clairement manifesté sa volonté à laquelle tous devaient se conformer. Le roi fut enlevé de l'île de Wight; Hammond, le gouverneur de l'île, qui était en correspondance avec Cromwell, reçut du conseil de guerre l'ordre d'enfermer Charles Ier dans le château de Carisbrook; le major Rolfe, républicain fanatique, le conduisit à Hurstcastle dans le Hampshire (30 novembre). L'armée du Sud poussait à bout le conflit avec le parlement. Celui-ci s'obstinait à traiter avec le roi; l'armée de Fairfax procéda à un coup d'Etat; c'est ce qu'on appelle la purge de Pride. Le 6 décembre, celui-ci exclut cinquante-deux députés presbytériens de la Chambre des communes; la résistance fut brisée par une nouvelle expulsion de quarante membres. Cromwell, qui n'arriva que le 7 décembre, manifesta son approbation du coup d'Etat et vint siéger dans la Chambre expurgée qui lui adressa des remerciements pour les services éminents rendus par lui. Il agit désormais en maitre, s'installa au palais royal de Whitehall. Adoptant le principe de la souveraineté populaire, il fit décider le procès du roi.

Dès que le roi eut été mis en accusation, Cromwell fut son adversaire le plus acharné. Plus de la moitié des cinquante juges se récusaient, se dérobaient, hésitaient; lui comprenait qu'il n'y avait plus à reculer et n'hésitait pas à pousser les choses à l'extrême. Il fut le véritable auteur de l'exécution de Charles ler. Il fut aussi son héritier.

La République. 
Lorsque la suppression du roi eut consommé la révolution d'Angleterre, il fallut procéder à une organisation nouvelle. Des pouvoirs de l'Etat, le roi avait disparu; la proposition de donner ce titre au duc de Glocester, troisième fils de Charles Ier, ne trouva pas d'écho; la Chambre des lords avait été mise de côté définitivement quand elle s'opposa au procès du roi, et supprimée comme inutile et dangereuse; la Chambre des communes (le Long Parlement), qui avait été réduite de cinq cents membres à quatre-vingts, par les défections et les expulsions, restait le seul pouvoir constitué. On la renforça par des élections partielles et le rappel de quelques membres expulsés ou absents, et elle compta cent cinquante membres. Le pouvoir exécutif fut confié à un conseil de quarante-deux membres dont cinq lords, quelques juges et chefs militaires; à la tête était Cromwell bien que Bradshaw fût président et que Fairfax, président du conseil de guerre, eût aussi le pas sur lui; Milton était parmi les secrétaires.

Tous les Anglais, âgés de plus de dix-sept ans, prêtèrent serment de fidélité à ce conseil d'Etat; on fabriqua un sceau avec la devise : « première année de la liberté restaurée par la grâce de Dieu »; le parlement déclarait que les lois fondamentales du royaume subsistaient et qu'on jugerait d'après elles. Le nouveau gouvernement frappa également les modérés et les radicaux. Les chefs des modérés, qui avaient passé du parti parlementaire au parti monarchiste, Hamilton, lord Holland et lord Capel furent jugés et condamnés à mort par le tribunal qui avait condamné le roi, et exécutés. On décréta de mort les deux fils aînés de Charles Ier, réfugiés sur le continent. Cromwell et le conseil d'Etat ne furent pas moins énergiques contre les exaltés de leur propre parti. Lilburn et un groupe de fanatiques réclamaient la démocratie complète; ils attaquaient violemment Cromwell et le conseil d'Etat, projetant d'imposer par la force leur propre programme. Les chefs des « levellers » furent arrêtés et les mutins comprimés par Cromwell et Fairfax (mai 1649). Ceux-ci n'avaient nul goût pour un bouleversement social; Lilburn fut emprisonné comme auteur du manifeste des « levellers », un insurgé fusillé; les plus enragés, qui tenaient la campagne avec le capitaine Thomson, furent écrasés. L'armée se rallia tout entière autour de Cromwell (mai 1649).

Guerre d'Irlande.
Cromwell avait été désigné depuis deux mois pour la commander; on le chargeait de réprimer la rébellion irlandaise, lui allouant un traitement de 13.000 livres sterling. Il était enfin, de nom comme de fait, le général en chef. Il partit avec des forces considérables et aborda à Dublin le 15 août 1649; les religieux puritains avaient béni ses drapeaux. La guerre eut la violence d'une guerre de religion. Cromwell affichait l'intention de venger le massacre des protestants en 1641. Le sac de Drogheda est resté tristement célèbre (10 septembre 1649 ; la ville fut prise d'assaut et livrée pendant cinq jours à la soldatesque; la garnison et la population catholique furent passées au fil de l'épée. Ces excès, reproduits plus tard à Wexford, furent imités par les chefs inférieurs; partout, les prêtres, les soldats qui avaient fait défection furent massacrés; le pays fut mis à feu et à sang. L'hiver arrêta les progrès de Cromwell. La seconde campagne où Cromwell utilisa les dissensions entre catholiques et protestants lui livra les places de l'intérieur, Cashel, Cahior, Kilkenny, Clonmel (février-mai 1650). L'Irlande était reconquise; l'antagonisme créé entre la population catholique et la population protestante de l'Irlande ne devait plus s'apaiser. Cromwell projetait d'ailleurs de faire coloniser l'île par des Anglais, écrivant jusqu'en Amérique, dans la Nouvelle-Angleterre, pour inviter des puritains à se transporter en Irlande avec leurs ministres. On lui a même prêté le projet de refouler dans le Connaught toute l'ancienne population.

Guerre d'Ecosse.
Sur ces entrefaites, Cromwell fut rappelé en Angleterre et dut repartir laissant son beaufils, Ireton, achever son oeuvre en Irlande. La guerre reprenait; les royalistes n'avaient pu se maintenir sur mer; les princes Robert et Maurice de Palatinat avaient organisé, des îles Scilly, des expéditions de corsaires; la flotte républicaine, dirigée par Blake, les en chassa, occupa Saint-Mary; bien plus, les navires anglais pénétrèrent dans la mer Méditerranée, dans le port de Carthagène. Mais du côté de l'Ecosse, les hostilités reprenaient; le rappel de Charles Il était une déclaration de guerre à l'Angleterre. Le parlement nomma Fairfax général en chef avec Cromwell pour lieutenant général; Fairfax se retira et Cromwell fut acclamé comme généralissime (24 juin 1650). Fairfax n'avait pas voulu prendre l'offensive. Cromwell n'hésita pas; n'ayant pu convaincre Fairfax, il prit sa place se considérant comme  « désigné par le Seigneur ». Il entra en Ecosse avec seize mille vétérans. David Leslie l'attendait, retranché près d'Edimbourg

Les deux armées étaient aussi fortes l'une que l'autre, animées d'un égal fanatisme, commandées par des chefs de mérite égal. N'osant attaquer son ennemi dans ses positions et manquant de vivres, Cromwell ordonna la retraite. Leslie voulait le laisser partir, le suivre en Angleterre vainquant sans même combattre; les ministres presbytériens voulurent achever leur ennemi sur-le-champ. L'armée de Cromwell était comme bloquée le long de la mer, obligée de défiler à Copperspath devant les Ecossais, maîtres des hauteurs; quand Cromwell vit ceux-ci descendre de la colline pour l'attaquer, il s'écria : « Le Seigneur nous les livre ». Le lendemain, à l'aube, il faisait à ses soldats ses dernières recommandations : « Priez et ne mouillez pas votre poudre! » puis prenait résolument l'offensive, bien secondé par Monk et Lambert; l'aile droite des Ecossais fut d'abord battue; le reste de leur armée, mis en désordre, se débanda; la bataille de Dunbar (3 septembre 1650) leur coûta trois mille morts, dix mille prisonniers; Edimbourg fut pris.

Cromwell lança une proclamation invitant les Ecossais à se soumettre au jugement de Dieu. Tandis que Charles Il rassemblait une nouvelle armée, Cromwell était arrêté par une maladie dans l'été de 1651; il put de nouveau agir, marcha contre Leslie et occupa Perth (2 août). Il laissait ouverte la route de l'Angleterre, où se jeta Charles II; on le lui a reproché, mais il est vraisemblable que Cromwell agit en connaissance de cause; la guerre s'éternisait en Ecosse, usant ses forces et grevant lourdement le trésor anglais. En Angleterre, la lutte ne pouvait être longue. La cavalerie de Cromwell partit en avant pour arrêter le roi; Cromwell suivit avec l'infanterie, atteignit son adversaire sur les bords de la Severn où il l'écrasa, grâce à sa supériorité numérique. Dans cette bataille de Worcester, livrée le 3 septembre 1651, jour anniversaire de la bataille de Dunbar, Cromwell paya de sa personne, comme il en avait l'habitude; il faillit être tué au moment où il s'avançait pour offrir quartier à ses ennemis. La guerre civile était terminée. La reconnaissance du parlement se traduisit par l'octroi à Cromwell d'apanages d'une valeur annuelle de 4000 livres sterling et du château d'Hamptoncourt. 

La répression fut sévère; lord Derby fut mis à mort, une foule de royalistes virent leurs propriétés confisquées; les biens de la couronne furent employés à payer les frais de la guerre; les châteaux et palais, les collections royales vendus. Une véritable terreur plana sur les monarchistes qui, désormais, ne remueront plus. En Ecosse, Monk, que Cromwell avait laissé comme lieutenant, acheva la victoire par le sac de Dundee; les chefs politiques et religieux de ce pays furent internés en Angleterre; même les Highlands se soumirent. De son château de Dalkerth, Monk gouverna l'Ecosse en dictateur, la traitant en pays conquis comme l'Irlande. Cromwell et le parlement profitèrent de ces succès pour proclamer l'union des royaumes d'Ecosse et d'Angleterre; la république réalisait ainsi l'union de la Grande-Bretagne que n'avaient pu faire les Stuarts. Quel gouvernement allait-on donner à cet Etat? Il y fallait l'accord du parlement et de l'armée; l'arbitre de la situation était le grand vainqueur. Plus il affectait d'humilité, plus les républicains qui se défiaient de lui étaient inquiets, tel Ludlow.

Dans les conférences tenues en décembre 1651, Cromwell déclare que la meilleure organisation de l'Angleterre serait celle qui comporterait un certain pouvoir monarchique. D'autre part, il demandait à être relevé de son commandement et à rentrer dans la vie privée. Bien entendu, le parlement refusa de se priver de ses services. Tout le monde avait les yeux tournés vers le chef de l'armée et des indépendants; il exerçait au parlement une influence prépondérante; s'il n'en est pas question à propos de la querelle avec les Provinces-Unies et du fameux acte de navigation (9 octobre 1651), il inspira la plupart des autres actes; celui par lequel le parlement fixa le terme de ses pouvoirs (il est vrai que ce n'était qu'en novembre 1654), l'amnistie accordée en février 1652 pour réconcilier les royalistes. Cromwell fut le principal membre des comités de réforme législative, de réforme religieuse, où il soutint la tolérance absolue. Les difficultés renaissaient; la guerre contre la Hollande obligeait le parlement à lever des impositions; on frappait les royalistes les réformes restaient à l'état de projets; on ne voulait entendre parler ni de suffrage universel, ni de liberté de conscience; on songeait à opposer à l'armée la flotte, dont le succès contre la Hollande accroissait l'importance.

Dissolution du Long Parlement.
Comme cinq années auparavant, un conflit se dessinait entre le parlement et l'armée dirigée par Cromwell. Le mécontentement des troupes s'exprima par la pétition qu'elles rédigèrent (12 août 1652); les conférences tenues entre leurs officiers et les parlementaires (octobre 1652) accentuèrent l'opposition. Elle portait sur le fond même de la situation. Le parlement se regardait comme la seule autorité subsistant en Angleterre; il voulait donc se perpétuer en élisant ou faisant élire de nouveaux membres pour remplacer ceux qui disparaissaient. Cromwell rejetait cette combinaison; il acceptait seulement de substituer au parlement perpétuel, une série de parlements biennaux, mais permanents. L'armée n'admettait pas ce point de vue, déclarant ne pouvoir admettre que le pouvoir législatif usurpât le pouvoir judiciaire et l'exécutif; elle réclamait des garanties contre « l'arbitraire du parlement ». Les chefs du conseil de guerre avec lesquels s'entendit Cromwell furent Lambert et Harrison; ils étaient d'accord pour réclamer la nomination d'un comité de réforme et s'opposer au vote du parlement biennal. 

Quand Cromwell vint leur apprendre que, malgré ses promesses, le parlement allait passer à la troisième lecture du bill, ils reconnurent qu'une solution amiable était impossible et qu'il fallait en appeler à la force. Alors eut lieu la célèbre dissolution du Long Parlement. Ce coup d'Etat fut l'oeuvre personnelle de Cromwell. Il amena ses troupes dans le vestibule, puis entra dans la salle et y prit sa place dans la Chambre; il était vêtu de noir, à la mode puritaine, avec des bas de laine grise. On délibérait sur la loi électorale; il se tut d'abord, mais quand on voulut passer au vote, il se leva et reprocha amèrement à l'assemblée ses injustices et son égoïsme, disant que Dieu avait choisi des hommes plus dignes pour mener à bien son oeuvre. Exaspéré par les objections, il se leva, appela ses mousquetaires; le chapeau sur la tête, il se promenait de long en large, vociférant : 

« Vous n'êtes plus un parlement; faites place à des hommes meilleurs! » 
Harrison expulsa le président; les autres membres furent chassés par les soldats; au passage, Cromwell les apostrophait, les traitant l'un d'ivrogne, l'autre d'adultère, etc. Quand la salle fut vide, il ferma la porte et mit la clef dans sa poche. Puis il se rendit à Whitehall où ses officiers étaient réunis et leur dit : 
« Quand j'allai à la Chambre, je ne songeais pas à agir ainsi, mais quand je vis que le parlement voulait filer un fil sans fin, l'esprit de Dieu l'emporta en moi. »
Le lendemain, Cromwell se rendit au conseil d'Etat et lui déclara qu'il ne pouvait plus le considérer que comme une réunion privée, le parlement étant dissous. Bradshaw répliqua : 
« Vous vous trompez si vous croyez que le parlement est dissous; nulle puissance sur terre ne peut accomplir cela, en dehors de la décision de ses membres. » 
Mais nulle résistance ne se produisit ; la flotte aussi accepta le fait accompli.
Il n'y avait plus en Angleterre aucun pouvoir légal; la révolution était arrivée à ses conséquences extrêmes; le roi, la Chambre des lords, la Chambre des communes avaient été successivement éliminés par l'armée. Les indépendants, c.-à-d. les sectes religieuses les plus avancées et les démocrates qui dominaient dans l'armée, avaient aboli successivement les institutions monarchiques, épiscopales, aristocratiques, presbytériennes, etc.; leur chef, Oliver Cromwell, était dictateur. Comment allait-il user de son pouvoir? L'opinion générale était favorable au coup d'Etat; les monarchistes espéraient que le général rappellerait Charles II, se contentant d'un duché et de la vice-royauté d'Irlande; d'autres supposaient qu'il allait mettre la couronne sur sa tête; on fit son portrait couronné; les puritains attendaient de leur chef la réalisation de leur idéal religieux et politique. Cromwell lui-même avait un sentiment exact de la situation. Il jugeait que sa qualité de généralissime des trois royaumes que lui avait déférée le parlement, l'investissait du seul pouvoir légal qui demeurât debout. Son autorité était dictatoriale, illimitée, mais provisoire. Les chefs de l'armée ne pouvaient avoir dissous le Long Parlement pour usurper le pouvoir. Il fallait évidemment convoquer un nouveau parlement qui fût l'expression de la volonté nationale et restaurât une autorité civile.

Le Petit Parlement.
Le parlement nouveau ou Petit parlement (Little parliament) fut élu dans des conditions qui semblaient offrir toutes les garanties aux avancés. On dressa dans les comtés des listes d'hommes pieux, appartenant aux sectes dissidentes ; parmi eux on choisit cent cinquante-cinq députés dont cent trente-neuf pour l'Angleterre, six pour le Pays de Galles, six pour l'Irlande, quatre pour l'Ecosse. La convocation fut faite au nom d'Oliver Cromwell, capitaine général et commandant en chef, la nomination émanant de lui et de son conseil d'officiers. L'assemblée prit le nom de « parlement de la République anglaise ». Dans son discours d'inauguration, en remettant au parlement le pouvoir suprême, Cromwell manifesta clairement son opinion. La guerre avait livré le gouvernement au peuple de Dieu. 

Des hommes pieux avaient affranchi le peuple du joug monarchique; des hommes pieux étaient appelés à le gouverner. Malheureusement la piété et le fanatisme ne suffisaient pas pour bien régir les Îles Britanniques; l'assemblée des saints a été ridiculisée par les pamphlets royalistes et a conservé le sobriquet de parlement Barebone; non contents de prendre des prénoms bibliques Habacuc, Zorobabel, etc., beaucoup de ses membres faisaient précéder leur nom d'une maxime religieuse, d'un verset de la Bible. Ce qui était plus grave, c'était que ces hommes zélés et inexpérimentés étaient beaucoup plus radicaux que le dictateur; ils voulaient réellement établir le règne de Dieu en bouleversant toute l'organisation du pays : simplification de la justice, rédaction d'un code unique, conforme à la parole divine; séparation de l'Eglise et de l'Etat; abolition des patronages et dîmes ecclésiastiques; élection des pasteurs par les fidèles, substitution du mariage civil au mariage religieux. 

Ce simple énoncé montre combien les démocrates et les anabaptistes de 1653 étaient en avance sur leur temps; on attaquait même le droit de propriété. Cromwell tenait essentiellement au maintien d'une Eglise nationale; il profita du mécontentement des républicains conservateurs et de l'inquiétude générale du pays pour intervenir. Quand la majorité radicale du Petit Parlement voulut réduire l'armée et la marine, que ses chefs accusèrent les soldats d'être les janissaires de Babylone dont la destruction était nécessaire au royaume des saints, le général mit un terme à leurs sessions. La minorité conservatrice abdiqua ses pouvoirs aux mains de Cromwell, quelques mousquetaires expulsèrent le reste des membres du parlement (décembre 1653). Ils avaient reçu leur mandat de Cromwell et du conseil de guerre, ceux-ci le leur retiraient. Le peuple assistait indifférent.

L'instrument de gouvernement. Cromwell protecteur d'Angleterre.
L'échec du Petit parlement laissait l'Angleterre sans constitution. Le conseil de guerre assemblé à Whitehall en prépara une. Il semblait indispensable de rétablir un ordre de choses analogue à la monarchie et de concentrer en une main, celle de Cromwell, le pouvoir exécutif. Les démocrates fanatiques comme Harrison étaient découragés; le général Lambert proposa un projet de constitution. Cet instrument of government attribuait le pouvoir législatif dans les trois royaumes unis à un parlement de quatre cents membres, élu au suffrage universel (sauf exclusion de ceux qui avaient porté les armes contre la république); le pouvoir exécutif était attribué à un protecteur nommé à vie, qui l'exerçait avec l'assistance et le contrôle d'un conseil d'Etat; il avait le commandement des forces de terre et de mer, le droit de guerre; un Stuart ne pouvait être protecteur. En l'absence du parlement, le protecteur et le conseil d'Etat rendaient des ordonnances ayant provisoirement force de loi. La dignité de protecteur (lord protector) fut offerte à Cromwell qui l'accepta à la satisfaction générale. Le 16 décembre 1653, il prit solennellement possession du pouvoir à Westminster en présence des officiers de l'armée, des autorités municipales de Londres, d'un grand nombre de fonctionnaires et de juges. Le 14 avril 1654, il s'installa dans les appartements royaux de Whitehall. Il possédait, sans le titre, l'autorité royale.

Politique de Cromwell.
Quand il voulut l'exercer, il se trouva aux prises avec les mêmes difficultés que le roi; seulement il était plus fort. Seuls les anciens cavaliers, légitimistes intransigeants, et les sectaires religieux les plus avancés demeuraient hostiles. La période la plus remarquable du gouvernement de Cromwell fut celle où il gouverna seul, de décembre 1653 à septembre 1654, rendant des ordonnances législatives; dans ces quelques mois il en promulgua quatre-vingt-deux; les principales furent ratifiées par le parlement en l'année 1656. Elles font le plus grand honneur au protecteur et témoignent de son grand sens politique. Il organisa le triple royaume uni, le dotant d'une législation nouvelle. En Ecosse, la justice fut réorganisée, les cours et les servitudes féodales abolies; l'incorporation à l'Angleterre fut complétée; sous un régime libéral et favorisant le commerce, le pays se releva. En Irlande, des privilèges furent accordés aux immigrants; la représentation de l'île soeur au parlement britannique fut réglée. En Angleterre, la grosse affaire fut la réorganisation de l'Eglise; un comité d'enquête examina les titres des candidats aux bénéfices; des commissions surveillèrent les moeurs des ecclésiastiques; des droits égaux furent accordés aux trois principaux groupes religieux presbytériens, baptistes et indépendants. Les rigoristes reçurent satisfaction par les ordonnances contre le duel, les combats de coqs, les courses, etc. La réforme judiciaire fut commencée; la cour de la chancellerie remaniée; les frais de justice atténués; on prépara la revision du code criminel. Enfin la réforme du système électoral et représentatif réclamée par l'armée depuis 1647, élaborée par Ireton et le Long Parlement, décidée par le conseil de guerre en 1553, fut appliquée par Cromwell.
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Oliver Cromwell.
Oliver Cromwell.
Tableau de R. Walker (1607-16589).

Conflit entre Cromwel et le parlement.
Conformément à « l'instrument de gouvernement » fut élu un parlement (à chambre unique) de quatre cents membres dont trente pour l'Ecosse et l'Irlande, qui se réunit le 3 septembre 1654, devant siéger cinq mois, aux termes de la constitution. Cromwell ouvrit la session par un discours ou il prémunit les députés contre les projets révolutionnaires des « levellers » et des « hommes de la cinquième monarchie », adversaires de la société civile et de la société religieuse, et demanda la ratification des institutions établies par lui. Mais il retrouva dans l'assemblée l'esprit du Long Parlement. Elle se considérait comme représentant le peuple souverain et voulait que le chef du pouvoir exécutif lui fût subordonné; elle lui contestait l'autorité égale et autonome que lui attribuait « l'instrument de gouvernement ». 

Le conflit reprenait. Le protecteur déclara que la constitution établie par le conseil de guerre, acceptée par Dieu et les hommes, ne pouvait être changée. Le pouvoir exécutif devait rester concentré en une main; la disposition de la force armée devait être partagée entre le protecteur et le parlement; la liberté de conscience reconnue; le parlement ne pouvait siéger en permanence. Il déclara qu'on le mettrait au tombeau avant de lui faire abandonner une de ces quatre dispositions fondamentales (12 septembre 1654); il fit envelopper la Chambre par ses troupes et exigea que chaque membre signât une acceptation écrite de ces quatre articles; trois cents députés, dont le président, signèrent et jurèrent fidélité au protecteur; quatre-vingt-dix se retirèrent, refusant de concéder à Cromwell des droits qu'ils avaient dénié à Charles Ier.

Même la majorité qui avait cédé continuait de se regarder comme une assemblée constituante ayant le droit de revision au moins sur le reste de la constitution. Ils entreprirent l'examen de «-l'instrument de gouvernement » et ne se firent pas faute d'empiéter sur les quatre articles; ils maintinrent la surveillance de l'Etat sur les associations religieuses, portant atteinte à la tolérance garantie par Cromwell; surtout ils ajournèrent le vote des subsides pour l'armée et la marine afin de prolonger leur session, et protestèrent contre les taxes illégalement levées pour l'entretien des troupes. C'était le point sensible. Le 22 janvier 1655, Cromwell prononça la dissolution du parlement, comptant les cinq mois de session d'après le calendrier lunaire. L'entente demeurait impossible entre le dictateur et les représentants qui s'obstinaient à revendiquer la souveraineté. La situation intérieure demeurait donc menaçante et instable.

Succès de Cromwell à l'extérieur. Grandeur maritime de l'Angleterre. 
A l'extérieur, Cromwell avait mieux réussi et c'est vraiment de lui que date la grandeur de l'Angleterre en Europe. Depuis son expédition d'Irlande il était regardé comme le maître de l'Angleterre. Ses victoires d'Ecosse avaient décidé les cours étrangères à reconnaître la république. La république des Provinces-Unies ayant refusé de se fédérer avec la république soeur, ayant donné asile aux Stuarts parents de la maison d'Orange, appuyé les corsaires équipés par les « cavaliers »; laissé sans vengeance le meurtre de l'ambassadeur anglais Dorislans en mai 1649, fut durement frappée par l' « acte de navigation » (9 octobre 1651); la visite des bâtiments hollandais et des hostilités dans la Manche amenèrent une guerre (mai 1652), où le puritain Blake donna bientôt l'avantage aux Anglais : Cromwell avait eu peu de part à ces faits; mais c'est lui qui signa la paix le 15 avril 1654, fit exclure les Stuarts de la république néerlandaise, et la maison d'orange de ses dignités suprêmes; le droit de visite et le salut reconnus aux navires anglais affirmèrent la supériorité maritime de la nation insulaire. Elle en fit bientôt l'usage le plus étendu.

Au moment où Cromwell prit le pouvoir et la direction des affaires étrangères, l'Angleterre était en guerre non seulement avec la Hollande, mais avec le Portugal, en hostilité avec la France et le Danemark. Le Danemark traita le 14 septembre 1654, ouvrant le Sund aux navires anglais et indemnisant les négociants anglais des pertes éprouvées par eux. Quelques mois plutôt une convention de commerce et d'amitié avait été signée avec la Suède; le légiste Whitelocke, ambassadeur de Cromwell, trouva la reine Christine pleine d'admiration pour le grand homme; un traité fut signé en juin 1656. Enfin le Portugal conclut un traité; qui assurait aux Anglais de grands privilèges pour leur marine et la tolérance religieuse pour leurs nationaux.

Les trois traités signés avec la Suède, le Danemark, la Hollande, étaient destinés à préparer une grande ligue des Etats protestants; le protecteur s'efforçait, pour y arriver, de réconcilier la Suède avec la Hollande et le Danemark; il témoignait une égale sollicitude pour la religion et pour le commerce de sa patrie. Du côté de la France, il avait, dès 1652, négocié personnellement avec Mazarin et avec Condé et les frondeurs, et demandé la cession de Dunkerque. Sa situation était excellente, car la France et l'Espagne, les deux grandes puissances catholiques, étaient en guerre et se disputaient son alliance. On n'avait pas pardonné aux Espagnols le meurtre de l'agent du parlement, Arham, tué à Madrid; les relations s'aigrirent; la municipalité de Londres, dévouée à Cromwell, réclama pour les Anglais la liberté commerciale dans les colonies espagnoles et des garanties contre l'Inquisition

Il y avait bien plus à gagner contre l'Espagne que contre la France; le protecteur reprit donc la tradition de la reine Elisabeth. Il équipa deux grandes flottes qui furent confiées l'une à Blake, l'autre à William Penn. Blake promena le pavillon britannique dans la Méditerranée, protégeant le commerce national; il imposa le paiement d'une indemnité à la Toscane et au pape qui avaient soutenu le prince palatin et les royalistes anglais; il mit à la raison les chevaliers de Malte qui avaient pillé les protestants; après ces corsaires il châtia ceux des côtes barbaresques; il brûla la flotte tunisienne dans le port de Tunis et força le dey à relaxer les captifs anglais (avril 1655); ceux d'Alger et de Tripoli se hâtèrent de traiter. Sur ces entrefaites un incident imprévu eut un grand rôle dans la politique européenne. 

En avril 1655, les Vaudois furent massacrés dans les Alpes piémontaises. Cromwell se déclara leur champion, ouvrit une souscription à leur profit; il crut l'occasion bonne pour fédérer toutes les puissances protestantes d'Europe, et Milton rédigea des lettres dans ce sens; un ambassadeur fut envoyé à Louis XIV, un autre au duc de Savoie pour protester, Blake menaça Villefranche et Nice; surtout les cantons protestants de Suisse furent invités à s'allier à l'Angleterre et à attaquer la Savoie. La froideur des Suisses mit obstacle à ce projet. Mazarin, également désireux d'éviter une guerre générale et d'obtenir l'amitié de l'Angleterre, obligea le duc de Savoie à donner satisfaction à ses sujets protestants (traité de Pignerol, 18 août 1655). Le projet de ligue protestante tomba à l'eau. 

D'autre part, l'alliance française devenait nécessaire à Cromwell, car la guerre avec l'Espagne avait éclaté. Suivant une tradition de leur politique, les Anglais la commencèrent sans déclaration. Penn essaya de s'emparer de Saint-Domingue (avril 1655). Il échoua, mais occupa l'île de la Jamaïque qui devint une belle colonie anglaise, leur point d'appui dans la mer des Antilles. Cadix et Malaga furent canonnés dans l'automne de 1656. Blake s'empara, à l'embouchure du Tage, de la flotte qui rapportait d'Amérique les lingots d'argent. Le 20 avril 1657, il détruisit, à la hauteur de Tenérife (Canaries), seize galions et conquit un immense butin. Le traité d'alliance avec la France préparé par le traité de commerce du 24 octobre 1655 (dont une clause secrète promettait l'éloignement des Stuarts) fut conclu en mars 1657. Cromwell exigea l'expulsion des Stuarts et de leur entourage, des garanties pour les réformés français, la cession de Dunkerque. Les vétérans anglais prirent une part considérable à la victoire des Dunes et au siège de Dunkerque qui fut pris bientôt après et remis à Lockhart, délégué du protecteur (15 juin 1658). Cromwell réparait ainsi la perte de Calais. Il est vrai que son projet de ligue des Etats protestants n'avait pas abouti; la guerre du Danemark et de la Suède y mettait obstacle; les Etats protestants comme les autres préféraient la recherche de leur intérêt national à celle de l'intérêt de la religion commune. Toutefois, Cromwell était un des principaux souverains d'Europe, et l'Angleterre avait conquis l'empire des mers.

Opposition et complots à l'extérieur.
Les succès considérables de sa politique extérieure n'apaisaient pas l'opposition à l'intérieur. Comprimée au parlement, elle se manifestait par des complots, résultat fatal du despotisme. Les cavaliers étaient pleins de haine pour l'usurpateur, non moins que les républicains démocrates et les sectaires extrêmes pour le tyran. A l'occasion, ils s'entendaient pour conspirer sa mort. Il fut obligé de sévir; dans l'armée les mécontents furent arrêtés et le soulèvement des « levellers » et des « hommes de la cinquième monarchie » fut ainsi prévenu. L'insurrection générale projetée par les royalistes pour février1655 le fut aussi. La répression fut très dure; les chefs du mouvement furent exécutés; un bon nombre d'autres déportés aux Indes occidentales et envoyés comme esclaves aux plantations de la Barbade; c'était ainsi que Cromwell avait traité les Irlandais. L'Angleterre fut divisée en douze circonscriptions: à la tête de chacune fut placé un major général commandant la milice et une police développée; on solda les troupes à l'aide d'une taxe de 10 % du revenu des royalistes; les lois puritaines contre l'ivrognerie, les jurons, etc., furent sévèrement appliquées; le théâtre et les amusements frivoles de ce genre furent mis en interdit. L'austérité imposée aux gouvernants était aussi pratiquée par eux; eux et leurs agents étaient réellement vertueux; de quelle autre dictature militaire pourrait-on en dire autant? Elle ne fut pourtant pas acceptée sans résistance; les juristes étaient pris de scrupule; Whitelocke et Widdrington résignèrent le grand sceau; des juges refusèrent d'appliquer les ordonnances contre les insurgés du Yorkshire ; le marchand Cony refusa de payer des taxes que le parlement n'avait pas votées. Cromwell ne recula pas; il mit à la Tour les avocats de Cony, remplaça les juges qui hésitaient par d'autres moins scrupuleux, et fit recouvrer les impôts par les majors généraux. 

« Le peuple, disait-il, a dissous son parlement parce qu'il préfère son salut à ses passions et sa sécurité réelle à de simples formes. »
On lui objectait que s'il consultait la nation il aurait neuf personnes sur dix contre lui. 
« Qu'importe, répliquait-il, si je désarme les neuf et que je donne un glaive au dixième. »
Il en vint même à restreindre la liberté de conscience établie par lui. Les catholiques, considérés par Cromwell et Milton comme un parti politique, restaient exposés à la rigueur des anciennes lois; mais Cromwell les traitait aussi doucement que possible. Toutes les sectes protestantes étaient tolérées au même titre. Toutefois, après 1655, les anglicans épiscopaux ne purent plus célébrer leur culte que privément. Une proclamation du 24 novembre 1655 interdit l'usage public des livres de prières. 

D'autre part, les prédicateurs anabaptistes qui attaquaient le gouvernement furent emprisonnés. Les quakers qui tenaient à Londres leurs premières assemblées publiques furent suspects, mais bientôt Cromwell se réconcilia avec leur chef dont il admirait la profonde ferveur religieuse; il maintenait énergiquement contre les presbytériens la liberté religieuse. Les sociniens étaient aussi maltraités que les papistes; on ne les regardait pas comme protestants; mais s'il emprisonna leur chef Biddle, Cromwell le préserva de l'hostilité du parlement. Il n'osa permettre officiellement le retour des juifs bannis depuis quatre siècles et l'exercice de la religion juive, mais il le toléra à Londres, et des rabbins vinrent étudier sa généalogie pour savoir s'il ne serait pas le Messie. En somme, Cromwell était très en avance sur son temps et sa tolérance religieuse très remarquable chez un croyant aussi fervent. Elle ne désarmait pas ses adversaires; bien au contraire. On le vit quand il convoqua un nouveau parlement afin de faire voter des subsides pour la guerre contre l'Espagne. L'opposition obtint un succès électoral complet. A sa tête se trouvaient les anciens chefs de la révolution : Vane, Ludlow, Harrison, Bradshaw. 

Cromwell, pour atténuer l'opposition, fit usage du droit de vérification des pouvoirs attribué au conseil d'Etat par la constitution et fit exclure de la Chambre une centaine de ses adversaires. Il s'assura ainsi une majorité qui lui octroya un subside de 400.000 livres pour la guerre. Pourtant elle refusa de légaliser les pouvoirs des majors généraux; mais sous l'impression des complots fomentés par Charles II et les Espagnols contre la vie du protecteur, le parlement prit des mesures qui prouvaient son attachement à Cromwell et dispensaient du recours à la dictature militaire; des tribunaux spéciaux furent institués pour juger les traîtres. Ces conspirations faisaient sentir à tous combien leur sort dépendait de la vie du souverain très menacé malgré sa garde. Un heureux hasard le sauva en janvier 1657, quand on voulut le faire sauter dans sa chambre à coucher; Edward Sexby, auteur du fameux pamphlet Killing no murder (tuer n'est pas assassiner), et Sindercomb, auteur de ce complot, furent exécutés; des fêtes célébrèrent le salut du Protecteur.

Cromwell refuse la royauté. Constitution de 1657.
Ses partisans proposèrent alors de lui donner le titre de roi. En février 1657, la discussion fut introduite au parlement; il est douteux que Cromwell en ait été l'instigateur. Le 25 mars, 123 voix contre 62 décidèrent que le protecteur serait invité à prendre le titre, la dignité et la fonction de roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande. Le président ou orateur (speaker) du parlement vint le 31 mars lui présenter cette pétition. Cromwell demanda quelques jours pour réfléchir. Des conférences se succédèrent entre les députés et lui; il exprimait ses scrupules, se regardant comme le serviteur, le « constable » de la nation, craignant de froisser les républicains; ils dominaient dans l'armée; le 27 février, Lambert et cent officiers avaient prié le protecteur de refuser la couronne; celui-ci la désirait mais n'osait accepter. Le 8 mai, une nouvelle pétition signée de nombreux officiers fut apportée au parlement. Elle détermina le refus définitif de Cromwell qu'il annonça le même jour. Mais pendant ces trois mois de tergiversations, le parlement avait voté toute une nouvelle constitution monarchique; elle ne fut pas rejetée avec le titre royal; on se borna à y inscrire, au lieu du mot roi, le mot protecteur. Cromwell y adhéra le 25 mai. 

On lui donnait des pouvoirs très étendus, le droit de désigner son successeur équivalant presque à la fondation de dynastie qui eût été impliquée dans l'appellation de roi. Une Chambre haute était rétablie dont le protecteur nommerait les membres; une allocation fixe et permanente était allouée pour l'armée et la marine. Le 26 juin 1657, Cromwell fut de nouveau inauguré solennellement comme lord protecteur dans l'église de Westminster; il ne portait plus le costume civil comme la première fois, mais la pourpre, l'hermine et le sceptre. Ses filles aînées avaient épousé des bourgeois; la troisième fut mariée à lord Falconbridge, la plus jeune à l'héritier du comte de Warwick (19 novembre 1657).

L'opposition croissait; quand s'ouvrit la nouvelle session du parlement en janvier 1658, elle y reprit l'ascendant; une partie des adhérents du protecteur avaient passé dans la Chambre des lords; ses membres exclus en 1656 furent réadmis. Les leaders républicains refusèrent de reconnaître la Chambre des lords; Haslerigh refusa d'y siéger. Vainement Cromwell exposa la nécessité d'une entente contre l'ennemi extérieur, ses grands plans d'une confédération protestante contre l'Espagne et la maison d'Autriche, Charles II rassemblant en Flandre les régiments irlandais, les émigrés légitimistes, préparant un débarquement. Le 4 février 1658, Cromwell prononça la dissolution du parlement après lui avoir amèrement reproché son attitude et ses misérables querelles.

Mort de Cromwell.
Malgré ses victoires à l'étranger, le protecteur était découragé de son impuissance à consolider le régime établi par lui; dans sa propre famille ses premiers gendres, Desborough et Fleetwood, étaient républicains, sa fille Elisabeth Claypole, légitimiste. Sa santé était très ébranlée par les fatigues de la guerre et du gouvernement. Au printemps de 1648 et de 1651, il avait été gravement malade; en 1658, il fut victime des fièvres malignes, générales en Angleterre à cette époque; la mort de sa fille préférée, Elisabeth Claypole (6 août 1658) et les lugubres pressentiments qui attristèrent ses derniers jours, firent grand effet sur son père; les accès de fièvre se succédèrent; il passa d'Hamptoncourt à Whitehall où il expira le 3 septembre 1658, à trois heures de l'après-midi, le jour anniversaire des batailles de Dunbar et de Worcester. Une grande tempête ravageait les côtes anglaises. Cromwell mourut calme, persuadé qu'il était en état de grâce. 

Son corps fut embaumé, transporté à Somerset House le 20 septembre. Les funérailles furent reculées jusqu'au 23 novembre et célébrées avec une splendeur inouïe; on y dépensa 80,000 livres sterling. Le corps fut déposé dans l'abbaye de Westminster, dans la chapelle de Henri VII. Après la Restauration, le parlement décida, sur la proposition du capitaine Titus, que les corps des régicides Cromwell, Ireton et Bradshaw seraient exhumés et accrochés au gibet (4 décembre 1660). Le 26 janvier 1661, la sépulture de Cromwell fut violée et le 30 janvier 1661, douzième anniversaire de l'exécution de Charles Ier, on pendit le cadavre à Tyburn; la tête fut exposée à Westminster, le tronc enfoui sous le gibet. Plus tard, on raconta que cet outrage n'avait pas été infligé au vrai Cromwell; d'après les uns, il avait fait transposer les corps des diverses sépultures royales, et le sien n'aurait pas été dans son tombeau nominal; d'après d'autres, on l'aurait secrètement inhumé sur le champ de bataille de Naseby. Qu'importent ces légendes. Le déshonneur de cette vengeance n'est que pour ses ennemis. Quel roi d'Angleterre égala Cromwell, non pas même en intelligence et en grandeur d'âme, mais pour les services rendus comme souverain?

Portrait et appréciation.
Oliver Cromwell est une des personnalités les plus marquantes de l'histoire; l'admiration qu'il inspirait à ses contemporains ne s'est pas démentie. Au physique, c'était un homme grand et vigoureux, haut de cinq pieds dix pouces; sa tête était forte; on sait que le poids de son cerveau, supérieur de moitié à la moyenne, est le plus élevé qui ait été constaté chez un grand homme. Granger et Noble  ont donné la liste de ses portraits; le meilleur est celui de Cooper qui est à Cambridge (collège de Sussex); le catalogue des médailles et monnaies le figurant a été dressé par Henfrey (Numismata Cromwelliana, 1877); celui des caricatures se trouve dans le catalogue du British Museum. Il avait un caractère impressionnable, sensible jusqu'à l'attendrissement pour les misérables; plein de feu, s'emportant parfois, mais reprenant bientôt son sang-froid et s'inspirant d'une austère moralité. Quand il devint le souverain de son pays, il eut d'emblée l'allure et la majesté de son rôle. Il n'en fut pas enivré. Très accessible aux pétitionnaires, il resta d'autre part familier avec ses anciens amis. Il conserva jusqu'au bout la prédilection des Anglais pour les exercices physiques, et le goût national pour les chevaux. Il était aussi sensible aux beautés artistiques, prit grand soin des fameux cartons de Raphaël, fit décorer de superbes tapisseries des présidences d'Hamptoncourt et Whitehall, y conservant des statues au risque de scandaliser les puritains. Il encouragea les lettres; sans parler de son intimité avec Walles, de ses secrétaires Milton et Marvell, il rappela en Angleterre Hobbes et Cowley, favorisa même d'autres royalistes déclarés, protégea les Universités attaquées par les anabaptistes, prit, de 1651 à 1657, le titre de chancelier de l'université d'Oxford et enrichit de manuscrits grecs la bibliothèque Bodléienne; il voulut fonder une université à Durham.

Cromwell légitima en quelque sorte son usurpation par la vigueur de son gouvernement qui, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, fut favorable au développement de la puissance anglaise. Hume a dit que le Protecteur avait débuté par le fanatisme pour aboutir à l'hypocrisie; depuis, Macaulay, Carlyle, Guizot ont réhabilité Cromwell, sans réussir à convaincre tous leurs lecteurs. On trouve en cet ambitieux un mélange extraordinaire de grandeur et de bassesse, de fourberie et d'enthousiasme, de générosité et de cruauté, de tolérance et de fanatisme, et peut-être a-t-il mérité tous les éloges et tous les reproches qui lui ont été prodigués.

Quoi qu'il en soit, on ne conteste sa bravoure; mais les purs républicains (par exemple Ludlow) l'ont considéré comme un apostat qui a sacrifié tout à son ambition personnelle; de plus indulgents jugent encore qu'il fut pieux et probe d'abord, puis corrompu par le succès et céda aux tentations qui en résultèrent. L'étude des lettres de Cromwell ne permet guère de suspecter sa sincérité; d'un bout à l'autre de sa vie, il s'est regardé comme un instrument de Dieu; sa grande préoccupation fut la réforme morale et religieuse de son pays auquel il voulait assurer la liberté de conscience; il avait pour la stricte observance des formes constitutionnelles le dédain d'un soldat; « je suis peu scrupuleux sur les mots et les noms », déclarait-il au parlement. Le représenter comme un ambitieux rusé et hypocrite, c'est ne rien comprendre à sa psychologie. Oliver Cromwell fut un puritain convaincu et mystique, doublé d'un général et d'un homme d'action de premier ordre. 

« Celui-là va le plus loin, dit-il, qui ignore où il va. » 
La supériorité de son caractère lui valut la première place parmi les indépendants qui accomplirent la révolution; il se trouva tout désigné pour le gouvernement de l'Angleterre où il s'efforça d'appliquer ses idées. Il n'y réussit qu'imparfaitement; l'opposition énergique que ne cessèrent de lui faire royalistes et puritains, démontra combien l'Angleterre était peu disposée à accepter un régime fondé sur la force, une tyrannie militaire comme l'empire romain ou l'empire français. Plus désintéressé que César ou Napoléon, Cromwell eut un succès immédiat moins éclatant; mais il mourut dans son palais, arbitre de l'Europe et fondateur de la grandeur maritime du Royaume-Uni. On en revint à sa politique intérieure et extérieure, cause essentielle de la place éminente de l'Angleterre dans le monde moderne. (GE).
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Dictionnaire biographique
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