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Caricature
(de l'italien caricare = charger,
exagérer) est le nom donné, dans les arts du dessin,
à toute composition où l'artiste appelle le ridicule sur les humains
et les choses. La bambochade présente
des personnages ou des scènes imaginaires; la caricature s'attaque Ã
des individus réels, à des faits véritables. Il n'y a pas caricature
quand il y a fidélité dans la ressemblance, si ridicule que soit le modèle
: voilà pourquoi les tableaux de Teniers,
où les objets sont cependant saisis sous un aspect plaisant, ne peuvent
être rangés parmi les caricatures; ce sont des imitations exactes d'une
nature naïve ou ignoble. Appliquée aux individus, la caricature consiste
à conserver leur ressemblance, tout en exagérant les traits et l'expression
de leur physionomie, les attitudes de leur corps, et tout ce qu'il y a
de défectueux dans leur physique; appliquée aux choses, elle consiste
à accompagner de circonstances ridicules un fait grave. C'est la forme
la plus redoutable de la satire, et elle exige,
chez ceux qui s'en font une arme, une grande dose d'esprit. La caricature
n'est pas seulement dans le dessin, mais aussi dans la légende qui l'explique
ou qui la complète; alors un bon caricaturiste devient véritablement
un bon peintre de moeurs.
Les Anciens
connaissaient les caricatures, qu'ils nommaient grylles. Cependant,
les anciens Grecs, qui assignaient
pour but à l'art l'imitation de la nature, relevée par le sentiment d'une
beauté, idéale, ont généralement évité de reproduire le laid. Les
peintres Athénis et Bupalus, en se pendant de
désespoir à cause des épigrammes du
poète Hipponax,
dont ils avaient fait la caricature, prouvèrent que leur art avait peu
de crédit. Aristote et Aristophane
expriment le mépris dont était l'objet, au siècle de Périclès,
le peintre Pauson, qui avait cultivé le genre
grotesque. En Béotie ,
une loi proscrivait la caricature. Cet art n'a guère pris faveur que vers
l'époque macédonienne ,
et n'a fleuri qu'à l'époque romaine les monuments de la peinture
et de la sculpture où l'on trouve le grotesque
ont été tirés des villes d'Herculanum
et de Pompéi, et ne représentent que l'art
grec dégénéré. Le grotesque, chez les Grecs, fut moins dans les arts
du dessin que dans la littérature, et les
comédies d'Aristophane en donnent la plus complète idée; certains vases
peints offrent des souvenirs de représentations comiques.
Les grotesques
qui nous sont parvenus ne sont pas des types grecs; on y reconnaît souvent
les personnages des Atellanes, Maccus,
Bucco, Dorsennus, Pappus,
Manducus, etc. Les principales formes de la parodie,
les principaux procédés pour produire le grotesque, avaient été trouvés
par les artistes de l'âge gréco-romain: ainsi ils rapetissent, ils suppriment
les proportions, ils mettent des têtes énormes sur des corps grêles,
comme le fera plus tard Dantan; ou bien, comme Grandville
dans les Fables de La Fontaine, ils
travestissent l'homme en bête. ( Champfleury,
Histoire de la Caricature antique, 1865.).
Au Moyen âge ,
la sculpture produisit des caricatures nombreuses : pour les désigner,
on emploie surtout le nom de grotesques; on en voit sur les portails
des cathédrales de Rouen,
de Chartres, d'Amiens,
etc., et jusque sur les stalles de choeur.
Dès 1125, St Bernard se plaignait de la multiplicité de ces représentations
satiriques.
Les caricatures sont
aussi très fréquentes dans les miniatures
des anciens manuscrits. La découverte
de la gravure fournit un moyen de la propager partout. Chez les modernes,
les peintres des diverses écoles italiennes
se servirent, contre leurs adversaires, des armes que l'art leur fournissait;
Léonard de Vinci et Annibal
Carrache se firent remarquer entre tous. En Suisse ,
Holbein fit la Danse macabre ,
et une suite de caricatures pour l'Éloge de la folie d'Érasme.
En France ,
les querelles engendrées par la Réforme et la Ligue
inspirèrent la verve satirique des artistes : dès 1565, il parut un recueil
de 126 gravures de Songes drolatiques,
dont l'idée est attribuée à Rabelais. Callot,
l'auteur de la Tentation de Saint Antoine, des Misères de la
guerre, des Gueux contrefaits, etc., fut, au XVIIe
siècle, le plus habile caricaturiste. Les agitations de la Fronde,
et; plus tard, les scandales du règne de Louis XV,
donnèrent une ample matière à la caricature; elle fut aussi une arme
d'opposition pendant la Révolution, où, l'imprimerie n'étant plus réglementée
par rien, la caricature fut souvent, à l'instar des journaux démagogiques,
séditieuse et licencieuse jusqu'à la grossièreté. L'abbé Soulavie
collectionna les caricatures révolutionnaires.
Durant les guerres
de Napoléon Ier,
l'Europe
fut inondée de caricatures venant d''Angleterre ,
et dont la France
était l'objet; la France rendit le cuisant hommage après les événements
de 1815. Le peintre Carle Vernet fut alors un des plus vrais caricaturistes.
A partir des dernières années de la Restauration, des journaux spéciaux
ont été consacrés, soit à la caricature politique, soit à la caricature
de moeurs : tels la Silhouette, la Caricature, le Charivari,
le Journal pour rire, etc., publications favorisées par les progrès
de la lithographie et de la gravure
sur bois. Les types de Mayeux
et de Robert-Macaire ont servi à fronder tour à tour les ridicules politiques
et les impudences, industrielles. Aux caricatures grossièrement façonnées,
dessinées sans goût et sans grâce, peintes en rouge, en bleu et en jaune,
ont succédé les oeuvres charmantes de Charlet,
Pigal, Bellangé, Cari, Motte, Forest, Grandville,
Gavarni, Daumier, Traviès,
Vernier, Cham, Bertall, Philippon, Henri Monnier,
Nadar, etc., bons dessinateurs et hommes d'esprit.
Outre le crayon et le burin, la caricature au XIXe
siècle a employé la sculpture : la perfection
en ce dernier genre a été immédiatement atteinte par Dantan jeune, dans
une multitude de tout petits bustes en plâtre des notabilités artistiques
du moment.
Grâce à la liberté
d'expression dont a joui très tôt l'Angleterre ,
la caricaturistes y ont été sans rivaux pendant une longue période :
les personnages les plus élevés dans l'Etat, les actes les plus importants
du gouvernement, y sont depuis longtemps impunément livrés à la risée
publique dans des dessins grotesques. Hogarth
fut, an XVIIIe siècle, le premier qui
illustra ce genre. Au siècle suivant, le journal le Punch s'est
forgé une réputation européenne, et les plus fins caricaturistes
ont été Gilray, Bunbury et Cruikshank. Les caricatures forment une espèce
de journalisme en images; elles sont si abondantes, que Wright a
pu faire, avec ce genre de documents, une Histoire d'Angleterre sous
les princes de la maison de Hanovre (Londres, 1848).
En Espagne ,
parmi les grands ancêtres de la caricature, on peut citer leur Goya
comme un illustre caricaturiste; mais l'Allemagne
a attendu jusqu'à la seconde moitié du XIXe siècle
pour que s'y développe le goût pour la caricature : tout au plus mentionnerait-on,
auparavant, quelques oeuvres de Schadow contre Napoléon
Ier,
et le Piepmeier d'Adolphe Schroedter, publié en 1849.
(B.).
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L.
Baridon, M. Guedron, L'art et l'histoire de la caricature,
Citadelles et Mazenod, 2006. |
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