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L'Amour
[en mandchou Sakhalin, en mongol Kara Mouren (rivière Noire,
à cause de ses rives bordées de sapins et de mélèzes), en chinois He
loung kiang ou Heilong (fleuve du Dragon noir),
Mamon
en
Toungouse] est un fleuve fleuve de l'Asie
orientale. Drainant un bassin de 1,7 million de km² et long de 4350 km,
il marque, avec son affluent l'Oussouri, la frontière entre la Russie
et la Chine sur 3200 km. Il est pris par les glaces de novembre à avril
et charrie beaucoup d'alluvions sur son cours
inférieur.
L'Amour est formé par la Schilka et l'Argoun;
les deux rivières se réunissent à Strelotchnaya. La Chilka (Shilka ou
Schilka), formée de l'Ingoda, qui prend sa source au mont Chékonda, et
de l'Onon, qui sort des monts Kentaï, au Sud du mont Chékonda, se réunit
à Oust-Strelka, à l'Argoun (Ergun), qui dans son cours supérieur s'appelle
Kerouloun, pour former le fleuve Amour, large à cet endroit d'environ
500 m.
Carte de l'Amour et de son bassin. Au-dessous de Strelotchnaya, l'Amour coule à l'Est en décrivant un immense demi-cercle dont la convexité est au Sud; il arrose un assez grand nombre de petites villes et de villages peuplés de Mandchous, d'Evenks et Goldes (Les Toungouses), de Chinois et de Russes. Les seules villes importantes sont : Blagovestchensk, ville russe située au-dessus du confluent de la Zeïa (Zeya), Aïgoun, ville chinoise, Khabarovsk et Mariinsk, entre lesquelles le fleuve forme le lac Kisi. L'Argoun sert de frontière à la Russie et à la Chine depuis Abagatouievsk jusqu'à Oust-Strelka. L'Amour, prend ensuite le relais en tant que frontière jusqu'à son confluent avec l'Oussouri (Ussuri), en amont de Khabarovsk, puis son cours se poursuit en Russie en direction du Nord-Est. Grossi près de son embouchure par l'Amgoun (Amgun), il arrose Nikolaievsk-sur Amour (N. na Amure) et se déverse par un delta dans la Manche de Tartarie (ou de Tarrakaï), le bras de la mer d'Okhotsk qui sépare le continent de Sakhaline. Les
affluents de l'Amour.
Au-dessous du confluent de la Shilka et
de l'Argoun, l'Amour coule entre des montagnes boisées. Les essences de
ces forêts sont : les mélèzes, les pins, le bouleau blanc et le bouleau
noir, le chêne, l'orme, le frêne, le tremble,
le peuplier, le saule et le poirier
sauvage. Puis la vallée s'élargit et il arrose de belles prairies très
propres à l'élevage du bétail et à la culture. Les Mandchous
y cultivent, le millet, le maïs, les fèves, le
chou, l'oignon et l'ail, et élèvent des porcs
de race mandchoue, des boeufs et de la volaille.
Goldes devant leur maison, au Nord de Khabarovsk. Au-dessous de la Boureva, l'Amour entre dans une gorge longue de 100 km et formée par les monts Khinggan, hautes montagnes rocheuses et boisées; à sa sortie de ce défilé, il rentre dans une région de plaines vastes et fertiles. Les hautes herbes qui couvrent ces prairies se composent surtout de Callisace Dahurica, d'Adenophora verticillata, de Menispermum Dahuricum et de Glossocomia Ussurienais. Cette dernière plante est remarquable par ses belles clochettes rouges. Au-dessous du confluent de l'Oussouri, la vallée de l'Amour, quoique bordée de hautes montagnes couvertes de sapins, est encore très large et fertile; mais en approchant de Khabarovsk, la vallée se resserre; le fleuve, jusqu'alors très large et encombré d'îles, se rétrécit; les îles disparaissent, et de hautes montagnes revêtues d'impraticables forêts de mélèzes et de cèdres de Sibérie bordent ses rives jusqu'à la mer. Dans cette dernière partie de son cours, l'Amour fourmille de saumons, d'esturgeons et de carpes; c'est un véritable vivier. Comment l'Amour
a séparé les Russes et les Chinois.
La
découverte de la Sibérie par les Russes.
Un Cosaque du Don, Iermak Timofeevitch, passait au service de Strogonov, franchissait l'Oural à la tête de 850 hommes et s'avançait jusqu'à l'Irtych et l'Ob. Iermak fut le véritable conquérant de la Sibérie occidentale; mais s'il lui fut donné d'ajouter un royaume nouveau aux États du souverain qui a été surnommé le Terrible, à ses successeurs fut réservé l'honneur de fonder la première grande ville du territoire pris aux Tartares, car Iermak se noya en 1584 dans l'Irtych et Tobolsk ne date que de 1587. L'effort des Russes se dirigea ensuite vers le Nord de la Sibérie; ils n'y rencontrèrent aucune résistance jusqu'à la Léna; ils construisirent, en 1632, le fort de Iakoutsk et poussèrent leurs explorations jusqu'à la mer d'Okhotsk. Ce n'est qu'en 1636 que les Russes entendirent pour la première fois parler du fleuve Amour par des Cosaques de Tomsk qui avaient poussé leurs incursions vers le Sud; en 1638, Perviliev, chef des Cosaques d'Iéniséisk, explora la Vitim, affluent de la Léna, avec 36 hommes et rapporta des renseignements sur l'Amour. Le voïévode de Iakoutsk dirigea plusieurs explorations vers le grand fleuve dont la plus importante fut mise sous le commandement de Vasili Poyarkov (1643-1646) qui est le premier Russe ayant navigué sur l'Amour depuis son confluent avec la Zéïa jusqu'à son embouchure. Plus tard, Khabarov dirige en 1648-1651
une nouvelle expédition au cours de laquelle il bâtit plusieurs forts,
entre autres Albazin sur les bords du fleuve; en 1684, Stepanov remonte
pour la première fois le Sungari où il rencontre
les Chinois qui le forcent à redescendre vers l'Amour; en 1654, il construit
le fort de Kamarski à l'embouchure de la Kumara. En 1658, Athanase Pachkov,
voïévode de léniséïsk, fonde Nertchinsk, au confluent de la Chilka
et de la Nertcha; sur ces entrefaites, Stepanov, avec 270 Russes, est tué
par les Chinois à l'embouchure de la Sungari. Cet échec force, les Russes
à abandonner ce fleuve temporairement. C'est en 1676 qu'Albazin reçoit
son premier gouverneur : le Polonais Nicolas Czernigovski.
Le
Traité de Nertchinsk.
Vue de Khei-Khe, en Chine, depuis Blagoveshchensk, sur la rive russe de l'Amour. Il ne faut pas se dissimuler l'importance de ce traité, le premier qui ait été conclu par la Chine non seulement avec la Russie, mais avec une puissance européenne. Les ambassadeurs qui s'étaient assemblés à Nertchinsk avaient, aux termes du traité, la mission de "réprimer l'insolence de certaines canailles qui, faisant des courses hors des limites de leurs terres pour chasser, pillent, tuent et excitent des troubles et des brouilleries, de déterminer clairement et distinctement des bornes entre les deux empires de la Chine et de la Moscovie et enfin d'établir une paix et une intelligence éternelles". Si d'une part, malgré leur demande de conserver tous les territoires au Nord de l'Amour, les Russes sont refoulés au delà de ce grand fleuve jusqu'à la chaîne de montagnes qui s'étend jusqu'à la mer, restituant aux Chinois le pays dont sont formées aujourd'hui l'Amourskaïa et une partie de la Zabaïkalskaya, d'autre part, ils obtiennent une délimitation officielle des frontières et, chose fort importante, la liberté de circuler et de faire le commerce en Chine pour leurs nationaux munis d'un passeport en règle. Nous sommes arrivés à la première étape de l'invasion qui portera l'envahisseur jusqu'à l'embouchure de l'Amour. Le
temps des ambassades.
On doit reconnaître que les successeurs de Golovkine, le signataire du traité de Nertchinsk, n'eurent guère à se féliciter du résultat de leurs missions et que Pierre le Grand n'eut pas à compter parmi ses succès les ambassades qu'il envoya à la cour de Pékin. C'est d'abord Isbrand Ides qui, dans un récit peu digne de crédit de son voyage (1692-1694), omet de dire que la lettre du tsar son maître fut renvoyée parce que le nom de Pierre le Grand précédait celui de Kangxi. Il avait sans doute pour mission de faire confirmer les termes du traité de Nertchinsk et de consolider des relations que compromettaient les brigandages et les incursions des colons nouveaux de l'Amour. Cependant une ambassade envoyée par Kangxi aux Toungouses passa sur le territoire russe et fut bien traitée par le gouverneur de Sibérie qui, à la demande du Fils du Ciel, envoya plus tard à Pékin un médecin. Ce médecin était accompagné d'un Suédois nommé L. Lange, qui fit partie des ambassades suivantes et devint vice-gouverneur d'Irkoutsk. Malgré le succès de cette dernière mission, l'inconduite des négociants russes leur avait fait interdire l'entrée dans la capitale. Ismaïlov fut chargé d'obtenir de nouveau de la Chine libre circulation des caravanes portant des produits russes à Pékin. Ismaïlov, accompagné d'une brillante escorte, arriva à Pékin le 29 novembre 1720 et séjourna dans cette capitale jusqu'au 2 mai 1721. Sa mission n'eut d'ailleurs pas d'effets durables par suite de la désertion de quelques Mongols qui passèrent aux Russes. Lange, qui était resté à Pékin comme consul de Russie, fut même obligé de quitter cette ville en 1722 à la suite d'intrigues des jésuites, dit-on, plus probablement à cause de nouveaux désordres des marchands russes à Ourga (Oulan Baator). La guerre même ne fut évitée que par la mort de Kangxi. Cependant les Russes ne perdaient pas de
vue l'occupation de l'Amour; une nouvelle ambassade, sous la conduite de
Vladislavitch, partit en 1725 pour la Chine
avec la mission officielle d'annoncer au Fils du Ciel l'accession au trône
de Russie,
de Catherine,
la veuve de Pierre le Grand, qui venait de mourir. On remarquera que dans
toutes les circonstances la Chine regarda la Russie comme sa vassale; le
nom du monarque chinois précède dans les lettres de créance celui du
tsar; l'avènement d'un nouveau souverain à Saint-Pétersbourg
est immédiatement annoncé à Pékin; les présents sont considérés
comme un tribut, et les ambassadeurs sont soumis à des cérémonies humiliantes;
parfois ils sont retenus à la frontière, parfois ils sont obligés de
faire les neuf prosternations (Ko téou) en usage en Chine. Vladislavitch
ne put aller à Pékin, mais il conclut à Kiachta un nouveau traité qui
est la seconde étape des Russes dans leur conquête de l'Asie orientale.
Ils obtenaient que la frontière fût mieux déterminée, la permission
de bâtir une église à Pékin et que de nouveaux arrangements fussent
pris pour les caravanes.
Une caravane militaire de chameaux de Bactriane sur le lit gelé de l'Amour (ca. 1895). Photos en N&B : W. G. Jackson. Le
XIXe siècle.
En 1847, Mouraviev, gouverneur de Toula
(Tula),
fut nommé gouverneur général de la Sibérie orientale; il s'empressa
de réclamer les services du capitaine Nevelski, ancien commandant du transport
le Baïkal, de la Compagnie russo-américaine, pour explorer la
côte Sud-Est de la Sibérie. Arrivé, en mai 1849, à Petropavlosk, Nevelski
se dirigea vers la pointe Nord de Sakhaline,
doubla les caps Elisabeth et Marie, découverts par Krusenstern,
arriva dans la Baie Trompeuse, appelée depuis baie Baïkal, passa la pointe
Golovatchev et pénétra enfin dans l'Amour.
Pont du train trans-sibérien sur l'Amour, à Khabarovsk. Photos en couleurs : © William C Brumfield. Il découvrait en même temps qu'il existait entre Sakhaline et le continent asiatique une route permettant de se rendre de la mer du Japon à la mer d'Okhotsk, sans avoir besoin de passer par le détroit de La Pérouse. On voit immédiatement de quelle importance énorme était cette découverte et le nouveau détroit qui conduisait du golfe de Tartarie à la mer d'Okhotsk reçut le nom de son explorateur : Nevelski. A la suite de nouvelles expéditions de Nevelski et de plusieurs autres voyageurs russes, Mouraviev se disposa à partir pour la Sibérie orientale. Le 18 mai 1854, à la tête d'une flottille, il entra dans les eaux du fleuve Amour, fermé à la navigation russe depuis le traité de Nertchinsk. Dans une nouvelle expédition, Mouraviev fonda, le 9 mai 1857, Blagovetchensk à l'embouchure de la Zéïa, puis, le 16 du même mois, il signa à Aïgoun (Taheiho) un traité avec la Chine par lequel la rive gauche de l'Amour appartenait aux Russes depuis l'embouchure de ce fleuve jusqu'à l'Argoun. Le traité additionnel du 2-14 novembre 1860, signé par Ignatiev, complétait l'oeuvre de Mouraviev; le territoire situé entre l'Oussouri et la mer devenait possession russe; la conquête du fleuve était terminée. (Henri Cordier). |
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