.
-

L'histoire de la Sibérie
On a traditionnellement compris sous le nom de Sibérie (ou Sibir) les possessions russes en Asie, situées tant à l'Ouest qu'à I'Est  du continent, au Nord de l'empire chinois et du Turkestan. Dépourvue de traits physiques nettement tranchés, l'immensité sibérienne a été partagée quelque peu arbitrairement en deux grandes divisions, la Sibérie occidentale et la Sibérie orientale. Le fleuve Ienisseï sert de limite idéale entre ces deux sections. Une façon plus naturelle de diviser cette région aurait pu consister  à distinguer, selon la latitude et dans cet ordre, trois zones sensiblement différentes, portant chacune un nom caractéristique : au Sud les steppes; au centre, la taïga ou région forestière, de beaucoup la plus étendue; enfin, au Nord, les toundras ou déserts marécageux et glacés.

L'origine du nom russe Sibir, duquel on a fait dériver Sibérie (ou celui de Sibirie que lui préféraient Gmelin et Muller), a été l'objet de nombreuses discussions. Sibir est le nom de rivière qui se jette dans l'Irtych, au-dessous de la Ville de Tobolsk, et était aussi premier nom de cette ville. Mais le constater n'avance pas à grand chose. Le vocable était inconnu des peuples aborigènes de la Sibérie. D'aucuns le font dériver du superlatif du mot tatar bir ( = un, unique); d'autres supposent que le nom sibir n'est qu'une altération du mot siever (en russe nord).  Sibérie signifierait alors simplement Pays septentrional. D'après d'autres, enfin, le mot sibir serait une corruption d'Isker, résidence d'un sultan de la région de l'Irtych. C'était, aux débuts de l'occupation russe, la seule région connue et désignée sous ce nom. A la suite de l'extension de la domination russe, le nom de Sibérie fut successivement appliqué aux différents pays asiatiques conquis par les tsars.

La Sibérie et la Tartarie (Le monde turco-mongol) étaient connues des auteurs de l'Antiquité sous le nom vague et général d'Asia extra Taurum (Asie au-delà du Taurus). C'était la patrie de ces Scythes qui, selon Justin (L, 2, I), disputaient depuis la nuit des temps avec les Égyptiens, et l'on a parfois dit aussi que le Kamtchatka était peut-être ce qu'on appelait la Scythie inconnue. Au XVIIIe siècle, les Scythes sont très à la mode en Russie, à la suite de diverses découvertes archéologiques. Vers la source, du Ienisseï, en particulier, on trouva à cette époque, dans des tombeaux reconnus comme très anciens toutes sortes d'outils tranchants de cuivre. Les découvertes de telles tombes à tumulus, appelés kourganes, qui ne vont cesser de se succéder  par la suite marquent le début de la découverte de ce que l'on appellera plus tard la civilisation des Steppes. En attendant, la Sibérie reste un « continent noir-». Pour les Européens, pour les Russes qui, progressivement, vont investir ce très vaste espace, la Sibérie est encore cet abîme duquel ont surgi les Huns, et la plus grande partie des peuples barbares, quand la digue que formait l'empire romain s'est brisée et n'a plus empêché leur déferlement. Continent tout entier à découvrir, et à investir. 

Les deux plus anciennes cartes connues furent publiées, l'une, en 1525, par le géographe vénitien B. Agnese. La seconde, de 1555, est due à un sénateur de Dantzig, A. Wid. Ce fut l'Académie des sciences qui débuta dans la cartographie scientifique en publiant le tableau de soixante-sept positions astronomiques établies par Roumovski (1786). Les expéditions scientifiques dans l'intérieur de l'empire commencent réellement avec Pallas qui exécuta, vers la fin du XVIIIe siècle, divers ouvrages remarquables dans la Russie d'Europe, en Sibérie et dans le Caucase. Après avoir été l'apanage d'étrangers, la géographie de la Sibérie et des régions périphériques a été prise en charge par les Russes eux-mêmes (Fedchenko, Potanine, Prjevalski, Sievertzov, etc.), à qui sont dues par ailleurs les premières cartes fiables, à diverses échelles, des possessions russes, mais aussi des pays limitrophes Iran, Afghanistan, Chine, Tibet).

-
Jalons
La Sibérie pré-européenne

 Premiers habitants et peuplement préhistorique (avant 10 000 av. J.-C.)
Les chasseurs-cueilleurs paléolithiques.
Les premières traces de peuplement humain en Sibérie remontent à la préhistoire. Les premiers habitants sont arrivés dans cette région au cours de la période paléolithique. Les peuples qui occupaient la Sibérie à cette époque étaient principalement des chasseurs-cueilleurs et des pêcheurs. Ils se nourrissaient de gibier (mammouths, rennes, bisons, etc.), de poissons et de baies. Des outils en pierre et en os ont été retrouvés sur plusieurs sites archéologiques sibériens, notamment dans la grotte de Denisova dans les montagnes de l'Altaï, qui ont révélé des artefacts de cultures anciennes et les premières traces de Denisoviens, une population humaine archaïque.

Les Denisoviens étaient une espèce d'hominidés qui vivaient entre 200 000 et 50 000 ans avant le présent (Paléolithique moyen), et qui étaient apparentés aux Néandertaliens. Ils sont principalement connu par des  fragments osseux et dentaires, ainsi que par leur ADN. Leur morphologie exacte este incertaine, mais probablement similaire à celle des Néandertaliens. Ils ont contribué à l'ADN des populations humaines modernes en Asie et en Océanie, indiquant des croisements avec Homo sapiens.
La transition du Paléolithique au Mésolithique
Vers 10 000 av. JC, avec la fin de la dernière glaciation, des changements climatiques ont modifié les écosystèmes sibériens, incitant les peuples à adapter leur mode de vie. Ils ont commencé à explorer de nouvelles ressources et à se déplacer en fonction des saisons. Les groupes nomades se sont peu à peu établis dans les zones forestières et les steppes, exploitant des animaux sauvages et développant des techniques de pêche.

L'Antiquité et les premières civilisations sibériennes.
Les peuples nomades et les contacts avec l'Asie centrale.
Au Ier millénaire av. J.-C., des populations nomades d'origines iraniennes et turques ont commencé à apparaître dans les steppes sibériennes. Ils étaient en contact avec les civilisations de l'Asie centrale, notamment les Scythes et les Sarmates, qui ont influencé la culture de la région. Ces populations nomades ont introduit de nouvelles pratiques militaires, en particulier la cavalerie montée et l'utilisation de l'arc.

Des groupes comme les Saces, descendants des Scythes, ont habité les vastes steppes de la Sibérie, et ont établi des échanges commerciaux avec les civilisations voisines, notamment avec les Chinois et les Perses.

Les premières cultures sibériennes.
Au cours de cette période, plusieurs cultures protohistoriques se sont développées. Des peuples comme les Khanty, les Mansi, et les Bouriates ont commencé à s'établir dans les forêts de la taïga et les plaines de Sibérie, utilisant principalement la chasse, la pêche et l'élevage de rennes.

L'Âge du Fer et les influences turco-mongoles.
Au cours de l'Âge du Fer (500 av. JC. - 500 ap. JC), des groupes comme les Türks et les Evenks ( = Toungouses) ont migré vers la Sibérie et se sont installés dans les steppes et forêts. Ils ont joué un rôle central dans la transformation culturelle de la région.

L'expansion des populations turques.
Les Türks ont établi plusieurs royaumes et confédérations en Asie centrale et en Sibérie. La région fut marquée par l'arrivée du Kaganat des Türks au VIe siècle de notre ère, qui s'étendait de l'Asie centrale jusqu'à la Sibérie orientale. Les Türks ont transmis leurs techniques de métallurgie du fer et leurs connaissances en matière de chevaux et de cavalerie.

Les incursions des Mongols.
À partir du VIIe siècle, les ancêtres des Mongols (comme les Xiongnu) ont commencé à se déplacer vers le nord et l'est, en contact avec les peuples sibériens. Ces groupes ont fait partie des diverses vagues de peuplement dans la région, qui ont progressivement façonné les cultures locales, notamment par la diffusion des langues et des pratiques tribales.

Chinois et Mongols.
Les contacts avec la Chine (1000 - 1200).
Les dynasties chinoises, telles que les Tang et les Song, ont cherché à étendre leur influence au nord, en particulier dans les régions sibériennes proches de la Mongolie et de la Manchourie. Ils ont établi des routes commerciales avec la Sibérie, mais les tentatives d'expansion chinoise n'ont pas permis une domination durable sur les vastes terres sibériennes. Les Xianbei, des populations d'origine mongole et turque, ont constitué une entité confédérale qui a ainsi interagi avec les Chinois tout en maintenant leur autonomie en Sibérie. 

Le temps de l'Empire mongol  (1200 - 1500).
Au XIIIe siècle, les Mongols, conduits par Gengis Khan, ont envahi une grande partie de l'Asie, dont des régions de la Sibérie orientale. Les Mongols ont fondé l'Empire mongol qui s'étendait du Chine à l'Europe de l'Est. Cependant, la Sibérie, bien que largement dominée par les Mongols, est restée une terre de confédérations tribales plus ou moins indépendantes. Les peuples locaux ont intégré certaines influences culturelles mongoles tout en conservant leurs traditions. Les Evenks et les Bouriates sont des exemples de ces groupes qui ont vu leur organisation sociale et politique modifiée par l'influence mongole, mais qui ont continué à maintenir une certaine autonomie.

L'expansion des Européens

La « Conquête de l'Est ».
La Sibérie (Sibir) était  déjà connue des Novogorodiens. Ces derniers, prétend-on, étaient déjà en relations commerciales avec les habitants d'au « delà de l'Oural », avec les « gens de l'Est », dans le courant du XIIe siècle. Ce fut vers la fin du XVe siècle que des bandes de Cosaques, commandées par un chef des plus entreprenants, Timotheévitch Ermak, fuyant devant les troupes régulières russes qui les pourchassaient, se réfugièrent sur les propriétés de la compagnie commerciale dirigée par les Stroganov, et situées dans l'Oural. Cette compagnie était une sorte de compagnie à charte, qui obtint, vers 1560, du tsar Ivan le Terrible, le droit de commercer dans le bassin de la Kama. Entrés au service de la Compagnie Stroganov, Ermak et ses partisans n'eurent rien de plus pressé que d'aller piller la demeure du sultan Koutchoum - l'ennemi éternel des chrériens orthodoxes - en résidence à Isker ou Sibir (à l'emplacement du Tobolsk actuel). La ville fut prise le 26 octobre 1581. Dès ce moment, la Sibérie fut possession russe. Les progrès de la petite troupe furent en effet assez rapides. Les indigènes, peut-être surpris par la brusquerie de l'attaque, résistèrent mollement. Les Cosaques, dans un but de pillage, probablement, n'eurent pas de peine à refouler les Tatars vers les steppes du Sud, et, bien qu'ils eussent été obligés de repasser l'Oural, la Russie ne négligea pas de revendiquer ses droits sur le pays ainsi conquis. Tioumen, fondé en 1586, et Tobolsk (Le Voyage en Sibérie de Chappe d'Auteroche) érigé sur l'emplacement de l'une des anciennes résidences du khan, en 1587, devinrent des points d'appui redoutables entre les mains d'une nation chrétienne. Ermak, tué dans une surprise par les Tatars, en 1584, sur les bords de l'Irtych, eut des émules. 

Les atamans Soukine, Miasnov, Tchoulkov continuèrent, à la tête de petites troupes de 300 à 500 hommes, l'oeuvre commencée par Ermak. D'autres campements ou ostrogs - réduits entourés de palissades, analogues aux forts de la compagnie de la baie d'Hudson -  Verkhotourié, Blein, Berezov, Sourgout, Obdorsk, Narym, Ketsk, Tara, furent édifiés en vue de se garantir contre un retour offensif des Tatars. Pas à pas, les troupes cosaques pénétrèrent ainsi en avant dans le pays. Tourinsk fut fondé en 1608, Tomsk en 1609, Ienisseïsk en 1617-18, Krasnoïarsk en 1626; l'année suivante, on atteignait l'Angara; en 1632 on fondait Iakoutsk. En 1636, le Cosaque Elisée Bouza descendit la Lena jusqu'à l'Océan, pendant qu'un autre chef cosaque, Jean Postnik, atteignait, par terre, la rivière Kolymna. Un autre encore, Erofeï Pavlovitch Khabarov, opère, avec une poignée de partisans, une descente vers le Sud et réussit a s'établir dans le bas Amour (1649 -53). En 1652, fondation d'Irkoutsk; en 1656, de Nertchinsk; en 1699, conquête du Kamtchatka. En 1708 fut organisé un gouvernement de Sibérie, avec Tobolsk pour capitale; en 1719, une province d'Irkoutsk; en 1806, un gouvernement général de Sibérie, dédoublé en 1822. 

L'occupation des steppes kirghiz, dans le Sud-Ouest. de la Sibérie, ne put être faite, toutefois, que dans le courant du XVIIIe siècle. Ce fut le prélude de la pénétration russe dans l'Asie centrale. L'occupation s'est opérée sans coup férir, graduellement. Dans le bassin de l'Amour, aussi, les Russes se heurtèrent contre les Mandchous (Evenks) qui venaient de conquérir la Chine. Ceux-ci ayant été à leur tour absorbés par les Célestes, les Russes n'eurent pas beaucoup de peine à obtenir, d'abord, de ces derniers la rétrocession des provinces du Nord (provinces de l'Amour) et du littoral situé au Sud du fleuve, occupées en 1852 et abandonnées par la Chine lors des traités du 28 mai 1858 et du 14 novembre 1860, puis, des Japonais, en échange des îles Kouriles, les parties méridionales de l'île Sakhaline (28 août 1875).
--

L'autre « Frontière »

Lorsqu'ils investissent la Sibérie, les Russes se confrontent à des populations très diverses : Finno-ougriens (Ostiaks, Vogouls, Samoyèdes, etc.), Turks (Tatars, Kirghiz, Ouzbeks, etc.), Mongols (Bouriates, Kalmouk, etc.), peuples paléoarctiques (Tchouchtches, Kamtchadales, etc.). Ces populations ont également des modes de vie très divers : les Samoyèdes, les Ostiaks pêcheurs, les Vogouls sont nomades. On trouve aussi des nomades agriculteurs parmi les montagnards de l'Altaï, ainsi que chez les Bouriates et les autres Mongols. Les Kirghiz, qui forment la population la plus nombreuse, sont en majeure partie éleveurs et nomades, et tendront toutefois, sous la pression russe, à devenir sédentaires tout comme les Tatars de la Sibérie centrale. 

Au point de vue des cultes, la majeure partie des habitants indigènes de la Sibérie pratiqueient des religions chamanistes. La religion bouddhique avait conquis le plus grand nombre de ses adhérents parmi les Bouriates. L'Islam, prêché par des émissaires venus de Boukhara (Le Kharezm et les khanats ouzbeks) et d'autres points du centre asiatique, avait fait des progrès immenses parmi toutes les autres populations, et particulièrement parmi les Tatars et les Kirghiz. Seuls, les Ostiaks et quelques peuplades finnoises avaient été sensibles à la religion chrétienne. L'activité des missionnaires orthodoxes ne remontait, d'ailleurs, qu'à environ 1830. 

Progressivement soumises au Russes, ces populations n'ont pas seulement vu leur mode de vie changer. Leur démographie a été profondément affectée. Ainsi, dans le district de Touroukhansk, la population indigène a diminué de deux tiers durant les années 1763 à 1816. En 1744, on comptait 20 000 Kamtchadales des deux sexes; ils n'étaient plus que 2 760 en 1823, et 1969 en 1850. Les Vogouls, dont on comptait encore en 1859, 4 527 individus, n'étaient plus, en 1875, que 3 913. Les guerres de tribus à tribus, la petite vérole, le scorbut, la syphilis - peut-être aussi les liqueurs fortes introduites par les Russes et diverses répressions opérées par le vainqueur - n'ont pas été étrangères à la lente décroissance des populations sibériennes, quand ce n'est pas simplement à la disparition de certaines d'entre elles (Omaks, Koths, Khoidams, Chelagues, Anuïtes, Matores, Assans). 

Au XIXe siècle, la progression des Russes en Sibérie rappelle la « conquête de l'Ouest » qui se livre au même moment en Amérique. Il convient de noter cependant, que la situation était assez différente auparavant. La conquête de la Sibérie par les Russes ne pouvait pas avoir les mêmes conséquences pour les peuples asiatiques qu'eut l'arrivée des Européens sur le continent américain et en Australie, simplement parce que pendant longtemps les civilisations russe et asiatiques n'étaient pas si éloignées l'une de l'autre - aux XVIIe et XVIIIe siècles du moins.

La colonisation.
Mais la véritable conquête du pays, la conquête économique du moins, s'est opérée par la colonisation, laquelle, à l'instar de ce qui s'est passé dans les colonies anglaises de l'Australie, a eu un caractère double : colonisation libre et colonisation forcée, ou déportation.

Colonisation libre. - Les premières colonisations du pays furent celles des conquérants. Les détachements de Cosaques, partis pour opérer des razzias, étaient suivis d'ecclésiastiques, de paysans, de citadins. Les Cosaques, de leur côté, les opérations de guerre terminées, redevenaient forcément agriculteurs, puisque le pays ne renfermait aucune provision abondante, et la culture était une nécessité de subsistance. Le gouvernement russe, de son côté, dès le début du XVIIe siècle, encourageait l'immigration des agriculteurs en leur fournissant le transport gratuit. Les nouveaux arrivés bénéficiaient aussi d'une exemption d'impôts durant les trois premières années de leur établissement. Une autre catégorie de paysans venaient peupler les solitudes de la Sibérie. C'étaient surtout des serfs qui fuyaient le régime du servage, des jeunes hommes désireux de se soustraire à la conscription. Des mesures administratives, aussi nombreuses que divergentes, n'eurent pourtant aucune influence réelle sur la colonisation libre, et, vers le milieu du XIXe siècle (1851), le nombre des habitants de la Sibérie était à peine de 2 400 000 individus. L'émigration vers la Sibérie prit un essor particulier dans la seconde moitié du XIXe siècle; d'abord, à la suite de l'abolition de l'esclavage; en second lieu, par la nécessité réelle de trouver de l'espace, des terrains propres à nourrir une population surchargée. 

Réduits souvent à la plus profonde misère, à la disette même, tant à la suite de plusieurs mauvaises récoltes que par une surabondance de population, les paysans de tous les coins de la Russie d'Europe cherchent à se donner de l'air. La perspective d'une longue distance à franchir ne les rebute nullement, convaincus qu'un « ailleurs » quel qu'il soit sera toujours préférable à un « ici », invivable. Des comités philanthropiques s'étaient formés, en outre, tant dans la Russie d'Europe qu'en Sibérie, pour faciliter aux émigrants le long passage. Les débuts de ces exodes en masses ont été désastreux. La moitié des émigrants périssaient en route. Ceux qui parvenaient à destination étaient épuisés de fatigues et de privations avant de pouvoir choisir le lieu de résidence. Il convient d'ajouter que la plupart des émigrants se faisaient suivre par leurs familles. Femmes et enfants étaient entassés dans de misérables charrettes, exposés à toutes les rigueurs d'un climat inclément. 

Des mesures préventives durent être prises. Par la suite, lorsque plusieurs familles d'un canton ou volost exprimeront le désir d'émigrer en Sibérie, on les invitera d'abord à se concerter sur le district qu'ils veulent choisir pour résidence, et si l'on juge que l'autorisation pourra être accordée, on fera désigner aux émigrants un ou deux délégués qui seront chargés de visiter le pays et reviendront rendre compte à leurs mandataires de la valeur du terrain choisi. Ils pourront ainsi prendre une décision en connaissance de cause. Les statistiques établissent que, durant les années 1887-95, la Sibérie a reçu 94 000 familles russes, comprenant 467 000 personnes. Les travaux du chemin de fer entrepris en Sibérie ont fourni un nouvel essor à l'émigration; on admet qu'à partir de 1897, le nombre d'immigrants dépassait annuellement le chiffre de 200 000 (206 000 en 1898, 225 000 en 1899). Un effort fut également consenti à cette époque par le gouvernement russe pour transformer la Sibérie d'autrefois -  pays de bagne et d'exil - en territoire productif, capable d'un développement économique. Dans le but d'encourager la coIonisation,  un décret impérial accorda, au mois de juillet 1898, pour la durée de dix années, le droit de franchise pour toutes machines et outils de provenance étrangère à destination de la Sibérie. Le délai de dix ans a été jugé suffisant pour encourager l'importation de l'outillage nécessaire à l'agriculture et son installation. 

Colonisation pénale. - Un autre contingent considérable à la population de la Sibérie fut fourni par les colons forcés ou déportés. La déportation de criminels en
Sibérie commença vers la fin du XVIe siècle (1593); elle fut introduite dans la législation russe, comme système de répression, par le tsar Alexis Mikhaïlovitch, en 1648. Entièrement abolie par un oukase (= décret) de Nicolas II, en 1899, la Sibérie aura donc existé, comme terre d'exil ou bagne, exactement durant deux siècles et demi.

Dès cette époque, le nom de Sibérie devint synonyme de bagne ou de terre infernale. D'abord simple lieu d'internement pour les individus coupables d'une faute légère, la Sibérie fut désignée, sous Pierre le Grand (L'Empire de Pierre), pour recevoir les condamnés aux travaux forcés. L'abolition de la peine de mort, en 1753, par l'impératrice Élisabeth (Le Printemps des tsarines), et son remplacement par la déportation en Sibérie, fut le point de départ d'une recrudescence dans le peuplement de ce pays. 

Un autre élément à la déportation fut fourni par les diverses insurrections. Les prisonniers de guerre (Suédois, Polonais) furent également expédiés en masse sur les divers points de la Sibérie. La moyenne annuelle du chiffre des déportés, de 1850 à 1890, fut de 19 000, y compris des milliers d'enfants qui suivaient leurs parents. Le lieu de l'internement variait avec la gravité de la faute commise. Les degrés de la pénalité consistaient : 

1° en exil simple, avec facilité de circuler dans tout le territoire;

2° relégation ou résidence forcée dans une région déterminée;

3° travaux forcés.

La poésie et les légendes populaires n'ont pas peu contribué à rendre redoutable aux Russes cette terre d'exil. Mais ce qui frappait particulièrement les esprits, c'étaient les récits des longues marches des condamnés, obligés de traverser à pied, chargés de chaînes, les longues distances qui séparaient le lieu d'internement de l'intérieur de la Russie d'Europe. Un tableau peint par un étranger et représentant la lamentable procession de ces infortunés fit - à en croire du moins la propagande tsariste - une impression douloureuse sur l'esprit de Nicolas  ler , qui ordonna, vers 1850, de faire faire désormais aux prisonniers le chemin par voies ferrées et par eau. On évaluait cependant en 1900 le nombre des déportés à 200 000 en Sibérie, non compris leurs familles.
-
La vie intellectuelle

Les conditions de peuplement de la Sibérie ont certainement contribué à retarder le développement intellectuel de différentes parties de la Sibérie. Celui-ci a cependant a pris à partir de la seconde moitié du XIXe siècle une extension considérable, grâce à l'émergence d'une intelligentzia sibérienne, aisni qu'aux efforts des mécènes (Yadrintzev, Sibiriakov), voire au bon vouloir des autorités centrales. Ainsi, les voyageurs occidentaux ne seront pas peu surpris de rencontrer dans certaines villes, parfois après un voyage de plusieurs semaines à travers les forêts du Nord, des cercles amicaux où sont discutés les mérites littéraires ou artistiques d'une oeuvre parue peu de temps auparavant dans l'une des capitales de l'Europe. 

Mais la plus grande somme du bien-être relatif de la Sibérie à partir de cette époque, comme aux connaissances géographiques que l'on commence à avoir du pays, est due à une véritable pléiade de savants exilés sur la terre de Sibérie pour des raisons d'ordre politique et qui ont fait montre d'une féconde activité. Etudiants compromis dans des troubles universitaires (Kropotkine, Potanine), Polonais exilés pour des manifestations séparatistes, trouvaient dans l'étude et dans l'exploration une consolation dans leur solitude. 

Une forte rivalité exista longtemps entre les villes de Tomsk et d'Omsk pour l'honneur de posséder l'Université de Sibérie, créée grâce aux efforts persévérants de quelques Sibériens. Cet honneur échut finalement à la ville de Tomsk. L'inauguration de l'Université (10 / 22 juin 1888) fut une fête pour toute la Sibérie. L'établissement était dû presque entièrement à la libéralité de quelques particuliers (Demidov, Tziboulski, Sibiriakov) et de diverses associations littéraires qui se sont chargées de couvrir les frais de construction (un peu plus de 400 000 roubles) et d'assurer diverses bourses aux étudiants nécessiteux.

Le temps des explorations

Intiment liées à l'expansion commerciale, presque toutes les tentatives d'exploration de la Sibérie - comme d'ailleurs la conquête du pays par les Cosaques - ont été faites par voie d'eau. L'histoire conserve peu de données sur la participation des Russes à l'ouverture de la Sibérie au commerce européen. Les efforts tentés par les Novogorodiens (XVIe siècle) se concentraient, comme il a déjà été dit plus haut, sur les voies terrestres, à travers l'Oural. En l'an 1600, le prince Chakhovski, accompagné d'une centaine de Cosaques, descendit l'Ob à partir de Berezov; mais les barques furent assaillies par des Samoyèdes, et la petite expédition, à moitié détruite, dut chercher son salut dans la fuite. Une autre  expédition fut organisée l'année suivante, sous les ordres du prince Mossalski, qui parvint cette fois à  l'embouchure du Taz et y fonda la ville de Mangazea. Cette ville n'eut d'ailleurs qu'une très courte durée. Détruite par un incendie en 1640, ses habitants se réfugièrent à Tourkhansk et à Ienisseïsk. Les essais de pénétration faits par des commerçants de nationalité étrangère (européenne) furent plus importants. Des trois bâtiments qui faisaient partie de l'expédition (1553) de Sébastien Cabot, l'un, commandé par Chancellor, put pénétrer jusqu'à l'embouchure de la Duna septentrionale. Son retour en Angleterre fut marqué par la formation de la célèbre association commerciale connue sous le nom de «-Muscovy Company », qui reçut de nombreux privilèges de la part des deux gouvernements, mais dont les opérations n'eurent pas beaucoup de succès. 

La mer de Kara  resta obstinément fermée aux diverses autres expéditions qui se sont  succédé depuis : expéditions des Anglais Pet et Jackman (1580), expédition d'Hudson (1608). Les autres expéditions, jusqu'à la fin du XIXe siècle même (expédition de Nordenskjöld sur la Véga, 1878), ne visèrent plus qu'à l'ouverture ou à la découverte, d'un passage Nord-Est. Mais pour ce qui intéresse particulièrement la Sibérie, deux faits semblent dès cette époque destinés à opérer une transformation des plus heureuses dans les relations du Nord de la Sibérie avec le reste du monde, ainsi que dans la mise à profit de ses vastes réseaux fluviaux. Déjà, en 1862 et en 1869, à la suite d'une forte prime promise au navire qui pénétrerait dans le Ienisseï par la mer, promesse faite par un riche Sibérien, Sidorov, les Anglais tentèrent de pénétrer dans ce fleuve, mais sans succès. D'autres essais, également infructueux, furent faits en 1878 et en 1887. Mais ces insuccès n'ont pas découragé les Anglais, et une nouvelle tentative fut faite en 1896. Cette fois trois vapeurs réussirent à pénétrer jusqu'à Touroukhansk, à  200 lieues de l'estuaire de l'Ienisseï. Là, la cargaison fut déchargée sur de grandes barges que des remorqueurs ont conduites jusqu'à Krasnoïarsk. La tentative fut renouvelée, en 1897 et en 1898, avec le même succès. Le nombre de vapeurs fut d'abord doublé, puis triplé, et quelques-uns pénétrèrent aussi dans l'Ob qu'ils remontèrent jusqu'au delà d'Obdorsk. Afin d'encourager cette entreprise, le gouvernement supprima totalement les droits de douanes sur tous les articles importés en Sibérie par la voie de l'océan Arctique.

Un autre fait de presque égale importance à cette même époque est l'invention par  Komarov des navires brise-glace, expérimentée avec succès par l'amiral Makarov; ces navires sont d'abord destinés  à la navigation dans la mer de Kara, libre de glace durant deux mois de l'année seulement. Ils doivent servir également de transports sur le Baïkal durant la saison d'hiver. 

On ajoutera pour terminer, que la Société impériale russe de géographie, qui avait son siège à Saint-Pétersbourg, fut  souvent chargée de l'organisation et de l'équipement des nombreuses explorations scientifiques qui ont sillonné l'empire russe et une grande partie du continent asiatique durant toute la seconde moitié du XIXe siècle. Des sections de cette société furent établies sur différents points du territoire, en Europe et en Asie. On a  notamment procédé sous sa conduite à des levers des côtes Nord de la Sibérie, et des expéditions scientifiques bien outillées qui ont étudié les régimes des différents cours d'eau. Le service hydrographique de la marine s'occupant activement à dresser les cartes des principaux fleuves, des travaux de balisage, des phares, etc. (P. Lemosof).
 

Histoire du Transsibérien

Le Transsibérien est l'un des chemins de fer les plus emblématiques et longs du monde, reliant Moscou, la capitale de la Russie européenne, à Vladivostok, une ville portuaire située sur la côte pacifique. Ce chemin de fer a traversé l'histoire de la Russie, de l'Empire russe à l'Union soviétique, et jusqu'à la Russie moderne. 

À la fin du XIXe siècle, l'Empire russe se trouve confronté à un besoin de modernisation et de développement de son infrastructure pour relier ses vastes territoires, particulièrement ceux de la Sibérie, à l'Europe. La Sibérie, riche en ressources naturelles, reste largement isolée du reste du pays, et le transport terrestre est difficile en raison de l'immensité et de l'inaccessibilité des régions. Le Transsibérien est envisagé comme une solution pour relier ces vastes territoires et stimuler l'économie, faciliter le peuplement de la Sibérie, et renforcer le contrôle de l'État sur ces régions. La construition de ce chemin de fer est finalement lancée en 1891 par  le tsar Alexandre III et son fils, Nicolas II. La ligne a été divisée en plusieurs sections pour faciliter sa construction.

La première pierre du Transsibérien cette année-là sous la direction de l'ingénieur Sergei Witte, le ministre des Finances. Les travaux commencent à la fois à l'ouest (Moscou) et à l'est (Vladivostok), mais en raison des vastes distances et de la géographie difficile, la construction est longue et complexe. La ligne traverse des montagnes, des rivières, des steppes et des forêts, et le travail est rendu plus ardu par des conditions météorologiques extrêmes (froid sibérien) et l'isolement des zones de travail. Le chemin de fer doit également traverser des zones inhabitées et peu développées, nécessitant des infrastructures temporaires et des colonies de travailleurs. Le Transsibérien va être inauguré par sections.  La première ligne, reliant Moscou à Samara, est ouverte en 1892.  En 1900, la ligne arrive à Omsk, à mi-chemin de la Sibérie.  La traversée complète , entre Moscou et Vladivostok, est achevée en 1916.

Le chemin de fer joue un rôle stratégique pendant la Première Guerre mondiale, en facilitant le transport de troupes et de matériel vers l'Est. Après la guerre, le Transsibérien reste une artère vitale. Après la révolution bolchévique de 1917 et la formation de l'Union soviétique, le Transsibérien devient aussi un symbole de la puissance industrielle soviétique. Le gouvernement continue d'investir dans le réseau ferroviaire pour soutenir son programme d'industrialisation et pour maintenir le contrôle sur le vaste territoire soviétique. Au fil des décennies, le Transsibérien est intégré à un réseau ferroviaire plus large, avec des extensions et des lignes secondaires qui relient des régions isolées à la principale ligne transsibérienne. Durant la période soviétique, le Transsibérien est  modernisé avec des améliorations technologiques, des trains plus rapides et des stations de plus en plus modernes. Pendant la Guerre froide, le Transsibérien reste une artère vitale, transportant des ressources naturelles depuis l'Asie centrale et la Sibérie vers l'Europe de l'Est, et facilitant le déplacement rapide de forces militaires en période de tensions avec l'Occident.

Avec l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, la Russie entreprend des réformes pour moderniser le réseau ferroviaire et améliorer la qualité des services. Les compagnies ferroviaires privées voient également vu le jour, bien que la plupart des lignes restent gérées par RZD (Chemins de fer russes). Le Transsibérien est aujourd'hui l'une des lignes ferroviaires les plus célèbres du monde, attirant les touristes du monde entier. Le trajet complet, reliant Moscou à Vladivostok, dure environ 7 jours.

La Sibérie pendant la période soviétique

La Révolution russe et la guerre civile.
Pendant la guerre civile qui a suivi la Révolution russe de 1917 et la chute de l'Empire tsariste, Bolcheviks (soutenant les Soviets) se sont affrontées avec les Blancs, composées de monarchistes et de militaires tsaristes. Les régions sibériennes ont été un terrain de batailles intenses, car elles étaient stratégiquement importantes pour l'approvisionnement en ressources et pour le contrôle des voies de communication (notamment les chemins de fer).

Les forces blanches ont initialement gagné du terrain en Sibérie, notamment dans les grandes villes comme Omsk et Irkoutsk, mais elles ont fini par être repoussées par l'Armée rouge bolchevique. Les partisans des Soviets ont réussi à établir leur domination, et après 1923, la Sibérie est devenue fermement intégrée à l'Union soviétique.

L'ère stalinienne.
Sous le régime de Joseph Staline (1924-1953), la Sibérie a joué un rôle important dans les politiques d'industrialisation et de collectivisation du pays. La région a été utilisée comme terrain pour des projets industriels et agricoles de grande envergure, comme la construction de complexes industriels dans des villes comme Norilsk et Vorkouta. Les populations autochtones ont subi une répression brutale, et leurs terres ont été attribuées aux grands projets agricoles collectifs. Des milliers de fermes ont été collectivisées, et des millions de personnes ont été forcées à travailler dans des conditions extrêmement dures, notamment dans des camps de travail où des prisonniers et des déportés étaient exploités.

Sous Staline, la Sibérie est devenue synonyme des goulags, un vaste réseau de camps de travail forcé, héritages de la politique pénitentiaire tsariste, dans lesquels des millions de prisonniers politiques, de criminalisés et de minorités ethniques ont été enfermés. Ces camps étaient généralement situés dans des régions reculées et extrêmement froides, comme celles de Kolyma, dans le nord-est de la Sibérie. La Sibérie a ainsi été l'un des principaux lieux de déportation et de répression politique. L'ampleur de cette répression est restée un élément central de l'histoire soviétique et a eu des conséquences dévastatrices sur la population. La population autochtone sibérienne, ainsi que les Sahals, Tchouktches, Koryaks, et autres populations de la Sibérie orientale ont été particulièrement touchés par ces politiques de déportation.

Durant la Seconde Guerre mondiale, l'immensité de la région, son éloignement des fronts de bataille et ses ressources naturelles ont permis à l'Union soviétique de déplacer des usines et des infrastructures industrielles vitales vers l'Est, à l'abri des attaques nazies. La main-d'œuvre des prisonniers de guerre et des déportés a été utilisée pour construire des armes et du matériel militaire dans des villes comme Novossibirsk et Krasnoïarsk.

À partir des années 1930, la répression stalinienne a également touché de nombreux groupes ethniques en Sibérie. Les Tchouktches, Koryaks, et d'autres populations autochtones ont été forcés de s'adapter aux exigences de l'État soviétique, notamment par des politiques de russeisation et de collectivisation.

La Sibérie dans la Russie post-soviétique

Avec la dislocation de l'Union soviétique en 1991, la Sibérie fait partie de la Fédération de Russie. Cependant, la transition vers une économie de marché libre n'a pas été facile pour la région. L'effondrement de l'industrie soviétique a conduit à une récession, et la région a souffert d'un manque d'investissements, bien que des secteurs comme l'exploitation minière, le gaz et le pétrole aient continué à jouer un rôle majeur dans l'économie.

La Sibérie a été confrontée à plusieurs problèmes sociaux et environnementaux. L'exploitation des ressources naturelles a continué, mais souvent avec des impacts environnementaux dramatiques. Des accidents écologiques majeurs, comme ceux liés à la pollution industrielle en Sibérie occidentale, ont affecté des populations locales, qui ont continué à lutter pour leurs droits sur leurs terres, la reconnaissance de leurs traditions et la préservation de leur mode de vie face aux pressions économiques et écologiques. 

Malgré ces défis, certaines régions sibériennes ont connu un développement rapide. Des villes comme Novossibirsk, Omsk, Krasnoïarsk, et Irkoutsk sont devenues des centres économiques dynamiques. En outre, l'expansion du gazoduc Sibérie a facilité les exportations russes, notamment vers la Chine.

Enjeux et défis actuels.
Une des questions contemporaines de la Sibérie est le rééquilibrage démographique et les tensions potentielles avec la Chine, qui a montré un intérêt croissant pour l'acquisition de terres sibériennes. Certaines régions sibériennes sont également confrontées à un déclin démographique important, la population vieillissant rapidement, tandis que la migration intérieure vers Moscou et Saint-Pétersbourg est élevée. Notons également ici le rôle joué par la guerre de la Russie contre l'Ukraine depuis 2022, et qui a vu sacrifier sur le front préférentiellement des Sibériens et d'autres populations issues de minorités ethniques, et a relativement préservé les populations des grandes villes de l'Ouest de la Russie.

La Sibérie est riche en ressources naturelles (pétrole, gaz, minerais), et leur exploitation a des conséquences néfastes sur les terres des autochtones. Les activités minières et pétrolières perturbent les écosystèmes et affectent l'élevage de rennes et la chasse. Le mode de vie traditionnel et la transmission des savoirs ancestraux sont menacés par la modernisation, la migration vers les villes et l'influence du mode de vie russe. Le réchauffement climatique affecte sévèrement la Sibérie, avec le dégel du pergélisol, des changements dans la migration des rennes et la réduction des populations animales.

D'un autre côté, des progrès sont aussi réalisés, notamment avec la promotion des droits des populations autochtones dans le cadre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît le droit des peuples autochtones de conserver leur culture et de gérer leurs terres. Des efforts sont faits pour revitaliser les langues autochtones grâce à des programmes d'enseignement bilingue et des projets de documentation linguistique.  Des festivals culturels, comme ceux organisés en Iakoutie, mettent en valeur les danses, les chants, les costumes et les rituels chamaniques pour valoriser les cultures autochtones.

Les populations autochtones de Sibérie

Les peuples autochtones de Sibérie sont répartis dans plusieurs grandes régions avec des climats et des écosystèmes très divers. On peut notamment mentionner :

Les Iakoutes (ou Sakhas).
Les Iakoutes, qui se nomment eux-mêmes Sakhas, sont l'un des peuples les plus nombreux de la Sibérie orientale. Ils sont principalement établis en République de Sakha (Yakoutie), une vaste région du nord-est de la Russie. Les Iakoutes sont originellement des populations turcophones venues probablement de Mongolie et des steppes du sud de la Sibérie. Ils parlent le sakha, une langue turque, mais le russe est également largement répandu. Leur culture se caractérise par une riche tradition de contes, de chants et de poèmes épiques, appelés olonkho. Leur spiritualité est fortement marquée par le chamanisme et le culte de la nature. Traditionnellement, les Iakoutes vivent de l'élevage (surtout des chevaux et des rennes) et de la chasse, bien qu'ils pratiquent également un peu d'agriculture en été. En raison des hivers rigoureux, avec des températures qui peuvent descendre jusqu'à -60 °C, leur mode de vie s'adapte au froid extrême. Leurs habitations et vêtements sont conçus pour résister aux températures les plus basses.

Les Evenks.
Les Evenks, autrefois appelés « Toungouses », habitent une grande partie de la Sibérie, s'étendant des régions proches du lac Baïkal jusqu'aux rives de l'océan Arctique. Ce groupe est semi-nomade et possède une riche tradition de déplacement. Les Evenks parlent l'evenk, une langue toungouse, mais beaucoup d'entre eux parlent aussi le russe. Leur culture traditionnelle repose sur le chamanisme et les croyances animistes, où la nature joue un rôle central. Ils sont historiquement éleveurs de rennes, chasseurs et pêcheurs, un mode de vie qui les amène à se déplacer fréquemment en fonction des saisons et des migrations animales. Leur habitat mobile, notamment le choum (tente en peau de renne), leur permet de s'adapter à la vie nomade dans les zones boisées et la toundra.

Les Evenes.
Les Evenes, parfois appelés Lamut, sont également une population de langue toungouse. Ils vivent principalement dans l'Extrême-Orient russe, en particulier dans la région de la Kamtchatka, la Tchoukotka et dans les régions de la mer d'Okhotsk. Les Evenes ont une tradition chamanique et un système de croyances animistes. Leurs chants et poèmes sont également un aspect important de leur patrimoine culturel. Traditionnellement, les Evenes sont chasseurs, pêcheurs et éleveurs de rennes. Leur mode de vie semi-nomade est similaire à celui des Evenks, avec des déplacements en fonction des migrations des animaux et des saisons. La chasse aux mammifères marins est aussi une pratique importante pour ceux qui vivent près des côtes.

Les Nénets.
Les Nénets vivent principalement dans la péninsule de Yamal, la région de la mer de Kara et le nord de la Russie européenne. Ils font partie des peuples samoyèdes, et leur présence dans l'Arctique russe remonte à des millénaires.  Ils parlent le nénètse, une langue de la famille ouralienne, bien que le russe soit également couramment parlé. Leur culture repose sur le chamanisme, avec des croyances animistes qui vénèrent les esprits de la nature. Leurs traditions orales et leurs chants occupent une place importante dans leur culture. Les Nénets sont avant tout éleveurs de rennes et nomades. Ils se déplacent avec leurs troupeaux sur de vastes étendues, de la toundra jusqu'à la taïga, en fonction des saisons. Leurs habitations, les tchoums(tentes en peau de renne), sont faciles à monter et démonter, favorisant ainsi leur mode de vie itinérant.

Les Khantys.
Les Khantys vivent principalement dans la région de l'Ob et de l'Oural, en Sibérie occidentale, où ils sont établis depuis des siècles. Ils sont originellement des populations finno-ougrienness. Les Khantys parlent la langue khanty, qui appartient à la famille ouralienne. Leur culture est fortement influencée par le chamanisme et des croyances animistes, avec des cérémonies pour honorer les esprits de la forêt, des rivières et des montagnes. Traditionnellement, les Khantys pratiquent la chasse, la pêche et, dans certaines régions, l'élevage de rennes. Bien que certains soient sédentarisés, d'autres continuent de mener une vie semi-nomade. Ils utilisent des bâtiments en bois sur pilotis pour leurs habitations permanentes, en raison des terrains marécageux de la taïga. Aujourd'hui, une partie de leur territoire chevauche des zones d'extraction pétrolière et gazière, ce qui affecte leur environnement et mode de vie.

Les Mansis.
Les Mansis, cousins des Khantys, vivent principalement dans le district autonome des Khantys-Mansis, en Sibérie occidentale. Comme les Khantys, ils sont d'origine finno-ougrienne, liés linguistiquement aux peuples ouraliens. La culture mansi est également marquée par le chamanisme et un système de croyances animistes, avec un fort respect pour les esprits de la nature. Les cérémonies chamaniques et les récits épiques font partie intégrante de leur patrimoine culturel. Les Mansis sont historiquement chasseurs et pêcheurs, avec une pratique limitée de l'élevage de rennes par rapport aux Nénets. La taïga marécageuse de leur territoire exige un mode de vie adapté, avec des habitations construites sur des plateformes pour éviter les inondations saisonnières. L'influence moderne, comme l'industrialisation de leurs terres pour l'exploitation du pétrole et du gaz, a eu des répercussions significatives sur leur mode de vie et leurs ressources naturelles.

Les Tchouktches.
Les Tchouktches vivent principalement dans la péninsule de Tchoukotka, au nord-est de la Russie, près du détroit de Béring. Leur histoire remonte à plusieurs millénaires, et ils entretiennent des liens culturels avec les populations inuit de l'Alaska. Les Tchouktches parlent le tchouktche, une langue appartenant à la famille tchouktcho-kamtchatkienne. Leur culture est centrée sur des traditions animistes et chamaniques, où les esprits de la nature jouent un rôle important. Les Tchouktches possèdent une riche tradition orale, incluant des chants, des récits et des légendes. Les Tchouktches se divisent traditionnellement en deux groupes selon leur mode de subsistance :

• Les Tchouktches éleveurs de rennes, qui mènent une vie nomade dans les terres intérieures et se déplacent en fonction des besoins de leurs troupeaux.

• Les Tchouktches côtiers, qui vivent près de la mer et se consacrent principalement à la chasse aux mammifères marins, tels que les phoques et les baleines.

Leur habitat traditionnel est le yaranga, une tente en peau de renne ou de phoque, adaptée au climat froid et aux déplacements fréquents. Aujourd'hui, certains Tchouktches continuent ce mode de vie traditionnel, tandis que d'autres se sont installés dans des villages permanents.

Les Koriaks.
Les Koriaks vivent principalement dans le district autonome de Koriakie, dans la région de Kamtchatka et certaines parties de la Tchoukotka. Ils partagent des liens linguistiques et culturels avec les Tchouktches et d'autres populations de la région de Kamtchatka. Les Koriaks parlent le koriak, également de la famille tchouktcho-kamtchatkienne. Comme les Tchouktches et les autres populations sibériennes, leur culture est marquée par des traditions chamaniques et animistes. Les rites chamaniques, les chants et les danses jouent un rôle central dans leur culture, et leurs légendes sont souvent liées aux esprits de la nature et des animaux. Les Koriaks, comme les Tchouktches, peuvent être divisés en deux groupes :

• Les Koriaks éleveurs de rennes, qui mènent une vie semi-nomade et migrent avec leurs troupeaux de rennes à travers les régions de la toundra et de la taïga.

• Les Koriaks chasseurs et pêcheurs côtiers, qui vivent près de la côte de la mer de Béring et pratiquent la chasse aux mammifères marins, la pêche et la cueillette.

Leurs habitations peuvent être des tentes en peau de renne ou des maisons en bois dans les villages permanents. Les Koriaks côtiers fabriquent traditionnellement des vêtements et outils en utilisant les os, les peaux et les tendons des animaux marins.


En librairie - John Dundas Cochrane, Récit d'un voyage à pied à travers la Russie et la Sibérie tartare, de la mer de Chine au Kamtchatka, Ginkgo, 2002. - Comte Henry Russell, 16 000 lieues à travers l'Asie et l'Océanie, t. 1 : Sibérie, Mongolie, Chine, Colonies australiennes, Princi Neguer, 2002. 

Peuples du Monde, Mongolie, Sibérie, Mandchourie, L'Adret, 2000. - Myriam Kissel, Un été en Sibérie, Société des écrivains, 2000. - Charles Wenyon, A travers la Sibérie par la route de la malle-poste, Olizane, 2000. -Antoine Garcia et Yves Gautier, L'exploration de la Sibérie, Actes Sud, 1999.

- Zoya Abramova, L'art paléolithique d'Europe occidentale et de Sibérie, Jérôme Millon, 1998. - Collectif, La Sibérie, La Documentation française, 1997. - Theodor Kröger, Le village oublié, bagnard en Sibérie (1914-1919), Phébus, 1997. - Françoise Hugier et Gérard Lefort, En route pour Behring, notes de voyage en Sibérie, Maeght, 1994. - A. Max, Sibérie, ruée vers l'Est, Gallimard, 1976.

Fedor Dostoievski, Carnet de Sibérie, L'Herne, 1996. - Maurice-Auguste Beniowski, Mémoires et Voyages (3 tomes, trad. du polonais par Eric Morin-Aguilar), Editions Noir sur Blanc, 1999. 

- Sibérie légendaire (Niourgoun le Yakoute, guerrier céleste), CILF, 1990. - Collectif, Contes de Sibérie, Gründ, 1980. - Collectif, Sibérie, paroles et mémoires, Publications langues'O / Inalco  (Slovo vol 28-29).

.


[Histoire politique][Biographies][Cartothèque]
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2004 - 2024. - Reproduction interdite.