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L'Empire carolingien Les Carolingiens |
Les historiens ont donné le nom de Carolingiens, du nom du plus illustre de ses membres, Charlemagne (ou, selon d'autres auteurs, d'un de ses ancêtres, Charles Martel), la famille qui a donné à la France la seconde dynastie de ses souverains, depuis Pépin le Bref (752) jusqu'à Louis V (987), et de nombreux monarques aux divers royaumes démembrés de l'empire de Charlemagne. La période, dite carolingienne, occupe une place nettement définie dans l'histoire. conquérante de la Gaule, la dynastie mérovingienne n'avait pas réalisé d'unité politique. Bien au contraire. A mesure que s'était affaiblie l'autorité des « rois fainéants », les diverses régions du monde mérovingien s'étaient vigoureusement individualisées. Des royaumes multiples se dessinaient : Bourgogne et Aquitaine, Neustrie et Austrasie. Les rois ne réalisaient plus que des unions personnelles. Il n'y avait plus de monarchie. L'évolution mérovingienne, à dire vrai, tendait à modeler l'Occident suivant une formule politique dont le régime fédéral est l'ultime expression. Or, la tendance carolingienne est, à son point de départ, un effort intense vers la centralisation. Charlemagne imprime à cette tendance un tel élan qu'elle aboutit à la restauration de la formule impériale : cette idée d'empire, chère aux lettrés de l'époque mérovingienne, témoins de la barbarie et de l'émiettement, renaît donc à l'aurore du IXe siècle. Charlemagne réussit à étendre sa domination sur la plus grande partie de l'occident de l'Europe, et à reconstituer l'empire romain dont les débris ont formé la France, l'Allemagne et l'Italie, sur lesquels ont régné ses descendants, sans parler des royaumes secondaires d'Aquitaine, de Provence, de Bourgogne, de Lorraine, qui s'agrégèrent peu à peu aux autres grandes entité politiques, et qui, tantôt séparés et tantôt réunis, finiront au Xe siècle par constituer les États modernes. Mais voici qu'après Charlemagne font leur oeuvre des éléments de décomposition inaperçus du fondateur de l'Empire Carolingien. L'Empire, dont l'unité faisait une si belle ordonnance, se brise en royaumes, et l'émiettement féodal, bien plus fragmentaire encore et plus universel que le fractionnement mérovingien, couvre la carte politique de minuscules seigneuries. L'époque carolingienne, commencée sous les auspices d'une pensée unitaire, s'achève par le triomphe de la décentralisation. Les invasions des Vikings, la formation et le développement de la féodalité, ont détruit rapidement l'oeuvre du grand empereur et amené ce que l'on a nommé la décadence carolingienne. Il est bon toutefois de faire observer que cette décadence ne fut pas produite comme sous les Mérovingiens, par le défaut d'énergie des représentants de la dynastie. Plusieurs des derniers princes carolingiens ne manquèrent ni d'activité, ni de courage, ni d'habileté politique; mais, comme il arrive souvent aux princes, ils n'eurent ni les uns ni les autres la conscience des révolutions profondes qui s'accomplissaient de leur temps; l'unité de l'empire, la réunion sous un même sceptre des États de Charlemagne, la possession de la couronne impériale furent les chimères que chacun d'eux poursuivit dans des luttes stériles et auxquelles ils sacrifièrent leur autorité dans les royaumes sur lesquels leur naissance les avait appelés à régner. Affaiblis, ils durent céder la place à ceux qui avaient hérité de la richesse et de la puissance et qui avaient acquis dans la guerre nationale contre les Vikings le prestige de gloire auquel les Carolingiens avaient dû eux-mêmes au VIIIe siècle leur élévation. En France, la mort de Louis V, le Fainéant (987), amena sur le trône Hugues Capet, initiateur de la dynastie capétienne, et qui fut reconnu roi à l'exclusion de Charles de Lorraine, deuxième fils de Louis d'Outremer. En Allemagne, les Carolingiens éteignirent en la personne de Louis IV, l'Enfant (911), et furent remplacés par les maisons de Saxe et de Franconie. En Italie, après la mort d'Adalbert, dernier roi carolingien (961), Othon le Grand réunit ce royaume à l'Empire. Sceaux de Louis le Débonnaire (816), type romain et de Lothaire Ier (843), buste tourné à droite, tête couronnée de lauriers, et portant cette légende : Christe adjuva Hlotharium imperatorem (Christ, aide Lothaire, empereur). | |||
Etablissement de la dynastie carolingienne La généalogie des Carolingiens, comme celle de toutes les familles royales, est fort obscure. Il est difficile de remonter au delà de saint Arnoul, évêque de Metz en 614, et de Pépin de Landen, maire du palais d'Austrasie sous Clotaire II, Dagobert ler, et Sigebert Il, non par défaut de renseignements, mais parce qu'il semble impossible de déterminer la part de vérité qui se trouve dans les généalogies composées au IXe siècle, après le rétablissement de l'Empire, et dont le but visible est de rattacher la nouvelle dynastie, d'une part à celle des Mérovingiens et d'autre part aux dignitaires de l'administration romaine en Gaule. C'est ainsi qu'elles font descendre saint Arnoul d'un certain Tonantius Ferreolus, de famille sénatoriale, qui vivait au Ve siècle et était gendre du préfet des Gaules, Afranius Syagrius. Le petit-fils de ce personnage, Ansbert, aïeul de saint Arnoul, aurait épousé Blithilde, fille de Clotaire Il et soeur du roi Dagobert. Saint Arnould et Pépin de Landen. A la mort de Pépin de Landen, survenue en 639, son fils Grimoald lui avait succédé dans les fonctions de maire du palais du roi Sigebert II; il gouverna l'Austrasie sous le nom de ce prince qui mourut en 656. La puissance du maire du palais paraissait alors si bien établie qu'il crut pouvoir écarter le fils du roi mort, un enfant de quatre ans, et placer sur le trône son propre fils Childebert. La tentative était prématurée, les grands se soulevèrent, demandèrent l'appui du roi de Neustrie, lui offrirent le trône d'Austrasie pour son fils et chassèrent les usurpateurs qui ne tardèrent pas à périr en prison. Pépin d'Héristal. Charles-Martel. Carloman et Pépin le Bref. Pépin le Bref, seul maître du royaume, en acheva la conquête et la pacification et, en 750, il se sentit assez fort pour prendre la couronne sans même attendre la fin du Mérovingien qui la portait. Le pape Zacharie, consulté par ses ambassadeurs, répondit qu'il valait mieux que ce fut celui qui exerçait le souverain pouvoir qui prit le titre de roi; le 1er mars 752, le roi Pépin reçut l'onction des évêques rassemblés à Soissons. Bien des causes avaient amené la révolution qui fut alors consommée. Depuis longtemps, par suite de l'épuisement de l'ancienne dynastie mérovingienne, le pouvoir effectif avait passé aux maires du palais : cette charge avait été exercée en Austrasie par les chefs d'une famille aristocratique du pays aussi influente que puissante, forte de l'appui du clergé, et dont les membres avaient su acquérir le double prestige de guerriers et de politiques. Dès le milieu du VIIe siècle, l'un d'eux s'était cru assez fort pour placer la couronne sur la tête de son fils; mais cette tentative faite avant que la Neustrie fût vaincue avait avorté. Depuis lors, l'Austrasie avait triomphé de la Neustrie, les chefs de la maison des Pépins (Pippinides) avaient réuni sous un même sceptre les royaumes francs, l'un d'eux avait sauvé la chrétienté de l'invasion des païens. La Gaule ne connaissait plus d'autres chefs; ils avaient depuis longtemps gouverné, rendu la justice, administré en leur propre nom; eux seuls pouvaient donner à l'Église romaine l'appui dont elle avait besoin; aussi le pape s'était-il empressé de sanctionner une usurpation depuis longtemps accomplie en fait. Pépin, avant de mourir, le 24 septembre 768, avait, suivant la tradition mérovingienne, partagé le royaume entre ses deux fils, Carloman et Charlemagne. Ce dernier eut la partie occidentale de l'empire franc. Carloman, qui avait obtenu la partie orientale, mourut après un règne de trois ans, et Charles s'empara de ses Etats, au détriment de ses enfants qui se retirèrent, avec leur mère Gilberga, auprès de Didier, roi des Lombards. Charlemagne et son héritage Charlemagne (742-814), devenu le maître de la Gaule et de la Germanie occidentale, se trouva le prince le plus puissant de l'Europe. Il allait recevoir à Aix-la-Chapelle, sa capitale, des ambassadeurs de tous les souverains qui demandaient son appui ou son alliance. En 800, il vint à Rome où le pape le sacra empereur d'Occident, pendant les fêtes de Noël. Haroun al-Rachid, calife de Bagdad, lui envoya une brillante ambassade, de riches présents et les clefs du saint sépulcre (801). A cette époque, Charlemagne s'était taillé, au prix d'une longue succession de guerres, un immense empire, qui s'étendait de l'Ebre à l'Eider et au Volturne, et de l'Atlantique à l'Oder et à la Theiss (Tisza). Pour établir une administration régulière dans un Etat composé des nationalités les plus diverses, Charlemagne le divisa en royaumes, subdivisés en duchés, en margraviats , en comtés, en vigueries; c'était la féodalité, moins l'hérédité des bénéfices. Plusieurs comtés formaient une légation, où chaque année des envoyés royaux (missi dominici). ordinairement un comte et un évêque, venaient tenir des assises judiciaires, veiller à la bonne administration du pays et recevoir les plaintes des sujets. Les projets de loi furent soumis à de grandes assemblées nationales (champs de mai) qui votaient les lois définitives appelées capitulaires. Charles donna au clergé une prépondérance qu'il n'a jamais complètement perdue depuis; il fonda en Allemagne la sainte Wehme, qui servit, plus tard, de modèle à l'Inquisition. Il encouragea le commerce, l'industrie et les arts, et établit l'uniformité des monnaies; il attira à sa cour des hommes instruits qui, sous l'inspiration de l'illustre Alcuin, répandirent partout leur savoir en fondant des écoles. Avec Charlemagne, l'Europe retrouva ainsi un moment l'unité que l'Empire romain lui avait donnée; mais c'était là une oeuvre factice. Déjà, de son vivant, il avait prévu lui-même le démembrement de son empire et, pour prévenir les dissensions que la division de ses États pourrait faire naître après sa mort, il en avait réglé lui-même le partage (806). De ses neuf femmes plus un moins légitimes, Charlemagne eut plusieurs enfants; mais le seul des fils légitimes de l'empereur, Louis (Louis le Débonnaire), qui gouvernait l'Aquitaine depuis 781, lui survécut. L'aîné, Charles, était mort en 811; le second, Pépin, en 810. Le fils naturel de ce dernier, Bernard, fut pourvu des États de son père par Charlemagne en 812; révolté contre Louis en 817, après l'assemblée d'Aix, il fut vaincu, condamné à perdre la vue et mourut des suites du supplice le 17 avril 818, laissant un fils, Pépin, qui, en dédommagement du royaume d'Italie confisqué, reçut de l'empereur des possessions dans le nord de la Gaule et fut la tige des comtes de Vermandois et de Valois. Les successeurs de Charlemagne. - Sceau et monnaie de Louis le Débonnaire. Un nouveau partage en 835 attribua l'Aquitaine à Pépin, la Bavière à Louis et l'Allemagne à Charles. Quant à Lothaire naguère associé à l'empire, il était disgracié, exilé, mais on lui laissait l'Italie. Des remaniements subséquents (837 et 838) agrandirent le royaume de Charles; puis Pépin d'Aquitaine étant mort le 13 décembre 838, ses deux fils, Pépin et Charles, furent privés par l'empereur de l'héritage paternel; Pépin, l'un d'eux, réussit toutefois à s'y établir à la mort de l'empereur (840). Le deuxième, Charles, enfermé à Corbie après 818, devint plus tard archevêque de Mayence et mourut en 863. En même temps, Louis le Germanique, mécontent, se soulevait et était bientôt soumis; mais cette révolte eut pour résultat de faire rappeler Lothaire. L'héritage de Charlemagne fut alors partagé entre Lothaire et Charles (Diète de Worms, mai 839). « La guerre des trois frères. » Au début de l'action, Lothaire, grâce à sa fougue, paraît l'emporter. Mais une très vive contre-attaque du comte Guérin, venant à la rescousse de Louis, parvient à refouler Lothaire. Sur un autre point, Charles est malmené par Pépin, mais Nithard accourt et rétablit la situation. Finalement, Lothaire et Pépin sont défaits. La journée fut sanglante et fit grande impression, bien qu'aucun chiffre de pertes ne puisse être retenu avec quelque vraisemblance. Quoi qu'il en soit, les vainqueurs du 25 juin resserrèrent leur amitié par les fameux serments de Strasbourg du 14 février 842.
Dans le procès inextricable de la succession carolingienne, la bataille fut réputée un jugement de Dieu. Ainsi l'entendit notamment le clergé. L'idée unitaire apparut condamnée. La pression des évêques détermina les alliés à accepter ce principe. Lothaire, contraint à se modérer, suggère un partage à trois, abandonnant par conséquent Pépin. Mais il fallut procéder à de laborieuses enquêtes pour élaborer le partage, enfin arrêté à Verdun, vers le 10 août 843. Traité de Verdun. Ce que que l'on peut dire c'est ce traité, le premier des grands traités européens, qui a pesé sur l'histoire jusqu'à l'époque contemporaine, consacra le démembrement de l'Empire de Charlemagne, en reconnaissant l'indépendance absolue des souverains qui le conclurent. Il fut rédigé par des scribes ignorants, qui ne savaient presque rien des vastes territoires qu'ils distribuaient et qui ne pensaient qu'à accommoder entre eux trois frères ennemis. Si Louis le Débonnaire n'avait eu que deux fils, il est probable que les rédacteurs du traité auraient donné à l'un les pays à l'est, à l'autre les pays à l'ouest du Rhin. Le grand fleuve fût redevenu ainsi la barrière entre la Gaule et la Germaine comme au temps de Rome. La Germanie étant échue à Louis et la Gaule occidentale à Charles le Chauve qui s'intitulaient tous les deux rois des Francs, - roi des Francs orientaux et roi des Francs occidentaux. La Germanie du roi Louis, surnommé « le Germanique », a conservé son nom primitif dans plusieurs langues, anglo-saxonne, italienne, etc. Par la suite, les Germains l'ont appelée Deutschland (de la langue populaire qui s'y parlait), et les Français Allemagne (du nom d'un petit peuple d'outre-Rhin, les Alamans). C'est la Gaule occidentale qui deviendra la France; elle garda longtemps le regret du grand fleuve perdu, « fleuve romain, fleuve du monde, autant et plus que fleuve allemand », selon le mot de Michelet. Le pays intermédiaire et l'Italie furent octroyés à Lothaire qui garda le titre d'empereur avec les deux capitales, Aix-le-Chapelle et Rome. Ce long couloir; entre le Rhin à l'est, et l'Escaut, la Meuse, la Saône et le Rhône à l'ouest, s'appela d'abord Media Francia., la France du milieu, puis, du nom de Lothaire, Lotharingia. La Lorraine actuelle en garde le nom corrompu. Quant à l'Aquitaine, en vertu d'un traité signé avec Charles en 845, elle demeura à Pépin II qui revendiquait ce pays sur lequel son père avait régné vingt ans. Des révoltes successives des Aquitains en 848, 852, 855, firent passer alternativement le royaume d'Aquitaine à Pépin et à Charles le Chauve ou à l'un de ses fils Charles; enfin Pépin ayant été fait prisonnier en 865, et le jeune Charles étant mort en 866, l'Aquitaine échut à un autre fils de Charles le Chauve, Louis le Bègue, qui fut le dernier roi carolingien de ce royaume. L'empire démembré Dans la seconde moitié du IXe siècle, toute autorité souveraine s'affaiblit et disparut. Le royaume attribué à Lothaire Ier se brisa bientôt en plusieurs États. Les rois de France et de Germanie perdirent presque toute leur puissance. L'autorité impériale fut anéantie et la papauté fut entraînée dans sa chute. Dislocation des États de Lothaire. L'empereur Lothaire ler mourut le 28 septembre 855, laissant trois fils entre lesquels, peu de jours avant sa mort (22 septembre 855), il avait partagé ses États. • L'aîné, Louis II, avait été associé à l'empire dès 850 ; il hérita de la couronne impériale et du royaume d'Italie.En 869 Lothaire II mourut à son tour, ne laissant qu'un bâtard. Son héritier légitime était, semble-t-il, son frère aîné Louis II. Mais Charles le Chauve accourut et se fit sacrer roi de Lorraine. Louis le Germanique vint aussitôt lui disputer la Lotharingie. Ils se la partagèrent, par le traité de Mersen (870), qui leur donnait comme frontière la Meuse, la Moselle, la Saône, le Rhône. Charles le Chauve ne garda que quelques années une partie de la Lotharingie. Reconquise par les descendants de Louis le Germanique, elle fut, en 925, rattachée pour des siècles à l'Allemagne. L'Italie resta fidèle aux Carolingiens jusqu'à la fin du IXe siècle. Louis II y régna jusqu'en 875, sans grande autorité. Il partageait la péninsule avec le Pape, avec les ducs lombards de Spolète, de Capoue et de Bénévent et avec les Byzantins, de qui relevaient Naples, Gaète, Amalfi. Les Sarrasins leur enlevaient la Sicile et Tarente. Tout ce que Louis avait de forces était consacré à lutter contre eux. Il ne put empêcher la formation de grandes seigneuries féodales, les marquisats de Frioul, d'Ivrée, de Toscane. Les habitants des villes, plus nombreux et plus influents que partout ailleurs, se groupaient autour de leurs évêques qui obtenaient des rois de grands privilèges. Après Louis II, la couronne fut portée par des rois étrangers : Charles le Chauve, Charles le Gros, qui ne firent que de courts séjours en Italie. Elle fut ensuite saisie tantôt par un grand seigneur italien, tantôt par un autre. Les vaincus ne trouvèrent rien de mieux que d'appeler des étrangers, Arnulf de Germanie, Louis de Provence, Hugues d'Arles, Rodolphe de Bourgogne, et même les Magyars, en attendant Othon le Grand. La partie sud de la Francie moyenne, qui avait été la part du troisième fils de Lothaire, devint au Xe siècle le royaume d'Arles : il y eut d'abord en 879 un royaume des Bourguignons et des Provençaux, fondé par les prélats de ce pays en faveur de Boson, beau-frère de Charles le Chauve et gendre de Louis II, Il mourut en 887, et les grands ne lui donnèrent pas de successeur. En 890 ils élurent roi son fils Louis, mais il ne régna que sur la Provence. Car il s'était formé dans la région du Jura un puissant duché, dont le duc, Rodolphe, avait pris en 888 le titre de roi de Bourgogne. Il possédait Chalon, Besançon, Genève, Lausanne, l'Argovie et la vallée d'Aoste. Le roi de Provence alla chercher en Italie la couronne impériale et tomba entre les mains de Bérenger, qui lui fit crever les yeux. Enfin Hugues d'Arles, son successeur, vendit la Provence à Rodolphe II de Bourgogne, qui fut alors maître d'un vaste royaume s'étendant de Bâle à la Méditerranée, avec Arles pour capitale (933). Un siècle plus tard, ce royaume fut annexé à l'Allemagne. Ainsi la région inconsistante et factice attribuée à Lothaire en 843 s'était démembrée tout de suite. L'une après l'autre, ses trois parties : Lotharingie, Italie, royaume d'Arles, tombèrent aux mains des rois allemands qui étaient alors plus forts que ceux de la Gaule. Le royaume de France (843-887). Les Bretons s'étaient soumis à Louis le Débonnaire. Mais leur gouverneur, Noménoé, missus de l'Empereur, « prince des Bretons », profita de la guerre des Trois Frères pour se rendre indépendant. Il battit plusieurs fois Charles le Chauve, conquit Rennes, Nantes et s'avança jusqu'au Mans, jusqu'à Chartres. Les évêques de Bretagne voulant rester fidèles au roi des Francs qui les avait nommés, il les fit déposer après un simulacre de jugement et prit le titre de roi (848). Son fils Erispoé battit encore Charles, qui se résigna à reconnaître l'existence et l'indépendance du nouveau royaume, sous la seule condition de l'hommage féodal. Charles le Chauve. En Aquitaine Charles se heurta à deux ennemis : son neveu Pépin II, petit-fils du Débonnaire, sacrifié par son aïeul, abandonné par Lothaire pour lequel il avait combattu à Fontanet (Fontenoy-en-Puisaye), persistait à revendiquer l'héritage paternel. D'autre part, la Septimanie et la Marche d'Espagne obéissaient à Bernard, qui avait été le favori de Louis le Débonnaire et de Judith (on prétendait même qu'il était le père de Charles). Celui-ci le fit arrêter, juger par l'assemblée des grands, condamner et exécuter. Il n'acquit pourtant qu'une autorité bien vague en Septimanie, et le fils de Bernard resta indépendant à Barcelone. Charles ne fut pas plus heureux en Aquitaine. N'ayant pu s'emparer de Toulouse, il laissa à Pépin II une partie du pays. En 848 il fit couronner roi d'Aquitaine un de ses fils. Mais les mécontents se soulevèrent à plusieurs reprises, soit en faveur de Pépin, soit en faveur de Louis le Germanique. Louis le Germanique était toujours prêt à répondre aux avances des ennemis de Charles Bretons, Aquitains, grands « infidèles ». En 858 il fut appelé de façon pressante, et Charles abandonné de tous. Le Germanique triompha sans lutte et se crut roi de la France de l'Ouest. Mais les évêques se déclarèrent contre lui : « C'est chose grave, dirent-ils, d'évincer un roi qui a été sacré avec le consentement du peuple. »Charles retrouva une armée. Louis, qui avait renvoyé une partie de ses forces, dut se retirer. Il reparut en 876 sans plus de succès. Les fils de Charles le Chauve lui donnèrent aussi, selon l'usage, de graves soucis. Il avait eu huit fils; quatre étaient morts en bas âge. Charles, auquel il avait donné l'Aquitaine enlevée à son neveu Pépin II, était mort le 29 septembre 865; Lothaire, abbé de Moutier-Saint-Jean, était mort en 866; Carloman, d'abord abbé de Saint-Médard, prêtre malgré lui, accusé en 870 d'avoir conspiré contre son père, avait été condamné à mort, relégué à Corbie les yeux crevés, et enfin, recueilli par son oncle Louis le Germanique, était mort en 874, abbé d'Epternach. Ces luttes intestines, le mauvais vouloir des grands, les attaques de plus en plus audacieuses des Vikings paralysaient le roi de France. En parcourant le recueil de ses capitulaires, on le voit se débattre contre la féodalité envahissante et lutter désespérément pour conserver la chétive autorité qui lui reste. On y voit surtout l'aveu répété de sa faiblesse. Par le capitulaire de Mersen (847), il reconnaît qu'il ne peut plus protéger ses sujets, car il autorise tout homme libre à se choisir un protecteur, un seigneur. L'édit de Servais (853) avoue qu'un grand nombre de brigands désolent les provinces, car il ordonne aux missi d'en dresser la liste et aux guerriers de qu'ils ne sont pas les complices des bandits. Un capitulaire de 857 demande aux évêques de faire connaître à tous les textes sacrés et les lois de Charlemagne qui condamnent le brigandage, pour bien faire comprendre aux coupables l'énormité de leur crime. Il contient cet inquiétant article : « Si un comte a commis un acte de brigandage, qu'il sache bien que nous le châtierons!-»Le capitulaire de Pistes (864) ordonne aux seigneurs de démolir les châteaux-forts qu'ils ont élevés sur leurs terres, « attendu que les voisins sont victimes de beaucoup de déprédations » (Bien entendu l'édit ne fut pas exécuté). Enfin le capitulaire de Quierzy-sur-Oise (877) admet dans certains cas l'hérédité des fonctions de comtes. Louis le Bègue. Le Bègue régna moins de deux ans et mourut le 10 avril 879, laissant, d'un premier mariage, deux fils, Louis III et Carloman, à la légitimité contestée, mais qui purent régner après lui grâce au soutien de Hugues l'abbé et aux concessions qu'ils accordèrent aux grands. En vertu d'un partage qu'ils effectuèrent en mars 880, le premier régna sur la France proprement dite et mourut prématurément, le 5 août 882. La Bourgogne, l'Aquitaine et la Septimanie formèrent le lot de Carloman, qui mourut d'un accident de chasse, deux ans après avoir recueilli la succession de son frère (6 décembre 884). La seconde épouse de Louis le Bègue était, à sa mort, enceinte d'un fils qui fut nommé Charles (le futur Charles III, dit le Simple) et était, par conséquent, âgé de cinq ans à la mort de son frère, mais les circonstances critiques que traversait alors la France, en proie aux ravages des Vikings, et les intrigues à Charles le Gros, firent exclure ce jeune enfant de la couronne (les grands, réunis sous la présidence de Hugues l'Abbé, offrirent la couronne au roi de Germanie (885)). Charles le Gros, qui avait recueilli, en 876, parmi les États de son père la Souabe et l'Alsace (Alamanie), avait déjà accru son lot, d'abord en Lotharingie (877), puis en Italie, où, en 879, il s'était fait couronner roi d'Italie à Ravenne par le pape Jean VIII; il sollicita dès lors la couronne impériale et l'obtint le 25 décembre 880. La mort de ses frères lui avait fait réunir tous les États de son père, Louis le Germanique. Le royaume de Germanie (843-911). Elle ne put échapper cependant aux querelles de famille ni aux révoltes des grands. Louis avait trois fils : Carloman, Louis et Charles le Gros. Il partagea entre eux ses États (863). Les deux cadets ne furent pas satisfaits du partage et se révoltèrent ou conspirèrent. Il pardonna. Après sa mort (le 28 août 876) les querelles continuèrent entre les trois frères. • L'aîné, Carloman, régna sur la Bavière, la Pannonie, la Carinthie, la Bohème et la Moravie; il mourut le 22 mars 880 laissant de sa concubine, Liutswinde, un fils nommé Arnoul, auquel il laissa la Carinthie et qui parvint plus tard à l'empire.Charles le Gros. Comme Carloman et Louis le Jeune moururent bientôt , Charles le Gros se trouva seul roi de Germanie (882). Il était déjà roi d'Italie et Empereur. En 884, la défaillance, dans la ligne française des Carolingiens, d'héritier en état de porter les armes, le fit appeler par les seigneurs français au trône de Charles le Chauve. Il fut reconnu comme roi de France à l'assemblée de Ponthion en juin 885, réunissant ainsi entre ses mains l'empire presque entier de Charlemagne. Il songea, à son tour, à réunir sous son sceptre les membres épars du grand empire. « Magnifique dérision ! » s'écrie Michelet. Le pauvre homme ne pouvait soutenir son écrasante fortune. Les prêtres louaient ce « prince très chrétien, craignant Dieu, obéissant très dévotement aux ordres de l'Église, large dans ses aumônes, pratiquant sans relâche la prière et les mélodies des psaumes ». Mais il était dépourvu de courage, déloyal et cruel, et ne songeait qu'à assurer la transmission de ses États à son fils naturel nommé Bernard. Il fit la guerre sans résultats en Italie, en Lorraine, en Moravie, en Frise, enfin contre les Vikings. Appelé au secours de Paris, « il ne fit rien de digne de la majesté royale ». Il finit par irriter les grands de tous ses royaumes à force d'inertie. Son neveu, Arnulf, bâtard de Carloman, se souleva contre lui. Les grands le déposèrent à la diète de Tribur (novembre 887); il se retira à Neidingen sur le Danube, où il mourut deux mois après, le 13 janvier 888. il mourut deux mois après. Ce fut alors que la monarchie carolingienne se démembra définitivement et que se formèrent les royaumes de Lorraine, de Bourgogne, de Provence dans la Francie moyenne. L'Allemagne continua à former un royaume. Mais la couronne y était devenue élective. Elle fut donnée d'abord à deux Carolingiens, Arnulf et son fils Louis l'Enfant (899-911), puis à d'autres familles. L'autorité royale s'affaiblit. L'Allemagne se divisa en duchés presque indépendants. Les invasions magyares la dévastèrent. Dans toutes les parties du monde franc régnait l'anarchie. Les derniers carolingiensDécadence de la dignité impériale.Que devenait pendant ce temps la dignité impériale? Lothaire fut le dernier Carolingien qui ait été réellement considéré comme un empereur. Associé par le Débonnaire à la puissance impériale, il avait obligé les Romains à reconnaître son droit de confirmer l'élection du Pape et à prêter serment de le respecter. Mais Louis II, chargé par son père de gouverner l'Italie, laissa Serge II monter sur le trône pontifical sans la confirmation impériale, ainsi que Léon IV. Il n'exigea pas le rétablissement des archevêques de Reims et de Narbonne, déposés à cause de leur dévouement Lothaire. Devenu empereur à la mort de son père (855), Louis II ne pouvait soutenir la majesté de ce titre qu'avec ses faibles ressources de roi d'Italie et de protégé du Pape. Il ne put empêcher ses oncles de lui enlever la Lotharingie (870). A sa mort (2 août 875), le pape Jean VIII, qui avait besoin d'un protecteur contre les Sarrasins offrit la couronne impériale à Charles le Chauve. Bien accueilli par les Italiens, acclamé par le clergé et la noblesse romaine, le roi de France reçut « l'onction et la couronne impériale » à Saint-Pierre, le 25 décembre 875, jour anniversaire du couronnement de Charlemagne. Cet apparent triomphe était en réalité une déchéance : il y avait un abîme entre la cérémonie de l'an 800 et celle de 875. Charlemagne avait une puissance vraiment impériale, le Pape lui devait tout, tandis que Charles le Chauve, prince faible et toujours menacé, était l'obligé, la créature du Pape, qui disposait souverainement de la couronne impériale. Charles étala avec une puérile vanité les insignes de sa dignité suprême; il ne porta plus que les titres d'Empereur et d'Auguste et arbora dans les cérémonies le même costume que le Basileus byzantin. En fait, son élévation à l'Empire fut pour lui une nouvelle cause de faiblesse et de soucis. Son fils, Louis le Bègue, eut la sagesse de ne pas désirer le titre d'empereur. Ce fut Charles le Gros, roi de Germanie, qui se fit couronner à Rome en 881. On a vu quel piètre empereur ce fut. Arnulf de Germanie alla, lui aussi, chercher à Rome la couronne impériale (896), mais elle fut surtout revendiquée par de petits princes italiens ou provençaux : Guy de Spolète (891), Lambert de Spolète, son fils (898), Louis de Provence (900), Bérenger de Frioul (915). La dignité impériale n'était plus qu'un mot, une ombre, un souvenir. Carolingiens et Robertiens. La lutte des deux familles dura un siècle. Ce qui la fit traîner en longueur, ce fut la politique capricieuse des rois de Germanie. Tantôt ils appuyaient les Robertiens, tantôt ils se montraient favorables aux Carolingiens. Ils devinrent si puissants au Xe siècle que leur intervention suffisait à perdre l'ancienne dynastie ou à prolonger son existence. Finalement le Robertien Hugues Capet fut élu roi en 987, et ses descendants, appelés desormais les Capétiens, gardèrent la couronne. Quand les grands et les évêques français se réunirent pour choisir le successeur de Charles le Gros, ils écartèrent une seconde fois le fils posthume de Louis de Bègue, Charles le Simple, qui avait neuf ans à peine, et ils élurent le plus puissant et le plus vaillant d'entre eux, Eudes, fils de Robert le Fort, comte de Paris et de Tours, duc des pays entre Loire et Seine, le héros qui avait si vaillamment détendu Paris contre les Vikings en 886. Il fut choisi, dit le chroniqueur Réginon, « avec l'assentiment d'Arnulf ». Le roi de Germanie était un bâtard, mais c'était un Carolingien, et le roi parvenu alla lui demander à Worms de confirmer pour ainsi dire son élection. Il y attachait tant de prix qu'il n'hésita pas à se déclarer vassal du roi allemand.
La Bourgogne reconnut pour roi Rodolphe, fils du duc de la Bourgogne transjurane; en Provence enfin, Louis l'Aveugle, fils de Boson, fut proclamé roi en janvier 890. Les Germains seuls restèrent fidèles à la famille de Charlemagne; ils offrirent la couronne à un bâtard du roi de Bavière, Carloman, au duc de Carinthie, Arnoul. Celui-ci, appelé en Italie par le pape Formose, pour le défendre contre Lambert de Spolète, occupa Rome et se fit couronner empereur (25 août 896). Il mourut le 8 décembre 899, laissant un fils légitime, Louis IV l'Enfant, qui lui succéda comme roi de Germanie, et deux fils naturels, Zwentibold et Rathold. Il avait, de son vivant (895), reconstitué le royaume de Lothaire en faveur de Zwentibold. Celui-ci, après la mort de son père, repoussé par ses sujets, entra en lutte avec son frère Louis IV et périt dans une bataille (13 août 900). Louis IV fut le dernier roi carolingien de Germanie; lorsqu'il mourut sans postérité le 20 août 911, les seigneurs de la France orientale offrirent la couronne à Otton de Saxe, descendant de Charlemagne par les femmes et, sur son refus, à Conrad de Franconie, duc de Worms, petit-fils, par sa mère Glismonde, de l'empereur Arnoul. Les Lorrains, au contraire, se donnèrent au seul prince carolingien qui régnait alors, au roi de France, Charles le Simple. Ce fils posthume de Louis le Bègue, écarté successivement du trône au profit de Charles le Gros et du comte Eudes, avait été reconnu roi par quelques seigneurs en 893 et avait vaillamment lutté depuis lors contre l'usurpateur. Il l'avait forcé, en 896, à un partage du royaume et, à sa mort survenue le 1er janvier 898, il avait été reconnu seul roi de tout le royaume. Il accrut encore ses États par l'acquisition de la Lorraine à la mort de Louis l'Enfant en 912; mais de cette époque commencèrent pour lui les difficultés. Il perdit, en 922, la couronne de France que les seigneurs donnèrent au frère du roi Eudes, Robert, et, après la mort de celui-ci, tué à la bataille de Soissons, le 15 juin 923, au duc de Bourgogne, Raoul (13 juillet 923). Retiré en Lotharingie, Charles le Simple, qui continuait à lutter pour conserver son royaume de Lorraine, fut attiré dans un guet-apens, fait prisonnier par Herbert de Vermandois et enfermé à Péronne, où il mourut le 7 octobre 929. La Lorraine fut alors réunie à l'Allemagne sous le sceptre des souverains de la maison de Saxe. Charles le Simple laissait un fils âgé de neuf ans que sa mère, une princesse anglaise, avait emmené en Angleterre après que son mari eut été détrôné. La famille carolingienne, qui n'est plus représentée que par ce jeune enfant, disparaît alors complètement de la scène politique. Les compétitions et les conflits qui suivirent en France la mort du roi Raoul (15 janvier 936) l'y ramenèrent pour quelque temps. Le plus puissant des seigneurs du royaume, Hugues le Grand, fit revenir Louis IV d'Outremer qui fut couronné à Laon le 19 juin 936, à l'âge de seize ans, et régna jusqu'à sa mort (10 septembre 954) sans cesse en lutte contre ses vassaux. Louis IV d'Outremer. Les derniers Carolingiens n'ont rien de commun avec les rois fainéants de la décadence mérovingienne. Ils ont lutté, au contraire, désespérément pour sauver l'autorité royale. Louis IV, notamment, avait l'allure et les qualités d'un grand prince. C'est le « Loeys filx Carlon au vis fier » du poème intitulé Couronnement de Loïs. La poésie célèbre en lui « l'empereur de France » et le « roi de Monloon », par allusion à Laon, qui fut la forteresse ultime des derniers souverains de la dynastie de Charlemagne. Henri Martin a jadis porté sur Louis IV un jugement que les travaux ultérieurs n'ont fait que confirmer : « Par lui eût été relevée la maison de Charlemagne, si elle eût pu l'être. »Elle ne pouvait être relevée parce que les agents de dissolution politique et sociale avaient trop avancé leur oeuvre. La lutte permanente contre les ducs est pour le Carolingien, même victorieux, une cause d'affaiblissement; car il ne peut résister aux assauts qu'au prix de sacrifices ruineux pour son autorité. Au demeurant, aucune épreuve ne fut épargnée à Louis. Son règne avait commencé par la pire des invasions du Xe siècle, l'invasion magyare de 937, qui désola la Champagne et la Bourgogne. A la fin du règne, une autre invasion magyare s'abat sur l'Aquitaine. Les pays méditerranéens subissent, à la même époque, les attaques incessantes des pirates sarrasins. Lothaire. D'ici là, le roi Lothaire doit, lui aussi, se défendre contre les ducs de France; mais il ne perd pas de vue la politique traditionnelle de ses prédécesseurs vers l'est. S'il s'appuie sur l'alliance allemande sous Otton le Grand, il reprend, sous les successeurs de ce prince, les aspirations lorraines de Charles le Simple. Avec des moyens des plus réduits, il parvient jusqu'à Aix-la-Chapelle. Mais, délogé par Otton II et poursuivi, il doit traiter à Margut-sur-Chiers. Cet échec ne le décourage pas. A la mort d'Otton II, il reprend son élan et va assiéger Verdun dans une campagne vivement menée, celle de 984. C'est pour enrayer cette activité menaçante que la maison de Germanie médite l'intrigue rémoise, qui portera un peu plus tard le coup fatal à la dynastie carolingienne. Adalbéron, archevêque de Reims, se prête à la combinaison ottonienne. L'église de Reims, jusque-là citadelle du loyalisme, devient le foyer d'un complot antidynastique. L'idée a déjà germé de mettre sur le trône le Robertien Hugues Capet. Mais Lothaire a surpris la conspiration. Faisant face avec énergie, il a même cité Adalbéron à Compiègne devant une vaste assemblée que Capet a dispersée par la force, avouant, par le geste même, la trahison. Il est malaisé de dire ce qui fût advenu de ce défi si Lothaire n'avait disparu prématurément, à quarante-quatre ans, le 2 mars 986. Ce qui montre que le parti adverse se sentait encore mal assuré, c'est que Louis V, dont on a déjà fit qu'il avait été déjà associé au pouvoir depuis 979, succéda sans opposition. Louis V. La victoire des Robertiens. La civilisation carolingienneLe régime politique.Charlemagne n'a pas inauguré une nouvelle façon de gouverner; il s'est contenté d'améliorer le régime hérité des Mérovingiens. Son grand mérite d'administrateur a été de faire descendre les principes dans l'application, de tenir la main à une exécution loyale des lois et décrets (leges, capilularia). (Le droit franc). L'État franc était fondé sur la fidélité. Ce mot exprime le rapport établi du sujet au prince. La fidélité se prêtait par un serment obligatoire et le devoir de fidélité équivalait à ce que nous appellerions l'ensemble des devoirs civiques : service militaire, paiement de l'impôt, obéissance au ban. L'armée. Les finances. Les impôts indirects consistaient surtout en droits d'entrée et de circulation (tonlieux). Ces charges étaient légères, et c'était le domaine qui alimentait surtout le budget. La justice. L'administration centrale. La justice comtale est le mall, dont l'organisation est empruntée au vieux droit germanique. Le rôle exact des échevins qui assistent le comte ou son délégué au tribunal est assez mal éclairci. Au-dessous de lui, le comte a des subordonnés, vicomtes et viguiers, qu'il désigne. Au-dessus du comte, la hiérarchie place le duc ou marquis, termes synonymes désignant un comte pourvu, outre ses fonctions comtales, d'un commandement suprême militaire sur un groupe de comtés (duché ou marche). Ce régime n'est guère appliqué qu'aux frontières. Il reste, pour donner une esquisse suffisante du régime carolingien, a définir les organes de, transmission : d'une part, les plaids: d'autre part, les missi. • Les plaids sont des assemblées annuelles, mais ou l'on ne veut voir un corps constitutionnel ou parlementaire : seuls, les grands y jouent un rôle actif, et ce rôle n'est que consultatif. C'est au plaid que le souverain prend les graves décisions, après avis de ses conseillers personnels; c'est au plaid que les textes législatifs sont promulgués. Le plaid revêt aussi le caractère d'une haute cour de justice : on y juge les cas de haute trahison, tel le cas de Tassillon ou celui de Bernard de Septimanie.L'état social. L'époque carolingienne a hérité de l'état social de l'époque précédente, dont le trait caractéristique est la prédominance de la fortune immobilière. La grande propriété couvre la majeure partir du sol. Parmi les domaines appartenant à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, par exemple, les plus petit, ne sont guère inférieurs à six cents hectares, la moyenne est de mille, quelques-uns dépassent quatre mille. Le grand domaine comprend : d'une part, le manse dominical, que le propriétaire se réserve et fait cultiver sous la direction de l'intendant; d'autre part, les tenures, que cultivent des tenanciers liés par un contrat de concession à charge de redevances et de corvées. Le manse dominical comprend des pacages, où les tenanciers sont admis à mener paître leurs troupeaux, et des forêts, où ils sont autorisés à faire du bois pour la construction et le chauffage. Chaque tenancier a construit sa cabane sur son manse. Il faut donc se représenter le grand domaine ou villa comme une série d'habitations semées dans la campagne, tandis que le transe dominical dresse le manoir du seigneur avec une chapelle et des communs. C'est ce manoir qui commence à prendre figure de château à la fin de la période, lorsque les invasions, surtout celles des Vikings, ont partout créé la nécessité d'une défense locale. Alors les habitations paysannes viendront s'agglomérer autour du château, et ce sera l'origine du village. Dans cette société, où, de toute évidence, le grand propriétaire est le privilégié, tout va à fortifier sa puissance. Il a non seulement la fortune, mais l'autorité. Il est patron et seigneur, il prélude à son rôle prochain de féodal. A vrai dire, le régime social de la villa s'oppose à la tendance unitaire et centralisatrice qui a donné son sens politique à l'effort carolingien. Le IXe siècle représente justement le conflit entre la centralisation politique et la décentralisation sociale. Or, celle-ci l'emporte. Son triomphe décide, au Xe siècle, de la dissolution politique. Une grande extension du monachisme marque, d'autre part, l'époque carolingienne. Saint Benoît d'Aniane, au VIIIe siècle, a achevé de donner à l'ordre bénédictin ses traits distinctifs. Largement dotées, les abbayes bénédictines s'enrichissent, se multiplient. Elles sont à la fois centres agricoles et centres intellectuels. La fondation de Cluny, en 909, par le comte Guillaume le Pieux et l'abbé Bernon, prépare, pour l'époque capétienne, le développement du plus grand des ordres religieux du Moyen âge, l'ordre clunisien. Partout, des maisons nouvelles surgissent. La formation des chapitres cathédraux auprès des évêques donne parallèlement aux diocèses leur physionomie définitive, tandis que les cathédrales, comme les abbayes, deviennent de grands propriétaires. Évêques et abbés voisinent avec les grands laïques; ils dominent ensemble aux plaids. Évêques et abbés sont les auxiliaires des rois, les chefs d'une noblesse en formation dont la montée met déjà en péril l'autorité royale qu'elle est censée servir. Ce sont, en effet, ces privilégiés laïques ou ecclésiastiques qui attirent à eux les vassalités. Or, la vassalité n'est que la forme nouvelle de ce dévouement personnel, qu'on pratiquait à l'époque mérovingienne sous le nom de truste. Un homme qui devient, par serment, le vassal d'un autre homme, doit à celui-ci, son seigneur, des devoirs étroits. Sans insister sur le contenu de ces devoirs, que nous retrouverons, il faut retenir que la subordination généralisée de l'homme à l'homme tend à donner à la société, dès le VIIIe et le IXe siècle, cet aspect stratifié où l'on peut apercevoir l'ébauche de la future féodalité. La renaissance carolingienne. La réforme scolaire de Charlemagne procède de la pensée pieuse de relever le niveau du clergé pour mieux assurer le salut des âmes. Pour réaliser son plan, il attire à lui les représentants de l'Angleterre et de la Lombardie, pays d'une culture supérieure. Alcuin, Paul Diacre, personnifient ces deux cultures; d'autres étrangers leur font cortège : Ethelwvulfe, Pierre de Pise, Paulin d'Aquilée, Witton, Fridugise, Sigulfe. Le premier des Francs qui se montre leur émule, Eginhard, ami et biographe de Charlemagne, collabore à l'oeuvre; une aristocratie lettrée se forme avec les Théodulfe, les Angilbert, les Adalard, et rayonne du Palais si puissamment que l'instruction devient à la mode et qu'un humanisme que l'on a voulu comparer à celui qui devait donner le branle à la Renaissance du XVIe siècle commence à se dessiner : il est convenu de parler d'une renaissance carolingienne. Deux écoles modèles furent créées dès le dernier quart du VIIIe siècle : l'école palatine d'Aix-la-Chapelle, l'école monastique de Saint-Martin-de-Tours. Toutes deux furent dirigées par Alcuin, le pédagogue par excellence. En 796, il se fixe à Tours, tandis qu'Eginhard prend en main l'école d'Aix-la-Chapelle. C'est par ce dernier séminaire que passe l'élite de ceux qui, après 800, remplissent les hauts emplois. On connaît l'anecdote contée par le « Moine de Saint-Gall », douteuse quant au détail, exacte quant au fond : la visite faite par Charlemagne dans la classe et ses promesses encourageantes aux bons élèves, à qui il réserve les églises et les comtés. Sur le modèle de Tours se formèrent les écoles des cathédrales et des monastères, dont voici les plus brillantes, avec les noms de leurs inspirateurs : Saint-Riquier (Angilbert), Corbie(Adalard), Saint-Wandrille (Gérold), Aniane (saint Benoît), Orléans et Fleury-sur-Loire (Théodulfe), Saint-Germain (Anségise); celles de Fulda, de Reims et de Troyes se développent surtout au milieu du IXe siècle. Alcuin a donné à ces écoles leurs programmes et leurs manuels; les sept arts libéraux (grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, géométrie, musique, astrologie) en sont la base. Le chant sacré, qui préoccupe fort Charlemagne, est surtout cultivé dans quelques centres, tel le conservatoire de musique sacrée établi à Lyon par l'archevêque Leidrade. Enfin, une académie palatine réunissait les beaux esprits du temps. Alcuin en était le président. Charlemagne lui-même, quand il le pouvait, assistait aux séances et devinait, nous dit-on, avec aisance, les énigmes en vers qu'on y proposait, suivant le goût anglo-saxon. Comme les académiciens s'étaient choisis des pseudonymes, Charles s'y faisait appeler David. Le roi David représentant, sans doute, Charlemagne, le David de l'Académie Palatine. Il est entouré de guerriers et de musiciens. Miniature de la Bible de Saint-Paul-Hors-les-Murs, à Rome (fin du IXe siècle).. La renaissance carolingienne procède essentiellement d'une imitation de l'Antiquité latine. Eginhard calque sa Vie de Charlemagne sur les Vies de Suétone. Même les plus fougueux polémistes politiques, comme Paschase Radbert, pétrissent leurs oeuvres de réminiscences bibliques ou classiques. Les poètes composent des hymnes sacrés ou des pièces fugitives; le goût des petits genres, énigmes et acrostiches, inspire des vers d'une forme raffinée, voire précieuse. Angilbert, abbé de Saint-Riquier; Théodulfe, évêque d'Orléans; Walafrid Strabon, abbé de Reichenau, comptent parmi les disciples les plus représentatifs de cette école poétique. Naturellement, les discussions théologiques tiennent aussi une large place dans la littérature carolingienne. Raban Maur, Gottschalk écrivent sur la prédestination, combattue officiellement sous Charles le Chauve, et qui soulève des débats passionnés. Hincmar en fut le bouillant adversaire. Il seconda, d'autre part, ardemment, l'action résolue du pape Nicolas Ier, champion de la discipline ecclésiastique, de l'indissolubilité du mariage chrétien et de son caractère consensuel. Mais l'ingérence des pouvoirs laïques dans l'Église s'exerçait malgré les résistances; les élections étaient souvent viciées et la collation des abbayes à des « abbés laïques » tendait à séculariser la vie religieuse : les couvents n'en furent pas moins, encore au Xe siècle, les précieux refuges de la pensée, comme ils étaient les propagateurs obstinés de la culture. Lorsque pâlit l'éclat de la renaissance carolingienne en même temps que se désagrégeait l'État, ce fut dans les couvents que se conservèrent les germes destinés à refleurir au XIIe et au XIIIe siècle. L'art carolingien. Cependant, cette transplantation du modèle architectonique byzantin tendait à dévier l'évolution de l'architecture occidentale, régie jusqu'alors par le parti basilical. Bien vite cependant l'inexpérience des Occidentaux abâtardit le modèle importé. Il suffit de comparer les trois plans de Ravenne, Aix-la Chapelle et Germiny pour constater le retour involontaire à la donnée basilicale. Mais, si la basilique resta le type de l'édifice chrétien d'Occident, l'idée du voûtement, empruntée à la coupole orientale, ne cessa de hanter les Latins; cette idée, s'adaptant à la basilique à travers les tâtonnements innombrables du Xe siècle, prépare l'avènement de la formule romane. Plus féconde que l'édification d'une rotonde sur le Rhin devait être l'influence de l'habillage plastique emprunté à Ravenne par Charlemagne. Avant lui, certes, l'influence orientale s'était fait sentir en Occident; mais, avec lui, voici qu'elle acquiert tout à coup une exceptionnelle intensité. La mosaïque triomphe à Aix-la-Chapelle; elle règne dans l'art carolingien aussi impérialement qu'à Byzance, tandis que la sculpture, passée de mode et tombée en décadence, devra se refaire péniblement une technique à l'époque romane. Même alors persistera ce hiératisme byzantin vu à travers les mosaïques et aussi à travers les miniatures, les étoffes, les ivoires largement importés : car les arts mineurs de l'âge carolingien sont sous la dépendance étroite du goût oriental. Cependant, si dominatrice qu'ait été cette influence byzantine, il faut aussi faire sa place à l'influence anglaise. La miniature anglo-saxonne, sèche, mais profondément pieuse, vient corriger la luxueuse, mais profane enluminure grecque. Les deux inspirations se fondent : le souci de l'édification, hérité d'outre-Manche, sera transmis à l'art roman par les ateliers les plus imbus de la technique orientale. L'usage de la couverture de bois a voué la plupart des constructions de cette époque à la destruction par le feu; les pirates vikings ont jalonné leurs invasions par des incendies d'églises. Au surplus, une fois en possession d'une formule de voûtement, les générations suivantes ont jeté à bas les vieilles constructions pour les rebâtir. Les architectes carolingiens n'en ont pas moins leur place dans l'histoire générale de l'art chrétien, car ils ont complété, au fur et à mesure des besoins, la donnée architectonique. Ils l'ont enrichie de ses absidioles, de son transept, de son choeur, de son cloître. Le grand développement du culte des saints entraîne la multiplication des autels et des chapelles, l'extension des cryptes. En même temps, l'intensité de la vie monastique détermine la construction de grands établissements religieux, et le type de l'abbaye du Moyen âge se façonne. Ainsi, à tous égards, l'Occident s'achemine vers cet art roman qui n'exclura pas les éléments d'emprunt, mais qui devra à son principe propre et aux innovations locales sa puissante originalité. (GE/ M. Petit). |
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