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Le
terme de réalisme s'applique, dans les arts, à la
doctrine,
au système, à l'école d'art qui prétend se
fonder uniquement sur l'expérience
et sur l'observation de la nature,
au lieu de partir de l'absolu, n'est pas d'une
clarté parfaite. En France ,
un courant réaliste a persisté dans la peinture
au XVIe et au XVIIe
siècle (les Clouet, les portraitistes
des Valois, les Le Nain, Philippe de Champaigne,
Largillière,
etc.). Au XVIIIe siècle, une réaction
sensible se dénote contre les traditions italo-académiques
en faveur de l'étude directe de la nature, avec un retour du goût
typique vers les Flamands (Watteau,
Chardin,
Greuze,
etc.). La statuaire, de son côté, se naturalise avec Pigalle
et Houdon. Aux approches
de la Révolution, un nouveau
formalisme s'impose au nom de l'antique. David, qui est à la tête
de ce mouvement, reste, cependant, un admirable réaliste dans ses
portraits.
François Rude ramène la
sculpture aux formes vraies.
Mais le terme de
réalisme, auquel on a d'ailleurs souvent, non sans raison, le terme
de naturalisme, s'est imposé pour désigner un mouvement,
aussi bien littéraire qu'artistique, qui est particulier à
la seconde moitié du XIXe siècle,
surtout après qu'Emile Zola ait puissamment
contribué à l'accréditer.
Il semble que la
philosophie
positive ait été la grande inspiratrice de l'art qui
s'est développé depuis 1851 jusqu'à ce jour et qui
reçut, tout d'abord, en peinture ,
le nom de « réalisme ». Courbet
fut un des premiers peintres français auxquels on appliqua le titre
de réaliste. Il est vrai qu'il fit, dans une sorte de manifeste
publié en 1855, d'expresses réserves au sujet du mot, mais
il dut se résigner à accepter cette enseigne, à la
condition que par réalisme on entendit l'interprétation des
moeurs, des idées et des types de la société actuelle
et vivante, et non, comme une grande partie du public et de la critique
le comprirent longtemps, le choix dans la réalité des aspects
les plus vulgaires, voire les plus répugnants et les plus ignobles,
pour les représenter de préférence aux autres. Pour
les réalistes positivistes de France ,
l'imagination pure n'a plus d'office, et son ère est close en présence
de
«
l'évolution qui emporte le siècle et pousse peu à
peu toutes les manifestations de l'intelligence humaine dans une même
voie scientifique » (Emile Zola).
Déjà Proudhon
avait tenu un langage analogue, et Taine avait
défendu cette doctrine avec une âpre résolution : cette
doctrine, c'est donc, en définitive, le positivisme
passant du domaine de la philosophie
proprement dite dans celui de l'art et de la poésie.
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Les
Paysans de Flagey, par Gustave Courbet.
Le réalisme
concluant à la reproduction exacte, complète, sincère
du milieu social, de l'époque où l'on vit, il lui fallut
soutenir contre l'idéalisme la campagne
déjà entreprise à la fin du XVIIIe
siècle. L'art idéaliste du siècle de
Louis XIV n'ignore pas la nature; mais il la traite en chose qui, au
prix de l'être moral, n'a qu'un intérêt infime; quand
il consent à s'occuper plus particulièrement d'elle, c'est
pour la transformer à son goût, et la refaire à son
image et ressemblance.
A la fin du XVIIIe
siècle, la nature plus aimée, moins tyrannisée, est
déjà une confidente « sensible », mais une confidente
de théâtre, déférente, passive, recevant les
aveux de l'homme, sans trop agir sur ses résolutions. Il appartenait
au siècle suivant de réagir, peut-être avec excès,
contre l'abus de l'idéal. C'est dans cette vue que le peintre Courbet,
salué par la jeune école d'alors comme le maître réaliste
par excellence, exposa au Salon de 1851 les Paysans de Flagey :
des gens reviennent de la foire, l'un en culotte et en habit long, portant
le tricorne et le parapluie du campagnard d'autrefois, la pipe à
la bouche, poussant devant lui le cochon qu'il engraissera. D'autres suivent
en blouse, se présentant ait hasard de la marche, vieux, jeunes,
juchés sur les chevaux achetés, ou bien à pied. Proudhon
les caractérisa ainsi, dans un élan d'enthousiasme :
«
Voilà la France rustique, avec son humeur indécise et son
esprit positif, sa langue simple, ses passions douces, son style sans emphase,
sa pensée plus près de terre que des nues, ses moeurs également
éloignées de la démocratie et de la démagogie,
sa préférence décidée pour les façons
communes, éloignée de toute exaltation idéaliste,
heureuse quand elle petit conserver sa médiocrité honnête
sous une autorité tempérée-».
Les Casseurs de pierres,
du même artiste, procédaient de la même inspiration
: Courbet montrait
l'homme réduit par le métier à l'état de machine
: vieux, il s'agenouille, raidi et ployé en trois sur les moellons
qu'il broie laborieusement; jeune, il n'a déjà plus de jeunesse;
plus lamentable encore à voir que son compagnon, parce qu'il semble
finir son existence l'ayant à peine commencée. C'est d'une
observation intense, d'une vérité cruelle, et d'une saisissante
éloquence.
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Les
Glaneuses, par Jean-François Millet.
On a parfois rapproché
des paysans de Courbet
ceux de Millet, dont les Glaneuses, le
Semeur, le Greffeur, le Vieux Bûcheron, l'Homme la la houe surtout
évoquent parfois le souvenir des lignes célèbres de
La
Bruyère. Etre ce qu'ils sont dans la vie, réelle, rien
de plus, tel est le rôle que le peintre leur assigne expressément.
«
Je voudrais, a-t-il dit, que les êtres que je représente aient
l'air voués à leur position et qu'il soit impossible d'imaginer
qu'il leur puisse venir à l'idée d'être autre chose
que ce qu'ils sont. »
Ce que l'on ne saurait
nier, c'est que toujours, jusque là l'art s'était régénéré
par la contemplation et l'étude sincère de la nature. C'est
en regardant autour d'eux que Giotto et ses disciples
avaient sauvé la peinture
de leur temps. Au XVe siècle, dans
les écoles du Nord, une révolution analogue s'était
opérée; et les plus grands maîtres des écoles
italiennes ne furent-ils pas eux-mêmes, en quelque manière,
des réalistes ou mieux des naturalistes, c.-à-d. des artistes
épris de la nature et avides de l'observer et de l'imiter sincèrement?
Plus violents dans leur passion de réalité, les Caravage,
les Murillo, les Velazquez
n'avaient-ils pas reculé devant la peinture des misères physiques
et morales. Ainsi compris, on le voit, le « réalisme »
ne serait pas né au XIXe siècle,
puisque les meilleurs artistes de tous les temps ont tenu à honneur
de faire paraître au premier rang de leurs mérites le sentiment
de la nature et le culte du vrai. (A19). |
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