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La musique
est un des arts les plus anciens, parce que son moyen d'expression, le
son, a été donné à tous les humains, et que
tout sentiment vif cherche à se manifester par des sons. Tous les
essais que les Hébreux, les Chinois,
les Indiens et autres peuples anciens ont
pu faire n'ont rien de commun avec l'art actuel. Chez les Grecs
la musique fut en quelque sorte partie intégrante de la religion
par les hymnes de toute sorte consacrées
à tous les dieux et à toutes les fêtes,
par les airs que les instruments exécutaient
pendant les processions et les sacrifices.
Elle fut aussi de toutes les cérémonies publiques. Les Argiens
allaient au combat au son des flûtes,
les Crétois au son de la cithare, presque tous en entonnant le Péan
ou tout autre chant de guerre. Quand Épaminondas
fit construire Messène, des musiciens, au dire de Pausanias,
excitèrent l'ardeur des travailleurs en exécutant des airs
de Pronomos. Dans les jeux publics, il y avait des luttes
de chant et d'instruments, et la musique s'associait à la poésie
pour célébrer les vainqueurs. Il y avait, pour les oeuvres
scéniques, une sorte de déclamation musicale, et la voix
de l'acteur était doublée et soutenue par la fête;
ces oeuvres étaient entremêlées de choeurs.
Les oracles,
les lois mêmes furent primitivement chantées en public. Ne
pas savoir chanter était une honte. La musique avait si bien pénétré
dans les habitudes et les moeurs, qu'il existait des nomes, c. -à-d.
de certains genres consacrés de chansons,
pour toutes les professions et toutes les circonstances de la vie. Liée
aux mathématiques
par les proportions de ses consonnances, à la métrique, à
la danse et à la mimique ( Pantomime)
par le rythme,
elle était un élément nécessaire de l'éducation,
à laquelle elle donnait son nom même, mousikh.
Ce mot indiquait toutes les attributions des Muses .
Suivant Platon, Ie nombre et l'harmonie,
s'insinuant de bonne heure dans l'âme, y font entrer en même
temps la grâce et le beau, et Aristide Quintilien
dit que la musique donne à l'âme
les moeurs par l'harmonie au corps l'élégance par le rythme.
Les légendaires Amphion, élevant
les murs de Thèbes aux sons de
sa lyre, et Orphée, adoucissant les bêtes
féroces, étaient l'image du pouvoir de la musique sur la
Grèce
encore barbare; quand Platon déclarait que la musique était
nécessaire quiconque voulait gouverner l'État,
il pensait à la puissance de cet art pour le maintien des moeurs
publiques dans la Grèce civilisée.
Malheureusement nous ne pouvons nous faire
une idée de la musique grecque que
par les écrivains théoriciens; et il est assez difficile
de comprendre ces écrivains, si l'on n'oublie pas le sens attaché
par les modernes à un certain nombre de mots, tels que mode, ton,
harmonie, diatonique chromatique enharmonique, entendus tout autrement
par les Anciens. Les fragments de chants qui
ont été recueillis sont peu nombreux, très courts,
et à peu près insignifiants. Ils ont été publiés
par Bottrigari et Galilei en 1581, puis dans l'édition d'Aratus,
qui parut à Oxford en 1672, enfin par
Burette dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres, 1re série,
t. V. Le christianisme a pris pour ses
chants quelques-unes des mélodies
païennes, qu'il est aujourd'hui impossible de distinguer; tout le
reste a péri avec les sociétés antiques. Le vieux
système musical et la notation ayant été changés
au Moyen âge ,
les manuscrits de la musique ancienne parurent n'avoir plus aucun sens;
on les laissa se perdre, ou bien les copistes les grattèrent pour
employer le même parchemin à la transcription d'autres oeuvres.
La musique
instrumentale était moins en faveur que le chant. Aristote
déclarait le jeu des instruments, et surtout des flûtes, indigne
de l'homme libre; il ne voulait cependant parler que de la profession,
et, en effet, presque tous les instrumentistes furent des esclaves ou des
étrangers. Les préventions contre la flûte venaient
de ce qu'elle était d'origine barbare ou asiatique, défigurait
les traits de l'exécutant, et ne pouvait servir à s'accompagner
en chantant. Longtemps le jeu isolé des instruments fut inconnu,
et on ne les employa que pour prendre le ton et soutenir la voix. Les airs
de danse, qui semblent réservés .aux instruments, étaient
souvent chantés, ou bien l'on se contentait de marquer le rythme
à l'aide du tympanon ou des crotales.
Les Romains
n'ont pas été un peuple artiste. Longtemps ils ne connurent
de la musique que ce qui leur avait été
enseigné par les Étrusques, et l'on ne peut supposer une
grande valeur au chant des frères Arvals,
ou celui des prêtres Saliens qui dansaient
en frappant sur des boucliers. Servius Tullius
créa deux centuries de joueurs de cor et de trompette.
On employa les flûtes dans les cérémonies funèbres,
puisque les Douze-Tables en fixent
le nombre à huit, De bonne heure les musiciens grecs et asiatiques
affluèrent à Rome, mais lorsque
déjà la musique grecque était
en décadence : ils figurèrent par bandes considérables
dans les spectacles publics. Ainsi, à la première naumachie,
qui eut lieu sur le lac Fucin, Jules César
produisit 11000 chanteurs et instrumentistes. A la suite d'un meurtre commis
au théâtre, Tibère
chassa de Rome tous les musiciens; mais ils furent rappelés par
Caligula. Néron
eut 5000 musiciens attachés à sa maison. La pompe des exécutions
musicales pouvait être grandiose et la sonorité puissante,
mais il est douteux que l'art y trouvât son compte.
-
Un
Animal musicien sur un bas-relief de l'église Saint-Ours, à
Loches (XIIe s.).
©
Photo : Serge. Jodra, 2013.
L'enfantement de la musique moderne a été
laborieux et long. Au VIe siècle,
le pape Grégoire le Grand
forme de l'ancienne mélopée des Grecs
le plain-chant, ou chant ecclésiastique.
Puis, l'harmonie commence à naître : elle se manifeste d'abord
dans de faible essais appelés déchant, et, s'améliorant
per à peu, elle arrive au contre-point. Les premières combinaisons
de l'harmonie ne suffirent pas longtemps pour rompre l'uniformité
de la musique, qui en était toujours
à l'ordre unitonique. En établissant l'échelle musicale
diatonique, Gui d'Arezzo opéra une nouvelle
révolution, et bientôt, par l'adoption de la mesure, on distingua
la musique plane et la musique mesurée.
Au XVe,
et au XVIe siècle, apparaissent
les premiers véritables compositeurs, originaires, pour la plupart,
de la Flandre
ou de la France
du Nord : Guillaume Dufay, un des créateurs de la fugue,
Joachim Desprez, Arcadelt, Roland de Lassus, Goudimel,
Gilles Binchois, Villaert, Jannequin, musiciens savants, virtuoses du contrepoint,
parfois au détriment de la mélodie proprement dite. Quelques-uns
vont passer en Italie ,
où ils menaceront un instant de troubler les traditions de la musique
religieuse, en prenant librement pour thèmes de leurs compositions
sacrées les motifs parfois licencieux de chansons populaires, où
toute la science du musicien ne réussit pas à sauver l'irrévérence
de la gageure. En 1560, le concile de Trente
veut interdire à la musique l'accès de l'Eglise, et il faudra
tout le génie de Palestrina, fait autant
de piété que de science, pour sauver la musique religieuse
en lui rendant son caractère véritable de simplicité
grandiose, et en créant pour elle un style sévère
et sobre, dont les grands maîtres n'ont jamais tenté depuis
de s'écarter.
En même temps que la musique
sacrée, l'art profane, représenté par les menestrels,
les trouvères, les Minnesinger
(Clemens non papa, Hans Sachs, etc.), s'était développé
depuis Adam de La Halle, dans des formes déjà
arrêtées : le canzone, la ballade,
la villanelle, le jeu-parti, et surtout le madrigal,
d'où paraît sortir, vers le milieu du XVIe
siècle, l'opéra moderne. Un nom
domine cette transformation : c'est celui de l'Italien Monteverdi.
A Monteverdi est dû, par l'emploi des dissonances doubles et triples,
des accords diminués et altérés, un système
d'harmonie plus varié et plus libre que le contrepoint, et par là
même infiniment plus propre à exprimer les mouvements de la
passion dramatique. Il est à noter que cette transformation de l'harmonie
coïncide d'une part avec la disparition du système compliqué
des muances, et d'autre part avec l'introduction dans l'orchestre
d'éléments nouveaux : la famille des violons,
perfectionnés par les grands luthiers : les Amati, les Stradivarius,
les Guarnerius, etc.; la viola di braccia,
la viola di gamba, prototypes de l'alto et du violoncelle, la trompette
marine, l'épinette, qui deviendra le clavecin,
etc. Après Monteverdi, le XVIIe
et le XVIIIe siècle, seront, en
Italie
et en France ,
comme l'âge d'or de la musique dramatique et de la musique de chambre.
Il suffit de citer, en Italie, les noms de Scarlatti, Vinci,
Galilée, Porpora, Durante, Marcello, Leu,
Pergolèse, Guglielmi, Piccini, Sacchini,
Salieri, etc., et, en France, ceux de Cambort,
Lulli, Campra, Destouches,
Charpentier, Rameau, Gluck;
enfin les créateurs de l'opéra-comique français Philidor,
Grétry, Monsigny, Gossec,
Dalayrac, etc.
Nous atteignons ici presque au début
du XIXe siècle; mais, dès
lors, l'étroite affinité qu'il était possible de constater
entre les différents groupes de musiciens disparaît, tandis
que s'accentuent entre divers pays des tendances parfois contradictoires,
chaque nation tendant à posséder son école. Cette
opposition des systèmes se manifeste déjà dès
la fin du XVIIIe siècle, dans la
querelle célèbre de Gluck et de Piccini.
C'est à l'étude particulière des beaux-arts qui est
faite pour chaque pays que nous devons renvoyer, en nous contentant d'indiquer
brièvement ici les caractères généraux de chacune
des grandes écoles allemande, italienne et française.
L'école allemande, d'abord nettement
classique, de 1780 à 1830, est caractérisée par son
vif souci de la forme, dont elle a hérité des anciens contrepointistes,
par la profondeur et le sérieux de son inspiration, enfin par le
soin qu'elle donne à la partie orchestrale. Un peu gênée
à la scène, elle triomphe dans la musique
dechambre, dans la symphonie. Il suffit
de citer les noms de Bach, le grand maître
de la fugue, Haendel, Haydn, Mozart, Beethoven,
Hummel, etc.
Après 1830, elle subit profondément
l'influence romantique, montrant plus de liberté dans l'harmonie
et dans l'emploi de l'orchestre, affirmant une inspiration plus mélancolique,
parfois douloureuse et tourmentée, avec Weber,
Mendelssohn, Schubert, Chopin, Schumann, Liszt,
etc. L'oeuvre de Richard Wagner, qui peut être
discutée en certaines de ses tendances, résume, toute la
science de l'harmonie et de l'orchestration modernes, qui souvent prennent
ici le pas sur la partie vocale.
L'école italienne, au contraire,
qui fut surtout heureuse au théâtre dans l'opéra bouffe
et dans l'opéra mi-sérieux, est
restée, depuis Piccini, l'école de la mélodie et du
bel-canto; l'orchestre s'efface devant la voix; la virtuosité prime
quelquefois l'émotion. Il faut citer les noms de Paesiello, de Cimarosa,
de Salieri, de Clementi, de Paer, de Spontini,
de Pergolèse, de Carafa, de Mercadante,
de Bellini, et ceux, surtout, de Rossini
et de Verdi.
Quant à la musique
française, il semble qu'elle se soit préoccupée surtout
de la clarté de la forme, et de la vérité dans l'expression
dramatique. Dans la première partie du XIXe
siècle, Méhul, Cherubini, Berton,
Boieldieu, Nicolo, Auber,
Adam, Halévy, Donizetti,
Hérold, Victor Massé, Flotow, Maillart,
Félicien David, Ambroise Thomas,
etc., parfaitement à l'aise dans un genre éminemment français,
l'opéra-comique, se rapprochent des musiciens italiens par leur
sens très vif de la mélodie vocale claire et colorée,
mais les dépassent par le souci de l'orchestration, chez eux à
la fois travaillée et légère. Les mêmes tendances
prédominent chez les musiciens belges de l'époque dont quelques-uns
au moins, tels que Grisar et Gevaert méritent
une mention. Le nom de Charles Gounod marque l'apogée
de cette école. Vers le milieu du XIXe
siècle, Meyerbeer fut un musicien dramatique
merveilleusement doué et puissant. Après lui, sans nous attacher
à marquer les différences individuelles, il semble que les
tendances allemandes aient quelque peu réagi sur les musiciens français,
surtout avec Berlioz, Lalo, Delibes, Bizet, et,
pour nous arrêter à ceux qui marquent le passage dans le XXe
siècle, Reyer, Paladilhe, Massenet,
Saint-Saëns, etc., chez qui, sans que
la mélodie perde ses droits, l'orchestre parait prendre une part
de plus en plus large. (B. / NLI).
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Bernard
Wodon, Histoire
de la musique, Larousse, 2008. - L'histoire
des compositeurs et des oeuvres, du langage musical, des courants et des
grandes écoles esthétiques. L'ouvrage couvre toutes les époques
: de la musique hellénique
et romaine au chant grégorien, du baroque au répertoire classique
et romantique, jusqu'à la musique contemporaine et actuelle. Présentation
du contexte historique et culturel ; notions indispensables sur la notation
et la théorie musicale; brève biographie des compositeurs
les plus marquants et caractéristiques de leur langage musical et
des oeuvres jalons. Avec encadrés thématiques, index et bibliographie.
(couv.).
Marie-Claire
Beltrando-Patier, Histoire
de la musique, Bordas, 2004.
En
bibliothèque - Plusieurs écrits
de l'Antiquité sur la musique nous sont parvenus, tels que ceux
d'Aristoxène, d'Euclide, de Nicomaque, d'Alypius, de Gaudentius,
de Bacchius, et d'Aristide Quintilien. Meibom les a réunis sous
le titre de Antiquae musicae auctores septem, grec-latin, Amsterdam, 1652,
avec celui de Martianus Capella en appendice. Une autre collection, publiée
par J. Willis, contient les Harmoniques de Ptolémée, le Commentaire
de Porphyre sur cet ouvrage, et les Harmoniques de Manuel Bryenne. Plusieurs
chapitres d'Aristote, d'Elien et d'Athénée, les ouvrages
de Plutarque, de St Augustin, de Boèce, et de Michel Psellos sur
la musique doivent aussi être consultés. Les principaux théoriciens
du moyen âge ont été recueillis par Gerbert, 1784,
3 vol. in-4°. De tout temps on a publié en Allemagne des Dictionnaires
de Musique; nous citerons ceux de Walter (Leipzig, 1732); de Wolf (Halle,
1787); de J.-H. Knecht (Ulm, 1795); de Burkhard (Ulm, 1832); de Haeuser
(2e édit., Meissen, 1833). En France, on connaîtt surtout
ceux de Brossard de J..-J. Rousseau (1768); de Castil-Blaze (1821 et 1825),
et de MM. Escudier (1853); ou la traduction de celui de Lichtenthal (1839).
- Parmi les ouvrages théoriques, outre ceux qui ont été
indiqués aux art. COMPOSITION, Contre-point, harmonie, on peut mentionner
le Traité spéculatif, pratique et philosophique de musique
par Alex. Malcolm (Édimbourg, 1721, in-8°), les Principes élémentaires
de musique par les membres du Conservatoire; la Musique mise à la
portée de tout le monde, par Fétis;
les Idées sur l'esthétique de la musique par Schubert (en
allem., 1806); l'Essai d'une esthétique de la musique par G.-C.
Müller (en allem., Leipzig, 1830), 2 vol. in-8°. Les principaux
écrivains qui se sont occupés de l'histoire de la musique
sont : Galilei, Dialogo della musica antica e moderna, Florence, 1581 et
1602, in-fol.; Bontempi, Historia musica, Pérouse, 1695, in-fol.;
Kircher, Musurgia universalis, 1650, 2 vol. in-fol.; Bonnet, Histoire de
la musique et de ses effets, Paris, 1795, in-81, où il n'est guère
question que du compositeur Lulli; Marpurg, Introduction critique à
l'histoire de la musique, en allem., Berlin, 1754; Blainville, Histoire
générale, critique et philologique de la musique, Paris,
1767, in-4°, ouvrage plein de faits erronés et d'une érudition
factice; le P. Martini, Storia della musica, Bologne, 1757-81, 3 vol. in-4°,
livre très savant, mais malheureusement inachevé; Laborde,
Essai sur la musique ancienne et moderne, Paris, 1780, 4 vol. in-4°,
amas indigeste de matériaux recueillis sans discernement et sans
goût; Hawkins, Histoire géné rale de la musique, en
anglais, Londres, 1770, 5 vol. in-4°; Burney, Histoire générale
de la musique, en anglais, Londres, 1770-89, 4 vol. in-8°; Forkel,
Histoire générale de la musique, en allem., Leipzig, 1788-1801,
2 vol. in-8°, excellent ouvrage, inachevé; Kalkbrenner,
Histoire de la musique, Paris, 1802, 2 vol. in-8°, où il n'est
guère question que de la musique des Hébreux et des Grecs;
Busby, Histoire générale de la musique, en anglais, Londres,
1819, 2 vol. in-8°, extraite de Burney et de Hawkins; Fétis,
Curiosités historiques de la musique, Paris, 1830, in-8°; Cooke
Stafford, Histoire de la musique, traduite de l'anglais par Mme Fétis,
Paris, 1832, in-12; Fink, Histoire primordialede l'art musical, en allem.,
Essen, 1831, in-12; Kleinsmidt et Buschendorf, Histoire abrégée
de la musique, en allem., Leipzig, 1832; Kiesewetter, Histoire de la musique
de l'Europe occidentale, en allem., Leipzig 1834 in-4°; Adrien de Lafage,
Histoire de la musique, Paris, 1844, 2 vol. in-8°; Labat, Études
philosophiques et morales sur l'histoire de la musique, Paris, 1852, 2
vol. in-8°; Félix Clément, Histoire générale
de la musique religieuse, Paris, 1800, gr. in-81; Fétis, Biographie
universelle des musiciens, 2e édit., 1860 et suiv. |
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