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L'astronomie égyptienne
resta en quelque sorte enlisée dans la routine la plus empirique.
La physique des cosmogonies
d'Héliopolis
ou d'Hermopolis ,
reflet exact, si l'on veut, des croyances populaires,
mais qui tint une grande place dans les spéculations
des théologiens ,
serait la chose du monde la plus inexplicable avec l'hypothèse
de la connaissance de la rondeur de la Terre
( Histoire de la géodésie ),
de la véritable nature du ciel, etc., surtout si l'on accorde que
les astronomes et les théologiens formaient une seule et même
corporation. Or il n'est personne pour admettre qu'il y ait eu en Égypte
une science libre opposée à la
science des prêtres, et bien loin que les quelques résultats
obtenus par des siècles et des siècles d'observations
patientes n'ont pu réagir sur les théories
du monde que nous voyons dans les mythes
cosmogoniques ( Religion égyptienne ).
C'est cette physique de sauvage consistant dans la ferme croyance que le
ciel était une voûte d'airain, les astres
de simples lampes entretenues par des génies, et la Terre une île
ronde ou, plus sûrement rectangulaire, avec le Nil
qui en parcourt toute la longueur, suspendue on ne sait comment avec son
océan ,
qui fut le principal régisseur de l'astronomie.
La
déesse Nout, personnification du ciel.
Une autre cause
du caractère pris par cette branche de la science en particulier
et de toutes les autres branches en général, ce fut l'absence
de spéculation se désintéressant
de retombées pratiques immédiates. Rien de semblable à
ce qui se passa dans le monde grec, même au temps où la philosophie
divaguait sur les origines des choses; chaque
science était pour l'Égypte non un corps de doctrine,
mais un ensemble de recettes à suivre en vue d'un but bien déterminé.
Que demandaient-ils à l'astronomie? De déterminer simplement
la périodicité de certains retours auxquels étaient
liées les fêtes religieuses. Le résultat le plus clair
des recherches faites dans cette voie ce fut le calendrier.
-
Une mathématique
rudimentaire
Le caractère
très sommaire de l'astronomie égyptienne doit être
mis aussi en relation avec le peu de souci de précision que l'on
avait en Egypte. Cela retrouve dans les mathématiques,
elle-mêmes peu développées, par comparaison avec celles,
par exemple, de la Mésopotamie aux mêmes époques.
La principale base
de nos connaissances dans les mathématiques égyptiennes est
le Papyrus Rhind du British Museum, texte assurément très
obscur, mais qui, dans ses parties intelligibles, ne révèle
rien de nature à poser son auteur en précurseur des Euclide
et des Archimède. Il est certain que
la construction des pyramides
et des temples suppose une longue pratique de la géométrie,
mais c'était une géométrie très élémentaire
et très routinière. La stéréotomie de toutes
ces constructions est des plus bornées; il n'est pour ainsi dire
pas une seule combinaison qui ait exigé une épure préalable.
Le système des plans inclinés pour l'élévation
des matériaux, employé depuis les temps immémoriaux
jusqu'au siècle où vivait Pline,
suffit à nous montrer que les Égyptiens n'abordèrent
jamais résolument les problèmes de la mécanique.
Leur arithmétique
partait d'un excellent principe; elle était
décimale; mais elle fut entravée par son insuffisance graphique.
Faute d'avoir imaginé un chiffre pour chacune des neuf unités,
le tracé des nombres, compliqué
par lui-même, compliqua les opérations.
Pour écrire un nombre, ils écrivaient autant de fois le signe
des unités, des dizaines, des centaines, des mille, etc., qu'il
y avait d'unités, de dizaines, de centaines, de mille, etc. On trouve,
il est vrai, dans les textes les plus récents des signes spéciaux
pour les nombres 5, 7, 8, 9, mais toujours isolés et n'entrant jamais
en composition. Leur système de fraction
était aussi des plus primitifs; il n'admettait que des fractions
ayant l'unité pour numérateur, éludant
l'expression si simple d'une quantité comme 6/10 par l'expression
plus compliquée 1/2 + 1/10. La seule exception qu'on connaisse à
cet usage nous est fournie par la fraction 2/2. On conçoit qu'avec
une pareille arithmétique ils aient été obligés
d'avoir fréquemment recours à des tables présentant
des opérations toutes faites. C'est précisément une
de ces tables que nous révèlent une des parties les mieux
déchiffrées du Papyrus Rhind et d'autres documents
de la Basse Époque, grecs
et coptes. |
La
marche des astres
Les deux principales écoles astronomiques
étaient les collèges d'Héliopolis
et d'Hermonthis .
Leur fondation remontait aux époques les plus lointaines de l'histoire,
peut-être même à celle qui précéda l'établissement
de la monarchie. Quoiqu'il en soit, les monuments de la Ve
et de la VIe dynastie (Ancien
Empire) nous mettent déjà en présence de données
astronomiques ne différant pas sensiblement de celles que nous trouverons
dans les textes de la Basse Epoque, c'est-à-dire
près de 3000 ans plus tard, à l'autre extrémité
de la chronologie pharaonique Le ciel
y est déjà divisé en quatre parties, que le Soleil
parcourt en cercle. La marche de la Lune ,
ainsi que l'a remarqué Brugsch, y est
exprimée par un verbe d'un sens tout différent; elle y est
dite celle qui court à travers. Nous y trouvons de plus la
mention, plus tard si fréquente, de deux sortes d'étoiles
: les akhimou sekou et les akhimou ouroudou (les étoiles
du Nord et les étoiles du Sud, selon Brugsch; les planètes
et les fixes, selon Maspéro). Il est aussi
question de Sirius
(Sopd), d'Orion
(Sahou), de la Grande Ourse
(Maskaît, la cuisse), de Saturne
(Kapet) et de Vénus
qu'on avait dédoublée en étoile du matin et en étoile
du soir. Indépendamment de sa division en quatre parties, le ciel
était déjà considéré comme composé
de 36 régions correspondant aux 36 nomes terrestres, auxquelles
étaient préposés les 36 décans. Les inscriptions
du Nouvel Empire et de l'Epoque
ptolémaïque confirment, en les développant, toutes
ces idées.
A partir de l'époque
romaine, apparaît un nouvel élément, le zodiaque ,
emprunt de l'astrologie
gréco-romaine qui semble elle-même l'avoir reçu de
Chaldée .
Le Soleil ,
Râ
d'une manière générale, prenait aussi le nom de Toum,
avant son apparition et après son coucher, et d'Harmachouti en son
midi; il accomplissait, tantôt dans sa barque Mati, tantôt
dans sa barque Sekti, les quatre phases cardinales de son évolution
annuelle et les douze étapes de sa navigation diurne. Oeil droit
du macrocosme (dont la Lune
était l'oeil gauche), épervier planant dans l'espace,
enfant, adolescent on vieillard selon qu'on l'envisageait à l'aube,
au zénith
ou au crépuscule ,
il semble avoir toujours une individualité distincte de sa forme
visible, le disque, de même la Lune (Aah, Iah, Thot ,
Khonsou )
et les cinq planètes, Jupiter
(Hor Shetaou), Saturne
(Hor Ka Pet), Mars
(Hortesher, Harmachouti), Mercure
(Sebek), Vénus
(Sebzabennou Osiri, Douaounoutri). Les noms portés par chacun de
ces astres n'étaient pas simplement une désignation conventionnelle,
mais les noms des dieux dont ils étaient le signe visible.
La liste la plus longue d'étoiles
fixes que nous ont laissée les anciens Égyptiens est celle
des 36 décans, pour lesquels les textes astronomiques des différentes
époques nous donnent de nombreuses variantes. Le cadre de cet article
s'opposant à de longues comparaisons, nous nous bornerons à
donner ici le tableau des 36 décans à l'époque grecque,
avec les transcriptions que nous a conservées Salmasius. Nous empruntons,
sauf quelques modifications orthographiques, ce tableau à l'Egyptologie
de H. Brugsch :
-
Signes
du zodiaque
|
Noms
des décans
|
Epoques
du calendrier
|
Cancer |
Sopdi
Sit
Knoumi |
1/1 = 19 juillet
11/1 = 29 -
21/1 = 8 août |
Lion |
Khartoumi
Hadzat
Phoudzat |
1/2 = 18 août
11/2 = 28 août
21/2 = 7 septembre |
Vierge |
Toum
Oushtabkat
Apsot |
1/3 = 17 septembre
11/3 = 27 septembre
21/3 = 7 octobre |
Balance |
Sovkhos
Tepchont
Khontar |
1/4 = 17 octobre
11/4 = 27 octobre
21/4 = 6 novembre |
Scorpion |
Soptekhenou
Seshmou
Siseshmou |
1/5 = 16 novembre
11/5 = 26 novembre
21/5 = 6 décembre |
Sagittaire |
Herabouô
Seshmou
Konimou |
1/6 = 16 décembre
11/6 = 26 décembre
21/6 = 5 janvier |
Capricorne |
Smati
Srôt
Sisrôt |
1/7 = 15 janvier
11/7 = 25 janvier
21/7 = 4 février |
Verseau |
Tapkhou
Khou
Tapebiou |
1/8 = 14 février
11/8 = 24 février
21/8 = 6 mars |
Poissons |
Biou
Khontakar
Tapebiou |
1/9 = 16 mars
11/9 = 26 mars
21/9 = 5 avril |
Bélier |
Tapebiou
Khontaker
Sikat |
1/10 = 15 avril
11/10 = 25 avril
21/10 = 5 mai |
Taureau |
Kaou
Herât
Remenhar |
1/11 = 15 mai
11/11 = 25 mai
21/11 = 4 juin |
Gémeaux |
Tesouk
Ouar
Phouhor |
1/12 = 14 juin
11/12 = 24 juin
21/12 = 4 juillet |
Suivent les 5 jours
épagomènes
|
Les peintures des anciens tombeaux, ainsi
que les représentations zodiacales de Basse
époque, nous font connaître en outre quelques désignations
des constellations ,
telles que l'Hippopotame femelle, la plus boréale de toutes (par
conséquent la Petite Ourse ),
la Cuisse (le Chariot ),
l'Horus
combattant, un Homme debout, le Guerrier frappant de la lance, l'Epervier,
le Grand Singe, la Déesse Selqit, de Lion ,
le Crocodile
et autres dont l'identification présente des difficultés
presque insurmontables. Ajoutons que cette liste est relativement tardive
: au temps de la XVIIIe dynastie (début
du Nouvel Empire), on ne dénombrait
encore que cinq constellations.
Sirius
et Orion
(XVIIIe dynastie,
d'après Brugsch).
Ajoutons que les résultats des recherches
astronomiques formaient une série de recueils qui avait sa place
dans les archives des temples avec les livres religieux et les calendriers.
Aucun de ces recueils ne nous est parvenu intégralement; mais les
tombeaux et les temples, principalement ceux d'époque gréco-romaine,
nous en ont conservé les extraits. C'étaient, par exemple,
des traités de la Révolution du Soleil et de la Lune,
de la Marche des astres, des Conjonctions du disque solaire,
etc.
Le
calendrier
Aussi haut que nous remontons dans son
passé historique, nous voyons l'Égypte en possession d'une
division rationnelle du temps. Elle a une année de 365 jours formée
de 12 mois de 30 jours et de 5 jours supplémentaires; ce qui suppose
une année primitive de 360 jours. Un mythe
recueilli par les Grecs confirme cette supposition.
«
Rhea
ayant eu avec Cronos
(Saturne )
un commerce secret, le Soleil
en fut informé et prononça contre elle cette incantation
: Qu'elle n'accouche ni pendant la durée d'un mois ,
ni pendant la durée d'une année !
Mais Hermès ,
qui était épris de la déesse et qui en avait reçu
des faveurs, joua aux dés avec la Lune
et lui gagna la soixante-douzième partie de chacun de ses jours.
Il en fit cinq jours, qu'il ajouta aux trois cent soixante. » (Plutarque,
De Isis et Osiris, § 12).
Cette année était divisée
en trois saisons
fondées sur des observations
des "respirations" de la nature, sur lesuqlles
s'accordaient les travaux agricoles. Ces trois saisons, qui persistèrent
en Égypte au delà de l'époque où prévalurent
les idées grecques, étaient :
1°
la saison Shâ (du commencement) qui correspondait à l'inondation;
2° la saison
Pro (des semailles) qui répondait à l'hiver ;
3° la saison
Shemou (de la récolte) au printemps et à l'été .
Ces trois saisons étaient d'égale
longueur et comptaient chacune quatre mois. Les mois se subdivisaient en
trois décades ou dizaines de jours ;
le jour, d'un lever de Soleil à l'autre, en vingt-quatre heures
(12 X 2), comptées, la première douzaine, du lever du soleil;
la seconde, du crépuscule.
Table
des mois, au Ramesseum
de Thèbes .
Que les Égyptiens aient dénommé
chacun des mois de l'année et des jours de la décade, c'est
ce qui ressort des noms des douze mois coptes en usage au temps d'Hérodote
et du fait que les heures elles-mêmes portaient un nom spécial;
mais, en dehors du nom des saisons, le temps n'avait pas d'autre expression
graphique que celle du nombre indiquant l'ordre du mois par rapport à
la saison, et du jour par rapport au mois. Le quantième s'écrivait
ainsi :
l'an III (du roi N), mois III de la
saison pro, jour II.
Les noms conservés par le calendrier
copte sont les suivants :
-
Saison Shâ
(inondation) |
1° Thôout
2° Paophi
3° Athôr
4° Choiak |
Saison Pro (semailles) |
1° Tôbi
2° Mechir
3° Phamenêth
4° Pharmouti |
Saison Shemou (récolte) |
1° Pachôn
2° Paôni
3° Epèp
4° Mesôré |
L'année sothiaque ayant son point
de départ le jour du lever héliaque
de Sothis (Sirius), le 1er thot (thôout)
correspondait dans le cas d'une année
normale au 19 juillet, mais la différence de cette année
(à laquelle on a également donné le nom d'année
vague) avec l'année tropique se trouvant être de 6 heures,
il en résultait un retard d'un jour (4 X 6 heures) de la première
sur la seconde tous les quatre ans. II fallait donc 1461 ans de 365 jours
pour que le retard fût exactement d'une année et que le 1er
thot retombât le jour du lever de Sirius.
«
Les prêtres, dit Maspéro, célébraient
le lever de l'astre per des fêtes solennelles dont l'origine devait
remonter plus haut que les rois de la première dynastie, au temps
des Shosou-Hor, et donnaient le nom de période sothiaque à
la période de 1460-1461 qui ramenait cette coïncidence merveilleuse.
»
Ce fut seulement sous Ptolémée
Évergète Ier
que, grâce à l'addition d'un sixième jour intercalaire
à la fin de chaque période de quatre ans, l'accord fut rétabli
entre l'année civile et l'année tropique (Décret
de Canope ).
Il n'est pas inutile de faire observer ici que le calendrier ainsi réformé
présentait le même défaut que le calendrier julien
établi plus tard sur le même principe par les soins de Sosigène
d'Alexandrie. Les six heures supplémentaires qu'on supposait
nécessaires pour rétablir l'équilibre entre l'année
astronomique et l'année vague excédaient de 11 minutes la
durée d'une révolution solaire, si bien que l'écart
entre les deux années redevenait d'un jour après cent trente
et un ans. On sait que c'est sous le pape Grégoire
XIII que l'on remédia à cet inconvénient par la
suppression de trois bissextes par période de quatre siècles.
(G. Bénédite).
Les
observations astronomiques avaient un but principalement
astrologique.
Ici une tablette de plâtre, découverte par Brugsch,
datant
de l'époque de Trajan, où se trouvent consignées
des
observations relatives aux positions des cinq planètes
visibles
à l'oeil nu, pour une durée de vingt-huit ans..
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