| Mythe (du grec muthos, fable), nom qu'on applique en première approche aux traditions concernant les dieux et les héros, et, par suite, à tous les récits allégoriques et symboliques. Le caractère distinctif d'un mythe, c'est souvent d'être un récit d'événements dont une partie au moins est surnaturelle ou irrationnelle. Mais surtout, il s'agit d'un récit porteur d'un sens qui dépasse sa propre narration. Un mythe c'est une construction faite de bric et de broc, mais qui au final procure une image stable du monde. Dans le mythe du Zeus grec, par exemple, les éléments rationnels, ce sont les hautes qualités du dieu, sa majesté, sa puissance, sa justice, la protection qu'il accorde aux justes, la sévérité avec laquelle il punit les méchants; les éléments irrationnels, ce sont les aventures grotesques, les métamorphoses en cygne, en fourmi, en pluie d'or, etc. Lorsque les hymnes védiquesnous représentent Indra comme le maître de la foudre, qui, transporté sur son char, commande à l'ouragan et à la tempête, cette conception nous paraît simple et naturelle; mais, quand nous apprenons que ce dieu est le frère d'un taureau, qu'il s'est changé en caille ou en bélier, nous sommes en présence d'éléments que notre raison ne comprend pas et ne peut pas s'expliquer. C'est là ce que Max Müller appelle «l'élément sot, dénué de sens et sauvage». De même encore, les contes et les légendes populaires sont des mythes, parce que, suivant l'expression imagée d'Andrew Lang, «les morts et les vivants, les hommes, les bêtes et les dieux, les arbres, les étoiles, les rivières, la lune et le soleil y dansent un ballet burlesque, où toute chose peut être tout, et où la nature n'a pas de lois, ni l'imagination de limites». Donc, là où il n'y a point d'épisodes merveilleux ou surnaturels, là où tout est rationnel et clairement intelligible pour notre esprit, il n'y a point de mythe. Dans ses Prolegomena zü einer wissenschaftlichen Mythologie, K.-O. Müller a encore attribué d'autres caractères au mythe. D'après lui, le mythe transforme en un acte précis et limité dans le temps un phénomène physique ou moral qui, dans la réalité, est permanent. Ainsi, le mythe éleusinien par excellence, c.-à-d. le mythe de l'enlèvement de Perséphone par Hadès, de la douleur de Déméter, du séjour de Perséphone auprès de son ravisseur, puis de son retour à la lumière, n'est pas autre chose que la traduction en un épisode unique et nettement déterminé des faits d'ensemencement, de germination souterraine, d'éclosion et de mort apparente dont chaque année la terre est le théâtre. Dans la Théogonie, Hésiode s'exprime ainsi : «La Nuit enfanta la Tromperie.» C'est là l'expression mythique du fait général et constant qui peut s'énoncer ainsi : «La nuit favorise les tromperies.» En outre, le mythe met toujours en scène des personnages humains ou du moins des personnages analogues à des êtres humains. Les métamorphoses des êtres mythiques en animaux ou en plantes, les formes animales que certaines divinités revêtent dans plusieurs mythologies, n'infirment nullement ce caractère général des mythes; en effet, sous quelque forme que se présentent les personnages mythiques, les sentiments qu'ils éprouvent sont toujours humains. Peut-être même ces métamorphoses et ces formes animales ne sont-elles que la survivance de conceptions religieuses beaucoup plus anciennes, comme la zoolâtrie et le totémisme. Enfin, d'après K.-O. Müller, le mythe est toujours antéhistorique. L'événement qu'il raconte, quel qu'il soit, est toujours placé bien au delà des premiers faits historiquement connus. Ainsi, d'une manière générale, les mythes sont des récits d'événements, qui sont, en partie au moins, surnaturels ou irrationnels, qui toutefois sont limités dans, le temps, dont les acteurs sont des personnages humains ou analogues à des êtres humains, et qui ont toujours eu lieu, dans chaque pays, avant la période historique. Les mythes aujourd'hui connus sont innombrables et d'une infinie variété. On les répartit d'habitude en deux grandes classes : 1° les mythes proprement dits; 2° les contes et légendes populaires. Les mythes proprement dits sont les mythes qui se rattachent, directement aux religions, et dont la somme constitue, dans chaque pays, ce que l'on appelle la mythologie. Ces mythes sont cosmogoniques, divins ou héroïques; en effet, chaque religion a voulu expliquer la création du monde et de l'homme; et, d'autre part, dans beaucoup de religions, on distingue, pour ainsi dire, deux couches ou strates superposées d'êtres surnaturels, les dieux et les demi-dieux ou héros. Les mythes proprement dits sont étroitement liés à la religion dont ils forment une partie essentielle; lorsque cette religion meurt, ils disparaissent ou du moins perdent leur valeur religieuse, et ne survivent que comme matière philosophique, historique ou littéraire. Les contes et les légendes populaires ont une physionomie toute différente. Ils ne s'efforcent pas de résoudre le problème de l'origine des choses; ils ne mettent en scène ni dieux, ni déesses, ni héros; leurs visées sont moins hautes; leurs cadres et leurs personnages, plus modestes. Auprès des humains se meuvent et agissent des fées, des enchanteurs, de bons ou de mauvais génies, ces mille êtres bienfaisants ou terribles dont l'imagination des foules a peuplé et peuple toujours les campagnes, les forêts, les vallons obscurs, la mer, les îles, les récifs. Les contes et les légendes ne sont point, de leur nature, des récits religieux. Leur éclosion, leur floraison, leur popularité sont indépendantes de tout dogme et de tout culte. Ils ont leurs racines dans le plus lointain passé de l'humanité, mais de nos jours ils n'ont rien perdu de leur fraîcheur ni de leur vivacité; ce ne sont point des oeuvres mortes, qui se transmettent, immuables et figées, de génération en génération; ce sont de petits organismes vivants, qui se transforment sans cesse, sans que pourtant leur noyau primitif subisse de changements essentiels. | |