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A
la découverte d'un empire
Les voyageurs
et leurs récits.
Ce grand État du
Soudan central, fut connu d'abord en Europe par les récits de Léon
l'Africain au XVIe
siècle, mais n'a été parcouru et décrit
par des voyageurs européens qu'au XIXe
siècle. L'expédition de Oudney, Denham
et Clapperton, aux frais de l'Association
africaine de Londres, y parvint en 1823
par la route de Tripoli et de Mourzouk ,
voyage qui fait époque dans l'histoire des découvertes au centre de l'Afrique;
plus importante encore par ses résultats scientifiques fut celle dont
le gouvernement anglais chargea J. Richardson,
H.
Barth et A. Overweg, en 1849.
Richardson mourut le 29 février 1851
à Ngouroutoua, à quelques jours de marche, à l'Ouest de Kouka ,
la capitale du Bornou; Barth cependant avait parcouru, outre l'empire de
Sokoto, la partie occidentale du Bornou, et Overweg la partie orientale.
Ce dernier, après avoir exploré la région du Tchad, navigua sur le lac,
ce qui n'est arrivé à aucun autre Européen, puis mourut sur ses rives,
à Madouari, en septembre 1852.
Vogel,
qui en 1853
était envoyé pour collaborer avec Barth, rejoignit celui-ci qui avait
parcouru les pays au Sud du Bornou, séjourna quelque temps avec lui Ã
Kouka, puis partit pour le Ouaddaï, où il devait être assassiné. Des
quatre envoyés du gouvernement anglais, Barth seul put revenir en Europe
en 1855,
avec une ample moisson de documents précieux sur la géographie, l'histoire
naturelle, les langues, l'histoire du Bornou et des pays voisins, où il
était resté six années.
En 1850,
le P. Philippo da Segni, de Turin ,
partit de Tripoli, demeura vingt jours Ã
Kouka ,
et revint après un rapide voyage dont le récit n'a aucun intérêt géographique.
En 1862,
Moritz
von Beurmann parcourut le Bornou dans le sens du Nord-Est au Sud-Ouest
et fut massacré à Mao, dans le Kanem, en cherchant à pénétrer dans
le Ouaddaï. Gerhard Rohlfs, dans son grand voyage
de la Méditerranée au golfe de Biafra, traversa aussi le Bornou, du Nord
au Sud, et recueillit des renseignements importants. En 1869,
le roi de Prusse ,
désireux d'engager une politique de colonisation dans la région, prit
le prétexte de vouloir reconnaître le bon accueil que le cheikh du Bornou
avait fait aux voyageurs Barth, Overweg,
Vogel,
Beurmann et Rohlfs,
pour lui envoyer le docteur Nachtigal, sur
la désignation de Rohlfs. Nachtigal fut chargé d'emporter divers présents,
et de rapporter autant d'informations que possible. Parti de Tripoli en
février 1869,
le voyageur explora le pays des Tibbous (Toubou), puis le Kanem et le Bornou,
remit au cheikh un fauteuil doré en velours cramoisi, des portraits, une
pendule, des montres, un harmonium, etc., et plus heureux que ses prédécesseurs,
revint par le Ouaddaï et le Darfour. Enfin, en 1880,
les voyageurs Matteucci et Massari, venus de
l'Est par le Ouaddaï, traversèrent le Bornou, en se rendant à Bidda
sur le Benoué; leur itinéraire se confond, de Kouka à Kano ,
avec celui de Barth, et il n'a été publié au sujet de ce qu'ils ont
vu que des notices très succinctes.
Les populations
du Bornou.
Le Bornou, au moment
de son exploration par les européens, présente un singulier enchevêtrement
de populations d'origines variées; il est comme un carrefour où les populations
de l'Est, du Nord, de l'Ouest et du Sud de l'Afrique se sont rencontrées
et fondues. Les Kanouri (Kanori), l'élément qui domine aujourd'hui, résultent
d'un mélange de toutes les populations établies dans le pays, mélange
qui s'est constitué à une époque relativement récente en une sorte
de nationalité, avec une langue spéciale, souple et riche, mais sans
d'alphabet propre; on croit que les principaux facteurs ethniques de la
population Kanouri sont des Kanembou venus du Kanem aux XIIIe
et XIVe
siècles, des Toubous, des Nazas, qui
ont suivi ce même mouvement d'exode vers le Sud et qui tous se sont alliés
aux habitants primitifs du pays.
A côté des Kanouris,
les explorateurs ont noté de nombreux groupes de population qui ont conservé
leur unité, leur langue et leurs moeurs particulières, qui ne se sont
pas fondus et mélangés; ce sont : les Makaris ou Kotoko, dans le Longue
et Loogon de Kotoko, les Keribina, dans la même région, forestiers et
chasseurs, méprisés de leurs voisins, et, quoique musulmans ,
mangeant le cochon et le sanglier; les Ilousgou, au Sud des précédents,
païens, vêtus seulement d'un tablier de cuir, tuant leurs prisonniers,
mais plus beaux de forme et plus élancés que leurs voisins; les Gamergou
et les Mandara, islamisés, sur le versant Nord des montagnes du Bornou
méridional. Un autre groupe, un peu à l'Ouest du groupe Makari, est celui
des Marghis et Babir, en partie seulement convertis à l'Islam, vivant
dans des buttes isolées au milieu des grandes forets et considérés par
leurs voisins comme des barbares. D'après Barth,
ils parleraient une langue qui n'a de lointaines analogies qu'avec celle
des Mousgou.
A l'Ouest du Bornou
est un troisième groupe qui comprend les Fika, les Kerrikerri, les Beddé,
entamés peu à peu par l'Islam, et les Mangas qui parlent le kanouri,
et un idiome à part, semblable à celui des Beddé, population haute de
taille, ayant pour tout vêtement un tablier de peau, et portant, en sus
de l'arc, une petite hache de combat à l'épaule. On peut compter comme
formant un quatrième groupe, les Kanembou, Goyam et Toubou, au Nord.
A ces groupes il
faut ajouter, des Haoussa dans les provinces de Genremet et de Zinder,
des Peul dans celle de Mounio, des Touareg,
à la frontière Nord, des Yeddima ou Bouddouma, insulaires du lac Tchad,
païens et pirates, et enfin des Arabes répandus un peu partout. De ceux-ci
il est venu un grand nombre, marchands on aventuriers, de toutes les parties
de l'Afrique, qui se sont établis çà et là parmi les autres populations.
Une centaine de mille de personnes d'origine arabe, venus plusieurs générations
plus tôt, se sont maintenus à l'époque des explorations du XIXe
siècle presque intacts en groupes répartis
dans le voisinage du Ouaddaï, de l'Adamaoua, et même au centre du Bornou,
sous le nom de Chouas (pasteurs). Ils mènent la vie pastorale, se livrent
à l'élevage des chevaux ou des boeufs, car ils ont renoncé au chameau,
et quelquefois même labourent le sol; ils parlent l'arabe avec
une pureté remarquable.
Dès cette époque,
l'élément Kanouri, de beaucoup le plus important, tend à s'augmenter
continuellement, par le fait que tous ceux des païens qui embrassent l'Islam,
apprennent le kanouri bien plus que l'arabe; le kanouri est pour eux le
signe d'une civilisation supérieure; il est la langue officielle, et l'arabe,
qui avait autrefois ce titre, n'est plus admis à la cour; le nombre de
ceux qui le parlent ou l'entendent va chaque jour diminuant, en dépit
de la religion. Celle-ci au contraire fait chaque jour de nouveaux adeptes,
et les populations diverses, serrées entre les Haoussa à l'Ouest, les
Kanouri à l'Est, tous fervents musulmans. |
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Du
Kanem à la colonisation
L'histoire du Bornou
est riche en événements dramatiques, est connue dans ses traits essentiels
depuis la découverte faite par Barth de deux fragments
de chronique, dont l'une anonyme et l'autre écrite au milieu du XVIIe
siècle par le secrétaire d'État du
roi Idris Amsani; Nachtigal a aussi trouvé
une liste des rois du Bornou qui va jusqu'en 1810,
mais qui est malheureusement incomplète. Selon cette documentation, le
Bornou était au XIIe
siècle habité par des tribus sauvages
parmi lesquelles les puissants Sô (ou Sao), population signalée par Ibn
Haoukal dès 930
et dont la légende fait de véritables géants; il fut envahi par le roi
musulman du Kanem, Doumana (1097-1150).
Le Kanem était un royaume des Dazas l'une des fractions des Toubous, originaires
du Nord du lac Tchad. Deux siècles durant, il y eut des luttes terribles
entre les aborigènes et les Kanembous envahisseurs; les premiers disparurent
de l'histoire, soit anéantis par les armes, soit par la fusion avec les
conquérants; on pense que les Bouddouma du lac Tchad, peut-être aussi
les Keridina et les Beddé sont les derniers survivants de la population
Sô. Au milieu du XIVe
siècle, après une longue période de
dissensions internes et externes (querelles dynastiques, rivalités de
clans, voisinages belliqueux, etc.), un de ces rois du Kanem, maîtres
du Bornou, fut chassé de sa résidence Kanemboue par la tribu des Boulala
(Bulala); il émigra dans ses nouvelles possessions déjà bien soumises,
à l'exception peut-être encore des Sô, toujours présents dans cette
région) l'ouest du Tchad, et il y eut dès lors un royaume de Bornou;
il est mentionné par Ibn Batoutah en 1353.
Le Bornou gagna rapidement
en puissance, et commença à s'agrandir au détriment de leur voisins
septentrionaux de l'Aïr, ou des Haoussa, à l'ouest. Au XVIe
siècle, un de ses rois fut même en mesure
reprendre l'offensive contre les Boulala, reconquérir le berceau de la
puissance de ses ancêtres et faire du Kanem une des provinces de son empire.
Cet Ali Ben Doumana, puis son fils Idris Ben AIi, les gloires nationales
du Bornou, soumirent les Touaregs, le Fezzan ,
les pays à l'Ouest jusqu'au Niger et attaquèrent les populations païennes
du sud, Marghi, Mandara, etc. Idris Ben-Ali (1571-1603,
selon Barth, 1563-1614,
suivant la liste recueillie par Nachtigal),
est le premier des souverains du pays auquel les listes donnent le nom
de sultan au lieu de celui de maïma (= prince). Mais ces personnages
eurent des successeurs peu dignes d'eux; leur royaume pendant deux siècles
ne fit que décliner et il allait tomber sous les coups des Peul,
engagés dans la guerre sainte (jihad) depuis 1805,
qui avaient envahi les provinces occidentales, quand le fakir Mohammed
el-Kanemi s'éleva du milieu des Kanembous et, avec l'aide de ses compatriotes
et des Arabes, repoussa les conquérants. La reconnaissance nationale fit
de lui le vrai maître du Bornou. Avec le simple titre de cheikh, il régna
à Ngornou, ne laissant au sultan qui avait sa résidence dans la vieille
capitale, Birni ou Ksar Eggomo, que les honneurs d'une vaine royauté.
Vers 1816,
Mohammed fonda un peu à l'Ouest du lac Tchad la ville de Kouka
(ou Koukaoua, la ville aux koukas = aux baobabs ),
qui fut depuis lors la vraie capitale du pays, et lutta avec succès contre
ses nombreux ennemis du dedans et du dehors. Son fils, Omar, lui succéda
en 1835,
fut d'abord heureux contre les Peul, et dans ses entreprises sur le Baghirmi,
mais vit ensuite ses états envahis par le roi du Ouaddaï, d'accord avec
le souverain nominal du Bornou, de la dynastie des Dounama; il dut même
céder la place à ce dernier; mais il reprit bientôt le pouvoir et comme
le dernier prince de la famille régnante était mort en combattant, il
réunit le titre de sultan à celui de cheikh. Tombé de nouveau du trône,
après une émeute dirigée par son frère Abd-er-Rhaman, en 1850,
il y remonta bientôt et acquit une grande réputation de justice, de bienveillance
et de libéralité. On ne lui reprocha qu'un peu d'indolence et de faiblesse,
qui laissa impunies les intrigues du dedans, les émeutes des vassaux,
les incursions des Touaregs et des Ouled-Sliman, les usurpations du roi
du Ouaddaï.
C'est le fils aîné
d'Omar, Abou-Bekr ou Bukar, capable comme son père, mais plus ferme que
lui, qui doit être maintenant sultan et cheikh du Bornou. Après sa mort
en 1885, ses frères, Ibram et Hachimi prennent la succession. Mais
leur pouvoir se délite, et la puissance du Bournou se trouve menacée
à la fois par les nomades sahariens, au nord, et par le Ouaddaï. Ce sera
finalement un ancien trafiquant d'esclaves de Khartoum ,
Rabih Zubaïr, qui viendra à bout de l'empire finissant. Rabah, comme
l'appelleront les Français, s'était taillé en 1880
un sultanat chez les Azandé , puis s'était rallié à la cause
du Mahdi, avant de s'attaquer en pure perte au
Ouaddaï. Il réussira donc mieux avec le Bornou, qui passe sous sa coupe
en 1894.
Une victoire de courte durée. Les français enverront un corps expéditionnaire
commandé par Lamy et vaincront l'aventurier, tué le 21 avril 1900
à la bataille de Kousseri, près de l'actuelle N'Djamena.
Très vite, les Européens se partageront la dépouille de l'ancien empire.
Le Bornou proprement dit passera aux mains de la Grande-Bretagne, le Kanem
reviendra à la France, et l'Allemagne récupérera les provinces du Sud-Ouest. |
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Les
rouages de l'empire au XIXe siècle
Au moment où les
voyageurs européens visitent le Bornou, au XIXe
siècle, ils découvrent un empire Ã
l'organisation complexe. Il se compose de provinces ou d'États vassaux,
dans des conditions très diverses de dépendance, et Rohlfs
le compare fort justement à l'ancienne Allemagne; bien des districts sont
presque entièrement autonomes. D'autre part, même dans les provinces
les mieux soumises, il y a deux divisions : l'ancienne, établie par la
dynastie des Dounama, qui tient à de vieux souvenirs et qui vit encore
dans l'esprit du peuple, dans le langage courant; la nouvelle, introduite
par les cheikhs, mais qui n'a pas encore complètement fait disparaître
toutes traces de la précédente. Qu'on ajoute à cela le singulier enchevêtrement
des populations d'origines diverses, dont les unes sont gouvernées par
des princes héréditaires, les autres, comme les Choua, par des cheikhs
spéciaux, on comprendra combien il est difficile d'identifier pour le
Bornou, l'état politique exact des diverses parties. Voici, du moins,
ce qui paraît ressortir des témoignages des voyageurs.
Les divisions
politiques.
Presque tout le
Sud de l'empire est occupé par des États vassaux ou des tribus en partie
insoumises, qui sont de I'Est et à l'Ouest :
1° le
Logoné, traversé par le fleuve du même nom ou Serhevel, affluent
du Chari, dont le sultan paie seulement un tribut, et a pour le reste un
pouvoir presque absolu; capitale : Karnak-Logon (15 000 habitants, d'après
Denham); villes principales : Koussouri, Alph ou Elf, Kala-Kafra (4 500
habitants d'après Nachtigal), Djoumna, Vasa,
Sengeri;
2° le Vandala
ou Mandara, dont le sultan, indépendant au temps de Vogel
(1855),
nétait plus, au dire de RohIfs, en 1866,
qu'un simple gouverneur de province; Nachtigal
cependant le désigne encore comme un prince vassal, ce qui paraît plus
probable; capitale : Doloo (30 000 hab.); villes principales-:
Bouendjé, Gréa, Mora (ancienne capitale);
3° Le pays des
Marghi, couvert de grandes forêts, et qui n'a pas de cités importantes,
non plus que le district de Bâbir. A l'Ouest, nous trouvons également
des cantons occupés par des tribus plus ou moins soumises comme celles
des Kerrikerri, Nguizzem et Beddé.
On voit que la frontière
méridionale et occidentale presque tout entière est alors habitée par
des populations qui ne relèvent pas directement du sultan du Bornou; en
dedans de cette ligne on trouve une série de provinces, soumises depuis
peu, dont les gouverneurs jouissent encore d'attributions très étendues
et sont presque des grands vassaux. Ce sont, de l'Est à l'Ouest :
1° le
Kotoko, habité par les Makari; capitale : Afadé; autre grande ville
: Ngalo (7 000 hab.). A l'époque de Rohlfs, le
sultan de Kotoko était encore assez indépendant,
2° le Dikoa;
capitale : Dikoa (15 000 habitants), autre grande ville : Ala (3 500 habitants),
autrefois aussi résidencee d'un sultan. Ce pays est soumis depuis de longues
années et les rois du Bornou ont assez souvent résidé au palais de Dikoa.
C'est même dans cette ville, dit-on, que se parle le mieux le kanouri;
3° le Jamergou;
chef-lieu : Maïdougouri (7 000 habitants);
4° la province
de Goujba, avec un chef-lieu du même nom (20 000 habitants);
5° les districts
des Mangas à l'Ouest, avec les villes de Borsari (7 500 habitants),
Sourrikolo, Boundi (8 000 habitants);
6° la province
de Maschena, avec un ch. -I. du même nom (12 000 habitants.);
7° la province
de Khadedja, avec un chef-lieu du même nom (12 000 habitants);
8° la province
de Goummel; chef-lieu, du même nom (12 000 habitants);
9° la province
de Mounio, avec deux villes d'une dizaine de milliers d'habitants :
Vouchek et Gouré;
10° la province
de zinder, avec une ville du même nom (10 000 habitants), surnommée
la porte du Soudan. Le sultan de Zinder, chargé de garder la frontière
occidentale de l'empire contre les Touaregs et les Peul, est le plus haut
et le plus puissant des gouverneurs de province.
Toutes ces provinces
de l'Ouest sont devenues d'autant plus facilement soumises que le dialecte
kanouri y est partout compris, et qu'il y a les mêmes éléments de population
qu'au centre de l'empire.
Dans le Bornou proprement
dit, noyau de l'empire, nous mentionnerons les provinces de Karagoaro,
voisine de celle de Goudjba, avec un chef-lieu du même nom, d'Alargeh,
(chef-lieu du même nom), de Kojam, dont la population très dense est
répartie en un très grand nombre de petites villes, parmi lesquelles
: Ouodoma, Benna, Koulougou, etc., de Ngomata, avec Ngomou pour chef-lieu
(20 000 habitants), de Kouka
(Kuka), avec la capitale de l'empire, ville d'une centaine de milliers
d'habitants; de Ngouroutoua, plus au Nord, de Kasela, la plus septentrionale
avec Baroua (1 500 habitants), Ngiguri (1 500 habitants), etc.
La forme du pouvoir.
Le souverain du
Bornou a un pouvoir arbitraire, comme tous les souverains musulmans; Ã
côté de lui, il y a pourtant, et sans doute de temps immémorial, un
conseil d'État et presque une représentation nationale, le Kôkena
il se compose des princes de la famille royale, des hauts fonctionnaires
et d'une dizaine de notables du Bornou qui représentent les divers éléments
de la nation, Kanouris, Kanembous, Toubous, Chouas. Ce conseil, qui se
réunit tous les jours, n'a en réalité que peu d'action; toute l'autorité
est entre les mains du cheikh et des fonctionnaires; ceux-ci sont assez
souvent des esclaves, quelquefois mêmes des eunuques. Les principaux sont
le digma, autrefois le factotum du souverain et qui n'a guère plus,
au dire de Nachtigal, qu'un vain titre; le
kegamma
ou chef militaire, le jerima chargé de défendre la frontière
contre les Touaregs, le ghaladima, sorte de grand feudataire commandant
les districts occidentaux du pays, et résidant à Ngourou, etc. Quelques-unes
de ces hautes dignités sont données à des parents du souverain, d'autres
sont comme la propriété de certains personnages.
Enfin, chacun des
ministres a l'administration de certaines provinces. Quant aux gouverneurs
des provinces, ils ont des droits très variables; les uns n'ont qu'une
autorité restreinte et précaire, d'autres ne payent qu'un tribut en armes
et en esclaves, et ont une autorité très étendue; seulement ils ne peuvent
pas condamner à mort, ni faire des razzias d'esclaves pour leur compte;
ces droits sont réservés aux sultans grands vassaux. La force armée
régulière dont disposait le cheikh Omar, est évaluée par Nachtigal
à 7 000 soldats, dont un millier armés de fusils, et un millier de cuirassiers
; une vingtaine de canons, fondus à Kouka
même, composent l'artillerie.
L'économie et
le commerce.
Il n'y a pas Ã
proprement parler de budget; le souverain comme les fonctionnaires vivent
du commerce des esclaves, que l'on va prendre sur les frontières de l'empire
parmi les populations païennes, par de grandes razzias, ou du produit
de leurs propriétés. Celles du cheikh sont très considérables. Les
produits du sol et de l'industrie donnent lieu à un commerce des plus
actifs dans l'intérieur du pays; les marchés sont le théâtre de transactions
importantes et la circulation sur les routes est considérable; il faut
dire que la liberté la plus absolve est la règle des échanges, que nulle
part il n'y a de droits de douane et d'octrois, que la sécurité est complète,
sauf près des frontières. Il y a une ombre à ce tableau; le trafic le
plus lucratif et le plus animé est toujours celui des esclaves. Quant
aux relations avec l'Europe, elles ne se font que d'une manière très
indirecte; bien que le Bornou ait trois routes importantes vers l'extérieur,
celle de l'Est vers l'Égypte, celle du Nord vers Tripoli,
celle de l'Ouest et du Sud vers le Bénoué et le Niger, les commerçants
européens tarderont à y pénétrer et les produits de leur industrie
n'arriveront sur ces marchés que par l'intermédiaire des Haoussa, des
Peul ou des Arabes. (E. Cat.). |
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