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Les
catégories
Tout ce qui existe se répartit sous sept
chefs principaux ou catégories (padârtha) qui sont: 1° la substance
(dravya); 2° la qualité (guna);
3° l'activité (karma); 4° la
généralité (sâmânya); 5° la spécificité (viçesha);
6° la coexistence (samavâya) et 7° l'inexistence (abhâva).
Nous les examinerons tour à tour.
I. Substances.
Les substances
sont au nombre de neuf : 1 ° la terre, caractérisée par l'odeur; 2°
l'eau, caractérisée par la froideur au toucher; 3° l'éclat (lumière,
feu, etc.), caractérisé par la chaleur au toucher ; 4° l'air, caractérisé
par un toucher sans forme ni couleur; 5° l'éther, caractérisé par le
son ; 6° le temps, cause de l'emploi du présent,
du passé et du futur; 7° l'espace,
cause
de l'emploi des points cardinaux ; 8° l'âme (âtman),
substrat de la
connaissance; 9° l'esprit (manas),
sens du plaisir et de la douleur.
II. Qualités.
Les qualités
ou attributs sont au nombre de vingt-quatre
: 1° la forme ou la couleur, perçue seulement par la vue et qui est de
sept sortes blanche, bleue, jaune, rouge, verte, brune ou bigarrée; 2°
la saveur, perçue seulement par le goût et qui est de six sortes : sucrée,
amère, salée, âcre, astringente ou piquante; 3° l'odeur, perçue seulement
par l'odorat et qui est de deux sortes, parfumée ou non; 4° le toucher,
perçu seulement par, le tact et qui est de trois sortes froid, chaud ou
tempéré; 5° le nombre, cause de l'emploi de l'unité, etc.; 6° la dimension,
cause de la notion de mesure et qui est de quatre sortes : petite, grande,
longue ou courte; 7° la distinctivité, cause de la notion de différenciation;
8° la conjonction, cause de la notion de contact; 9° la disjonction,
négation du précédent; 10° et 11° l'éloignement
et la proximité tant dans le temps que dans l'espace;
12° la pesanteur, cause de la chute spontanée et qui ne réside que dans
la terre et l'eau; 13° la fluidité, qui fait que les liquides coulent
et qui est de deux sortes, naturelle dans l'eau, artificielle dans la terre
et l'éclat (ex. beurre ou or fondus au feu); 14° la viscosité, qui fait
que la farine se pétrit et qui ne réside que dans l'eau ; 15° le son,
perçu seulement par l'ouïe et qui est de deux sortes, articulé ou inarticulé;
16° l'intelligence, cause de toute notion;
17° le plaisir, ce qui est conforme à la nature; 18° la douleur, ce
qui est contraire à la nature; 19° le désir
ou l'amour; 20° la haine
ou l'aversion; 21°
l'effort ou la volonté; 22° le bien,
ce qui est prescrit; 23° le mal, ce qui est défendu et 24° la faculté
ou sarnskara qui est de trois sortes dans la terre, l'eau, le feu
et l'air, c'est la vitesse; dans l'âme, ce sont les traces de l'imagination,
causes de la mémoire; dans la terre, c'est l'élasticité.
Parmi ces vingt-quatre qualités, les
numéros 16-23 sont spécifiques de l'âme : c'est
à leur propos que sont introduites dans le système
les théories de la cause
et de la connaissance dont il faut que nous
donnions une idée.
Théorie
de la cause.
La cause causante
ou déterminante (karaana) est définie comme « une cause (kârana)
spécifique agissant au moyen d'une opération (vyâpâra) ». Une
cause est un antécédent constant et nécessaire;
tel est, dans la production d'un pot, si nous prenons l'exemple traditionnel
et familier aux écoles indiennes, le bâton dont le potier se sert pour
faire tourner sa roue à l'exclusion de son âne dont la présence au même
moment n'a aucune influence sur la production du résultat. Une opération
est ce qui produit par la cause, produit ce qui est produit par la cause
: dans l'exemple choisi, c'est la révolution de la roue qui, produite
par le bâton, produit le pot qui est produit par le bâton. Ajoutons que
cette opération ne saurait jamais être une substance;
et ceci nous conduit à la distinction de trois sortes de causes :
1° la cause
coessentielle (ou, comme nous dirions, matérielle), qui ne peut être
qu'une substance;
2° la cause non-coessentielle, qui ne
peut être qu'une qualité ou une action;
3° la cause instrumentale, qui présente
avec les deux premières cette différence qu'elle peut être détruite
sans que l'effet soit du même coup détruit.
Par exemple, dans la production d'une étoffe,
les fils sont la cause coessentielle, le contact des fils est la cause
non-coessentielle, le métier et la navette sont la cause instrumentale.
Théorie
de la connaissance.
La seizième qualité,
la Buddhi ou intelligence, est la
cause
de toute notion; c'est elle qui fait que nous communiquons entre nous par
le langage. Elle est de deux sortes : la mémoire
(smriti) qui est le produit d'impressions antérieures, et la connaissance
nouvelle ou directe (anubhava). Toutes deux sont susceptibles d'être
fausses ou vraies; occupons-nous de la seconde. Étant donné un objet
possédant tel attribut, si la connaissance
(que nous en avons a pour prédicat ce même attribut, elle est exacte;
dans le cas contraire, c.-à -d. si nous prédiquons d'un objet un attribut
qu'il ne possède pas, elle est inexacte. Ex. : étant donné de l'argent,
si nous disons : «-c'est de l'argent,-»,
notre connaissance est vraie; étant donnée de la nacre, si nous disons
: «-c'est de l'argent-»,
notre connaissance est fausse.
La connaissance vraie (pramâ) est
de quatre sortes la perception (pratyaksha),
la déduction par syllogisme (anumiti),
l'induction par analogie
(upamiti) et la parole (çabda). Analysons-les tour à tour.
a. La perception
est une connaissance primitive, non dérivée
d'une connaissance antérieure. Elle est de deux sortes :
1° indéterminée, quand elle
n'a pas de prédicat (attribut), comme quand
on dit : «-voilà , quelque chose »;
2° déterminée, quand elle a prédicat,
ex. : « c'est un tel, c'est un Brahmane-»,
etc. Elle est produite par le « frottement » du sens et de l'objet; ce
frottement étant de six sortes, elle naît donc :
1° par simple contact,
comme la perception du pot par l'oeil;
2° par coexistence avec ce qui est en
contact, comme la perception par l'oeil de la couleur du pot qui est coessentielle
au pot qui est en contact avec l'oeil;
3° par coexistence avec ce qui est coessentiel
à ce qui est en contact, comme la perception par l'oeil de l'idée de
la couleur du pot, laquelle idée est coessentielle à la couleur qui est
coessentielle au pot qui est en contact avec l'oeil;
4° par coexistence, comme la perception
par l'ouïe qui n'est que l'éther contenu dans le creux de l'oreille du
son qui n'est autre que la qualité spécifique de l'éther et lui est
par suite coessentiel;
5° par coexistence avec ce qui
est coessentiel, comme la perception par l'ouïe de l'idée du son qui
est coessentielle au son qui est coessentiel à l'ouïe;
6° par « qualifiant et qualifié »,
comme quand, dans la perception de l'inexistence, on qualifie une place
en contact avec l'oeil par le fait qu'elle possède une absence de pot.
b. La déduction suppose :
1° la connaissance
acquise par expérience, d'une concomitance
invariable (vyâpti) entre une raison (hetu
ou linga = moyen terme) et ce dont il faut démontrer l'existence
(sâdhya = petit terme). Ex. partout où il y a de la fumée,
il y a du feu; 2° la considération (parâmarça) que le sujet
(paksha = le grand terme) possède justement le moyen terme, lequel
entraîne l'existence du petit terme; ex. : sur cette montagne il y a de
la fumée, laquelle implique du feu. En fait, cette « considération »
contient le raisonnement tout entier et
c'est en ce sens qu'on peut dire qu'elle est la déduction même et la
cause de la connaissance déduite, à savoir, dans ce cas particulier :
donc sur cette montagne il y a du feu. Mais il faut distinguer deux cas,
selon que l'on fait le raisonnement pour soi-même ou pour le bénéfice
d'autrui : dans le premier cas, la démarche de la pensée est à peu près
celle que nous venons d'esquisser : mais le syllogisme
didactique procède autrement et comporte cinq membres : 1° la proposition
(il y a du feu sur la montagne); 2° la raison (car il y a de la fimée);
3° l'exemple (partout où il y a de la fumée, il y a du feu; comme par
exemple dans une cuisine); 4° l'application (il en est de même pour cette
montagne); 5° la conclusion (donc il en est ainsi).
Les raisons (ou moyens termes) sont de trois sortes; Ã leur tour les fautes
de syllogisme sont de six espèces, qui elles-mêmes comportent plusieurs
subdivisions, etc. Il serait trop long d'entrer ici dans tous ces détails.
c. L'induction
par analogie est proprement le fait de mettre
un nom sur un objet. L'opération est ainsi décrite : quelqu'un qui ne
sait pas ce que c'est qu'un rhinocéros
a entendu dire à un chasseur que c'était un animal de la taille d'un
petit éléphant
avec une corne sur le nez : cette description lui est restée dans la mémoire,
et un jour, dans la forêt, apercevant un animal qui y correspond, il commit
: « c'est là ce qu'on appelle un rhinocéros »; cette connaissance est
une upamiti.
d. La parole est la sentence d'une personne
digne de foi; une personne digne de foi est celle qui dit la vérité;
une sentence est une collection de mots; un mot, c'est un son articulé
qui a un sens; le rapport des mots et de leur sens respectif est d'institution
divine. Pour qu'une sentence soit compréhensible, il faut que les mots
qui la composent soient :
1° subordonnés l'un à l'autre;
2° compatibles entre eux et 3° énoncés à intervalles rapprochés.
Il y a deux sortes de parole : la sacrée ou védique et la mondaine ou
profane; la première fait toute autorité; pour la seconde, cela dépend
de celui qui l'énonce.
Telles sont les quatre espèces de connaissance
vraie. De son côté, la connaissance fausse est de trois sortes :
1° le doute, comme quand on dit
: « c'est un tronc d'arbre ou un homme »; 2° la méprise, comme quand
on prend de la nacre pour de l'argent; 3° l'absurdité logique, comme
quand on dit : « voilà de la fumée sans feu, » proposition qui peut
être immédiatement « réduite à l'absurde ».
III. Activité.
Elle est de cinq espèces : l'élévation,
l'abaissement, l'expansion, la contraction et le mouvement
en général.
IV. Généralité.
Elle est éternelle,
une, existant en plusieurs : elle réside dans la substance, la qualité
et l'activité. Elle est de deux sortes, supérieure ou inférieure. La
supérieure, c'est l'idée d'être;
l'inférieure, c'est par exemple l'idée plus restreinte de
substance.
V. Spécificité.
Les différences résident dans les atomes
subtils des substances, lesquels sont éternels
elles s'excluent l'une l'autre et sont sans nombre.
VI. Coexistence.
C'est une relation
intime et perpétuelle qui existe entre des couples qui se supposent mutuellement,
comme le qualifiant et le qualifié, l'action et l'agent, l'espèce
et l'individu, etc.
VII. Inexistence.
Elle est de quatre espèces 1 ° l'inexistence
antérieure, qui n'a pas de commencement, mais qui a une fin (ex. celle
d'un effet antérieurement à sa production); 2°
l'inexistence postérieure ou par destruction, qui a un commencement, mais
n'a pas de fin (ex. celle d'un effet après sa destruction); 3° l'inexistence
absolue, à la fois passée, présente et future, comme quand on dit :
« il n'y a pas de pot à cet endroit; » 4° l'inexistence réciproque,
comme quand on dit : « un pot n'est pas de l'étoffe. » Avec cette septième
et dernière catégorie, nous avons épuisé la liste de tous les objets
connus et terminé notre tableau général des choses.
Tel est, d'après Annambhatta, le résumé
ou plutôt le squelette de cette philosophie
: il y manque, il va de soi, dans les limites qui nous sont imposées ici,
sans parler de plus d'une théorie importante,
comme par exemple celle de la définition,
toute la richesse des détails, tous les raffinements des commentaires,
toute la saveur particulière des discussions d'école, c.-à -d. tout ce
qui en fait la vie, la substance et l'intérêt. (A. Foucher). |
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