Jalons |
Vers
la triangulation du monde
La réalité de l'aplatissement aux pôle
de notre globe, étant accéptée dès la fin du siècle précédent ( La
géodésie aux XVIIe et XVIIIe
siècles), l'objectif de la géodésie au XIXe
siècle va consister pour une large part à déterminer les
irrégularités de la surface terrestre, par rapport à une surface ellipsoïdale
moyenne ou surface osculatrice. Mais, pour atteindre à ce but, les opérations
géodésiques devront pouvoir embrasser des arcs situés en nombre égal
dans toutes les portions du globe. Or à cette époque tous les arcs méridiens
mesurés sont localisés en Europe sur un espace de 20° en longitude ,
compris entre l'arc anglo-franco-espagnol et l'arc russe, si l'on excepte
les arcs Ă©quatoriaux de l'Inde
et du Pérou et l'arc du cap de Bonne-Espérance et quelques mesures en
Inde ou aux États-Unis
(mesure d'un arc d'un degré et demi en Pennsylvanie par Mason
et Dixon).
Jusqu'Ă
1850 - La triangulation des îles Britanniques,
que Roy, Mudge et Kater commencèrent en 1784,
fut terminée en 1802 par la mesure d'un arc de méridien; elle
s'appuie sur beaucoup d'observations astronomiques, qui lui donnent une
grande valeur au point de vue de la détermination générale de la forme
de la Terre. La triangulation de l'Inde anglaise fut initiée par Kater,
puis dirigée de 1802 à 1823 par Lambton
et de 1823 Ă 1843 par G. Everest.
Au Danemark, Schumacher
a donné en 1817 le programme des travaux géodésiques et Hansen
a triangulé en 1821 le duché de Holstein.
La première triangulation
des Pays-Bas a été faite de 1802 à 1814 par Krayenhoff,
qui a publié à La Haye en 1827 un précis historique de ses opérations
géodésiques.
Les triangulations
ont été commencées en 1810 en Bavière et dans le Palatinat,
et en 1818 dans le reste de l'Allemagne. De 1821 Ă 1824,
Gauss a mesuré un arc de méridien entre Göttingen
et Altona et un arc de parallèle en Hanovre, en employant des méthodes
originales et un instrument qu'il a inventé, l'héliotrope, pour viser
les sommets éloignés des triangles.
En Russie, les travaux
géodésiques ont été dirigés par W. Struve
et T.-F. de Schubert respectivement Ă partir
de 1816 et de 1820.
En Italie, une triangulation
pour déterminer un arc de méridien entre Rivoli et la mer Adriatique
fut commencée en 1785 par Oriani, continuée
en 1803 par Puissant et achevée en 1811
par les ingénieurs-géographes français. Une autre triangulation fut
faite de 1821 Ă 1821 pour mesurer l'arc de parallèle Ă
45° qui traverse la Savoie et le Piémont; mais les résultats des opérations
géodésiques, qui furent difficiles dans les Alpes, a cause des neiges,
ne s'accordèrent pas avec ceux des observations astronomiques faites par
Carlini et Plana; et
ce dernier attribue les différences à une irrégularité de densité
des couches terrestres dans la chaîne des Alpes.
On voit d'après cela qu'il était encore
indispensable, pour asseoir des conclusions solides, de mesurer un arc
aux États-Unis aussi long que possible à l'Est des montagnes Rocheuses,
un autre arc au Chili le long de la côte, un autre arc en Égypte dans
la vallée du Nil, d'étendre celui du Cap et enfin de mesurer un arc en
Australie et un autre en Indochine
dans la vallée du Mékong .
Un arc dans la vallée du Para et un autre au Brésil seraient également
très bien placés estimait-on, mais l'entreprise n'est semblait plus difficile
à réaliser. Quant à la triangulation de l'Afrique intérieure, elle
semblait encore irréalisable avant de longues années. Les efforts effectués
par la France, pour prolonger le méridien français au Sahara
jusqu'à Ghardaïa, paraissaient réaliser tout ce qu'il est possible de
tenter dans le Nord de l'Afrique, si ce n'était dans la vallée du Nil
évidemment plus accessible. Malheureusement pour la paix européenne,
les grandes puissances paraissaient avoir dans la vallée du Nil des préoccupations
fort étrangères à la vérification du degré de Sennâar, et les savants
plaçaient plutôt leurs espoirs dans la mesure de l'arc de méridien en
Indochine.
Après
1850 - En France, pour la Carte de l'État-Major, initiée en
1818, la mesure de triangles de premier et de second ordre fut achevée
en 1854, et celle des triangles de troisième ordre en 1863.
Dans les ĂŽles Britanniques,
les principaux travaux géodésique ont été faits par l'Ordnance Survey
Office, qui date de 1791. La triangulation de l'Inde anglaise a
été dirigée de 1843 à 1861 par A.
Waugh, et de 1861 Ă 1878 par J.-T.
Walker; elle comprend la mesure d'un arc de méridien de 21°.
En Belgique, les
triangulations ont été faites de 1853 à 1873.
Au Danemark,
les triangulations ont été terminées en 1870. Andrae
a fait achever en 1867 la mesure d'un arc de méridien et d'un arc
de parallèle se rattachant à ceux que Gauss avait
mesurés. II en a publié les résultats de 1867 à 1885
dans son ouvrage intitulé Den danske Gradmaaling (1867-1885),
dont une partie rédigée en français a pour titre Problèmes de haute
Géodésie (1881).
Aux Pays-Bas, les
travaux ont été repris en 1861.
En Bavière et le
Palatinat, les opérations géodésiques ont été achevées en 1854.
Dans le reste de l'Allemagne, elles ont été continuées en 1847
par Baeyer. Elles embrassent la mesure, terminée
en 1877, de l'arc du parallèle à 52° compris entre les frontières
belge et russe.
En Autriche et en
Hongrie, l'Institut militaire géographique de Vienne a fait mesurer, de
1862 à 1890, des chaînes de triangles dans la direction
de trois parallèles et de six méridiens.
En Russie, W.
Struve et T.-F. de Schubert terminèrent
leurs travaux géodésiques respectivement en 1855 et en 1862.
Les triangulations
de premier ordre dans les diverses parties de l'Italie furent faites surtout
de 1836 à 1863; les autres travaux se sont continués depuis
cette Ă©poque.
Les grandes triangulations
de l'Espagne, commencées en 1859 à Madrid
par une Commission militaire, avec des instruments précis, ont été terminées
en 1877 à Ares par l'institut géographique, sous la direction
d'Ibañez.
En 1895, Defforges
a présidé, sur la demande du gouvernement de la Roumanie, à la mesure
des trois bases fondamentales de la Carte militaire de cette contrée.
Ensuite, sur la demande du gouvernement de la Porte, la France l'a envoyé
en mission officielle pour organiser le service de la Carte militaire
de l'Empire ottoman). En février 1897,
la base centrale était mesurée, les coordonnées de départ déterminées
astronomiquement et les triangulations commencées. Les opérations, interrompues
par la guerre turco-grecque, se continueront ensuite.
Jusqu'en 1862,
on avait mesuré dans l'Europe deux grands arcs de méridiens : l'arc hispano-franco-anglais
de 22° 40', s' étendant de Formentera, dans les îles Baléares ,
à Saxavord, dans les îles Shetland, et l'arc russo-scandinave de 25°20',
compris entre Hammerfest, sur les bords de la mer Glaciale, et IsmaĂŻl,
sur les bords du Danube; trois petits arcs de méridiens en Hanovre, en
Danemark et dans la Prusse
orientale; deux arcs de parallèles, l'arc franco-sarde-autrichien de Marennes
Ă Orsova et l'arc franco-bavarois-autrichien de Brest Ă Vienne. En Russie,
les observations furent faites par la méthode de W.
Struve.
Le Bureau hydrographique
des États-Unis a terminé en 1878, entre les États du Maine et
de Géorgie, une triangulation ayant 18° de longitude et 12° de latitude.
De 1837 Ă
1849, Antoine d'Abbadie a fait des levés
en Abyssinie
par les méthodes de la Géodésie expéditive; il expose ces méthodes
et donne les résultats de ses observations
dans sa Géodésie d'une partie de la Haute-Éthiopie
(1860-1874), publiée avec la collaboration de R.
Radau pour les calculs et la construction des cartes.
Les Cartes marines
étaient, jusque vers 1845, établies par des levés sous voiles,
qui ne donnaient que des croquis, ou par des procédés géodésiques souvent
impraticables dons les pays sauvages. Mouchez
les établit par une méthode mixte consistant à employer des points fixes
déterminés par des observations astronomiques faites à terre; et pour
cela il avait fait modifier par J. Brunner, en
1849 et en 1856, la lunette méridienne pour la rendre portative.
Il levait rapidement et avec assez d'exactitude les contours d'une cĂ´te
ou d'une baie, en faisant avec le théodolite un petit nombre de stations
sur des points culminants. Vers 1850, il introduisit dans la manière
de faire le point une modification qui fut ensuite pratiquée sous le nom
de méthode américaine. Il établit de 1867 à 1873, sur
une étendue de 800 km, la Carte des côtes de l'Algérie, qui n'étaient
connues que par le levé sous voiles fait de 1831 à 1835par
BĂ©rard et de Tessan.
Il est bon de remarquer que, dans les levés de reconnaissance des côtes,
on commence à obtenir à cette époque les angles avec rapidité et une
précision suffisante en employant la chambre claire de Wollaston
modifiée par A. Laussedat en 1854.
La
mesure d'un arc de parallèle en Algérie
Les mesures d'arcs de méridien ne sont
pas les seules opérations que l'on puisse entreprendre pour déterminer
les dimensions de l'ellipsoïde terrestre. Les arcs de parallèle pourraient
être d'un grand secours, s'il était possible d'en déterminer l'amplitude
avec sûreté. Ainsi, alors que pour l'étude de la forme de la Terre,
on n'avait employé jusqu'en 1864 que
des arcs de méridiens, parce qu'on n'avait ni méthode, ni instruments
permettant d'obtenir avec une précision suffisante les amplitudes célestes
des arcs de parallèle, l'État-Major français chargea Perrier
de diriger en Algérie les opérations de mesure d'un arc de parallèle
terrestre; c'est dans ce pays qu'Ă partir de 1867,
Perrier se servit, pour remplacer le cercle répétiteur, d'un cercle réitérateur
qu'il avait fait construire par E. Brunner. Il
fit mesurer deux bases ayant une longueur d'environ 10 km, l'une Ă Oran,
l'autre Ă BĂ´ne (Annaba) ,
En 1869, la triangulation de l'Algérie
était terminée dans la région du Tell et il ne restait plus, pour fixer
la place de cette région sur le sphéroïde terrestre, qu'à mesurer la
longitude, la latitude et un azimut en une station centrale, qui fut la
ville d'Alger. La mesure de la différence
de longitude entre Paris et Alger fut faite
en 1874 par Perrier, qui resta dans
la première ville, et par Loewy, qui se rendit
dans la seconde. Pour cette mesure, sur la proposition de Le
Verrier, l'enregistrement électrique fut appliqué à l'observation
des passages et à l'échange des signaux. Le nombre ainsi trouvé concordait
avec celui que Loewy et Stéphan avaient obtenu
à la même époque au moyen de deux opérations, l'une entre Paris et
Marseille, l'autre entre Marseille et Alger. Ensuite, Perrier, installé
dans un Observatoire qu'il avait Ă©tabli sur le plateau de Voirol, dominant
les collines de Mustapha, trouva le latitude d'Alger par l'observation
des distances zénithales méridiennes de 46 étoiles voisines du zénith .
II détermina, en 1874 et en 1878,
l'azimut
d'un point de repère situé sur un mamelon élevé de l'Atlas et très
voisin du méridien d'Alger, Ia latitude et l'azimut de Bône et de Nemours,
villes voisines des extrémités de l'arc de parallèle mesuré, et les
différences de longitude
entre ces trois villes; il a apporté un soin tout particulier au calcul
des positions géographiques, en faisant, pour obtenir la concordance des
bases, des corrections sur les angles d'après une méthode que Laplace
donne dans sa Théorie analytique des probabilités (1812).
Des résultats que Perrier trouva en mesurant un arc de parallèle algérien
de 9°36', il résultait que la courbure de la Terre devait être irrégulière
dans la région où se trouve cet arc.
Malheureusement, il n'est pas encore envisageable,
au XIXe siècle,
de répondre d'une différence de longitude à moins de 1"5, erreur
double de celle que l'on peut craindre sur l'amplitude d'un arc de méridien.
D'ailleurs, l'inégale distribution des terres dans les deux hémisphères
ne permet pas, à de très rares exceptions, de mesurer des arcs de parallèle
symétriques par rapport à l'équateur
et compris entre les mêmes méridiens; une telle recherche perd le grand
intérêt qu'elle présenterait en fournissant, dans le cas d'identité,
la preuve expérimentale de la similitude
des deux hémisphères. On cite quand même, comme pouvant servir à cette
démonstration, des arcs de 50° N. et
S. de latitude compris entre les mĂ©ridiens de 70° et 80°, c.-Ă -d. Ă
la hauteur de l'embouchure du Saint-Laurent dans l'Amérique du Nord et
vers la pointe de l'Amérique du Sud ,
puis les arcs de 30° en Afrique s'étendant, d'une part, d'Alexandrie
aux confins occidentaux de la Tripolitaine,
le long de la Méditerranée et, de l'autre, des rivages de l'océan Indien
à ceux de l'Atlantique à quelques centaines de kilomètres au Nord de
ce qui est alors colonie du Cap ( L'Afrique
australe). Enfin, Ă la mĂŞme distance de l'Ă©quateur, un petit arc
de parallèle en Australie et un autre en Chine .
mais dans ce dernier cas, les savants de l'Ă©poque se demandent s'il
leur sera jamais possible de pénétrer à l'intérieur de l'Empire Céleste,
Ă quelque profondeur dans les terres...
-
Les
jonctions géodésiques
La jonction géodésique
de la France avec l'Angleterre.
Avant 1861,
le travail de jonction des triangulations de la France avec l'Angleterre,
par-dessus le détroit du Pas-de-Calais, avait été plusieurs fois entrepris
par des géodésiens de ces deux pays, mais sans succès, parce que les
signaux ordinaires ne pouvaient être nettement aperçus d'une rive du
détroit à l'autre rive. Dans les années 1861
et 1862,
cette jonction fut opérée séparément et simultanément, en se
servant de l'héliotrope de Gauss, par deux Commissions
composées, l'une d'ingénieurs anglais, notamment H.
James et M. Clarke, l'autre d'officiers français, dont le chef, Levret,
eut Perrier pour collaborateur le plus actif.
Des travaux de ces deux Commissions, il est résulté la mesure d'un nouvel
arc de la méridienne de France, ayant 13° et s'étendant de Dunkerque
aux îles Shetland.
Carte
de la la jonction des côtes françaises et anglaises,
publiée
par Arago dans son Astronomie populaire (1859).
La jonction géodésique
de l'Algérie avec l'Espagne.
Levret
avait prouvé en 1863
que la jonction géodésique de l'Algérie avec l'Espagne, par-dessus la
Méditerranée, était théoriquement possible, parce que la courbure de
la Terre n'intercepte pas la trajectoire des rayons visuels allant de l'Atlas
aux sierras de Grenade et de Murcie .
Perrier reconnut en 1868
sur le terrain même que cette jonction était matériellement possible.
En 1873,
Ibañez et Perrier, qui dirigèrent les opérations
de cette jonction, choisirent les stations très élevées de Mulhacen
et Tetica en Espagne, de Filhaoussen et M'Sabiha en Algérie, formant un
quadrilatère dont chaque sommet est visible de chacun des trois autres.
Comme les signaux devaient ĂŞtre perceptibles Ă des distances d'environ
300 km, ils durent avoir recours à la lumière solaire pendant le jour
et à la lumière électrique pendant la nuit. Pour les signaux de nuit,
ils se servirent d'appareils que venait d'imaginer A.
Laussedat. Ce fut un travail très difficile que de faire transporter
à de si grandes hauteurs une machine magnéto-électrique de Gramme, une
machine à vapeur pour l'actionner et les instruments géodésiques. Malgré
ces difficultés, malgré les attaques des tribus hostiles à la présence
française, malgré la gêne apportée par le ciel brûlant de l'Algérie
et par les neiges couvrant à la fin de l'été la montagne de Mulhacen,
les observateurs réussirent pleinement à opérer la jonction projetée,
grâce aux signaux électriques de nuit qui seuls furent aperçus. Les
observations, commencées le 9 septembre,
se terminèrent le 1er octobre. L'opération
géodésique fut complétée du 5 octobre au 16 novembre, par le rattachement
des réseaux astronomiques de l'Espagne et de l'Algérie. Ainsi se trouvait
réalisé, au moyen des plus grands triangles qui aient été mesurés,
un voeu Ă©mis par Biot et Arago
Ă leur retour d'Espagne.
L'Association
géodésique internationale
Tous ces desiderata supposaient des actions
concourantes bien diverses. Dans ce but, les géodésiens ont fondé l'Association
géodésique internationale, dont la tâche était d'examiner en commun
les moyens les plus propres à faire progresser la science géodésique,
en assurant une direction aux travaux entrepris par chaque nation.
Fondée à Berlin en 1864
sous l'initiative du général Baeyer, l'Association
pour la mesure du degré dans l'Europe centrale prit en 1867
le titre d'Association géodésique internationale, après
l'adhésion de la Russie et de l'Espagne. Pour comprendre dans son domaine
toutes les mesures effectuées hors de l'Europe, l'Association géodésique
internationale fut réorganisée; après la mort de son fondateur Baeyer
: le Gouvernement prussien prit l'initiative de la réforme. Dans une Conférence
tenue Ă Berlin en octobre 1886,
les délégués des principales contrées de l'Europe, la Turquie et l'Angleterre
exceptées, et de quelques contrées des autres parties du Monde, décidèrent
que l'Association géodésique internationale avait pour but la mesure
des degrés de toute la Terre; qu'elle aurait à Berlin un Bureau central
de calculs; qu'une Commission permanente, composée de 11 membres, se réunirait
tous les ans, dans une ville des États associés; que l'Association aurait
tous les trois ans une réunion plénière où la Commission permanente
serait renouvelée par moitié. Ibañez fut alors nommé président de
cette Commission et R. Helmert directeur du Bureau
central des calculs.
La conférence générale se réunira désormais
dans l'une des capitales des États associés; une commission permanente
composée de membres choisis parmi les délégués se réunit chaque année
dans une ville différente; les délégués qui n'en font pas partie sont
invités à assister aux séances, mais sans droit de vote. La commission
permanente s'occupe de la publication des rapports communiqués par les
délégués sur les travaux géodésiques exécutés dans leurs pays et
sur leurs propres recherches. Un organe spécial de l'Association, appelé
bureau central, classe et conserve les archives; il rédige en outre un
rapport général et s'occupe des questions relatives à l'uniformité
des mesures géodésiques et, astronomiques. L'Association possède un
budget alimenté au moyen de cotisations annuelles versées par les États
adhérents.
Les premières
réunions - La Commission permanente, par les réunions annuelles et
par les Congrès de Berlin en 1864 et en 1867, de Vienne
en 1871, de Dresde en 1874, est arrivée à résoudre d'une
manière jugée alors satisfaisante les questions que posaient la géodésie
à cette époque. La France, qui avait été l'initiatrice des travaux
de mesure de la Terre, étaient restée à peu près stationnaire, pendant
que les autres pays couvraient leur sol de triangulations en employant
de meilleurs instruments et procédés d'observation et de calcul. Elle
hésita même longtemps avant de céder aux instances de l'Association
qui lui demandait de prendre part Ă ses travaux. Ce fut seulement en 1871
qu'elle commença à en faire partie et désigna Delaunay
pour la représenter au Congrès de Vienne.
En 1874, H. Faye fut nommé membre de la
Commission permanente. L'Association vint tenir Ă Paris,
en 1875, sous la présidence d'Ibañez,
un congrès, où fut décidée la construction d'une règle géodésique
internationale pour la mesure des bases et oĂą Perrier
déclara que les observations de nuit sur les repères d'une triangulation
"donnent une précision au moins égale, sinon supérieure aux observations
de jour ".
A la réunion de
la Commission permanente à Nice en 1887, l'empereur du Brésil
Dom Pedro d'Alcantara déclara que le Brésil ferait partie de l'Association;
cette accession présentait un grand intérêt, parce que l'on n'avait
presque pas encore de mesures dans l'Amérique du Sud. Ch.
Lallemand a démontré la nécessité d'apporter aux résultats des
nivellements de précision une correction due aux variations de la pesanteur.
A la Conférence
générale de Paris en 1889, G.
Davidson a annoncé l'accession des États-Unis à l'Association géodésique
et a demandé une nouvelle mesure de l'arc du Pérou avec toutes les ressources
de la science moderne.
Plusieurs questions
ont été discutées dans la réunion de la Commission permanente à Fribourg
en 1890. Bouquet de la Grye et Ch.
Lallemand ont lu chacun un mémoire sur le choix d'un zéro unique
pour les nivellements. Comme les recherches de la géodésie exigent que
les points soient rapportés à une même surface, l'Association s'était
déjà occupée de la question difficile du zéro unique; elle avait d'abord
conseillé d'installer dans les ports des instruments, appelés marégraphes,
pour enregistrer les variations du niveau des mers, ce qui fut fait dans
plusieurs ports; elle avait demandé que les nivellements fussent faits
deux fois et en sens inverses pour s'assurer de leur degré d'exactitude.
Dans son mémoire, Bouquet de la Grye, se basant sur ses nombreuses observations
Ă Brest, est favorable au projet de prendre pour surface fondamentale
le niveau moyen de l'Océan; il montre que l'on peut obtenir rapidement
le niveau moyen de la mer et faire facilement les corrections dues aux
marées
et aux vents, en appliquant les formules qu'il donne.
Ch. Lallemand a été
porté par ses recherches à penser que toutes les mers ont le même niveau
moyen : il en résulterait, précise-t-il, que la question du zéro unique
perd de son importance. Defforges a parlé
de ses recherches sur la loi de décroissance des amplitudes du pendule.
Les membres ont discuté la question de la variation des latitudes. La
détermination exacte des latitudes terrestres est importante en astronomie,
parce que les latitudes servent à trouver les déclinaisons des étoiles,
et en géodésie, parce que, pour calculer la forme de la Terre et obtenir
les amplitudes des arcs de méridien mesurés, on détermine les différences
des latitudes. En comparant les latitudes mesurées avec soin en 1889
et en 1890, Ă Berlin, Ă Potsdam
et Ă Prague, le Bureau central il conclu
que la latitude a une variation périodique d'environ une demi-seconde.
Villarceau, de 1856 Ă 1861,
avait aussi trouvé à Paris des variations
annuelles de la latitude. Il paraissait dès lors probable qu'il s'agissait
d'un phénomène général. La question de la variation des latitudes,
qui préoccupait les astronomes, a été examinée avec soin en 1891
par R. Radau dans un des chapitres du Traité
de Mécanique céleste de Tisserand.
Dans la réunion
de la Commission permanente Ă Florence
en 1891, Hervé Faye a été nommé président
de cette Commission en remplacement d'Ibañez. Les premiers résultats
obtenus par la mission d'Honolulu relativement
à la variation des latitudes ont été communiqués. Ch. Lallemand
annonça que les travaux de nivellement du réseau de premier ordre étaient
presque terminés en France; R. Helmert lut un
long Rapport sur la question générale des nivellements et conclut
qu'il était actuellement impossible de transporter un zéro fondamental
par un nivellement géométrique étendu.
Robert Helmert a
déclaré dans la Conférence générale de Bruxelles ,
en 1892, que Chandler a pu démontrer
la variation périodique des latitudes pour une longue série d'années,
par la discussion de matériaux tirés des données de nombreux Observatoires.
Il en résultait, ajoutait-il, que le déplacement de l'axe de la Terre
dans celle-ci est la cause de cette variation, qui a une période annuelle
en même temps qu'une période d'environ 14 mois ( Le
Mouvement des pĂ´les ).
Cette question a encore été agitée aux réunions de Genève en 1893,
d'InnsbrĂĽck en 1894 et de Lausanne
en 1896; H.-G. Van de Sande Bakhuyzena
présenté à Lausanne des considérations utiles sur le mode d'étude
des variations périodiques de la latitude. R. Helmert a lu à Bruxelles
la suite de son mémoire de Nice sur les déviations de la verticale. Ayant
rapporté à l'ellipsoïde de Bessel et à celui
de Clarke un grand nombre d'observations, il a
reconnu que le premier s'adapte mieux aux résultats que le second et que
les masses continentales exercent une attraction sur le fil Ă plomb.
A la Conférence
générale de Berlin en 1895, Ch. Lallemand
a lu, sur le rôle des erreurs systématiques dans les nivellements de
précision, une note où il rappelle qu'il a indiqué en 1889, dans
son ouvrage Nivellement de haute précision, une méthode graphique
simple pour mettre en Ă©vidence ces erreurs et en mesurer la grandeur;
il a trouvé qu'elles varient de 0,05 mm à 0,30 mm par kilomètre, dans
les principaux réseaux des nivellements européens.
La Russie a apporté
à l'Association la mesure, terminée en 1894, de la partie de l'arc
du parallèle à 52° comprise entre Varsovie
et Orsk, dans l'Oural. Cet arc de parallèle, prolongé jusqu'à l'île
Valentia en Irlande, par des savants prussiens, belges et anglais, a une
amplitude de 60°.
A la réunion de
la Commission permanente Ă Stuttgart
en 1898, Bakhuyzen a dit que les Ă©tudes
de son frère et de lui-même ont confirmé l'existence d'une variation
de la latitude soumise à deux périodes, l'une de 431 jours et l'autre
de 365. Après une longue discussion sur la question des latitudes, les
membres de la réunion ont décidé d'organiser, aux frais de l'Association
géodésique, un service international de latitude avec six stations sur
le parallèle à 39° 8', et ils ont proposé d'adopter la méthode de
Horrebow. Notons que Moritz
Loewy a proposé en 1885, pour déterminer la latitude, une
méthode qui est fondée sur un autre principe que la précédente, et
que l'on emploiera à l'Observatoire de Paris. Ensuite, on a examiné les
Rapports des délégués de 14 Gouvernements sur l'état de la géodésie
dans chaque pays. Le premier rang est occupé par l'Allemagne, où les
officiers de la Landesaufnahme ont mesuré avec soin un vaste réseau de
triangles. En Algérie
et en Tunisie ,
les officiers que dirigeait Bassot ont mesuré,
huit grandes bases et assurent qu'ils auront achevé dans les premières
années du XXe siècle la triangulation de deux longues chaînes
reliées par quatre lignes méridiennes. Enfin Bouquet
de la Grye a lu son Rapport sur plus de 70 marégraphes qui
fonctionnent en Europe; il a trouvé que la France emploie le type le plus
simple de ces instruments, et que le niveau moyen de la mer, et par suite
du sol, reste à peu près stationnaire aussi bien à Brest qu'au Havre.
Le résumé des comptes rendus des diverses
réunions de l'Association géodésique internationale en témoignent,
en aspirant à la représentation exacte de la surface terrestre par rapport
à celle d'un ellipsoïde idéal, les géodésiens avaient été conduits
dans les dernières décennies du XIXesiècle
à une nouvelle série de déterminations se rapportant aux altitudes des
sommets géodésiques au-dessus de cet ellipsoïde. Les recherches si précises
entreprises dans cette direction ont permis d'Ă©tablir que la surface du
niveau moyen des mers ne pouvait être utilisée dans ce but, car en a
pu constater, au moyen des chaînes de nivellement, des différences d'altitude
entre le niveau moyen des mers sur différents points des côtes d'Europe.
De là est né le problème du zéro universel qui a longtemps été une
des questions les plus controversées dans le sein de l'Association géodésique
internationale.
Les
nivellements
On appelle nivellement
la suite d'opérations servant à déterminer le relief du sol relativement
à la surface moyenne de la Terre. En d'autres termes, le but visé est
d'obtenir les hauteurs respectives, ou altitudes, des divers points par
rapport à l'ellipsoïde de révolution qui est le prolongement au-dessous
des continents de la surface des mers. Les altitudes peuvent ĂŞtre fournies
grosso modo par le baromètre. L'intervention de deux observateurs est
nécessaire, l'un se tient dans une localité dont l'altitude est supposée
connue et note à intervalles équidistants pression et température; l'autre
se déplace et relève les mêmes données dans les endroits qu'il traverse.
Les baromètres altimétriques, encore plus imparfaits, donnent l'altitude
par une simple lecture; l'hypsomètre sert au même usage. Ces procédés,
employés depuis le XVIIe
siècle, sont encore parfois utilisés
au XIXe
siècle, mais seulement faute de mieux,
par exemple dans les ascensions en ballon ou sur des montagnes ou dans
les explorations en pays inconnus. Désormais, la détermination des altitudes
absolues dans le lever de la carte d'un grand pays reposent pour l'essentiel
à des méthodes plus rigoureuses et fiables, basées ici encore sur des
triangulations.
Les anciens géodésiens
se préoccupaient seulement de déterminer l'altitude des sommet des grands
triangles et des points les plus importants. D'ailleurs, la construction
des routes n'exigeait pas une grande exactitude, et des opérations topographiques
assez grossières suffisaient pour leur tracé. Les grands travaux nécessités
par les chemins de fer, tunnels, percements d'isthmes (Suez, Panama), etc.,
créèrent des besoins nouveaux, et une véritable science vit le jour.
Le mouvement s'étendit progressivement à l'Europe entière; en France,
les ingénieurs des mines et des ponts furent à la tête du progrès;
ailleurs, la chose fut généralement rattachée aux services géographiques;
partout l'effort fut considérable et les méthodes topographiques parvinrent
rapidement Ă un haut degrĂ© de perfection. Il est juste d'ajouter qu'Ă
la tête d'un personnel d'élite les ingénieurs possédaient des moyens
d'action infiniment plus puissants que ceux mis Ă la disposition des anciens
géodésiens. Bourdaloue, le premier, de 1857
Ă 1864,
entreprit un nivellement général de la France; il couvrit le pays entier
d'un réseau de polygones, leur développement atteignant 3000 km pour
la partie de haute précision.
En face des résultats
obtenus, l'Association géodésique internationale émit le voeu, suivi
d'effet, que la chose fût étendue à l'Europe entière. La Suisse
avait entreprit les premières mesures de nivellement dès 1863.
L'Allemagne en 1864, la Russie en 1873
et l'Italie en 1876, imitèrent la
France et la Suisse. Les méthodes furent perfectionnées
par des ingénieurs, tels que Durand-Claye, le colonel Goulier, Charles
Lallemand, Cheysson, etc., et il fut décidé que les mesures de Bourdaloue
seraient refaites sur une Ă©chelle plus Ă©tendue. Le service du nivellement
général de France, dirigé par Charles Lallemand, commença le travail
en 1884;
la partie principale fut terminée en 1892.
Pour cette
vaste entreprise, la surface du pays a été répartie en 32 polygones
d'un développement total de 12 000 km; 17 000 repères métalliques ont
été placés et serviront ultérieurement à étudier les mouvements du
sol. Cet ensemble forme le réseau fondamental; dans les intervalles, 16
000 km, de cheminements secondaires fixent les altitudes et enfin un réseau
de troisième ordre sera mis en place un peu plus tard. Tout cela n'est
donc encore qu'un travail préliminaire; suivant l'expression de Cheysson,
l'on n'a encore constitué à la fin du siècle que les grandes mailles
du réseau, il reste à remplir le quadrillage, ce qui portera au cours
des décennies suivantes le développement total du nivellement au chiffre
Ă©norme de 800 000 km. A ce moment, l'on pourra songer Ă construire des
cartes d'ensemble Ă grande Ă©chelle, portant des courbes de niveau exactes;
inutile, soulignait-on, de faire ressortir l'importance de la chose pour
toutes les constructions de canaux, dérivations de rivières, etc.
Le réseau fondamental
français fut relié à celui des pays voisins; des divergences notables
subsistaient sur certains points de raccord, mais elles disparurent progressivement
à mesure que le travail se poursuivit. Plus on avançait, plus on était
convaincu que les mers baignant les cĂ´tes d'Europe sont sensiblement Ă
un même niveau. Bourdaloue avait trouvé comme différence moyenne entre
la Méditerranée et l'Océan 0,72 m. Charles Lallemand ne signalait plus
qu'un écart de 0,40 m. Les nouvelles méthodes étaient à peu près trois
fois plus précises que les anciennes. On était loin des hypothèses faites
au milieu du XIXe
siècle, et jusqu'au moment du percement
de l'isthme de Suez, sur les différences de niveau des mers. Toutefois,
constatait-on, l'attraction des cĂ´tes jouait un rĂ´le sur la hauteur des
eaux. La mesure de la Terre devait prendre en compte les effets des attractions
locales.
Attractions locales
Les déterminations de l'intensité de
la pesanteur aux différents points de la Terre étaient entrées dans
le domaine de la géodésie seulement quelques années plus tôt. L'Ordnance
Survey Office, dirigé par H. James, de 1854
à 1874, a déterminé les attractions
locales dues au relief du sol autour des stations, pour corriger les latitudes
observées. En Russie, T.-F. de Schubert proposa
en 1860 de faire niveler, d'après
la méthode anglaise, le terrain des stations astronomiques des principales
mesures d'arcs de méridiens, non seulement en déterminant la déviation
nord-sud du fil à plomb, mais aussi la déviation est-ouest. La comparaison
entre les mesures astronomiques et les mesures géodésiques amena Villarceau
à reconnaître que les attractions locales ont, selon une opinion qui
commençait alors à se manifester, une influence sur les longitudes et
les azimuts. II étudia la question d'une manière approfondie et parvint
Ă Ă©tablir en 1866 une relation qui
a lieu, quelles que soient les attractions locales, entre leurs effets
sur les longitudes et les azimuts. Le même Villarceau a en outre démontré
en 1868 un autre théorème relatif
aux attractions locales et en a tiré des conséquences qui facilitent
la solution du problème de la détermination de la figure de la Terre
: en 1871, il a donné une méthode
de calcul pour déterminer la forme de la Terre, sans employer de nivellements
proprement dits; enfin, en 1873, il
compléta ses nombreuses recherches sur les attractions locales; ses travaux
l'ont conduit à rejeter l'hypothèse que la Terre diffère notablement
d'un ellipsoïde de révolution.
Mentionnons encore dans ce domaine les
mesures de latitude et d'azimut, les déterminations télégraphiques de
longitude qui sont devenus à cette même époque le complément indispensable
de toute chaîne de triangles. Ajoutons encore les opérations si longues
et si délicates que nécessite l'étalonnage des règles géodésiques
. Signalons enfin que les divers angles qui entrent dans un réseau géodésique
ne le rendent pas géométrique, ce qui revient à dire qu'un point n'occupe
pas la même position, suivant qu'il est rattaché à un système de deux
autres points ou à un autre, par suite des légères erreurs entachant
les mesures angulaires. De là résulte la nécessité de compenser le
réseau par le calcul d'un ensemble de corrections aux angles ayant pour
objet d'ajuster tous les triangles, comme les pièces d'un jeu de patience.
La solution du problème de la compensation dérive de l'application de
la méthode des moindres carrés à la résolution des équations de condition
fournies par le réseau, en nombre plus ou moins grand, suivant qu'il est
plus ou moins riche, c.-à -d. que les points sont liés entre eux par un
plus grand nombre de combinaisons de lignes. La compensation d'un réseau
un peu compliqué comporte des calculs énormes extrêmement pénibles,
malgrĂ© le secours que l'on peut tirer des toutes premières machines Ă
calculer. Si l'on rapproche ces calculs de la masse de corrections qu'il
faut faire subir aux observations de toute nature, avant d'en déduire
un résultat quelconque, on voit que les travaux de cabinet poursuivis
par les géodésiens sont plus longs et aussi importants que les travaux
effectués sur le terrain. Une situation qui ne changera pas fondamentalement
jusqu'à la seconde moitié du XXe
siècle. Elle bénéficiera alors des moyens que lui procureront
d'une part les satellites, et d'autre part les ordinateurs. (Ch.
de Villaedeuil / E. Lebon). |
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