|
. |
|
Magie / Mésopotamie > Religion assyro-babylonienne |
La magie en Mésopotamie |
La Mésopotamie
est le berceau de la magie, telle qu'elle a été
transmise à l'Europe, et de l'occultisme,
aussi bien que celle de l'astrologie
et des sciences exactes. C'est des bords du Tigre et de l'Euphrate, plus
encore que de ceux du Nil, que la magie s'est répandue dans le monde
occidental où elle a exercé une influence si funeste jusqu'à
ces derniers siècles.
Les origines de la magie mésopotamienne sont fort obscures, malgré le témoignage des écrivains juifs et grecs, malgré même les nombreux documents originaux que l'assyriologie a livrés. Ces sources ont toutefois singulièrement agrandi le domaine de nos connaissances, sinon en nous faisant pénérer dans l'organisation intérieure des corporations de devins et de magiciens, du moins en nous fournissant le texte de leurs pratiques occultes, de leurs incantations et de leurs procédés théurgiques. Il y avait deux espèces de magie : celle qui n'était qu'une partie du culte régulier, et qu'on voit en usage chez tous les peuples qui, adorant les phénomènes de la nature, ont peuplé d'esprits les forêts, les nuages, les rivières, la nuit, les vents; c'est la magie blanche, essentiellement bienfaisante, et constituant un commerce légitime, établi par les rites sacrés, entre les esprits supérieurs et les prêtres qui les invoquent. Mais à côté du prêtre thaumaturge, exorcisant pour chasser le malin esprit, consacrant des amulettes, il y avait le sorcier qui se faisait l'interprète des puissances infernales et diaboliques, entretenant commerce avec elles et se servant de leur concours pour faire le mal; son art, réprouvé par la religion, constituait la magie noire; le sorcier est un homme pervers qui s'est voué au malin esprit par des pactes, des serments et des enchantements. C'est généralement pour servir les passions mauvaises des humains et dans un but lucratif qu'il exerce sa sinistre besogne. C'est l'état de superstieuse terreur dans laquelle vivait constamment le Mésopotamien, qui entretenait la foi aux procédés de la magie blanche et de la magie noire. Tout l'Orient, il faut bien le reconnaître, a vécu, dès les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, sous l'empire de ces aberrations singulières, et il est curieux, par exemple, de rapprocher l'état d'esprit dans lequel se trouvaient les Assyro-Babyloniens, des idées qui ont encore cours à l'époque moderne chez les populations de l'Inde : « Le peuple hindou, dit le voyageur anglais J. Roberts du début du XXe siècle, a affaire à tant de démons, de dieux et de demi-dieux, qu'il vit dans une crainte perpétuelle de leur pouvoir. Il n'y a pas un hameau qui n'ait un arbre ou quelque place secrète regardée comme la demeure des mauvais esprits. La nuit, la terreur de l'Hindou redouble, et ce n'est que par la plus pressante nécessité qu'il peut se résoudre, après le coucher du soleil, à sortir de sa demeure. A-t-il été contraint de le Faire, il ne s'avance qu'avec la plus extrême circonspection et l'oreille au guet. ll répète des incantations, il touche des amulettes, il marmone à tout instant des prières et porte à la main un tison pour écarter ses invisibles ennemis. A-t-il entendu le moindre bruit, l'agitation d'une feuille, le grognement de quelque animal, il se croit perdu; il s'imagine qu'un démon le poursuit, et, dans le but de surmonter son effroi, il se met à chanter, à parler à haute voix; il se hâte et ne respire librement qu'après qu'il a gagné quelque lieu de sûreté. »Cette description pourrait s'appliquer trait pour trait aux Assyro-Babyloniens. Leur magie repose sur la croyance à d'innombrables esprits répandus en tous lieux dans la nature, dirigeant et animant tous les êtres de la création. Ce sont eux qui causent le bien et le mal, conduisent les mouvements célestes, ramènent alternativement le jour et la nuit, veillent au retour des saisons, font souffler les vents, tomber les pluies, la neige, la grêle, la foudre, en un mot produisent les phénomènes atmosphériques, bienfaisants ou destructeurs; ce sont eux aussi qui donnent à la terre sa fécondité, font germer et fructifier les plantes, président à la naissance et à la conservation de la vie chez les êtres animés, et qui, par contre, envoient la mort et les maladies. Il y a des esprits de ce genre partout, dans le ciel des étoiles, dans les entrailles de la terre et dans les régions intermédiaires de l'atmosphère. Tous les éléments en sont remplis, l'air, le feu, la terre et l'eau; rien n'existe sans eux. Comme le mal est partout, dans la nature, à côté du bien, une idée de dualisme, presque aussi prononcée que dans la religion de Zoroastre (Les Religions de l'Iran, le Mazdéisme), préside à la manière dont les prêtres mésopotamiens conçoivent le monde surnaturel dont ils redoutent encore plus les actions malfaisantes qu'ils n'en attendent de bienfaits. Il y a des esprits bons par essence, et d'autres mauvais également par nature. Leurs choeurs opposés constituent un vaste dualisme qui embrasse l'univers entier, et poursuit, dans toutes les parties de la création, une lutte incessante et éternelle. De même qu'à chaque corps céleste, à chaque élément, à chaque phénomène, à chaque être et à chaque objet, est fixé un bon esprit, un mauvais esprit s'y attache également et cherche à l'y supplanter. La discorde est partout dans l'univers. Emporté. fatalement lui-même au milieu de cette bataille perpétuelle entre les bons et les mauvais esprits, l'humain en sent à chaque instant les atteintes, et son propre sort en dépend. Tout ce qui lui arrive d'heureux est le fait des uns; tout ce qui lui survient de malheureux, celui des autres. Il lui faut donc un secours contre les attaques des mauvais esprits, contre les fléaux et les maladies qu'ils déchaînent sur lui. Ce secours, c'est dans les incantations, dans les paroles mystérieuses et toutes-puissantes dont les prêtres magiciens ont le secret, c'est dans leurs rites et leurs talismans qu'il le trouve; par là seulement, les démons funestes sont écartés, les esprits favorables rendus propices et appelés au secours de l'humain. Dans l'armée du bien comme dans celle du mal, on distingue des catégories de démons hiérarchisés et plus ou moins puissants suivant leur grade. Dans les textes, on mentionne le ekim, le tetal «guerrier », le maskin ou « tendeur d'embûches » le alal « destructeur », le labartu, le labassu, le ahharu, sortes de spectres, de fantômes et de vampires; on cite souvent les mas, les lamma et les utuq; on oppose le mas favorable au mas mauvais, le tamma favorable au lamma mauvais, le bon utuq au méchant utuq. Il y a aussi les alapi ou taureaux ailés, les nirgalli ou lions ailés, et de nombreuses catégories d'archanges qu'on appelle les anunnaks et les ighigs, les uns terrestres et les autres célestes. Ce sont les dieux Anu et Êa, appelés « Esprit du ciel » (zi an na) et « Esprit de la terre » (zi ki a), qu'on invoque généralement dans les incantations, comme les dieux de toute science, seuls capables de préserver l'humanité des atteintes des mauvais anges. Les documents attestent ainsi, chez les Assyro-Babyloniens, une démonologie extrêmement riche, à la savante hiérarchie. Entre l'humanité et le dieu Êa, il existe un dieu médiateur qu'on n'invoque que dans les textes magiques et qui n'a jamais d'autre rôle que cette médiation : c'est Marduk, dont le nom magique et suméro-accadien est Silih-mulu-hi, « celui qui dispose le bien pour les hommes. » - « Je suis celui qui marche devant Êa, lui fait dire un hymne, je suis le guerrier, le fils aîné de Êa, son messager. » Silik-mulu-hi révèle aux humains les volontés et la science de Êa, et, en retour, il porte à Êa l'appel des humains tourmentés par les esprits malins et par les maladies. C'est à lui que s'adresse ce beau fragment dont les expressions ont tant d'analogie avec celles du psaume CXLVII de la Bible : « Devant ta grêle qui se soustrait? - Ta volonté est un décret sublime que tu établis dans le ciel et sur la terre. Vers la mer je me suis, tourné, et la mer s'est aplanie ; - vers la plante je me suis tourné, et la plante s'est flétrie; vers la ceinture de l'Euphrate je me suis tourné, et - la volonté de Silik-mulu-hi a bouleversé son lit. - Seigneur, tu es sublime; qui t'égale? »Un hymne développe son rôle bienfaisant en termes remarquables (les points de suspension (...) signalent les lacunes dans le document) : « [Seigneur grand] du pays, roi des contrées, - ... fils aîné de Ea, qui ramènes (dans leurs mouvements périodiques) le ciel et la terre, -... Seigneur grand du pays, roi des contrées, - dieu, des dieux, - [directeur] du ciel et de la terre, qui n'a pas d'égal, - [serviteur] d'Ana et de Mul-ge, - miséricordieux parmi les dieux, - miséricordieux, qui rappelles les morts à la vie. - Silik-mulu-hi, roi du ciel et de la terre. - roi de Babylone, roi de la Maison qui dresse la tête (la pyramide de Babylone), roi de la Maison de la main droite (la tour à l'étages de Borsippa). roi de la Maison suprême de vie l'autre temple de Borsippa). affermis le ciel et la terre! - affermis autour le ciel et la terre! affermis la lèvre de vie! - affermis la mort et la vie! - affermis la digue sublime de la fosse de l'Océan! L'ensemble des humains qui ombragent leur tête (les hommes qui ont le droit de porter au-dessus de leur tête un parasol, insigne de puissance). - ce qui développe la vie, tout ce qui proclame la gloire dans le pays, - les quatre régions dans leur totalité, - les esprits divins des légions du ciel et de la terre dans leur totalité... Tu es le colosse [favorable]; - tu es celui qui vivifie... ; - tu es celui qui fait prospérer..., le miséricordieux parmi les dieux, - le miséricordieux qui rappelle les morts à la vie, Silik-mulu-hi, roi du ciel et de la terre, - j'ai invoqué ton nom, j'ai invoqué ta sublimité; - la commémoration de ton nom, que les dieux [la célèbrent]; la soumission à toi, qu'ils [la bénissent.] - Que celui dont la maladie est douloureuse soit [délivré.] - [Guéris] la peste, la fièvre, l'ulcère. »Silik-mulu-hi est très nettement identifié dans cet hymne au Marduk de la religion babylonienne, et c'est aussi par Marduk que les traducteurs assyriens des textes magiques ont toujours rendu son nom. Outre Silik-mulu-hi, l'homme appelle souvent à son secours ou essaye d'apaiser les esprits spéciaux à chaque vent, qui sont les uns bons, les autres mauvais. Raman, sous le nom mystique de Im, le dieu ou Esprit du vent, est représenté comme celui qui amène les pluies fertilisatrices; il a sous ses ordres la troupe des dieux des vents spéciaux. Un hymne s'adresse aux eaux qui coulent sur la terre : « Eaux sublimes, [eaux du Tigre], eaux de l'Euphrate qui [coulent] en leur lieu, eaux qui se rassemblent dans l'Océan! filles de l'Océan, qui sont sept, eaux sublimes, eaux fécondes, eaux brillantes, en présence de votre père Ea, en présence de votre mère, l'épouse du grand poisson! qu'il soit sublime! qu'il fructifie! qu'il brille! que la bouche malfaisante et nuisible n'ait pas d'effet. Amen. »Un autre invoque le fleuve comme un dieu spécial et personnel : « Dieu Fleuve, qui pousse en avant, comme l'éperon d'un navire repousse de devant lui le mauvais sort, pareil à un fauve redoutable... Que le soleil à son lever dissipe les ténèbres! dans la maison jamais plus elles ne prévaudront. Que le mauvais sort s'en aille dans le désert et dans les lieux élevés... Le mauvais sort qui se répand sur la terre, Dieu Fleuve, brise-le. »Nous avons encore un hymne à la vague de l'Océan, personnifiée comme une divinité protectrice dont on célèbre « l'eau sublime, l'eau féconde, l'eau vivifiante. » Bien autre est l'importance du feu. On l'adore dans sa réalité matérielle comme uni dieu supérieur au soleil même, sous les deux noms qui signifient flamme (bil-gi) et feu (iz-bar), appellations qui, précédées du caractère idéographique de « dieu », s'échangent pour le désigner. La manière dont ou le conçoit et les attributions qu'on lui assigne le rapprochent étroitement de l'Agni des Vêdas. « Feu, dit un hymne, seigneur qui rassemble, s'élevant haut dans le pays, - héros, fils de l'Océan, qui s'élève haut dans le pays; - Feu; éclairant avec ta flamme sublime, - dans la demeure des ténèbres tu établis la lumière; - prophète de toute renommée, tu établis le destin ; - le cuivre et l'étain c'est toi qui les mêles; - l'or et l'argent c'est toi qui les purifies; - l'émanation de la déesse Ninka-si (la-dame à la face cornue), c'est toi; - celui qui fait trembler les méchants dans la nuit, c'est toi. De l'homme fils de son dieu, ses oeuvres qu'elles brillent de pureté! - comme le ciel qu'il soit sublime ! - comme la terre qu'il fructifie ! - comme le milieu du ciel qu'il brille ! »Le Feu qui purifie tout est le grand dissipateur des maléfices, le héros qui met les démons en fuite : « (Toi) qui chasses les maskins mauvais, - qui gratifies de la vie... - qui ramènes la crainte parmi les méchants, - qui protèges les oeuvres de Mul-ge, - Feu, destructeur des ennemis, arme terrible qui chasse la peste, - fécond, brillant, - ... anéantis la méchanceté.-»A la protection de ce dieu est due la paix universelle : « Repos du dieu Feu, le héros, - avec toi , que soient en repos les pays et les fleuves; - avec toi, que soient en repos le Tigre et [l'Euphrate]; - avec toi, que soient en repos les mers et [les montagnes]; - avec loi que soit en repos le chemin de la fille des dieux (ceci semble une allusion à la Voie lactée)...; - avec toi, que soit en repos l'intérieur des productions [de la nature] ; - avec toi, que soient en repos les coeurs de mon dieu et de ma déesse, esprits [purs ?]; avec toi, que soient en repos les cours du dieu et de la déesse de ma ville, esprits [purs?]. - Dans ces jours..., que les coeurs de mon dieu et de ma déesse s'ouvrent - et qu'en sorte l'oracle du destin de mon corps. »On adore le Feu avant tout dans la flamme du sacrifice, et c'est pour cela qu'on l'appelle « le pontife suprême sur la surface de la terre». Mais on reconnaît aussi ce dieu dans la flamme qui brûle au foyer domestique et qui protège la maison contre les influences mauvaises et les démons : « Je suis la flamme d'or, la grande, la flamme qui s'élève des roseaux, l'insigne élève des dieux, la flamme de cuivre, protectrice, qui élève ses langues ardentes ; - je suis le messager de Silik-mulu-hi. »Ce dieu qui réside dans la flamme du sacrifice et dans celle du foyer, est aussi le feu cosmique, répandu dans la nature, nécessaire à la vie et brillant dans les astres. Envisagé sous cet aspect, il est « le dieu qui s'élève haut, grand chef, qui étend la puissance suprême du Ciel (Anu), qui exalte la terre, sa possession, sa délectation, » et c'est ainsi que nous le voyons luttant vainement pour empêcher les ravages que les terribles maskin portent dans l'économie générale du monde. Voici encore un début d'hymne qui s'adresse il lui, dans son rôle le plus vaste et le plus haut : « Seigneur exalté, qui diriges les voies des dieux très grands; - [splendeur du zénith, seigneur exalté, qui diriges les voies des dieux, - [spIendeur] de Mul-ge, qui diriges les voies des dieux, - héros Feu qui t'élèves,mâle héroïque. - qui [étends] le voile (du ciel), qui revêts l'immensité, - Feu puissant..., - ... qui illumines les ténèbres. »Prenant dans les documents non magiques un caractère solaire, le dieu Feu devient, sous le nom d'lzdubar (izdu-bar, masse de feu), le héros d'une des principale histoires épiques, de celle où intervient incidemment le récit du déluge. Telles étaient les principales divinités
invoquées dans les conjurations magiques de la Mésopotamie.
Dans les documents égyptiens, nous n'apercevons aucune trace de
ces esprits élémentaires douéq d'une personnalité
distincte et répandus partout dans l'univers. En revanche, les formules
magiques des Assyriens, au rebours de celles de l'Egypte,
sont sans raffinement philosophique sur le problèmes de la substance
divine, et sans la moindre trace de mysticisme.
Les formules de conjuration contre les esprits malfaisants sont très monotones, comme, du reste, toute la littérature sacrée des Mésopotamiens. On commence par énumérer les démons que doit vaincre le charme, par qualifier leur pouvoir et en décrire les effets. Vient ensuite le voeu de les voir repoussés ou d'en être préservé, lequel est souvent présenté sous une forme affirmative. Enfin, la formule se termine par l'invocation mystérieuse qui lui donnera son efficacité : « Rappelle-toi le serment du ciel! Rappelle-foi le serment de la terre! »Voici, par exemple, une formule magique contre les utuq méchants et Namtar, sorte de génie de la mort, qui tue tout ce qui vit, aussi bien dans les cieux que sur la terre : « Le tyran redoutable qui fauche la totalité des êtres, c'est l'Utuq méchant, le perturbateur du ciel,Souvent, il s'agissait non seulement de délivrer un possédé de l'obsession diabolique, mais en outre, de faire pénétrer dans son corps un esprit bon et favorable : c'était la meilleure garantie contre le retour des mauvais démons : « Que les démons mauvais sortent! dit un texte qu'ils se saisissent entre eux! Le démon favorable et le colosse favorable, qu'ils pénètrent dans son corps! »Cette possession inverse était souhaitée comme le plus grand des bonheurs, et comme l'un des plus heureux effets surnaturels de la magie; c'était, s'il nous est permis de recourir à une pareille comparaison, comme la grâce divine ou comme une odeur de sainteté remplaçant l'état de péché et de consécration au diable. Aussi, dans une prière pour le roi, demande-t-on qu'il devienne l'habitation des bons esprits, et qu'un démon de bonheur et de sainteté pénètre dans son corps, pour lui assurer par sa présence toutes sortes de prospérités et le préserver de maladie. - Scène d'intercession. - Le dieu Shamash, assis dans son temple, reçoit l'hommage de deux fidèles qu'accompagne une divinité reconnaissable à son vêtement à franges. Sur l'autel est posé le disque solaire, emblème du dieu. (Bas-relief de Sippar; IXe s. av. J.-C.). Dans la croyance mésopotamienne, toutes les maladies sont l'oeuvre des mauvais démons. De là ce fait que nous avons déjà signalé, qu'il n'y eut jamais à Ninive et à Babylone de médecins proprement dits ce sont les devins et les enchanteurs qui opèrent et guérissent en chassant le démon du mal. Parmi les incantations contre les maladies, les plus multipliées sont celles qui ont pour objet la guérison de la peste, de la fièvre et de la maladie de la tête. Celle-ci, d'après les indications que l'on donne sur ses symptômes et ses effets, parait avoir été une sorte d'érysipèle ou de maladie cutanée. Il s'agit évidemment de cette affection de la peau, affection analogue au bouton d'Alep et à l'éléphantiasis de Damiette. On croyait s'en guérir par les conjurations, parce qu'elle était censée l'oeuvre des génies infernaux. « La maladie de la tête réside dans l'homme;Cette description poétique de la maladie convient bien à l'affection endémique produite, même de nos jours par les marais des bords de l'Euphrate. Voici comment un autre texte magique la conjure : « La maladie de la tête circule dans le désert; comme un vent elle souffle violemment;Quelques-uns des rites pratiqués pour les incantations nous sont révélés par le document qu'on va lire; il se divise en deux parties bien distinctes: la première où le malade est désigné à la troisième personne, que devait par conséquent réciter sur lui le prêtre magicien, la seconde où il parle à la première personne et qu'il devait, par suite, prononcer lui-même en accomplissant un certain nombre d'actes rituels, auxquels se rapportent les différentes strophes de celte seconde partie. Les deux ne sont pas rédigées dans le même idiome, circonstance fort instructive et digne de remarque; le magicien se sert de la langue liturgique, le suméro-akkadien, qui dès lors avait cessé d'être un idiome parlé, était devenu inintelligible pour le vulgaire et dont la connaissance était un des principaux objets de l'enseignement dans les écoles sacerdotales; le malade emploie l'assyrien, sa langue usuelle, à laquelle on n'attachait aucune idée sacrée et aucune, vertu mystérieuse. On voit ainsi que des actes de purification et des rites mystérieux accompagnaient les incantations dont ils augmentaient la puissance et l'efficacité. Au nombre de ces rites il faut compter l'emploi, pour guérir les maladies, de certaines boissons enchantées et sans doute contenant des drogues réellement médicinales, puis celui des noeuds magiques, à l'efficacité desquels on croyait encore si fermement au Moyen âge. Voici, en effet, le remède qu'une formule suppose prescrit par Êa contre la maladie de la tête-: « Noue à droite et arrange à plat en bandeau régulier, sur la gauche, un diadème de femme; divise-le deux fois en sept bandelettes;.. ceins-en la tête du malade; ceins-en le front du malade; ceins-en le siège de sa, vie ; ceins ses pieds et ses mains; assieds-le sur son lit; répands sur lui des eaux enchantées. Que la maladie de sa tête soit emportée dans les cieux comme un veut violent; qu'elle soit engloutie dans la terre comme des eaux... passagères. »Plus puissantes encore que les incantations sont les conjurations par la vertu des nombres. C'est à tel point que le secret suprême que Êa enseigne à son fils Silik-mulu-hi ou Marduk, quand il recourt à lui dans sou embarras, est toujours appelé « le nombre », en akkadien ana, en assyrien minu. Le nombre sept joue dans ces conjurations un rôle exceptionnel : on répète sept fois sept formules et les esprits qu'on invoque sont souvent au nombre de sept. Les livres sacrés des Mésopotamiens parlent fréquemment des sorciers et de leurs pratiques de magie noire. Tantôt les sortilèges sont mentionnés avec les démons et les maladies dans les énumérations de fléaux conjurés, tantôt des incantations spéciales les combattent. Telle est celle qui maudit le sorcier en l'appelant « le méchant malfaisant, cet homme malfaisant, cet homme entre les hommes malfaisants, cet homme mauvais, » et qui parle de « la terreur qu'il répand », du « lieu de ses agressions violentes et de sa méchanceté, » de « ses sortilèges qui sont repoussés loin des hommes ». Le sorcier déchaîne les démons contre celui à qui il veut nuire; il jette des mauvais sorts contre les individus ou les pays, provoque la possession, envoie la maladie. Il peut même donner la mort par ses sortilèges et ses imprécations, ou bien par les poisons qu'il a appris à connaître et qu'il mêle à ses breuvages. Une incantation énumère les diverses opérations employés par les sorciers de la Babylonie : « Le charmeur m'a charmé par le charme, m'a charmé par son charme; la charmeuse m'a charmé par le charme, m'a charmé par son charme; le sorcier m'a ensorcelé par le sortilège; m'a ensorcelé par son sortilège; la sorcière m'a ensorcelé par le sortilège, m'a ensorcelé par son sortilège; le jeteur de sorts a tiré et a imposé son fardeau de peine; le faiseur de philtres a percé, s'est avancé et s'est mis en embuscade en cueillant son herbe; que le dieu Feu, le héros, dissipe leurs enchantements. »Une autre formule détourne l'effet de « l'image qui dresse sa tête » et que l'on combat par des eaux purifiées et enchantées, de « celui qui par la puissance de ses desseins fait venir la maladie », du philtre qui se répand dans le corps, de « l'enchantement incorporé dans le philtre », enfin de « la lèvre qui prononce l'enchantement. » Nous avons donc ici l'enchantement par des paroles que récite le sorcier, carmen (d'où est venu notre mot charme), l'emploi d'« oeuvres », de pratiques mystérieuses et d'objets ensorcelés qui produisent un effet irrésistible, pratiques dont une des principales est l'envoûtement ou l'ensorcellement. Si nous manquons de renseignements directs et originaux sur les pratiques d'envoûtement chez les anciens Babyloniens, un auteur arabe du XIVe siècle, lbn Khaldoun, nous permet de suppléer à cette lacune par la description qu'il fait d'une scène d'euvoûtement pratiquée sous ses yeux par les sorciers nabatéens du bas Euphrate : « Nous avons vu, dit-il, de nos propres yeux, un de ces individus fabriquer l'image d'une personne qu'il voulait ensorceler. Ces images se composent' de choses dont les qualités ont un certain rapport avec les intentions et les projets de l'opérateur et qui représentent symboliquement, et dans le but d'unir et de désunir, les noms et les qualités de celui qui doit être sa victime. Le magicien prononce ensuite quelques paroles sur l'image qu'il vient de poser devant lui et qui offre la représentation réelle ou symbolique de la personne qu'il veut ensorceler; puis il souffle et lance hors de sa bouche une portion de salive qui s'y était ramassée et fait vibrer en même temps les organes qui servent à énoncer les lettres de celte formule malfaisante ; alors il tend au-dessus de cette image symbolique une corde qu'il a apprêtée pour cet objet, et y met un noeud; pour signifier qu'il agit avec résolution et persistance, qu'il fait un pacte avec le démon qui était son associé dans l'opération, au moment où il crachait, et pour montrer qu'il agit avec l'intention bien arrêtée de consolider le charme. A ces procédés et à ces paroles malfaisantes est attaché un mauvais esprit qui, enveloppé de salive, sort ce la bouche de l'opérateur. Plusieurs mauvais esprits en descendent alors, et le résultat en est que le magicien fait tomber sur sa victime le mal qu'il lui souhaite. » (Prolégomènes, Ibn Khaldoun).Pour détourner l'effet des incantations des sorciers et échapper à l'action des mauvais esprits, on avait souvent recours aux talismans et aux amulettes sacrées. Il y en avait de diverses espèces. C'étaient des bandes d'étoffe portant des formules écrites, que l'on fixait sur les vêtements ou même sur les meublés, comme les phylactères des Juifs; des statuettes de divinités qu'on portait suspendues au cou; des cylindres de pierre dure. La plupart des cylindres-cachets qui servaient à sceller les actes étaient en même temps des amulettes. Quelquefois aussi, c'étaient des pierres consacrées ou des gâteaux de terre cuite avec des formules conjuratoires, qu'on déposait dans les fondations des maisons, qu'on cachait dans les champs, on qu'on mettait de quelque manière en contact avec les objets qu'on voulait protéger. Une formule raconte le cérémonial usité pour déposer un talisman préservateur dans la maison d'un malade, afin d'en expulser le démon de la fièvre : « Pour la cérémonie de l'élévation de vos mains je me suis couvert d'un voile bleu sombre, J'ai remis dans vos mains un vêtement d'étoffe bariolée, j'ai disposé un barreau de bois pris dans le coeur du tronc de l'arbre,Sous le pavé du seuil des portes du palais de Sargon, à Khorsabad, on a découvert une quantité d'objets talismaniques : ce sont des images assez grossières de divinités : Bêl, à la tiare garnie de plusieurs rangées de cornes de taureau; Nergal, à la tête de lion, Nabu, portant le sceptre. Le roi babylonien Nergal-sar-ussur (Neriglissor) raconte qu'il fit placer dans les fondations de la grande pyramide, « huit figures talismaniques de bronze, pour éloigner les méchants et les ennemis par la terreur de la mort. » Quelques-unes de ces figures talismaniques, sont inspirées par une idée singulièrement originale. Les Babyloniens se représentaient les démons sous des traits tellement hideux qu'ils croyaient qu'il suffisait de leur montrer leur propre image pour les faire fuir épouvantés. C'est l'application de ce principe que nous trouvons dans une incantation contre la peste. « Le Namtar (la peste) douloureux brûle le pays comme le feu; comme la fièvre il se rue sur lhomme; comme une inondation, il s'étend sur la plaine; comme un ennemi il tend à l'homme ses pièges; comme une flamme il embrase l'homme. Il n'a pas de main; il n'a pas de pied : il vient comme la rosée de la nuit; comme une planche il dessèche l'homme;... Le docteur dit : Assieds-toi, et pétris une pâte d'aromates, et fais-en l'image de sa ressemblance (du Namtar). Applique-la sur la chair de son ventre (du malade); tourne la face (de cette image) vers le coucher du soleil. Alors, la force du mal s'échappera en même temps. »Le musée du Louvre possède l'image d'un horrible démon debout, au corps de chien, aux pieds d'aigle, aux bras armés de griffes de lion, avec une queue de scorpion, la tête d'un squelette à demi décharné, gardant encore ses yeux et munie de cornes de chèvre, enfin quatre grandes ailes ouvertes. Un anneau placé derrière la tête servait à suspendre cette figure. Dans le dos est tracée une inscription en langue suméro-akkadienne qui apprend que ce personnage est le démon du vent du Sud-Ouest, et que l'image devait être placée à la porte ou à la fenêtre pour éloigner son action funeste. En effet, en Basse-Mésopotamie, le vent du Sud-Ouest est celui qui vient des déserts de l'Arabie et dont l'haleine brûlante, desséchant tout, produit. les mêmes ravages que le hamsin en Syrie et le simoun en Afrique du Nord. - Génie bienfaisant tenant en mains le seau d'eau lustrale et la pomme de pin dont il se sert comme aspersoir pour éloigner les maléfices et les mauvais démons à la porte du palais de Sargon. (VIIIe s. av. J.-C.; Louvre.) Les collections des musées renferment beaucoup d'autres de ces figures de démons. L'un a une tête de bélier portée sur un cou d'une longueur démesurée; un autre présente une tête de hyène, à la gueule énorme et ouverte, portée sur un corps d'ours avec des pattes de lion. Les taureaux ailés a tête humaine, qui flanquent les portes d'entrée des palais, sont, au contraire, des génies bienfaisants qui exercent une garde réelle et qu'on enchaîne pour toujours à ce poste d'honneur. Auprès d'une des entrées du palais de Nimrud était un bas-relief colossal, aujourd'hui à Londres; on y voit Raman, le dieu de l'atmosphère et des tempêtes, la tête surmontée de la tiare royale armée de cornes de taureau, les épaules munies de quatre grandes ailes, chassant devant lui et poursuivant de sa foudre un esprit malin qui a le corps, la tête et les pattes de devant d'un lion, les ailes, la queue et les pattes de derrière d'un aigle, avec l'encolure garnie de plumes au lieu de crinière. Sculpter ce groupe sur la muraille était assurer, aussi bien que par une conjuration, que le dieu chasserait toujours de même le démon s'il essayait de pénétrer dans le palais. (F. Lenormant, E. Babelon). A Koyoundjik, au palais d'Assurbanipal, on voit en plusieurs endroits, des séries de figures monstrueuses, au corps d'homme surmonté d'une tête de lion, avec des pieds d'aigle. Il sont groupés deux à deux, se combattant à coups de poignard et de masse d'armes. Ce sont encore des démons, et la représentation sculpturale n'est qu'une traduction plastique de la formule que nous avons rencontrée dans plusieurs incantations : « Que les démons mauvais sortent! Qu'ils se saisissent réciproquement. » |
. |
|
|
|||||||||||||||||||||||||||||||
|