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La turbulence
La turbulence représente un état hautement désordonné et complexe de l'écoulement d'un fluide, caractérisé par des fluctuations chaotiques et apparemment aléatoires de toutes les grandeurs hydrodynamiques (vitesse, pression, densité). Elle constitue l'état le plus commun des écoulements dans la nature et dans les applications industrielles, mais reste l'un des problèmes non résolus les plus fondamentaux de la physique classique.

La transition vers la turbulence intervient lorsque les forces d'inertie, qui tendent à accélérer le fluide et à créer des instabilités, deviennent prédominantes par rapport aux forces visqueuses, qui tendent à amortir ces perturbations et à maintenir l'ordre. Ce rapport est quantifié par le nombre de Reynolds (Re), un nombre sans dimension défini comme Re = ρUL/μ, où ρ est la densité, U la vitesse caractéristique, L l'échelle de longueur caractéristique et μ la viscosité dynamique. Pour des nombres de Reynolds faibles, l'écoulement est laminaire : il est régulier et prévisible. Au-delà d'une valeur critique (Re,crit.), les instabilités ne sont plus amorties et l'écoulement bascule vers un régime turbulent. Ce seuil n'est pas universel et dépend de la géométrie de l'écoulement.

Une fois établie, la turbulence présente un ensemble de caractéristiques distinctives. Elle est fondamentalement tridimensionnelle et rotationnelle. Le mouvement est dominé par la présence de tourbillons, ou structures cohérentes, de toutes tailles. Ces structures interagissent de manière non linéaire, conduisant à un processus clé : la cascade d'énergie turbulente, concept élaboré par le météorologue Lewis Richardson puis formalisé par le mathématicien Andrei Kolmogorov. Selon ce paradigme, l'énergie est injectée dans le fluide à grande échelle, typiquement par le mouvement d'un obstacle ou un gradient de pression. Les grandes structures, instables, se brisent en structures plus petites, transférant ainsi l'énergie cinétique vers les échelles plus réduites sans dissipation significative. Ce processus de transfert d'énergie des grandes échelles vers les petites échelles se poursuit de manière hiérarchique jusqu'à ce que les tourbillons deviennent suffisamment petits pour que les effets visqueux deviennent dominants. À cette échelle dite de Kolmogorov, l'énergie cinétique est finalement dissipée en chaleur par viscosité. Cette cascade confère à la turbulence un caractère multi-échelle, où une large séparation existe entre l'échelle d'injection d'énergie (L) et l'échelle de dissipation (η).

La description statistique s'impose donc comme l'approche la plus fructueuse pour appréhender ce chaos déterministe. Plutôt que de chercher à prédire la valeur instantanée et précise d'une grandeur en tout point (une tâche impossible en pratique), on décrit la turbulence à travers les moments statistiques de ses fluctuations, comme sa moyenne, sa variance (intensité turbulente) ou ses corrélations spatiales et temporelles. La valeur instantanée d'une vitesse, par exemple, est décomposée en une valeur moyenne et une fluctuation : u(t) = U + u'(t). Cette approche a conduit au développement des équations RANS (Reynolds-Averaged Navier-Stokes), qui sont une version moyenne des équations fondamentales de la mécanique des fluides (les équations de Navier-Stokes). Cependant, cette procédure de moyenne fait apparaître de nouveaux termes inconnus, les contraintes de Reynolds, qui représentent le transport de quantité de mouvement par les fluctuations turbulentes. La fermeture de ce problème, c'est-à-dire la modélisation de ces termes inconnus en fonction des grandeurs moyennes, est le coeur des modèles de turbulence classiques (modèle k-ε, k-ω, etc.).

Les défis posés par la turbulence sont immenses. D'un point de vue théorique, la nature non linéaire des équations de Navier-Stokes empêche une solution analytique générale. D'un point de vue numérique, la simulation directe (Direct Numerical Simulation, DNS) qui résout toutes les échelles de la turbulence sans modèle, est extrêmement gourmande en ressources calculatoires et reste limitée à des nombres de Reynolds modestes. Pour contourner cette limite, des méthodes hybrides comme la Simulation des Grandes Échelles (Large Eddy Simulation, LES) ont été développées. La LES calcule explicitement les grandes structures turbulentes, qui sont dépendantes de la géométrie et porteurs de l'énergie, et modélise seulement les effets des petites structures, supposées plus universelles.

Malgré son apparent désordre, la turbulence est un phénomène de mélange extrêmement efficace. Elle augmente considérablement les transferts (de quantité de mouvement, de chaleur, de masse) par rapport à un écoulement laminaire. Cette propriété est essentielle et exploitée dans une multitude de domaines, comme le mélange de combustibles dans les chambres de combustion, le refroidissement des systèmes industriels, la dispersion des polluants dans l'atmosphère ou les cours d'eau, ou encore le fonctionnement des échangeurs de chaleur. Inversement, elle est aussi une source majeure de pertes de charge dans les écoulements confinés (canalisations) et de traînée aérodynamique autour des véhicules. 

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