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L'histoire de Florence
Florence au temps des Médicis
La ville Des origines au XIIIe s. Guelfes et Gibelins Les troubles du XIVe s. Le temps des Médicis

Décadence et chute de l'oligarchie

L'oligarchie en place à Florence depuis 1382 avait connu à ses débuts quelques succès. Elle vit ensuite une période de revers où elle se discrédita. Malgré l'accueil fait au pape Martin V qui érige l'évêché de Florence en archevêché (1419), elle se brouille avec lui. Bientôt il lui faut combattre (1424) Philippe-Marie Visconti et ses redoutables condottieres Carmagnola, puis Piccinino. Les échecs se multiplient; l'alliance de Venise demeure inutile; la paix conclue à Ferrare en 1428 n'est qu'une trêve. Ces mésaventures coûteuses affaiblissent les Albizzi et leur chef Rinaldo, tandis que grandit l'ascendant des Medici (Médicis), surtout de Giovanni (Jean). On juge indispensable de le gagner, mais sans y parvenir. L'état des finances devient critique : la dette est énorme, la dépense se monte à 70,000 florins par mois; l'impôt ne frappant pas la richesse mobilière qu'on dissimule aisément, devient écrasant pour les petites gens. On veut y remédier et on dresse un catastro de toutes les fortunes; les villes sujettes protestent; non moins les riches qui se posent en victimes (1427). Une nouvelle guerre est entreprise afin d'annexer Lucques, avec l'aide du condottiere Niccolo Fortebracci. Pour cet effort, se réconcilient momentanément les Medici, dont le chef Jean vient de mourir, et les Albizzi. Cela n'empêche pas un honteux échec. Sforza repousse les Florentins, enlève Gunigi, débonnaire tyran de Lucques (1430). Piccinino consomme la défaite des assaillants et la délivrance de Lucques. Abandonnée par ses condottieres, Florence n'a rien à attendre du faible empereur Sigismond. Elle traite (1433).

A l'intérieur, le rapprochement des Albizzi et des Medici n'était qu'une hypocrisie. On sent que la liberté est perdue; la seule question est de savoir qui deviendra le maître. Au violent Rinaldo, on préfère le rusé Cosimo (Cosme) de Medici, protecteur des artisans. L'opposition s'est réfugiée dans les confréries religieuses puissantes, car elles étaient riches, capables de construire à leurs frais le dôme de Brunelleschi, de faire exécuter les portes de Ghiberti. On s'efforce de les supprimer. La mort du prudent Niccolo d'Uzzano laisse seul chef de l'aristocratie Rinaldo Albizzi, fougueux et inconstant. Il n'inspire pas confiance; jamais on ne le choisit pour les hauts offices. Cosme de Medici, son rival, est un « renard rusé et trompeur »; maigre, laid, mais élégant, peu orateur, mais causeur séduisant, il courtise le peuple. Sa famille, fortifiée par des alliances avec les magnats, était puissamment riche, possédant en Europe seize maisons de banque; Giovanni, banquier du pape, fermier général de la république, a laissé 178,221 florins d'or, sans compter les créances et les immeubles. A la mort de Lorenzo (Laurent), frère de Cosme, chacun des deux frères a 235,137 florins d'or. Ce sont les gens les plus riches de Florence, grande supériorité dans cet Etat marchand; les Albizzi, les Strozzi ne viennent qu'ensuite. Les Medici font un noble usage de ces ressources. Ils se construisent un magnifique palais, oeuvre de Brunelleschi, subventionnent les lettrés, les artistes, mais en même temps secourent les citoyens appauvris, menacés de perdre leurs droits civiques. Averardo de Medici, cousin de Cosme, est le guerrier de la famille. 

Après la guerre de Lucques, les hostilités éclatèrent entre Albizzi et Medici. Les premiers l'emportèrent d'abord; Cosme est incarcéré; on n'ose le faire périr; il achète ses ennemis. Exilé, il accomplit une promenade triomphale jusqu'à Venise et Padoue (1433). Maintenant que le trafic international est consolidé, les financiers cosmopolites ne sont nullement affaiblis par l'exil; grand changement depuis le XIII siècle. Les intelligentes générosités de Cosme accroissent son prestige. Ses partisans sont pleins de confiance. En face d'eux, les oligarques se divisent. Rinaldo est impopulaire. Le hasard du sort amène une seigneurie favorable à l'exilé; Palla Strozzi empêche Rinaldo d'essayer un coup d'Etat. Il prend pourtant les armes un mois après, mais n'ose attaquer. Le pape Eugène IV, qui est venu s'installer à Florence, se pose en médiateur. Les exilés sont rappelés, les chefs de l'oligarchie bannis à leur tour, confinés à Naples. Cosme, toujours circonspect, revenait à petites journées, rentrant modestement dans la ville. Mais il n'y a pas à s'y tromper; il est le maître. Ses adversaires sont exilés en masse, Strozzi, Peruzzi, etc.; il appelle au pouvoir des hommes nouveaux, beaucoup de grands, beaucoup de gens des arts mineurs. Sous des dehors d'une hypocrite modération, Cosme est implacable : la peine de mort est prodiguée en détail à quiconque complote contre lui. La tyrannie existe dès lors sous les dehors de la république. Il serait aussi injuste de s'en féliciter que de plaindre l'égoïste et dure oligarchie des grands capitalistes groupés autour des Albizzi. Elle tenta encore bien des retours offensifs et il fallut un siècle pour que la monarchie prévalût définitivement à Florence.

La domination de Cosme de Medici

A l'origine, Cosme de Medici ne règne que par la puissance de l'opinion; la démocratie le soutient et fait sa force. Lentement, cet habile politique transforme une influence en autorité, un pouvoir de fait en un gouvernement stable. De goûts pacifiques, il partage les préférences de ses concitoyens pour l'industrie et le commerce, les arts et les lettres, sur les exploits belliqueux ou les agitations politiques. Encourager le travail et la richesse, c'est mettre de son côté la population laborieuse qui souhaite la sécurité bien plus que la liberté. Sa politique extérieure fut habile, et la guerre, qu'il ne put éviter, l'affermit. Il prit pour condottiere Francesco Sforza, fournissant à cet aventurier un point d'appui. Vainqueur de Fortebracci, protégé de Visconti, il s'allie contre lui à Gênes, à Venise; toutes deux l'abandonnent bientôt, puis renouent l'alliance; Florence prend peu de part à la guerre. En 1440, Piccinino paraît devant Florence, appelant aux armes les amis des Albizzi. La cité reste fidèle à Cosme. Une bataille eut lieu à Anghiari, où les Milanais furent mis en déroute par Neri Capponi, perdant 60 morts, 200 blessés, 400 prisonniers; les vainqueurs perdaient 10 morts et 200 blessés. Lutte peu meurtrière, ces mercenaires se ménageaient. La victoire d'Anghiari consolidait Cosme. Il proscrit les familles de ses ennemis, torturant même les femmes; il fait peindre pendus par les pieds sur la façade du palais du podestat les chefs de la faction opposée : Rinaldo et Ormanno Albizzi, Lodovicco de Rossi, Stefano Peruzzi, etc., il les fait diffamer par ses poètes et ses écrivains. Rinaldo meurt; de ses trois fils, deux se fixent à Ancône, le troisième est discrédité; le premier Albizzi qui pourra rentrer à Florence sera un arrière-petit-fils de Rinaldo (en 1478); l'héritier des Guidi, le comte Poppi, est chassé de Toscane. Cependant l'entente du dernier Visconti avec Sforza met fin à la guerre; une fois de plus on se rend réciproquement ses conquêtes (1441). L'affermissement de son allié Sforza allait profiter à Cosme.

Il obtient d'Eugène IV qu'il réunisse à Florence le concile qui siégeait à Bâle. L'histoire en est racontée ci-après. La ville reprend ainsi son rôle de cité guelfe; elle obtient de l'empereur byzantin de grands privilèges; le prestige de Cosme est augmenté. Jaloux du vainqueur d'Anghiari, Neri Capponi, il fait tuer son ami, le capitaine Baldaccio; Neri se soumet sans réserves. Cosme donne satisfaction au peuple en établissant l'impôt progressif, les riches payant huit fois plus que les pauvres. L'impôt sur le revenu variait de 4 à 33,5% ; on évaluait alors les revenus totaux des habitants à 550,000 florins; l'impôt en rapportait 80,000. La perception était arbitraire, perçue impitoyablement, ruinant une foule de gens, les ennemis du régime enrichissant ses dévoués. Joignez-y le système des impôts forcés et vous comprendrez que l'Etat écrasait quiconque déplaisait. Faisant la fortune de ses partisans, accablant ses adversaires par des voies détournées, le cauteleux Medici formait une aristocratie à sa dévotion. Il procède lentement, sûrement.

Autant que possible, il évite la guerre, pratique une politique d'équilibre contre Naples et Milan; il s'entend avec Venise et Sforza, ce qui le brouille avec le pape qui réclame au condottiere la Marche. Quand éclate enfin le grand débat pour l'héritage des Visconti (1447), Cosme soutient Sforza malgré l'avis contraire des Florentins. Attaqué par Alphonse d'Aragon, il le neutralise en Toscane. Le succès définitif de Sforza est accueilli avec enthousiasme. Cosme se sépare de Venise; pour vivre tranquille, il négocie vainement l'alliance de Naples, puis celle du roi de France Charles VII contre les Vénitiens. La guerre, menée mollement, prend fin après la chute de Constantinople par l'accord de Sforza et de Venise (paix de Lodi, 1454).

A l'intérieur, Cosme était tout-puissant, arbitre de la paix et de la guerre; les délibérations sur les affaires publiques ont lieu dans sa maison; il observe les dehors, comme autrefois Auguste; il affecte d'être un citoyen, comme les autres, sans cour, ni gardes. A Luca Pitti, il dit : 

« Vous appuyez vos échelles au ciel, moi j'appuie les miennes à la terre pour ne pas tomber en montant trop haut. »
Il ruine, exile quiconque fait de l'opposition, ne laisse jamais rentrer ses ennemis; l'oppression par l'impôt lui procure les moyens de tout acheter, consciences et épées. On se rallie à lui pour éviter la ruine matérielle; tels les Pazzi. En 1458, une tentative d'opposition se produit; on rétablit l'ancien catastro (cadastre) pour obtenir l'égalité dans l'impôt; on restreint l'usage dictatorial de la balia. Cosme reste neutre en apparence. Mais il fait faire par Luca Pitti, gonfalonier de la justice, un coup d'Etat, malgré la résistance de Geronimo Macchiavelli. On accorde à la seigneurie la balia, plein pouvoir de réformer l'Etat, de nommer les officiers publics, de former les bourses d'où l'on tirait au sort les magistrats pour les cinq années à venir, de présider aux jugements, de fixer les impôts. Cette dictature devait durer six mois, assurer le pouvoir à ses créatures pendant cinq ans et, au bout de ce terme, être renouvelée périodiquement dans les mêmes conditions. Cosme est désormais maître absolu. On le dissimule en comblant d'honneurs nouveaux les magistrats. En sous-ordre, suppléant Cosme et son fils perclus de goutte et souvent absents, Luca Pitti tyrannise la ville, édifiant son fameux palais. Quand Cosme meurt, en 1464, on inscrit sur son tombeau le titre de père de la patrie. La postérité a été aussi complaisante que ses courtisans pour cet habile homme sans scrupules, fondateur d'une dynastie qui sut se faire un honneur immortel de la civilisation florentine.

Bien que Florence ne conserve pas au XV siècle la situation exceptionnelle qu'elle avait au début du XIVe , elle est encore un des plus éclatants foyers de la Renaissance. L'université (Studio) languit, fermée de temps à autre (par exemple de 1404 à 1412), peu soutenue par l'Etat auquel elle ne coûte que 1000 à 2000 florins par an. Les étudiants sont soigneusement embrigadés; les maîtres sont mal payés; pourtant on en peut citer d'illustres. Chrysoloras se fixe à Florence et inaugure l'étude du grec. Le contact de cette civilisation merveilleuse produit d'excellents effets; les plus grands humanistes de la Renaissance passeront à l'école des hellénistes de l'Arno. Plusieurs sont nés en Toscane : Leonardo Bruni, Poggio Bracciolini, le fameux rédacteur de discours d'apparat Coluccio Salutati, l'érudit Niccolo Niccoli. Filelfo vient enseigner à Florence avec un succès énorme. On trouvera dans l'article Renaissance les indications relatives au rôle de Florence et des Medici, qui remplirent  le rôle de mécènes. Cosme, très épris de belles-lettres, néglige l'enseignement, mais fonde des bibliothèques et surtout la première académie, cette académie platonicienne dont Marsile Ficin fut l'oracle.

Les beaux-arts délaissés par l'oligarchie retrouvent une grande faveur sous les Medici; avec les Pitti, les Pazzi, ils font de riches commandes aux artistes. A ce moment, parut Brunelleschi (1377-1446), théoricien de l'art nouveau autant que rénovateur de l'architecture; puis Ghiberti (1378-1455) et Donatello (1386-1468). L'initiative appartient encore à Florence; ses immortels sculpteurs et toute cette pléiade d'artistes qui font leur apprentissage dans l'orfèvrerie, sont à la fois des réalistes et de fervents admirateurs des antiques. Par l'observation précise de la nature, on arrive à une perfection inconnue aux vieux maîtres.

De ce temps datent la moitié des beautés de Florence : San Spirito, San Lorenzo, la Badia de Fiesole, le palais Pitti, la coupole de Santa Maria del Fiore, chefs-d'oeuvre de Brunelleschi, les portes du Baptistère de Ghiberti, le Saint-Georges de Donatello. L'influence de ces génies se propage au dehors; l'encyclopédique Alberti (1404-1472) y contribue plus que personne. Luca della Robbia (1400-1482) crée une nouvelle branche de l'art, compromis entre la sculpture et la peinture en émail. La peinture se perfectionne à son tour, par le réalisme, par l'étude des lois de la perspective et du coloris. Masaccio meurt inconnu, tandis que Paolo Uccello, professeur de perspective, est célèbre; l'école miniaturiste et mystique trouve un interprète génial en Fra Angelico (1387-1455) ; mais il est en dehors du grand courant naturaliste auquel se rattachent Fra Filippo Lippi (mort en 1469) et ses élèves (L'école florentine).

Pietro (Pierre) de Medici (1464-1469), indigne successeur de Cosme, fut accepté avec résignation; bientôt, cependant, se dessine une opposition. Luca Pitti, instrument de son père, voudrait passer au premier rang. Angelo Acciajuoli, Dietisalvi Neroni, deux autres amis de Cosme, sont devenus des ennemis secrets. Le plus influent de ceux-ci est Niccolo Soderini. Ils procèdent avec méthode, suppriment la balia, reviennent au tirage au sort des officiers publics et, en l'aidant un peu, lui font désigner comme gonfalonier de justice Niccolo Soderini. Celui-ci ne put rien faire; ses partisans n'osèrent recourir à la force. Pierre de Medici reprit le dessus (1466), réprima durement l'opposition, exilant ses chefs. Ils revinrent avec une armée commandée par Colleoni, mais se laissèrent battre à la Mulinella (1467). 

Le goutteux Pierre se contente d'assurer la transmission de son autorité à ses fils Laurent et Julien. Ils lui succèdent en 1469.

Domination de Laurent de Médicis

Ils étaient bien jeunes (Lorenzo (Laurent), vingt et un ans; Giuliano (Julien), seize ans) pour dominer une cité qui n'admettait pas l'hérédité. Les amis de leur famille les soutiennent néanmoins; plus que tout autre, Tommaso Soderini. Galéas-Marie Sforza leur fait une solennelle visite à Florence (1471). On trouvera dans la biographie de Laurent de Medici le portrait de ce fin politique, mécène hors ligne. Il s'affermit par l'écrasement de Volterra (1472) ; mais il se brouille avec le pape Sixte IV. A l'intérieur, il veut aller trop vite, pressé de besoins d'argent. Après avoir fait vendre les biens de la parte guelfa et réduit cette magistrature autrefois terrible au soin des travaux publics (1471), il réduit à cinq les quatorze arts mineurs et confisque les biens des neuf corporations supprimées; on sent le retour à l'aristocratie capitaliste; mais la monarchie transparaît. Les pouvoirs sont concentrés aux mains de dix accopiatori, désignés en fait par Laurent; on leur accorde une balia viagère, c.-à-d. le pouvoir dictatorial de remanier à leur fantaisie les institutions. La seigneurie n'a plus qu'un rôle décoratif. Le maître cesse de se dissimuler, il s'affiche. Il se désigne aux conjurés qui ne manqueront pas, l'éducation classique leur fournissant la théorie et l'exemple de l'assassinat politique et de l'insurrection. 

Il en est à Florence comme dans les autres villes italiennes; le tyran sent sa vie menacée. En 1477 se noue la conspiration des Pazzi. Cette riche et puissante famille, descendant de la noblesse de la banlieue, s'était soumise à Cosme. Un prêt qu'elle fit au pape, un refus de Laurent de Medici, décida la rupture. Franceschino de Pazzi, qui résidait à Rome, entraîna ses proches dans le complot; les plus prudents désiraient attendre la banqueroute privée de Laurent qui, ruinant sa fortune, lui eût fait perdre sa situation dans l'Etat. L'adhésion du pape décida les hésitants : Julien fut égorgé dans la cathédrale, mais Laurent ne fut que blessé. L'archevêque Salviati ne put s'emparer du palais de la seigneurie. Le peuple qu'on appelait à la liberté ne bougea pas. Les conjurés furent écrasés; l'archevêque pendu aux fenêtres du palais, Franceschino de Pazzi à ses côtés; bien d'autres membres de cette famille, innocents ou coupables, furent exécutés (1478). Les années suivantes, les supplices continuèrent contre quiconque était suspect de complicité. Laurent de Medici était affermi, débarrassé à la fois de son frère, qui fût devenu gênant, et de ses ennemis. On lui donne une garde.

La fureur du pape contre des gens qui, non contents de mettre à mort un archevêque et des prêtres, ont emprisonné son neveu, se traduisit par l'excommunication des Florentins, suivie d'une déclaration de guerre. Les théologiens florentins donnent raison à Laurent; Louis XI et Venise interviennent en sa faveur. Il se sent pourtant très isolé en face d'ennemis acharnés qui se rangent derrière le pape et le roi de Naples. Par un coup de maître, il va trouver à Naples le roi Ferdinand (Ferrante), se met entre ses mains, le séduit et obtient la paix (1480). Il la payait d'un tribut annuel de 60,000 florins. Le pape se voit obligé d'accorder le pardon demandé. Libéré du danger extérieur, le souple tyran achève la réforme de la constitution. Un nouveau conseil de soixante-dix membres annule tous les autres et devient le principal corps de l'Etat. 

Au dehors, Laurent suit une politique avisée, cherchant à établir un équilibre entre les puissances italiennes. Dans la guerre de Ferrare, il défend le duc, d'accord avec Naples, Milan, Mantoue, Bologne, contre Venise, le pape, Gênes et Montferrat (1482). Il voudrait bien faire quelques conquêtes et finit par s'emparer de Sarzane, malgré les Génois (1487). L'année suivante, il profite du meurtre de Riario Sforza pour prendre pied dans la Romagne; protecteur de Faenza, d'Imola, de Forli, il y domine. Il semble alors un arbitre entre les diverses puissances italiennes, Innocent VIII et Ferdinand de Naples, Ludovic le More et ses compétiteurs. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la diplomatie qui a fait l'immortalité de Laurent de Medici; c'est sa vie de mécène.
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Florence à la fin du 15e siècle.
Florence à la fin du XVe siècle (Chronique de Nuremberg).

Depuis la conjuration des Pazzi, il règne sans obstacle; la population se désintéresse de la politique; le trafic privé, les fêtes, qui tiennent une place énorme dans sa vie, lui suffisent. Laurent reçoit et traite les princes, les ambassadeurs étrangers; il prend l'attitude de souverain, quoique dans la vie courante il se comporte en simple citoyen, cède le haut du pavé aux gens âgés; il ne paraît pas aux assemblées, mais là, comme dans chaque office, un affidé le remplace; son chancelier ou secrétaire Pierre de Bibbiena tient tous les fils. Chacun sachant qu'une accusation de complot peut coûter la vie, rivalise d'obséquiosité; ceux qui ne sont pas reconnus amis des Medici vivent dans une perpétuelle inquiétude. Le côté faible est la situation économique. La constitution des grands Etats nationaux dans l'Europe occidentale menace le commerce florentin. Il est à la merci des caprices des rois. 

A l'intérieur, la gestion financière est mauvaise; les guerres ont coûté cher; le monte (caisse de la dette publique) a dû suspendre le payement des intérêts; la vente des biens des vieux corps a peu produit. Laurent est un mauvais administrateur; sa propre fortune périclite; la faillite de Portinari à Bruges lui fait essuyer de grosses pertes; les autres succursales de sa banque font de mauvaises affaires. Pour rétablir les siennes, il met la main sur les deniers de l'Etat, sur les fondations pieuses, prélève des courtages sur le paiement de la solde des condottieres. Ces prévarications préparent la banqueroute publique. Il recourt à des impôts nouveaux, revient à l'impôt progressif sur le revenu (scala) et érige en principe la taxation arbitraire par les répartiteurs (dispiacente sgravato); en deux ans les contribuables doivent payer vingt-six fois. Il remanie les monnaies, en frappe une nouvelle et diminue d'un cinquième la valeur nominale de la monnaie ancienne, s'approprie les biens de la caisse dotale (monte delledoti) ou les pères déposaient les fonds destinés à la dot de leurs filles; les actions de 100 écus de la caisse de la dette publique tombent à 11,5%, l'intérêt étant abaissé à 1,5%. Laurent place sa propre fortune en biens fonciers, et devient plus agriculteur que banquier. Si déshonnêtes que fussent les moyens employés, on ne vit que le résultat; redevenu riche, Laurent est inattaquable. La paix extérieure et intérieure procure une ère de prospérité générale; les fêtes splendides offertes par le tyran, ses largesses aux humanistes, aux artistes, semblent justifier suffisamment sa domination dont il fait un si noble usage. La postérité, peu soucieuse du prix payé par ceux qui ont subi les injustices et l'opression, a ratifié ce jugement.

Une opposition se dessine pourtant au nom de la morale; son interprète est le dominicain ferrarais Girolamo Savonarola (Savonarole). Il est un des premiers organes de la réaction religieuse contre le paganisme intellectuel de la Renaissance, réaction d'où sortira la Réforme. En 1483, ses rudes sermons de Saint-Laurent n'ont pas vingt-cinq auditeurs; Laurent de Medici le rappelle à Florence en 1490, et cette fois le prophète produit une violente impression; il annonce à la fois le châtiment de l'Italie et la rénovation de l'Eglise; il ne ménage pas le maître. 

« Le bon chien aboie toujours pour défendre la maison de son maître. Si le voleur vient et lui jette pour l'apaiser un os ou quelque autre chose, le bon chien continue d'aboyer et de mordre le voleur. » 
Il a prophétisé la mort prochaine d'Innocent VIII, de Ferdinand de Naples et de Laurent de Medici. Quand celui-ci la sentit venir, il fit appeler l'austère prieur des dominicains de San Marco, probablement pour lui concilier son fils (1492). On a raconté, mais sans preuves, que Savonarole refusa sa bénédiction au moribond, exigeant qu'il rendît la liberté aux Florentins. Ils allaient se montrer peu capables de la reprendre.
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Savonarole.
Savonarole.

Laurent de Medici est resté le type légendaire des mécènes de la Renaissance. Ici encore il sacrifie l'Etat à sa personnalité. Il délaisse l'université, l'ampute pour en créer une nouvelle à Pise; le motif est caractéristique; il veut relever la cité maritime afin d'accroître la valeur des propriétés qu'il a achetées de ce côté. Il eut pour maître Angelo Ambrosini de Montepulciano, plus connu sous le surnom de Politien (1454-1494), un des plus distingués humanistes du XVe siècle, qui fit de son élève un dilettante accompli. Laurent forme une belle bibliothèque, dépensant 30,000 florins par an en achats et copies de manuscrits; les érudits accourent, parmi eux Lorenzo Valla, Chalcondyle qui édite (pour la première fois) les poèmes homériques (1488), puis d'autres classiques grecs. L'académie platonicienne fondée par Cosme reste le centre intellectuel de Florence; dans ses jardins, à sa table, Laurent dispute avec ses philosophes, les Pulci, Alberti, Pic de la Mirandole, Marsile Ficin, etc. Ses vers sont remarquables; sa préférence pour la langue vernaculaire contribue à faire du toscan la langue littéraire de l'Italie. Il s'intéresse moins aux beaux-arts, fait ajourner l'achèvement de la façade de la cathédrale, méprise les artistes de basse extraction et à ce titre Léonard de Vinci

Ses préférences sont pour les réalistes, les peintres-orfèvres Pollajuolo; les peintres du temps, Botticelli, Filippino Lippi, Ghirlandajo, continuent néanmoins la grande école florentine, nullement inférieurs à leurs devanciers ni à leurs successeurs; la réaction religieuse est sensible dans la peinture; la tradition scientifique se conserve chez Verrocchio qui la transmet à Léonard de Vinci et à Michel-Ange. Que de noms il faudrait citer, Benedetta da Majano, Mino de Fiesole, les Sangallo, les Rossellini, etc., architectes et sculpteurs qu'éclipsera Michel-Ange. Mais beaucoup ne font que passer à Florence, y travaillent peu. Les artistes florentins ont été des initiateurs; maintenant leur esprit est répandu dans toute l'Italie : à Milan, à Rome, à Urbino plus qu'à Florence se produisent les chefs-d'oeuvre; cependant les théories de l'art classique sont celles de Brunelleschi et d'Alberti; la méthode scientifique sur laquelle s'appuieront les artistes du XVI siècle a été élaborée sur les rives de l'Arno. Ils ont formé les deux grands génies du dernier âge, Léonard et Michel-Ange. Il est injuste de faire honneur à Laurent de Medici d'un mouvement auquel il prit à peine part; mais on ne saurait exagérer la part de Florence dans la Renaissance.

Il est curieux de noter que la ville qui en avait été le berceau, qui, au XVe siècle donna le signal du retour aux formes antiques, donne également celui de la réaction religieuse. Les dernières années du XV siècle sont dominées par Savonarole. Laurent était mort à temps. Livrée aux mercenaires, l'Italie allait tomber sous le joug de l'étranger. Pierre de Medici avait les vices de tant de princes nés dans la pourpre. Il se brouille avec les Soderini et même avec la branche cadette de sa famille, exilant ses deux cousins Laurent et Jean de Medici, blessant son frère le cardinal, rompant avec Savonarole. A l'extérieur, il s'allie à Naples contre Milan et détermine Ludovic le More à faire appel à Charles VIII, démarche grosse de calamités (1492). Lui-même négocie avec le roi de France, mais sans rien conclure, même quand l'expédition se met en marche; le sentant ennemi, Charles VIII le traite comme tel, expulse ses agents de Lyon. Obstiné dans l'alliance napolitaine, Pierre de Medici se trouve à découvert après la défaite des Napolitains en Ligurie. Les mécontents florentins excités par Savonarole se déclarent pour les Français. Pierre se soumet, livre ses forteresses, Sarzane, Pise, Livourne. Sa lâcheté achève d'indisposer les Florentins : ils se soulèvent, chassent les Medici et pillent leur palais, mettent leur tête à prix, rappellent les exilés : Medici de la branche cadette, Pazzi, etc. En présence des Français, ils font bonne contenance malgré les dangers pour leur trafic dans le royaume de France. Ils les accueillent en grande pompe, font fête à Charles VIII; mais, malgré l'enthousiasme populaire, les cris de Vive la France! ils se tiennent sur la réserve. Des rixes éclatent dans les rues les jours suivants; les relations sont difficiles. 
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Entrée de Charles VIII à Florence, par Francesco Granacci.
L'entrée de Charles VIII à Florence (1492), par Francesco Granacci (1518).

Au bout de huit jours, on traite; Charles VIII reçoit le titre de protecteur de la liberté florentine; Pise qu'il a affranchie aura son pardon; les Médici seront exilés. Sur le chiffre de l'indemnité, on faillit rompre. Le roi s'écriant : « Eh bien! nous sonnerons nos trompettes. - Et nous, nous sonnerons nos cloches », répliqua vivement Pier Capponi. Le chiffre fut fixé à 120,000 ducats ou florins d'or. Les Français sortirent de la ville la semaine suivante. La joie des Florentins fut extrême. Ils avaient recouvré la liberté; restait à l'organiser.

Le gouvernement théocratique. Savonarole

Tout était à faire; les anciennes institutions n'existent plus que de nom; les arts sont désorganisés. La désunion est partout. On discerne trois partis principaux : les libéraux ou démocrates qui voudraient restaurer la vieille constitution; à leur tête marche Savonarole qui rêve d'une démocratie cléricale dans les idées du Moyen âge; ce parti, dont les hommes d'Etat sont Valori et Pagalantonio Soderini, est celui des bianchi ou frateschi; à lui se rallient pour le moment les palleschi ou bigi (gris), partisans des Medici qui veulent se faire oublier et voient leur principal ennemi dans la faction oligarchique. Celle-ci, dont l'homme d'action est Pier Capponi, le théoricien et le jurisconsulte Vespucci, s'appuie sur Rome et Milan; elle souhaite le régime vénitien et prône les Medici de la branche cadette; elle a l'alliance des compagnacci, sceptiques anticléricaux, groupés en compagnies et guidés par Ridolfo Spini. Le parti des tiepidi, des tièdes, souhaite avant tout la paix, afin de vaquer à ses affaires; avec ces bourgeois indifférents marche une grande partie des ouvriers que les crises privent de travail. Dans la rédaction de la nouvelle constitution, Savonarole fit prévaloir son avis : concentration des pouvoirs aux mains de la seigneurie et d'un grand conseil formé des citoyens, dont le père, aïeul ou bisaïeul, a fait partie des grands offices (seigneurie, buonuomini, gonfaloniers de compagnies). Ce peuple légal comptait 2300 membres dans une ville de 100,000 habitants. Des armes sont distribuées au peuple pour qu'il puisse défendre sa liberté. Aux taxes arbitraires on substitue un impôt foncier annuel de 10% sur les revenus. Ce qui donne à ce gouvernement sa physionomie, c'est que le Christ est proclamé roi de Florence. Savonarole en conclut que le gouvernement nouveau est de droit divin, infaillible. Les chefs sont les organes de Dieu. C'est la théocratie sans ambages.
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Le ministre de Dieu, chef unique de l'Etat, est le prophète. Il hérite du despotisme des Medici. Du fond de sa cellule, il lance ses avis, qui sont des ordres. De suite il s'attelle à son grand oeuvre, la réforme des moeurs. L'enthousiasme populaire le soutient; il supprime l'usure et attaque même le prêt à intérêt, créant un mont-de-piété qui réussit admirablement; le crédit est relevé. En 1495, le succès semble assuré. Au dehors les choses allaient moins bien; Charles VIII ne rendait pas Pise; bien plus, il favorise les Medici. Quand il revient an nord, on n'ose se déclarer contre lui. Par le traité de Turin, il réitère la promesse de rendre les forteresses en échange d'un prêt d'argent pour reprendre Naples. Les capitaines français évacuent Pise, mais la laissent libre à la grande indignation des Florentins. Ils vendent les forteresses aux Pisans et aux Lucquois. Toutes les intrigues de la politique italienne tournent autour de la malheureuse ville. Venise et le duc de Milan la piraté gent et appellent l'empereur Maximilien, qui, non content de déclarer Pise libre, met le siège devant Livourne (1496). Florence implore l'aide de la France dont la flotte débloque Livourne. Les hostilités languissent. Ces insuccès affaiblissent Savonarole; la guerre est d'autant plus ruineuse qu'on a perdu les douanes de Pise et la mer. Sforza encourage les oligarques, espérant mettre la main sur Florence. Alexandre VI et Venise s'entendent avec Pierre de Medici. 

Le frate (Savonarole) résiste à tous et brave le pape. Il supprime les fêtes; sa tyrannie puritaine qu'un moment il imagine de faire défendre par les enfants embrigadés par quartiers, devient de plus en plus oppressive. Il décrète en 1497 le fameux autodafé de tous les instruments de perversion, cartes, dés, parfums, livres de poésie, harpes, luths; on sait qu'une quantité d'objets d'art périrent victimes de ce vandalisme. Savonarole se mêle de la vie privée, encourage les femmes à se refuser à leurs époux. Le fanatique lasse tout le monde; la famine, les épidémies décimaient la population; les palleschi relèvent la tête, annoncent le retour de pierre de Medici; ils abandonnent les piagnoni, partisans du frate, pour voter avec les arrabbiati aristocrates. 

Le premier choc est repoussé, mais les compagnacci viennent à la rescousse, chassent de l'église Savonarole, interdisent les prédications. Le prophète est excommunié par le pape; son autorité décline; il ne fait plus de prosélytes et perd de ses fidèles. Néanmoins, ils sont encore assez forts pour comprimer le parti de Medici; les cinq principaux palleschi sont arrêtés, condamnés à mort et exécutés (1497). On frappe à l'effigie du frate une médaille avec cette redoutable inscription au revers au-dessous d'un glaive et du nom de Rome : Gladium Domini super terram cito et velociter. Mais il ne faut pas s'y tromper, la théocratie décline; elle a eu tort de toucher à la hache; le tiers parti lui devient hostile, toutes les factions vont se coaliser contre elle. Ses adhérents modérés, tels que Soderini, l'abandonnent. Valori, son champion, juge nécessaire une garde armée. 

Au carême de 1498 Savonarole prêche malgré le pape et renouvelle l'autodafé. Mais la seigneurie du 1er mars lui est hostile. On sait la fin; discrédités par l'échec de l'épreuve du feu, les dominicains et leur prieur perdent toute influence. Le gonfalonier Piero Popoleschi attaque les piagnoni avec l'aide des compagnacci. On se bat dans les rues; Valori est tué; le couvent de San Marco est assiégé; Savonarole fait prisonnier. On lui fait son procès; les dominicains l'abandonnent et il est brûlé sur la place de la Seigneurie comme hérétique. Ainsi finit cet étrange épisode de l'histoire florentine. La ville de Boccace et de Donatello ne pouvait devenir une Genève; Savonarole avait peut-être l'énergie, mais non les talents d'un Calvin. La théocratie qu'il avait organisée, trop obscurantiste dans une cité aussi éclairée que Florence, n'était pas viable.

Dans la période suivante, on essaye d'organiser un gouvernement républicain, mais sans y parvenir, car il fallut bientôt revenir à une monarchie déguisée. Les piagnoni, tenant Savonarole pour un martyr, restaient fidèles à son culte; les libertins compagnacci donnaient aussi fort à faire au parti victorieux des arrabbiati; les palleschi complotent. En somme, l'anarchie se prolonge. Au dehors, la guerre contre Pise et sa garnison vénitienne ne progresse pas, malgré l'adresse du condottiere Paolo Vitelli; abandonnés par Venise, les Pisans font des prodiges d'énergie; le supplice de Vitelli est une mince compensation à son échec. On s'allie alors à Louis XII qui vient d'occuper Milan; les troupes françaises ne peuvent ou ne veulent prendre Pise (1500). César Borgia envahit le Mugello, oblige Florence à entrer dans sa ligne, prend Piombino, fait soulever Arezzo contre les Florentins. Il semble que le redoutable fils du pape aille devenir maître de la Toscane. Louis XII ne le permet pas; il fait restituer à Florence ses possessions. Sortie de ce danger, la cité réforme ses institutions. Les arrabbiati se sont rapprochés des frateschi, organisant un gouvernement de bourgeois. On institue un gonfalonier à vie, âgé d'au moins cinquante ans, responsable devant les hauts officiers publics (Huit, Dix, seigneurs, collèges, capitaines de la parte) et révocable par eux; ses fils, frères et neveux, ne pourront revêtir les grands offices ni faire le trafic. L'élection était remise au grand conseil. Pier Soderini fut élu.

Gouvernement de Soderini

Le nouveau chef de l'Etat florentin était un modéré et un homme capable. Les dix années de son gouvernement furent relativement heureuses, bien qu'il se soit trouvé aux prises avec, de grosses difficultés. La mort de Pierre de Medici fit du cardinal Jean le chef de la famille (1503). Il la releva patiemment. A Florence, ses adhérents voyaient se rallier à eux bien des mécontents, jadis leurs ennemis, les Pazzi, les Salviati. Soderini s'efforce de restaurer les finances et de reconquérir Pise; son homme de confiance, Machiavel, lui rend de grands services comme conseiller, comme ambassadeur. La politique tourne dans le même cercle : alliance française achetée à deniers comptants, lutte contre Venise, pourparlers avec le pape et le roi d'Espagne. Soderini se tient le plus possible à l'écart de la politique générale de l'Europe, sentant que les petits n'y ont rien à gagner. Un progrès fut la réorganisation des milices qui fournit une armée nationale (1506). Serrée de près, après une consolidation de l'alliance de Florence avec Louis XII, Pise se soumet enfin; le négociateur de la capitulation fut Machiavel (1509). Les vainqueurs firent preuve d'une extrême modération, rare en ces temps. Le but était atteint. La chute de leur rivale séculaire était irréparable. Elle ne s'en est jamais relevée.

Malgré ce brillant succès, Soderini manque de prestige. Il vit en simple citoyen, néglige les arts et les lettres, peut-être faute d'argent; loyal observateur de la constitution, il n'a pas beaucoup d'autorité. La situation extérieure redevient mauvaise. Louis XII et Maximilien veulent se partager l'Italie. Que faire entre eux et Jules II? Les deux souverains convoquent, malgré Soderini, un concile à Pise, afin de déposer le pape. Celui-ci met Florence en interdit. Elle s'obstine dans sa neutralité timorée, s'excusant auprès du roi d'Espagne de fournir quelques lances au roi de France, tout en leur défendant de combattre. La sainte ligue, prenant le dessus en Italie, ne se contente plus de cette équivoque. Le gonfalonier commet l'imprudence de refuser de l'argent aux Espagnols. Les Medici aussitôt en donnent et en promettent davantage. Ramon de Cardona reçoit l'ordre de les rétablir. Le sac de Prato terrorise les Florentins. Soderini donne sa démission et quitte la ville. Les Medici rentrent aux acclamations de la foule (1512).
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La seconde domination des Medici

Le chef de la famille était le cardinal; puis venaient son frère Julien, son neveu Laurent. Ils procédèrent avec prudence, la majorité appartenant encore au parti populaire. Le cardinal Jean arriva donc avec une escorte formidable. Il reconstitua une balia, commission dictatoriale qui nommera à tous les emplois, selon le système primitif des Medici. Les Soderini furent persécutés, exilés. Soupçonnés de conspirer, quelques jeunes gens furent mis à mort ou bannis. Et pourtant le vainqueur se montra relativement clément. L'année suivante, il fut élu pape et prit le nom de Léon X. Florence fut très fière de cette exaltation. Elle ne gagna pas grand chose au pontificat de cet épicurien maladif, à qui ses prodigalités ont valu un renom peu mérité de mécène idéal. Du moins sa ville natale vécut en paix sous son pouvoir et celui de ses parents. Ce fut Jules de Medici, bâtard du premier Julien, qui gouverna la Toscane avec le titre de cardinal-archevêque de Florence (1513). Laurent, fils de Pierre, fut le vrai prince jusqu'à sa mort (1518). Quand Léon X fut mort et remplacé par Adrien VI, Jules rentra dans sa ville. Il y était menacé, le cardinal Soderini étant très écouté du nouveau pape. Les lettrés, groupés dans la société des Orti Oricellari, vantaient la liberté perdue; les complots se succédèrent malgré les rigueurs. Subitement, la mort d'Adrien VI porta le cardinal Jules de Medici au Saint-siège; il prit le nom de Clément VII (1523). Cette élection fut funeste à Florence. Le pape la confia à deux bâtards, Hippolyte, fils de Julien, et Alexandre, fils de Laurent II, de Julien ou de Clément VII. Ces jeunes tyrans exaspérèrent le peuple. Le pape l'engagea dans la ligue avec Venise et la France contre Charles-Quint; le seul résultat fut d'attirer en Toscane les bandes du connétable de Bourbon. Effrayés devant l'orage dont on peut mesurer le danger quand on sait quel fut le sort de Rome, les Florentins veulent se débarrasser des Medici qui l'ont attiré. Niccolo Capponi est le chef des mécontents. Une première insurrection n'aboutit pas, les deux partis rivalisant de mollesse. La nouvelle du sac de Rome en détermine une seconde. Les Medici quittent la ville sans résister (1527).

Dernières années et chute de la république 

Cette révolution de la peur ne pouvait rien fonder de durable; on restaura à peu près les institutions de Savonarole et l'on élut gonfalonier de justice Capponi. Il parut surtout craindre de se compromettre vis-à-vis des maîtres de la veille qu'il prévoyait devoir être ceux du lendemain. Tommaso Soderini fit adopter l'alliance française et on traita avec François Ier, renouvelant la ligue où figuraient Venise, Milan et le pape. Bientôt Capponi négocie avec celui-ci le retour des Medici; démasqué, il est déposé (1529). Sur ces entrefaites, Clément VII s'entend avec l'empereur, et naturellement la restauration des Medici est convenue. Le roi de France traite à son tour, abandonnant ses alliés (1529). Nul espoir de sauver la liberté. Elle ne périt pas sans combat.

A ce moment se produisit un fait admirable; ce peuple déshabitué de la guerre, abandonné de tous, refusa de s'abandonner lui-même. Le siège qu'il soutint avec une héroïque obstination est un des plus beaux faits de son histoire. Une ambassade fut envoyée à Gênes pour essayer d'apaiser l'empereur. Il la renvoya au pape; celui-ci refusa toute transaction. La résistance fut décidée. En octobre 1529 les impériaux commencent le siège; beaucoup d'habitants avaient émigré, malgré l'interdiction de la seigneurie. 

L'investissement fut complet en décembre; les sujets de la république avaient fait défection, Arezzo, Cortone, Pistoia, Prato, etc. Le prince d'Orange conduisait le siège, inquiété sur ses derrières par le vaillant Ferrucci, tandis que Malatesta dirige la défense. La ville est affamée en quatre mois, 28,000 habitants succomberont aux maux du siège. La défaite de Ferrucci à Gavinana ou périrent à la fois ce vaillant capitaine et le prince d'Orange décida la chute de Florence, désormais sans espoir. Le condottiere Malatesta Baglioni l'obligea à capituler. Les conditions furent douces, mais on remettait à l'empereur le soin de régler la constitution (août 1530).

Après quelques mois d'oppression par les soldats, le sort de Florence fut définitivement fixé. L'empereur Charles-Quint nomma chef, mainteneur et protecteur de la cité Alexandre de Medici, duc de Penna, son gendre désigné (1531). La proscription des opposants laissait les voies libres. Douze réformateurs furent chargés de mettre les institutions d'accord avec les faits. La seigneurie fut abolie; Alexandre de Medici fut proclamé doge héréditaire de la république florentine. On conservait un conseil de deux cents membres investi de pleins pouvoirs; une délégation de quarante-huit appelée sénat les exerçait et conseillait le prince. Leur mandat est viager et ils se recrutent par cooptation. Mais ils ne font qu'enregistrer la volonté ducale. En droit comme en fait la république de Florence est disparue. Elle n'est plus qu'une municipalité au même titre que Pise, Empoli, Arezzo, la capitale du duché de Toscane. Ce titre que prendra Cosme II en 1569 ne fera que confirmer l'état existant. C'est donc à l'article Toscane qu'il faut chercher l'histoire du duché des Medici, transféré en 1737 à la maison de Lorraine. (A.-M. Berthelot).

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Dictionnaire Territoires et lieux d'Histoire
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