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Danse des morts

Au Moyen âge on donnait le nom de Danse des morts à une série d'images peintes ou sculptées représentant, entre gens de tout âge et de toute condition, des scènes où la Mort jouait le principal rôle, et dont les personnages affectaient tantôt les mouvements de la danse, tantôt une pose tranquille, mais toujours expressive. Les plus anciennes compositions de ce genre ne remontent pas au delà du XIVe siècle, et on en a exécuté jusqu'au  milieu du XVIIIe siècle. Elles semblent avoir eu pour but de rappeler aux hommes leur égalité naturelle et la fragilité de la vie, d'offrir aux victimes de l'oppression cette consolante certitude que les auteurs de leurs maux devaient trouver à leur tour dans la mort un tyran implacable. Comme on les rencontre principalement dans les églises, les cloître et les cimetières, il y a lieu de penser qu'elles servaient de thème et venaient en aide à l'éloquence des prédicateurs. Les images lugubres et fantastiques, le mélange du sérieux et du grotesque, avaient leur raison d'être dans ces temps où l'on croyait à l'apparition des esprits, à l'existence des sorciers, des génies et des fées, où le retour fréquent des famines et des épidémies entretenait dans les imaginations l'idée terrible de la mort. La plupart des monuments sur lesquels on voyait autrefois des Danses des Morts ont été détruits.

Danses sculptées
Dans un cimetière de Dresde se trouve une Danse des Morts en bas-reliefs de grès, exécutée en 1534, et restaurée en 1721. Elle se compose de 27 personnages, hauts de 40 centimètres environ, et distribués en quatre groupes : le premier  comprend l'ordre ecclésiastique, représenté par un Pape, un Cardinal un Archevêque, un Évêque, un Prélat, un Chanoine et un Capucin, précédés d'un Squelette aux cheveux hérissés aux os entourés de serpents, et qui joue de la flûte : en tête du deuxièmeest un Squelette battant du tambour avec deux os; il est suivi de six personnages d'ordre laïque, depuis l'Empereur jusqu'au Cavalier; le troisième groupe contient le Noble, le Sénateur, l'Artisan, le Soldat, le paysan, le Boiteux; dans le quatrième  on voit l'Abbesse, la Femme Noble, la Paysanne, un Marchand, un Enfant, un Vieillard : cette suite est terminée par un Squelette qui menace les personnages avec une faux. Cette Danse est accompagnée de six quatrains, le premier en tête des figures, les quatre suivants sous chaque série et le sixième à la fin. 

La Danse de l'être St-Maclou à Rouen devait se composer de 50 personnages, y compris les squelettes; elle fut commencée en 1526, et offre cette particularité unique, qu'elle ne représente que des souverains et des grands, des pontifes et des moines, et que les femmes n'y figurent pas. Les personnages en sont mutilés; on y reconnaît Adam et Eve, qui sont généralement les présidents de ces assemblées funèbres, et le Serpent, représente une jeune femme dont le torse se termine en queue de reptile.

Dans l'église de Chéreng (Nord) il existe une Danse des Morts qu'on attribue au XVIe siècle. Moulée en relief sur une cloche, elle consiste en huit groupes de quatre personnages; chaque groupe est de deux squelettes, un Docteur, et un jeune homme en costume populaire, tous se tenant par la main et en action de danser. 

On conserve au Musée des Arts d'Aix-la-Chapelle un bois de lit en châtaignier orné d'une Danse des Morts qui occupe trois des panneaux intérieurs, et qui consiste en 15 personnages placés sans ordre hiérarchique et escortés chacun d'un squelette. Sur les colonnes sont des crânes avec des os en croix, et, sur la bordure supérieure, des enfants appuyés sur des têtes de morts et soutenant des guirlandes de fleurs reliées entre elles par des têtes de chérubins. Ce genre d'ornementation suffit pour désigner le milieu du XVIe siècle comme l'époque de l'exécution de ce meuble. 

On trouve en Angleterre une Danse des Morts sculptée sur les miséricordes des stalles de l'église St-Michel, à Coventry (Warwick). Comme toujours, elle commence par le pape, et chaque groupe est formé de deux personnages, la Mort et sa victime; le tout se termine par deux sujets représentant le Jugement dernier. Cette Danse date de la seconde moitié du XVe siècle.

Danses peintes
L'ancienne église des Dominicains à Strasbourg (aujourd'hui le Temple-Neuf des protestants) possède une Danse des Morts peinte à fresque, et que l'on a découverte en 1824 sous une couche de plâtre; on en a fait restaurer les parties endommagées. Les personnages sont un peu plus grands que nature, et la Mort s'y trouve représentée non en squelette, mais sous la forme d'un cadavre excessivement maigre. Cette Danse commence par le Sermon du Prédicateur, qui a pour auditeurs un pape, un cardinal, un jeune évêque, deux adolescents, une religieuse, un vieillard, une matrone et une jeune fille; puis, sous une vingtaine d'arcades figurées, on voit, non pas, comme d'ordinaire, une série de gens escortés chacun par un squelette et entraînés dans une même procession vers un cimetière, mais des groupes de personnages interrompus par la Mort, et qui forment différents cortèges. On n'a pu découvrir l'époque précise où fut peinte cette fresque; mais, d'après le costume et le caractère des figures, on a conclu qu'elle doit être du milieu du XVe siècle. 

L'église de Ste-Marie, à Lübeck, renferme, dans une chapelle baptismale, une Danse des Morts peinte en 1463 par un artiste inconnu : les personnages, au nombre de 24, sont de grandeur naturelle, et chacun escorté d'un squelette; tous se donnent la main et forment une véritable ronde, ce qui paraît plus conforme au type primitif de ces compositions.

La Danse des Morts qui se trouve dans l'église de la Chaise-Dieu (Auvergne) devait se composer de 24 personnages elle n'en compte plus aujourd'hui que 23, d'un mètre de hauteur, et qui semblent former une chaîne. Ce monument n'a jamais porté de date ni d'inscriptions commémoratives, mais le costume des personnages indique la seconde moitié du XVe siècle.

Lucerne possède deux Danses des Morts : la 1re et la plus ancienne, ignorée jusqu'à nos jours, se voit, depuis 1832, restaurée, mais incomplète, dans la bibliothèque cantonale; elle est l'oeuvre d'un Lucernois, Jacob de Wil. La 2e est placée sur le pont des Moulins, pont couvert, et c'est sur les panneaux des fermes de la toiture que se trouvent 36 tableaux peints des deux côtés, de sorte que, dans quelque sens qu'on traverse le pont, on a toujours devant les yeux une suite de ces dessins funèbres, au bas desquels il y a quelques vers allemands; ces peintures, exécutées de 1631 à 1637, sont aujourd'hui un peu effacées. Malgré quelques ressemblances, cette Danse n'est pas une copie de celle de Bâle; elle en est une inspiration, mais en différa par les sujets. 

Dans la galerie de tableaux de la Maison des Orphelins d'Erfurt, on voit une Danse des Morts composée de 50 grandes peintures, et qui date de 1735. Sous chaque figure, des vers allemands forment un court dialogue entre les personnages et la Mort. 

Sur la partie supérieure du jubé de l'église d'Hexham (Northumberland) sont les restes encore bien conservés d'une Danse des Morts peinte à l'huile. Dans le couvent de Subiaco, prés de Rome, il existe une peinture à fresque qui représente la Mort foulant aux pieds des cadavres et frappant d'une grande épée deux personnages vivants.

L'église de Bar (Var) renferme un tableau du XVIe siècle, peint sur bois, et accompagné de 33 vers monorimes en patois provençal; il offre 18 personnages des deux sexes, dont plusieurs, en train de danser, sont atteints par la Mort qui décoche sur eux des flèches.

La Danse des Morts de Bâle est la plus importante et la plus célèbre de toutes. On l'a attribuée à plusieurs artistes du XVIe siècle, tels que Holbein, Klauber, Bock; mais à tort, car elle fut exécutée vers 1440, dans le cimetière des Dominicains, par suite de la peste de 1439 (Les pestes au Moyen âge), et sur l'ordre des Pères du connu concile qui se tenait à cette époque dans la ville. Réparée en 1568 par Klauber, qui y ajouta deux groupes où il se représenta lui-même avec sa femme et son enfant, retouchée en 1616 et en 1703, elle fut détruite en 1806. Mais on en a des copies à la bibliothèque de l'Université et dans la salle du concile, et on l'a gravée plusieurs fois. Cette grande fresque comptait 42 tableaux et 92 personnages; la Mort y avait ordinairement le sexe et le costume de ses victimes.

La bibliothèque publique de Bâle conserve une copie en 43 feuilles in-4° de la plus ancienne Danse des Morts, peinte à fresque en 1312 sur l'une des galeries du couvent de nonnes de Klingenthal, dans un faubourg appelé Petit-Bâle.

Berne possédait encore au XVe siècle une magnifique Danse des Morts, qui rivalisait avec celle de Bâle, quoique moins complète, mais peut-être plus remarquable pour la disposition des groupes et la variété des couleurs. Peinte à fresque, de 1515 à 1520, Sur le mur du cloître des Dominicains, elle ne subsista qu'une quarantaine d'années : mais on en conserve deux copies à l'aquarelle dans la salle de l'Académie. L'auteur, Nicolas-Manuel Deutsch, semble avoir eu en vue la critique des moeurs de son siècle : tout y est plein d'allégories; la plupart des figures sont des portraits, soit des amis du peintre, soit des hommes politiques de l'époque. Les mêmes intentions satiriques se manifestent dans les vers ajoutés à la peinture. Les groupes sont au nombre de quarante. Parmi les personnages on remarque un Turc, particularité qui se retrouve à la danse d'Erfurt.

La Danse des Morts d'Holbein
Quelques érudits contestent qu'Holbein soit l'auteur de la Danse qui porte son nom : mais il est prouvé du moins qu'il a dessiné cette oeuvre, s'il ne l'a pas gravée. Les premières épreuves parurent sans texte en 1530, puis, en 1538, dans les Simulachres de la Mort et Historiées faces de la Mort, livre publié à Lyon. Les dessins, primitivement au nombre de 41, furent portés à 53 dans l'édition de 1545; ils étaient accompagnés de sentences latines et de quatrains moraux français. La Danse d'Holbein n'est pas, comme les autres, une suite non interrompue de personnages enlevés par la Mort, qui gambade avec des poses plus ou moins comiques; elle ne se passe pas dans un cimetière, mais en autant d'endroits qu'il y a de sujets différents. C'est une représentation fidèle des scènes de la vie humaine; l'artiste a su animer son squelette avec une originalité piquante, et placer ses personnages dans une scène propre à leur état, à leur position; il a brisé les anneaux de cette ronde gothique qui semblait se dérouler dans l'infini, loin de tous les accidents de l'existence terrestre : au lieu de représenter la Mort régnant dans le vide et y entraînant ses victimes, il l'a montrée pénétrant dans le monde réel, surprenant les hommes au milieu de leurs plaisirs, leur donnant tout le temps de les savourer pour mieux leur faire sentir la rudesse de ses coups. Ainsi, là où ses prédécesseurs avaient fait la peinture de l'empire absolu de la Mort, Holbein a composé le tableau du royaume divers et agité de la vie. Les Simulachres de la Mort eurent un immense succès, et les éditions s'en sont multipliées avec des textes français, latin, allemand, italien, bohémien, anglais, hollandais. On l'huila dans les Danses de Lucerne et d'Erfurt. II n'a pas été fait seulement des copies plus ou moins complètes de la Danse d'Holbein; on rencontre, gravés séparément, des sujets tirés de cette admirable suite; on lui emprunta des scènes pour orner les lettres initiales des livres. II existe un alphabet de ce genre gravé et publié par Loedel sous ce titre : l'Alphabet avec Danse des Morts du peintre Holbein, Goettingen, Cologne, Bonn et Bruxelles, 1849. On doit citer encore comme venant, selon toute probabilité, de la main d'Holbein, le dessin d'un fourreau de dague conservé à la bibliothèque publique de Bâle, et reproduisant une Danse des Morts qui passe pour un chef-d'oeuvre de composition et d'exécution. 

Fortoul, La Danse des Morts, dessinée par Holbein..., expliquée et précédée d'un essai sur les poèmes et sur les images de la Danse des Morts, Paris, 1842.
Danse Macabre
On désigne plus spécialement sous ce nom (de l'arabe tanz-d-makabiri, plaisanterie de cimetière) la Danse de l'ancien charnier des Innocents de Paris, publiée avec texte français à Paris, par Guyot Marchand, en 1485, d'après des copies, selon les uns, d'une Danse des Morts peinte en 1380, ou; selon d'autres, d'une Danse qui aurait été exécutée en 1424 par des acteurs vivants. La 1re édition ne renferme que la Danse des Hommes; la 3e, publiée dès 1486, offre en outre la Danse des Femmes. Ces publications eurent un prodigieux succès, et de toutes parts on s'ingénia à les reproduire. Des éditeurs, entre autres Simon Vostre, firent graver de petites Danses des Morts, et les mirent aux marges des livres d'heures. On en faisait encore à Troyes au milieu du XVIIIe siècle.

Danses des Morts modernes
On peut comprendre sous ce titre certaines productions qui s'éloignent des anciens types, et qui ont paru depuis la fin du XVIIe siècle jusqu'à nos jours. Ainsi, en France, Grandville a publié vers 1830 un Voyage pour l'éternité, service général des omnibus accélérés, départ à toute heure et de tous les points du globe, suite de neuf sujets lithographiés très spirituels où la Mort est représentée sous le costume d'un postillon, d'un horloger, d'un apothicaire, d'un cuisinier, d'une courtisane, etc. En 1849 parut en Allemagne, sous ce titre : Encore une Danse des Morts pour 1848, une série de six petites gravures sur bois, avec un poème très court, se rattachant aux événements survenus en 1848 en France et en Allemagne; elle montre l'homme du peuple, égaré par les conseils de la Mort, se révoltant et tombant dans les déplorables luttes qui s'engagèrent à cette époque. Cette Danse fut publiée sous le même titre, à Paris, dans le journal l'Illustration (juillet 1849), et lithographiée l'année suivante, sous le titre de : le Socialisme, nouvelle Danse des Morts, Paris, 6 feuilles in-fol. 

Nous citerons un recueil fort curieux de 25 gravures d'une grande originalité et finement exécutées; il a pour titre : Figures de la Mort ou Danses des Morts pour tous états, inventées et dessinées par C. Merkel, et gravées sur bois par J.-G. Flegel, Leipzig, 1850. (P.-S.)



En bibliothèque - Recherches sur les Danses des Morts par Gabriel peignot, Dijon et Paris, 1826, in-8°; The Dance of Death (la Danse de la Mort), par Francis Douce, Londres, 1833, in-8°; Literatur der Todtentänze (Littérature des Danses des Morts), par H.-F. Massmann, Leipzig, 1810, in-8°; A. Jubinal, Explication de la Danse des Morts de la Chaise-Dieu, Paris, 1841, in-4°; De l'Architecture religieuse et des Danses des Morts par N.-C. Kist, Leyde, 1844, in-8°; Des Danses des Morts hollandaises, par J.-C. Schultz-Jacobi, Utrecht, 1849, in-8°; Essai historique, philosophique et pittoresque sur les Danses des Morts, par E.-Hyacinthe Langlois, complété et publié par A. Pottier et Baudry, Rouen, 2 vol. in-8°, 1851; G. Kastner, Les Danses des Morts, dissertations et recherches, accompagnées de la Danse macabre, grande ronde vocale et instrumentale, Paris, 1841, in-4°.
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Dictionnaire Architecture, arts plastiques et arts divers
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