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Louis XIV
La fin du règne de Louis XIV
La  faim et les cendres
Aperçu La minorité de Louis XIV Guerre et vanité La faim et les cendres
Le traité de Ryswyk avait rétabli la paix en 1697, entre la France et l'Espagne, l'Angleterre, la Hollande et l'Empire germanique. La France avait été conduite à faire de nombreuses concessions, nécessitées et par l'état des finances, et surtout par l'éventualité prochaine de l'ouverture de la succession d'Espagne, si souvent et si violemment escomptée depuis 1667. Louis XIV n'avait jamais cessé d'en faire le point principal de sa politique et de ses négociations. Le testament de Charles II, mort en 1700, détruisit tout l'échafaudage des combinaisons antérieures et parut dépasser en même temps toutes les espérances du monarque. D'après le droit monarchique qui, selon le mot de Fénelon, dispose des nations par héritage « comme d'un pré ou d'une vigne » sans que leur consentement soit nécessaire; l'Espagne devait appartenir après la mort de Charles II sans enfants, soit au dauphin de France, soit à l'empereur d'Allemagne ou à son fils l'archiduc Charles, soit enfin au prince électoral de Bavière. Charles II, pour éviter à ses nombreux Etats un démembrement trop probable et pour éloigner les chances de la réunion des couronnes d'Espagne et de France sur la même tête, désigna comme son unique héritier le duc d'Anjou, deuxième fils du dauphin de France, sous le nom de Philippe V. Le 6 novembre 1700, après une assez longue hésitation, Louis XIV dit à son petit-fils devant l'ambassadeur d'Espagne :
« Monsieur, le roi d'Espagne vous a fait roi. Les grands vous demandent, les peuples vous souhaitent et moi j'y consens. Songez seulement que vous êtes prince de France. » 
La guerre avec les autres prétendants à la succession paraissant dès lors inévitable, et les intentions hostiles de l'Angleterre étant certaines, Louis XIV s'empressa de reconnaître le fils de Jacques II. Cependant le royaume était loin d'avoir réparé l'épuisement où il était tombé. L'incapacité de la plupart des généraux de cette génération et les ordres absolus de ministres ignorants conspirèrent souvent en faveur des ennemis : les armées françaises mal conduites et mal payées démentirent leur vieille réputation. En Italie, Catinat, battu à Carpi, cède le commandement au magnifique Villeroi, que le prince Eugène repousse à Chiari et prend dans son lit à Crémone; heureusement Vendôme, successeur de Villeroi, fit sa jonction avec Philippe V venu par le royaume de Naples, débloqua Mantoue et repoussa le prince Eugène à Luzzara (1702). Cette situation fut vite compromise par la défection du duc de Savoie : les Autrichiens ne tardèrent pas à s'établir dans le duché de Milan et dans le royaume de Naples. En Allemagne, Villars, vainqueur à Friedlingen (1702) et à Hochstedt (1703), songeait à faire sa jonction avec Vendôme quand survint la défection de la Savoie. Villars fut d'ailleurs, à son grand désespoir, envoyé contre les Camisards, calvinistes révoltés dans les Cévennes. L'année suivante (1704), l'armée d'Allemagne, confiée à Tallard et Marsin, éprouva à Hochstedt même une des plus cruelles défaites de cette triste guerre. Les Français furent rejetés en deçà du Rhin; Villars fut rappelé pour couvrir la Lorraine.

En 1706, par la victoire de Turin, le prince Eugène chassa les Français d'Italie; par celle de Ramillies, Marlborough les exclut des Pays-Bas espagnols. En 1707, la Provence fut envahie : Tessé défendit Toulon, les populations soulevées firent le reste. En 1708, après la défaite d'Audenarde, ce fut le tour de la Flandre. Après l'hiver meurtrier de 1709, Louis XIV dut songer à demander la paix. Il offrit, à La Haye, d'abandonner la cause de son petit-fils, et même de fournir des subsides contre lui : les alliés, excités par les Hollandais, exigeaient qu'il lui déclarât la guerre. Pour la première fois de sa vie, Louis XIV fit un appel à la nation, par l'organe des gouverneurs, évêques, curés, magistrats des villes, etc. : 
« Je désirais vous faire jouir de la paix, mais je suis persuadé que vous vous opposerez vous-mêmes à la recevoir à des conditions également contraires à la justice et à l'honneur du nom français. »
La nation, soumise par la force de l'habitude, montra qu'en dépit des théories du roi, elle « faisait corps ». Les recrues affluèrent. A Malplaquet, contre toute probabilité, Villars tint tête au prince Eugène et à Marlborough (1709). Vendôme affermit le trône de Philippe V par la victoire de Villaviciosa (1710). Les Hollandais avaient fait échouer les conférences de Gertruydenberg; Marlborough, gagné par eux, faisait la guerre à leur profit. Cependant l'Angleterre se lassait de payer. La mort de l'empereur Joseph ler et l'élévation de l'archiduc Charles à l'Empire sous le nom de Charles VI changeait complètement la question d'équilibre. Louis XIV était suffisamment abaissé : poursuivre la guerre, ne serait-ce pas reconstituer l'empire de Charles-Quint? La brillante victoire de Villars à Denain (1712) hâta la conclusion de la paix d'Utrecht, dont les préliminaires avaient été signés avec l'Angleterre l'année précédente et qui fut complétée en 1714 et 1715 par les traités de Rastatt, de Bade en Argovie et d'Anvers. La France reconnut en Angleterre les résultats de la révolution de 1688 et les droits de la maison de Hanovre. Elle rendit un grand nombre de places fortes en Flandre, céda Terre-Neuve et la Nouvelle-Ecosse à l'Angleterre, consentit à démolir les fortifications de Dunkerque. La succession d'Espagne fut démembrée au profit de la Savoie qui eut la Sicile), de l'Autriche (qui eut les Pays-Bas méridionaux, la Sardaigne, Naples et le Milanais), et de l'Angleterre (qui garda Gibraltar prise en 1703, et Minorque). Mais Philippe V avait l'Espagne avec ses immenses colonies. Ainsi les maisons d'Autriche et de France furent placées en équilibre et en échec. 
« Louis XIV, en voulant tout avoir, avait failli tout perdre. Ses ennemis, en voulant tout lui ôter, lui avaient rendu ce que lui avait enlevé la fortune. Il gardait des provinces qu'il s'était résigné à céder et laissait son petit-fils affermi sur son trône disputé. » (Mignet.)

 « Le succès de la famille royale ne causait en apparence aucun préjudice au royaume. A bien examiner cette paix, pourtant, dans ses origines et ses détails, elle achevait ce que la guerre avait commencé, le triomphe de l'Angleterre sur Louis XIV. L'extension du commerce, la ruine de nos colonies naissantes, les prétentions victorieuses de l'Angleterre à dominer sur toutes les mers et dans tous les pays nouveaux furent le prix de l'établissement d'un prince français en Espagne. » (E. Bourgeois)..

Depuis 1683, la décadence de la prospérité intérieure s'était accélérée de façon presque continue. C'est ce que démontrent : la correspondance des intendants avec les contrôleurs généraux des finances, Le Peletier (1683-1689), le comte de Pontchartrain (1689-1699), Chamillart (1699-1707), et l'habile mais impuissant Desmarets (1707-1714); les lettres hardies et généreuses de Fénelon à Louis XIV, où l'on trouve en 1693 ce mot terrible : « La France est un grand hôpital désolé et sans provisions »; les mémoires des intendants écrits en 1697 sur l'initiative du duc de Beauvilliers pour l'instruction du duc de Bourgogne, mémoires où les plaintes sont presque universelles sur la guerre, la mortalité, les logements et passages continuels de troupes, la milice, les exactions des fermiers généraux, la retraite des Huguenots; le Détail de la France, par Le Pesant de Boisguillebert (1697), et le Factum de le France, du même, qui fut supprimé par arrêt du conseil (1707); le Mémoire de Racine, qui le fit exclure de la cour en 1699; la Dîme royale de Vauban, ouvrage supprimé par arrêt du conseil (1707). 

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Lettre de Fénelon à Louis XIV
adressée anonymement à Mme de Maintenon 
alors épouse du roi

« La personne, Sire, qui prend la liberté de vous écrire cette lettre n'a aucun intérêt en ce monde. Elle ne l'écrit ni par chagrin, ni par ambition, ni par envie de se mêler des grandes affaires. Elle vous aime sans être connue de vous; elle regarde Dieu en votre personne. Avec toute votre puissance vous ne pouvez lui donner aucun bien qu'elle désire, et il n'y a aucun mal qu'elle ne souffrit de bon coeur pour vous faire connaître les vérités nécessaires à votre salut. Si elle vous parle fortement, n'en soyez pas étonné, c'est que la vérité est libre et forte. Vous n'êtes guère accoutumé à l'entendre. Les gens accoutumés à être flattés prennent aisément pour chagrin, pour âpreté et pour excès ce qui n'est que la vérité toute pure. C'est la trahir que de ne vous la montrer pas dans toute son étendue. Dieu est témoin que la personne qui vous parle le fait avec un coeur plein de zèle, de respect, de fidélité, et d'attendrissement sur tout ce qui regarde votre véritable intérêt.

Vous êtes né, Sire, avec un coeur droit et équitable; mais ceux qui vous ont élevé ne vous ont donné pour science de gouverner que la défiance, la jalousie, l'éloignement de la vertu, la crainte de tout mérite éclatant, le goût des hommes souples et rampants, la hauteur, et l'attention à votre seul intérêt.

Depuis environ trente ans vos principaux ministres ont ébranlé et renversé toutes les anciennes maximes de l'État, pour faire monter jusqu'au comble votre autorité, qui était devenue la leur, parce qu'elle était dans leurs mains. On n'a plus parlé de l'État ni des règles; on n'a parlé que du roi et de son bon plaisir. On a poussé vos revenus et vos dépenses à l'infini. On vous a élevé jusqu'au ciel pour avoir effacé, disait-on, la grandeur de vos prédécesseurs ensemble, c'est-à-dire pour avoir appauvri la France entière, afin d'introduire à la cour un luxe monstrueux et incurable. Ils ont voulu vous élever sur les ruines de toutes les conditions de l'État, comme si vous pouviez être grand en ruinant tous vos sujets sur qui votre grandeur est fondée. Ils vous ont accoutumé à recevoir sans cesse des louanges outrées qui vont jusqu'à l'idolâtrie, et que vous auriez dû, pour votre honneur, rejeter avec indignation. On a rendu votre nom odieux et toute la nation française insupportable à nos voisins. On n'a conservé aucun ancien allié, parce qu'on n'a voulu que des esclaves... Les traités de paix signés par les vaincus ne sont point signés librement : on signe le couteau sous la gorge; on signe malgré soi pour éviter de plus grandes pertes; on signe comme on donne sa bourse quand il faut la donner ou mourir.

Cependant vos peuples, que vous devriez aimer comme vos enfants, et qui ont été jusqu'ici si passionnés pour vous, meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée; les villes et la campagne se dépeuplent; tous les métiers languissent et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti. Par conséquent vous avez détruit la moitié des forces réelles du dedans de votre État, pour faire et pour défendre de vaines conquêtes au dehors. Au lieu de tirer de l'argent de ce pauvre peuple, il faudrait lui faire l'aumône et le nourrir. La France entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provision. Les magistrats sont avilis et épuisés. La noblesse, dont tout le bien est en décret, ne vit que de lettres d'État. Vous êtes importuné de la foule des gens qui demandent et qui murmurent. C'est vous-même, Sire, qui vous êtes attiré tous ces embarras; car tout le royaume ayant été ruiné, vous avez tout entre vos mains, et personne ne peut plus vivre que de vos dons. Voilà ce grand royaume si florissant sous un roi qu'on nous dépeint tous les jours comme les délices du peuple, et qui le serait en effet si les conseils flatteurs ne l'avaient point empoisonné.

Le peuple même (il faut tout dire), qui vous a tant aimé, qui a eu tant de confiance en vous, commence à perdre l'amitié, la confiance et même le respect. Vos victoires et vos conquêtes ne le réjouissent plus ; il est plein d'aigreur et de désespoir. La sédition s'allume peu à peu de toutes parts. Ils croient que vous n'avez aucune pitié de leurs maux, que vous n'aimez que votre autorité et votre gloire. Si le roi, dit-on, avait un coeur de père pour son peuple, ne mettrait-il pas plutôt sa gloire à leur donner du pain, et à les faire respirer après tant de maux, qu'à garder quelques places de la frontière qui causent la guerre? Quelle réponse à cela, Sire ? Les émotions populaires qui étaient inconnues depuis si longtemps deviennent fréquentes. Paris même, si près de vous, n'en est pas exempt. Les magistrats sont contraints de tolérer l'insolence des mutins, et de faire couler sous main quelque monnaie pour les apaiser; ainsi on paie ceux qu'il faudrait punir. Vous êtes réduit à la honteuse et déplorable extrémité, ou de laisser la sédition impunie, et de l'accroître par cette impunité, ou de faire massacrer avec inhumanité des peuples que vous mettez au désespoir en leur arrachant, par vos impôts pour cette guerre, le pain qu'ils tâchent de gagner à la sueur de leurs visages.

Mais, pendant qu'ils manquent de pain, vous manquez vous-même d'argent, et vous ne voulez pas voir l'extrémité où vous êtes réduit. Parce que vous avez toujours été heureux, vous ne pouvez vous imaginer que vous cessiez jamais de l'être. Vous craignez d'ouvrir les yeux; vous craignez qu'on ne vous les ouvre; vous craignez d'être réduit à rabattre quelque chose de votre gloire. Cette gloire, qui endurcit votre coeur, vous est plus chère que la justice, que votre propre repos, que la conservation de vos peuples qui périssent tous les jours des maladies causées par la famine, enfin que votre salut éternel incompatible avec cette idole de gloire. Voilà, Sire, l'état où vous êtes. »
 

(Fénelon).

Il est certain que la population de plusieurs villes, Lyon, Tours et Troyes entre autres, avait en vingt ans diminué de plus de moitié : la diminution totale pour le royaume peut être évaluée à 2 millions d'habitants. 

Dans les campagnes, « tout ce qui s'appelle bas peuple, écrit Vauban en 1696, ne vit que de pain d'orge et d'avoine mêlés, dont ils n'ôtent même pas le son, ce qui fait qu'il y a tel pain qu'on peut lever par les pailles d'avoine dont il est mêlé. Ils se nourrissent encore de mauvais fruits, la plupart sauvages, et de quelque peu d'herbes potagères de leurs jardins, cuites à l'eau, avec un peu d'huile de noix ou de navette, le plus souvent sans ou très peu de sel (à cause de la gabelle). Il n'y a que les plus aisés qui mangent du pain de seigle mêlé d'orge et de froment. Le commun du peuple boit rarement du vin, ne mange pas trois fois de la viande en un an, et use peu de sel. Les trois quarts ne sont vêtus, hiver et été, que de toile à moitié pourrie et desséchée, et chaussés de sabots dans lesquels ils ont le pied nu toute l'année; que si quelqu'un a des souliers, il ne les met que les jours de fêtes et dimanches. Ils ne possèdent pas un pouce de terre. »
Cette description ne s'applique qu'à l'élection de Vézelay (Bourgogne). Dix ans après, Vauban, qui a pu multiplier ses observations de détail, conclut ainsi : 
« Par toutes les recherches que j'ai pu faire, j'ai fort bien remarqué que, dans ces derniers temps, près de la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité, et mendie effectivement; que, des neuf autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l'aumône à celle-là, parce qu'eux-mêmes sont réduits, à très peu de chose près, à cette malheureuse condition; que des quatre autres parties qui restent, les trois sont fort maltraitées et embarrassées de dettes et de procès, et que, dans la dixième où je mets tous les gens d'épée, de robe, ecclésiastiques et laïques, toute la noblesse haute, la noblesse distinguée, et les gens en charges militaires et civiles, les bons marchands, les bourgeois rentés et les plus accommodés, on ne peut pas compter sur cent mille familles.-»
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Louis XIV en 1706.
Louis XIV en 1706.
La détresse financière oblige les ministres des finances à recourir, non seulement à des impôts nouveaux dont le principe était meilleur que ne fut l'application, mais encore et surtout aux expédients les plus tristes : fonte de la vaisselle d'argent du roi, augmentation ou diminution des monnaies, affaires extraordinaires (c. -à-d. création et vente d'offices inutiles et onéreux au public), emprunts à des taux de plus en plus élevés (10 et 12%). Pendant les deux dernières guerres, les revenus nets n'avaient guère dépassé 1100 millions, pour des dépenses de près de 5 milliards. En 1715, la dette immédiatement exigible s'élevait à 1200 millions de livres, soit treize fois les recettes nettes; la dette totale était de 2382 millions de livres. Les billets de monnaie ou effets royaux n'étaient dans cette situation qu'un palliatif, ou plutôt l'annonce d'une banqueroute à bref délai.

Les lamentables effets de l'édit du 22 octobre 1685 n'ont pas éclairé le roi. Son confesseur, le père Le Tellier, l'excite à poursuivre de plus en plus rigoureusement les Calvinistes. En 1709, sous le prétexte de la bulle de mars 1708, le roi ordonne la dispersion de Port-Royal, puis, en 1710, la démolition des bâtiments, sauf l'église : «-Le scandale fut grand jusque dans Rome. » (Augustin Thierry). La promulgation de la bulle Unigenitus (1713) acheva le triomphe du Jésuitisme et prépara la revanche du parti ultramontain sur le gallicanisme. Ce fut l'occasion de nouvelles persécutions dont furent victimes, entre autres, Rollin, Fontenelle, Daguesseau et jusqu'à l'archevêque de Paris, NoaiIles. 

Par de tels excès, Louis XIV employait la fin de sa vie « à rendre, après sa mort, un relâchement général plus nécessaire et plus certain [...]. Et, d'ailleurs, ce souverain, qui défendait par tant de rigueurs l'orthodoxie catholique, conférait à ses deux fils illégitimes (doublement adultérins), le duc du Maine et le comte de Toulouse, le rang de princes du sang et d'héritiers éventuels de la couronne : dernière injure à l'opinion publique, dernier et inutile abus d'une volonté despotique qui espérait se survivre à elle-même et triompher de la mort. » (Prévost-Paradol.) 
La seule excuse du despote finissant c'est, avec sa défiance à l'égard du duc d'Orléans, la suite inouïe de malheurs qui le frappèrent dans ce qu'il avait de plus cher. Le vieillard avait vu tomber autour de lui son unique fils légitime, le grand dauphin (1791); la seconde dauphine, duchesse de Bourgogne, et le second dauphin, duc de Bourgogne, emportés à six jours de distance (1712); le duc de Bretagne, fils aîné du duc de Bourgogne, un mois après (1712); le duc de Berry, frère du duc de Bourgogne (1714). Son unique rejeton légitime était Louis, duc d'Anjou, fils du duc de Bourgogne, né en 1710, enfant frêle et maladif. La douleur du roi se traduisit par une dévotion de plus en plus âpre, sombre et intolérante. Son caractère ne fut pas ébranlé :
« Parmi des adversités si longues, si redoublées, intimement poignantes, sa fermeté, c'est trop peu dire, son immutabilité demeure tout entière [...]. Il parlait comme à son ordinaire, ni plus ni moins, avec le même air, déclarait les mauvaises nouvelles sans détour ni déguisement, sans plainte, sans accuser personne, courtement et majestueusement, comme il avait accoutumé. Un courage mâle, sage, supérieur, lui faisait serrer entre ses mains le gouvernail parmi ces tempêtes, et dans les accidents les plus fâcheux et les temps les plus désespérés, toujours avec application, toujours avec une soumission parfaite à la volonté de Dieu et à ses châtiments. » 
Depuis longtemps les fêtes avaient cessé; il ne subsistait à la cour que l'étiquette. Autour de Mme de Maintenon se groupaient, avec les « légitimés », tous les fauteurs du despotisme agonisant et du fanatisme religieux. La mort du grand dauphin avait un moment dispersé les « libertins » qui se réunirent en partie, à Saint-Cloud, à la société frivole et licencieuse du duc d'Orléans, ce « fanfaron de vices », suivant le mot du roi. La mort du duc de Bourgogne avait enlevé ses espérances au parti aristocratique, décentralisateur, antibourgeois, mais en un certain sens libéral, dont Fénelon avait été le publiciste, et les ducs de Saint-Simon, de Beauvilliers et de Chevreuse les principaux appuis.

Obsédé et circonvenu par les prêtres, par le duc du Maine et par Mme de Maintenon, le roi fit un testament qui excluait presque entièrement le duc d'Orléans, son neveu, de la régence. Le duc du Maine devait avoir la garde du futur Louis XV pendant sa minorité, avec le commandement de la maison militaire. Le maréchal de Villeroi était désigné comme gouverneur du roi. Au duc d'Orléans appartenait seulement la présidence du conseil de régence, à la majorité duquel il devait se soumettre et dont les membres étaient nommés par Louis XIV lui-même. Espérait-il vraiment se survivre en quelque sorte à lui-même? Quoi qu'il en soit, lorsque vint la dernière maladie (25 août 1715), il ne pensa plus qu'à Dieu et aux innombrables fautes de son règne : 

« Mon enfant, dit-il à son arrière-petit-fils, vous allez être bientôt roi d'un grand royaume. Ne m'imitez pas dans le goût que j'ai eu pour les bâtiments, ni dans celui que j'ai eu pour la guerre. Tâchez, au contraire, de conserver la paix avec vos voisins. Rendez à Dieu ce que vous lui devez; reconnaissez les obligations que vous lui avez; faites-le honorer par vos sujets. Suivez les bons conseils. Soulagez vos peuples le plus tôt que vous pourrez, ce que je suis assez malheureux pour n'avoir pu faire. »
Ce règne de soixante-douze ans a laissé des traces profondes dans l'histoire de France. Si, au point de vue extérieur, il est loin d'avoir produit ce qu'il promettait, les leçons, les exemples, les réformes des grands ministres du début n'ont pas été perdus pour la France. Le despotisme a contribué au nivellement des classes, à l'ascension de la bourgeoisie vers les fonctions publiques, à la centralisation et à l'unité du pays. Mais tout a été fait ou tenté contre les libertés les plus naturelles et les plus nécessaires à la vie d'un peuple. Par certains traits de son caractère obtus et de sa politique, Louis XIV fait penser à Philippe II : la France eut heureusement plus de ressort que l'Espagne. Elle éprouva un véritable sentiment de délivrance à la mort du prétendu « grand roi-»; ce n'est qu'à distance qu'elle a pu reconnaître des mérites et des qualités longtemps exagérés par la flatterie et par la servilité. (H. Monin).
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