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Louis XIV
Le règne de Louis XIV entre 1661 et 1700
Guerre et vanité
Aperçu La minorité de Louis XIV Guerre et vanité La faim et les cendres
La France, qui paraissait ruinée et épuisée par les troubles de la Fronde et par la guerre contre l'Espagne, se releva beaucoup plus vite que les autres Etats de l'Europe continentale. Tout en conservant d'abord la paix avec ses voisins, Louis XIV se plut à leur faire sentir sa suprématie. Il humilia le roi d'Espagne Philippe IV et le pape Alexandre VII qui avaient voulu contester à ses ambassadeurs des privilèges de préséance (1661). Il affecta de se déclarer le protecteur de la chrétienté en envoyant une armée au secours de l'empereur Léopold, un des ennemis naturels de la France, alors gravement menacé par les Turcs. On ne manqua pas d'exagérer beaucoup à la cour la part sans doute honorable que prirent 6000 Français à la victoire de Saint-Gothard, qui sauva Vienne. Dans le même temps, le roi rachetait Dunkerque aux Anglais (1662) et, sur-le-champ, employait toute une armée d'ouvriers aux travaux des fortifications et du port. Richelieu, en temps de paix, n'entretenait guère qu'une dizaine de mille hommes sous les armes. Louis XIV en eut 60,000. Aucune puissance ne pouvait faire un tel effort. Aussi toutes attendaient avec inquiétude le moment où le jeune roi mettrait en oeuvre ses ressources en hommes et en argent. 
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Louis XIV.
Louis XIV (détail du tableau de Rigaud).


La Suède et les princes allemands de la ligue du Rhin restaient à la solde du gouvernement français plutôt comme mercenaires que comme alliés. La Hollande, malgré une guerre de tarifs, et l'Espagne s'épuisaient en protestations d'amitié, l'une parce que son gouvernement était essentiellement pacifique, l'autre par conscience de sa faiblesse. Louis XIV avait déjà résolu de démembrer la monarchie espagnole lorsque la guerre de la Hollande et de l'Angleterre (1674-1667) vint à la fois retarder ses projets et favoriser sa politique générale. Allié des Pays-Bas, il s'excusa sur le dépérissement de sa marine pour ne les défendre que sur terre contre l'évêque de Munster. Quant à sa flotte, déjà en partie reconstituée, il l'avait envoyée, dans la Méditerranée, châtier les pirates barbaresques. Pendant que la marine anglaise et la marine hollandaise se ruinaient réciproquement, il faisait construire à la fois soixante grands bâtiments, s'apprêtant à recueillir ce double héritage. 

Toutefois, il mit tous ses soins à maintenir la guerre anglo-hollandaise dans ses premières limites, afin de ne pas diviser de nouveau l'Europe en deux ligues générales, ce qui l'eût gêné dans ses revendications particulières. Arrivé à son but grâce à l'habileté de Lionne, dès que fut mort son beau-père Philippe IV (1665), il invoqua contre son beau-frère Charles II, roi d'Espagne, la coutume civile des Pays-Bas méridionaux qui dans une succession donnait la préférence à la soeur née d'un premier mariage du père (c'était le cas de Marie-Thérèse, sa femme) sur le frère issu d'un second mariage (c'était le cas de Charles II). Ce droit de Dévolution ne pouvait évidemment s'appliquer à une souveraineté politique, à un domaine d'Etat, et Louis XIV a reconnu lui-même plus tard qu'il fut poussé à la guerre par le désir de s'agrandir, par l'impatience belliqueuse de sa noblesse, plutôt que par la nécessité de revendiquer les « droits de la reine ». Il avait la meilleure armée et les plus grands généraux de l'Europe. Il marcha en personne à la tête de 35,000 hommes contre les Pays-Bas espagnols qui n'avaient qu'une garnison totale de 8000 hommes, non soldés. 

Lille ne soutint le siège que pendant neuf jours. Les autres villes de Flandre ou de Hainaut ne se défendirent même pas (mai-septembre 1667). Ce fut une prise de possession plutôt qu'une conquête. Bientôt, on apprit que le roi faisait de nouveaux préparatifs plus considérables que pour la première campagne, pendant la saison même où l'usage constant était de faire entrer les troupes dans leurs quartiers d'hiver. L'orage allait-il tomber sur l'Allemagne? Sur l'Italie? Plus prudent, le roi ne songeait qu'à la Franche-Comté alors espagnole, complément supposé naturel de la Bourgogne, dont le grand Condé, rentré en grâce, avait le gouvernement. Philippe IV avait abandonné la Franche-Comté à ses propres forces, non seulement par impuissance, mais surtout parce que cette province, très attachée à ses coutumes et privilèges et horriblement traitée par les Suédois alliés à la France sous Louis XIII, avait plusieurs fois arrêté d'elle-même l'invasion française. Mais, devant l'immense supériorité de Louis XIV, toute idée de résistance devait s'évanouir. 
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Lettre de Louis XIV au comte d'Estrades
Ambassadeur du roi en Angleterre

25 janvier 1662.

« Monsieur le comte d'Estrades, j'ai reçu, par le courrier extraordinaire que vous m'avez envoyé, votre lettre du 20 janvier. Ce que j'ai remarqué dans la teneur de votre dépêche, c'est que le roi mon frère et ceux dont il prend conseil ne me connaissent pas encore bien, quand ils prennent avec moi des voies de hauteur et d'une certaine fermeté qui sent la menace. Je ne connais puissance sous le ciel qui soit capable de me faire avancer un pas par un chemin de cette sorte, et il me peut bien arriver du mal, mais non pas une impression de crainte. Je pensais avoir gagné dans le monde qu'on eût un peu meilleure opinion de moi; mais je me console en ce que peut-être n'est-ce qu'à Londres qu'on fait de si faux jugements : c'est à moi à faire par ma conduite qu'ils ne demeurent pas longtemps en de semblables erreurs.

Je suis assuré qu'à Madrid, ni en autre lieu de la terre, il ne serait pas sorti de la bouche d'un ministre, parlant à mon ambassadeur, ce que le chancelier Hyde a bien voulu vous dire. Cependant je prétends mettre bientôt mes forces de mer en tel état que les Anglais tiendront à grâce que je veuille bien alors entendre à quelques tempéraments, touchant un
droit qui m'est dû plus légitimement qu'à eux. Le roi d'Angleterre et son chancelier peuvent bien voir à peu près quelles sont mes forces, mais ils ne voient pas mon coeur; mais moi, qui sens et connais l'un et l'autre, je désire que, pour toute réponse à une déclaration si hautaine, ils sachent par votre bouche, au retour de ce courrier, que je ne demande ni ne recherche d'accommodement en l'affaire du pavillon, parce que je saurai bien soutenir mon droit, quoi qu'il en puisse arriver; et que, pour ce qui est de la garantie de la pêche, j'en userai comme il me plaira, sans aucune relation à l'autre affaire du pavillon, parce que je saurai bien soutenir mon droit, et suivant que je l'estimerai juste, et que je trouverai le droit des Hollandais bien ou mal fondé. Je ne veux pas même que vous les éclaircissiez, savoir si je suis engagé ou non à la dite garantie, quoique à vous (pour votre information particulière, qui ne doit point aller jusqu'à eux, puisqu'ils tiennent avec moi un si mauvais procédé) je veuille bien vous dire que je n'ai encore là-dessus aucun engagement avec les Hollandais.

Avec des princes comme moi, qui regardent l'honneur et visent à la gloire préférablement à toute sorte de considérations, il y avait de meilleurs chemins à prendre pour le chancelier, s'il voulait parvenir à sa fin. Les affaires se font ou se ruinent souvent par la bonne ou mauvaise manière de les porter; et en celle-ci, je vous avoue que je ne sais pas moi-même ce qui serait arrivé de la garantie de la pêche dont les Hollandais me pressent, si, au lieu de me parler avec la hauteur qu'a fait le chancelier, il vous avait dit bonnement qu'il fallait en toute façon empêcher que vos maîtres ne se brouillassent ensemble; qu'en même temps il eût proposé des expédients pour éviter les ruptures que peut causer le différend du pavillon, et qu'ensuite il eût témoigné que le roi son maître espérait de l'amitié dont je l'avais tant fait assurer que je ne voudrais pas lui donner le déplaisir de me voir engager avec les Hollandais une garantie que l'Angleterre ne peut souffrir sans préjudice : c'était presque la même chose en des termes plus civils; et je doute que j'eusse pu me défendre : mais de la hauteur qu'il l'a pris, je crois que la première chose que je ferai sera d'entrer dans l'engagement sur lequel je vois qu'on me menace.

Je ne doute pas qu'après ce coup le chancelier ne vous représente maintenant les inconvénients de cette résolution, si je m'y porte, et qu'en traitant il n'exagère le salut ou la perte du Portugal, dont ils sont sur le point d'abandonner les intérêts, de rompre le mariage, et, au besoin, de se joindre au Roi Catholique pour l'aider à cette conquête.

Je crois que tout cela peut facilement arriver, et je vois aussi bien qu'eux l'intérêt que j'ai qu'il n'arrive pas; et cependant tout cela ne m'est rien à l'égard d'un point d'honneur où je croirais la réputation de ma couronne tant soit peu blessée; car, en pareils cas, bien loin de me soucier ni me mettre en peine de tout ce qui peut arriver des États d'autrui comme du Portugal, je serai toujours prêt de hasarder les miens propres plutôt que de commettre la moindre faiblesse qui ternît la gloire où je vise en toutes choses.

Le chancelier s'est donc fort mécompté en mon opinion, et je veux dire ainsi que, quelque suite que cette affaire ait, il ne se mécomptera pas peut-être moins en ses mesures; car s'il en faut venir à des extrémités avec son maître pour un point d'honneur, j'espère, sans menacer personne, mettre les affaires en état que mon parti, pour parler modestement, ne sera pas le plus faible. Je dis même quand je serais seul à le soutenir, quoique j'aie d'ailleurs tout sujet de croire qu'en un besoin je serai assez secondé de divers endroits dont le roi d'Angleterre se doute le moins.

Aussitôt que j'ai vu votre dépêche, j'ai donné incessamment des ordres pour mettre ma flotte en état qu'elle n'ait pas beaucoup à craindre, et je crois pouvoir dire avec vérité que, quand il lui arriverait un malheur, ce serait peut-être la plus mauvaise affaire en toutes façons que le roi d'Angleterre eût pu s'attirer sur les bras. Il en sera après cela ce qu'il plaira à Dieu. Il me suffira de n'avoir rien fait de bas, ni que je puisse me reprocher. »
 

(Louis XIV).

Des conquêtes aussi importantes, faites aussi rapidement, stupéfièrent l'Europe. La Hollande s'empressa de signer avec l'Angleterre la paix de Bréda; l'Angleterre s'interposa entre l'Espagne et le Portugal, en guerre depuis vingt-huit ans, et le traité fut conclu malgré Louis XIV, envers qui le Portugal s'était engagé à ne pas faire de paix séparée. Plusieurs princes allemands pensionnaires de la France, entre autres le grand-électeur de Brandebourg, envoyèrent offrir leurs secours à Léopold. La Suède elle-même se sépara de Louis XIV, espérant obtenir de la Hollande des subsides plus considérables. Bref, trois Etats protestants, Hollande, Angleterre et Suède, s'armèrent et se concertèrent (Triple Alliance) pour défendre le roi très catholique contre le roi très chrétien : curieux événement, qui montre la distance parcourue depuis le XVIe siècle et même depuis la guerre de Trente Ans. Mais Louis XIV s'était subordonné secrètement Charles II d'Angleterre, en lui promettant l'argent que son Parlement lui refusait, et dont il comptait se servir pour corrompre ce Parlement même et rétablir, malgré l'opinion anglaise, le pouvoir absolu. Quant à Léopold, il fut apaisé par un traité éventuel de partage de toute la monarchie espagnole que Louis XIV lui faisait proposer et qui était tout a son avantage. Aussi abandonna-t-il l'intérêt de l'équilibre européen pour le sien propre. 

La Triple Alliance se rompit comme d'elle-même par suite de la rapidité des négociations de la France avec l'Espagne, et de la modération relative du vainqueur : au traité d'Aix-la-Chapelle (1668), il restitua la Franche-Comté et garda dans les Pays-Bas la Flandre dite française: Lille, Douai (conservées par la France), Charleroi, Ath, Tournai, Audenarde, Courtrai, Furnes (actuellement en Belgique).

Les Hollandais avaient espéré que Louis XIV préférérait la Franche-Comté. Ils se crurent avec raison menacés par l'établissement si voisin de la puissance française. Beaucoup plus que leur orgueil national - dont on a tort exagéré les démonstrations -  leur suprématie commerciale et leur esprit républicain et protestant ne pouvaient qu'irriter au vif le roi de France : chose presque unique, contre la Hollande, Colbert et Louvois étaient d'accord. Mais Louvois était le plus zélé : 

« Le véritable moyen de parvenir à la conquête des Pays-Bas espagnols est d'abaisser les Hollandais, de les anéantir s'il est possible. »
Le grand pensionnaire de Hollande, Jean de Witt, avait répondu aux tarifs protecteurs de 1667 de la France par les tarifs presque prohibitifs de 1670. Tout en essayant de maintenir la subordination de l'armée et du stathoudérat au pouvoir civil, il fit tous ses efforts auprès des sept Etats pour fortifier L'armée de terre, trop longtemps négligée, depuis 1650, pendant la longue minorité du stathouder Guillaume d'Orange. De son côté, Louis XIV, par ses promesses et par ses subsides, achète, contre la Hollande, le roi d'Angleterre et le roi de Suède; il prend à sa solde quelques princes allemands, entre autres l'évêque de Munster, l'ennemi implacable des Hollandais. L'empereur, occupé par les Hongrois, promet la neutralité. 

Ces succès diplomatiques terminèrent, en 1671, la carrière de Lionne, auquel succéda pour les affaires « du dehors », Simon Arnauld, marquis de Pomponne. Henriette d'Angleterre, soeur de Charles II et belle-soeur de Louis XIV, comme duchesse d'Orléans, avait servi d'intermédiaire pour le très secret traité de Douvres, par lequel on peut dire, sans exagération, que le roi d'Angleterre se vendait au roi de France. Quand toutes les trames furent terminées, une armée de 122,000 hommes, dont 80,000 de marche, se jeta tout à coup sur la Hollande à travers l'évêché de Liège. Ce fut « un coup de foudre dans un ciel serein». Louis XIV commandait en personne avec Louvois pour administrer, Condé et Turenne pour commander les opérations militaires, Vauban pour diriger les sièges. 

La flotte anglo-française vint bloquer les côtes de la Hollande. Ses 25,000 soldats, peu exercés, ses forteresses mal entretenues, en un mot, son état militaire trop longtemps sacrifié à la crainte d'un despotisme possible et à de fausses idées d'économie, n'étaient pas capables d'une longue résistance. Le peuple furieux contre le parti républicain, excité d'ailleurs par les agents du prince d'Orange, massacra Jean et Cornelius de Witt, et, malgré l'édit perpétuel de 1672, Guillaume d'Orange reçut comme stathouder un pouvoir dictatorial. Il avait vingt-deux ans. Ce fut l'ennemi le plus acharné, le plus perspicace de la politique de Louis XIV, le chef de toutes les coalitions qui se formèrent contre lui. Cependant l'armée du grand roi, laissant derrière elle Maastricht, occupait la Gueldre, la province d'Utrecht, l'Over-Yssel, et campait à quatre lieues d'Amsterdam. Les riches songeaient à s'embarquer pour Batavia (Djakarta) avec leur or, lorsqu'on apprit tout à coup que la guerre se ralentissait. 

Sur le conseil de Louvois, au lieu de surprendre Amsterdam, l'armée française était dispersée en une foule de petites garnisons. Les Etats-Généraux prescrivirent la rupture des digues qui préservent le sol de la Hollande contre le flux marin. Ce moyen désespéré avait autrefois réussi contre le duc d'Albe. Il fit aussi reculer le grand roi. Bientôt l'amiral Ruyter, vainqueur sur mer des Anglo-Français, vint ranger sa flotte triomphante dans les plaines inondées d'Amsterdam. L'Europe, d'abord déconcertée, reprit courage en apprenant que les Hollandais ne s'abandonnaient pas eux-mêmes. Léopold, sur les instances des princes allemands, surtout du grand-électeur, le Danemark, la Lorraine, l'archevêque de Cologne et l'évêque de Munster lui-même, se déclarèrent pour la Hollande, ou promirent la neutralité (1672 à 1674). En février 1674, Charles II fut contraint par son Parlement de signer la paix avec les Hollandais, mais non à se tourner contre celui dont il avait fait son maître. Cependant, Louis XIV avait été forcé de faire revenir son armée de la Hollande dans les Pays-Bas espagnols pour conserver ses communications avec la France.

L'Espagne épuisa ses dernières ressources pour lever une armée. Ce fut encore elle qui supporta tout le poids de la guerre : non seulement, le pays belge fut occupé, mais Louis XIV s'empara une seconde fois de la Franche-Comté (mai-juin 1674). Enfin, par une faveur inattendue de la fortune, c'est le moment que choisirent Messine et presque toute la Sicile pour secouer le joug de l'Espagne et proclamer roi Louis XIV. Pendant cette guerre continentale et maritime, les armées françaises furent presque constamment victorieuses. Aux Pays-Bas, Condé, plus faible de 20,000 hommes, livra au stathouder cette furieuse bataille de Senef (11 août 1674) qui rappela trop celle de Fribourg : il l'emporta, mais ne put retirer aucun fruit de cette sanglante victoire. Sur le Rhin, Turenne « croissait d'audace en vieillissant » (Bonaparte); avec une petite armée, il tenait en échec tout l'Empire. Deux fois il chassa les impériaux de l'Alsace; deux fois, il pénétra dans la région de la Forêt-Noire.

L'électeur palatin s'étant ligué secrètement avec l'empereur, Louvois fit procéder à l'incendie et à la dévastation du Palatinat, avec L'intention avouée de donner à la France un désert pour frontière. Turenne fut tué l'année suivante à Salzbach (27 juillet 1675) au moment de livrer à Montecuculli une bataille décisive; Condé, perclus de la goutte, sortit de son domaine de Chantilly pour chasser de nouveau les Impériaux de l'Alsace, mais ce fut sa dernière campagne. Créqui, vainqueur de Charles V de Lorraine, garda victorieusement le Rhin. Dans les Pays-Bas espagnols, Condé, Bouchain, Valenciennes, Cambrai, Gand, Ypres, succombèrent. Sur mer, l'amiral Duquesne envoyé au secours de Messine, après une rencontre indécise près des îles Stromboli, tint tête à la flotte hispano-hollandaise en vue de l'Etna; les alliés perdirent 12 vaisseaux, 6 galères, 7000 hommes, 700 canons et, perte irréparable, un chef comme Ruyter (1676). Une seconde victoire, en vue de Palerme, donna la Sicile à la France (juin 1676); mais cette île fut vite reperdue par l'incapacité et les vexations du vice-roi français et de son entourage. Dans les Antilles, le comte d'Estrées prenait aux Hollandais Tobago et le territoire de Cayenne

Cependant la France s'épuisait en hommes et en argent. L'équilibre financier rétabli par Colbert périclitait. La Hollande, d'autre part, sûre de son indépendance, redoutait de voir la conquête française s'étendre à tous les Pays-Bas espagnols. Les Hongrois menaçaient l'Autriche. Enfin, l'Angleterre, malgré Charles II, se préparait à passer de la neutralité à l'hostilité ouverte. Ces circonstances facilitèrent la paix signée à Nimègue (1678) entre Louis XIV et les Etats-Généraux de Hollande, paix à laquelle accédèrent successivement les autres coalisés, le Brandebourg en dernier lieu (à Saint Germain, 1679). La Hollande ne perdit rien de son territoire, et obtint l'abolition du tarif de 1667. L'Espagne céda à la France la Franche-Comté, Aire et Saint-Omer, Valenciennes, Bouchain, Condé, Cambrai, Ypres, Poperinghe, Bailleul, Cassel, Bavay, Maubeuge. L'empereur, en échange de Philippsbourg, céda Vieux-Brisachet Fribourg (en Brisgau). L'électeur de Brandebourg et son allié le Danemark durent restituer à la Suède, fidèle alliée de la France, tout ce qu'ils lui avaient pris. La France, sortie plus puissante d'une lutte inégale (nec pluribus impar), paraissait récompensée de ses fautes.

Un roi sage eût senti que l'Europe ne pouvait rester malgré elle soumise à une telle fortune; pour la lui faire supporter, la modération la plus scrupuleuse était nécessaire. Tout au contraire, Louis XIV fut enivré de sa gloire, surnommé le Grand par l'Hôtel de Ville de Paris, adoré en effigie sur la place des Victoires, par le duc de La Feuillade comme l'avaient été autrefois les empereurs romains

Il « sembla rechercher les moyens de se précipiter, avec la France, du haut de cette grandeur, en contraignant l'Europe de se délivrer de lui. La France devait à son unité et à la toute-puissance de son gouvernement cette force militaire qui avait triomphé de tous les obstacles. Mais elle allait bientôt payer cher cette domination absolue d'un homme qui ne la sauvait dans la guerre que pour la ruiner dans la paix [...]. Une gloire éclatante et alors sans rivale, les flatteries les plus ingénieuses et les plus séduisantes qui eussent jamais entouré un souverain, l'ivresse même du plaisir facile et continuel ébranlèrent par degrés cette raison sur laquelle reposait, sans autre appui, la destinée de la France. » (Prévost-Paradol).
En 1681, les revenus n'atteignent que 90 millions, et le roi en dépense 134, principalement pour les « folies » de Versailles et de Marly. Colbert meurt désespéré (1683) : Louvois partage sa succession ministérielle avec le contrôleur général Claude Le Peletier, « honnête homme court de génie » (Saint-Simon). La même année, Louis XIV perdit Marie-Thérèse « C'est le seul chagrin qu'elle m'ait jamais causé », déclara froidement le roi. Les deux premières favorites en titre, Louise de La Vallière et Mme de Montespan n'avaient eu d'action que sur ses sens; Mme de Maintenon, qui avait mieux su « se ménager » par une « conduite irréprochable », réussit à se faire épouser secrètement, un an après la mort de la reine, dans la chapelle de Versailles. La conduite privée du roi, dans la dernière moitié de son règne, devint du moins régulière et décente. 

Au dehors, Louis XIV considéra sa supériorité comme tellement incontestée qu'il n'hésita pas à donner un exemple, jusqu'alors inconnu, de conquêtes à main armée en pleine paix, contrairement à tous les principes du droit des gens. Il s'attribua le droit de faire interpréter, les traités qu'il avait signés par des tribunaux français d'exception, nommés chambres de réunion, puis il réunit par la force les villes ou territoires qui lui étaient adjugés, Luxembourg, Strasbourg, etc. En même temps (et quoiqu'il traitât en secret avec la Turquie contre l'Autriche pour se venger de l'essai de ligue tenté à La Haye), le roi de France envoyait Duquesne contre Tripoli (1681), contre Alger (1682-1683), et le comte d'Estrées contre Tunis (1684). C'est devant Alger que le marin Petit-Renaud essaya pour la première fois, avec succès, les galiotes à bombes. Les Barbaresques qui avaient en coutume jusqu'alors de vendre la paix à tous les Etats, même à la France, se virent contraints de l'acheter, de restituer leurs prises et leurs esclaves chrétiens. Gênes avait ouvertement préféré le protectorat de l'Espagne à celui de la France. On accusait quelques-uns de ses marchands d'avoir vendu de la poudre aux Algériens. Louis XIV l'aurait écrasée dans ses palais de marbre si le doge lui-même ne fût venu demander grâce à Versailles. Il acheta Casal, la porte de l'Italie; il bâtit Huningue, celle du Rhin supérieur. Il intervint dans l'Empire et prétendit faire, de son autorité supérieure, un archevêque de Cologne. Depuis 1685, il réclame au nom de sa belle-soeur, duchesse d'Orléans; une partie du Palatinat, en invoquant dans cette affaire, comme dans celle de Flandre, le droit civil contre le droit public.

L'absolutisme de Louis XIV s'était dès le début étendu au domaine de la conscience : là encore, il semble vouloir justifier la célèbre devise nec pluribus impar. Car ses attaques sont tour à tour dirigées contre le Jansénisme, contre le Saint-siège et contre le Protestantisme. De 1664 à 1667 une première persécution ferma les écoles des Jansénistes et dispersa les religieuses de Port-Royal; Clément IX eut le mérite d'y mettre un terme en modifiant, de façon à la leur rendre acceptable, la déclaration imposée aux Jansénistes. Contre Innocent XI, Louis XIV soutint par les armes les funestes abus du droit d'asile dont jouissaient les hôtels des ambassadeurs à Rome, et auxquels toutes les autres puissances avaient aisément consenti à renoncer. Deux déclarations royales (1673-1675) étendirent le droit de régale à tous les diocèses du royaume, malgré l'usage contraire des provinces de Guyenne, Languedoc et Dauphiné, et malgré les protestations des évêques d'Aleth et de Pamiers

L'assemblée du clergé de 1680, l'assemblée extraordinaire de 1681 se prononcèrent pour le roi, tout en lui demandant d'apporter quelque modération à l'exercice de son droit, et en le suppliant, par la voix de Bossuet, de « tout supporter plutôt que de rompre avec l'Eglise romaine ». L'édit royal du 14 janvier 1682, qui réglementait la régale, n'en fut pas moins repoussé par Innocent XI qui cassa les décisions de l'Assemblée. C'est alors que fut signée la célèbre Déclaration du clergé gallican sur la puissance ecclésiastique (1682) qui dans ses quatre articles proclamait l'indépendance temporelle et politique du roi à l'égard du Saint-siège et de l'Eglise, se référait aux décisions du concile de Constance, affirmait les « règles, moeurs et constitutions » (et non les libertés) de l'Eglise de France et proclamait la supériorité des conciles universels en matière de foi. Un vague compromis, sous Innocent XII, termina la lutte; mais aucun acte ne vint abroger la déclaration de 1682, qui n'avait soustrait le clergé de France à l'omnipotence pontificale que pour le livrer à l'omnipotence royale. Trois ans après, Louis XIV révoquait l'édit de Nantes.

Cette faute et cette injustice énorme qui d'ailleurs avait été préparée et annoncée de longue date et se trouvait parfaitement dans la logique du règne, combla la mesure et tira l'Europe de sa torpeur. Une première et courte ligue, sur laquelle l'Espagne avait trop compté, avait été dissoute par la trêve de Ratisbonne (1684). Guillaume d'Orange n'eut pas de difficulté à former cette fois, à Augsbourg, une coalition formidable avec l'Espagne, la Suède, l'empereur, l'Empire, la Savoie, les princes italiens et le pape lui-même (1686). Trahie par Jacques II, l'Angleterre seule manquait à l'Europe. Guillaume d'Orange chassa Jacques Il en 1688 et devint roi d'Angleterre sous le nom de Guillaume III; l'Europe fut au complet contre le roi de France.

Toujours préoccupé de l'effet,Louis XIV voulut ôter aux coalisés d'Augsbourg l'honneur de lui déclarer la guerre il prit les devants. Il fit tous ses efforts pour rétablir son allié Jacques Il. Il lui donna une flotte et une armée pour soulever l'Irlande, qui était demeurée très catholique. L'expédition réussit, mais les Protestants restèrent maîtres de quelques places, et Jacques, au lieu de répondre à l'appel de l'Ecosse, pays d'origine des Stuarts, s'opiniâtra au siège de Londonderry. Guillaume eut le temps d'accourir avec toutes ses forces, au premier rang desquelles il faut compter les Protestants français qui avaient trouvé en Angleterre un refuge pour leur foi et pour leurs personnes. Jacques revint en France, après s'être fait battre complètement près de la rivière de la Boyne (1691). Sans se rebuter, Louis XIV lui fournit les moyens d'équiper 30,000 hommes et tenta d'en envoyer 20,000; Tourville et d'Estrées devaient les escorter avec 75 vaisseaux. Le vent arrêta d'Estrées : Tourville se trouva avec 44 vaisseaux contre l'amiral Russel, qui en avait plus du double, entre le Cotentin et l'île de Wight. Tourville tint bon toute une journée (il en avait reçu l'ordre formel); le lendemain, il dut se résigner à la retraite, qui fut désordonnée faute d'un grand port de guerre en Normandie et qui  coûta à la France 17 vaisseaux, dont 7 capturés dans la rade de la Hougue-Saint-Wast (1692). Mais la bataille « de la Hogue » ne ruina que les espérances de Jacques II, et non pas la marine française, qui ne dépérit que plus tard, faute d'argent. 

La guerre continentale fut moins malheureuse. Dans les Pays-Bas, le maréchal de Luxembourg battit le prince de Waldeck à Fleurus (30 juin 1690), ce qui facilita la prise de Mons et de Luxembourg par Louis XIV (1691). L'année suivante, le maréchal se laissa surprendre à Steinkerque par Guillaume III, mais le repoussa victorieusement (1692); nouvelle victoire, beaucoup plus sanglante, en 1693, à Neerwinden, ou l'attaque eut lieu à la baïonnette, arme nouvelle inventée par Vauban. Mais après la mort de Luxembourg, l'incapacité de Villeroi, qui laissa Guillaume reprendre Namur, nous ferma les Pays-Bas. Dans l'Allemagne occidentale, le second et plus affreux incendie du Palatinat (1689) fit éprouver à toute l'Europe un juste sentiment d'horreur et de pitié. En Italie, le « plébéien » Catinat dut le bâton de maréchal à ses victoires de Staffarde (1690) et de La Marsaille (1693) sur Victor-Amédée II : le duc de Savoie se sépara de ses alliés et consentit à signer la paix de Turin (1696); il donna sa fille Marie-Adélaïde au duc de Bourgogne, fils aîné du dauphin, mais recouvra tous ses Etats, y compris Casale et Pignerol. La paix générale fut signée en 1697 à Ryswick. Le roi de France reconnut Guillaume III nomme roi d'Angleterre. La Hollande obtint le droit de tenir garnison en territoire espagnol, dans les villes frontières surnommées places de la barrière. Courtrai, Charleroi, Mons et Luxembourg furent rendues à l'Espagne, Kehl, Vieux-Brisach et Fribourg à l'Empire. Le duc de Lorraine rentra dans son duché, occupé par les garnisons françaises depuis la guerre de Trente ans. (H. Monin).

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Dictionnaire biographique
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