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La sympathie

Le mot sympathie (philosophie, psychologie) s'emploie en deux sens différents. Au sens, non le plus usuel, mais le plus primitif sans doute et, en tous cas, étymologie, la sympathie est la tendance à partager les émotions d'autrui, c'est une sorte de reflet des émotions d'autrui. Au sens courant, c'est une tendance à aimer spécialement une personne, un commencement d'amitié ou d'amour. Le lien de ces deux sens est d'ailleurs visible : aimer une personne, c'est précisément partager d'une façon plus spéciale ses joies et ses peines; ce n'est donc que spécialiser sa sympathie. Quelle est donc la nature de la sympathie, au sens large? Quelles sont les causes qui la fixent plus spécialement sur une personne donnée? Quelle est la égoïste, un élément moral et un élément esthétique.

A l'origine de la sympathie, on doit donner une place importante à l'empathie (les termes d'endopathie ou d'intro-affection sont parfois utilisés dans le même sens), qui, au sens le plus large, se définit comme une participation émotive ou affective du sujet humain avec une réalité qui lui est étrangère; cette empathie pouvant être elle-même rattachée à ce que certains auteurs ont appelé l'instinct d'imitation. Si nous partageons les joies et les souffrances d'autrui, c'est avant tout que nous sommes, par nature, comme le reflet des personnes qui nous entourent : nous imitons instinctivement les gestes, les attitudes ou, si l'on préfère, nous nous vivons avec le mêmes gestes et les mêmes attitudes; or on sait qu'il suffit d'imiter l'attitude d'une personne (ou se projeter soi-même dans sa situation) pour partager du même coup son émotion : si le spectacle de la terreur, de la joie, de l'ennui suffit à nous communiquer terreur, joie, ennui, c'est en partie parce que nous prenons l'attitude épouvantée, joyeuse ou accablée que nous avons sous les yeux. 

Il faut reconnaître aussi qu'il y a, dans toute sympathie, une certaine dose d'égoïsme, de narcissisme, ou de retour sur soi-même. Il n'entre pas, dans la sympathie, que de l'égoïsme; et c'est là l'équivoque perpétuellement commise par les partisans de Hobbes, Helvétius, La Rochefoucauld, etc., mais il y entre toujours un peu d'égoïsme. Il est bien clair en effet que si la sympathie est une sorte de fusion de deux personnes en une seule, elle n'est pas absolument désintéressée; nous nous figurons, dans une certaine mesure, éprouver nous-même la joie ou la souffrance d'autrui; nous nous substituons mentalement à la personne heureuse ou malheureuse; et c'est donc à nous-même encore que nous nous intéressons. Mais il faut se hâter d'ajouter qu'il y a, dans la sympathie, quelque chose qui dépasse l'instinct et l'égoïsme; car, en fait, nous arrivons parfois à nous oublier nous-même totalement, c.-à-d. à nous réjouir uniquement de la joie d'un autre et à souffrir de sa peine. Que cet oubli de soi dure peu, qu'il soit vite traversé par une pensée égoïste, nous l'accordons, mais il est réel, et ces courts instants n'en ont pas moins une incomparable Il faut déclarer d'ailleurs qu'entre se réjouir d'un plaisir que l'on éprouve soi-même et se réjouir du plaisir qu'un autre éprouve, il y a, malgré tout, une différence radicale : se réjouir de son propre plaisir, voilà qui est à la portée du premier venu; se réjouir du plaisir d'autrui, voilà qui est moins commun. Il y a là un élément vraiment moral, l'acte par lequel je fixe mon attention sur une joie étrangère, au lieu de rester indifférent, absent par la pensée; l'effort par lequel je m'arrache à mes pensées égoïstes, à mes sensations individuelles, pour passer, pour ainsi dire, dans "l'âme d'un autre". 

Enfin on pourrait même, sans forcer les termes, découvrir dans la sympathie un élément esthétique; car il n'y a pas de sympathie vraie sans une certaine puissance d'imagination; il faut être capable d'imaginer vivement « un intérieur d'âme », de le créer en soi tel qu'il est en autrui; il faut une sorte de divination, une vision intense de ce qui se passe dans un cour. II y a là un certain caractère poétique, qui fait de la sympathie réelle et profonde une espèce d'oeuvre d'art.

En résumé, on pourrait dire que la sympathie est un effort de notre être pour supprimer les barrières qui séparent les individus, pour s'identifier avec d'autres êtres, en apparence étrangers.

Quelles sont maintenant les causes qui orientent notre sympathie plutôt vers certaines personnes que vers certaines autres? Quelles sont les causes de la sympathie spéciale d'une personne pour une autre? 

La première paraît être la contagion, presque toujours l'amitié et amour sont contagieux, tendent à être réciproques; nous sommes portés naturellement à aimer celui qui nous aime; nous nous sentons de la sympathie pour lui; nous partageons mieux ses joies et ses douleurs. Mais le problème n'est jusqu'ici que reculé : car il s'agit de savoir pourquoi celui-là a éprouvé pour nous une sympathie spéciale : c'est sans doute pour une des causes suivantes : les hasards de l'association des idées très souvent une personne attire notre sympathie simplement parce qu'elle évoque en nous des souvenirs aimables; les premières impressions de l'enfance doivent jouer ici un rôle capital; on pourrait presque supposer que toutes nos sympathies, pour toute notre vie, sont orientées par l'empreinte infantile, par l'influence de la mère, etc.; on retrouve alors une forme de narcissime, puisque ce sont notre propre passé - heureux, quand il s'agira d'éprouver de sympathie, malheureux dans le cas de l'antipathie - qui nourrit l'émotion présente. Les satisfactions de l'amour-propre sont aussi une cause constante de sympathie : nous avons une tendance à aimer ceux qui nous admirent, ou, plus vulgairement, ceux qui nous flattent, ou ceux avec qui nous brillons. Il y a des gens qui nous mettent en verve : ils nous sont toujours sympathiques.

Toutes ces causes se ramènent sans doute à une cause unique; cette cause c'est un, certain degré de ressemblance entre les deux personnes, ou mieux un certain mélange de ressemblances ou de contrastes. D'une part, pour que la sympathie naisse entre deux personnes, il est évident qu'une certaine analogie de goûts, de caractère, de passé est nécessaire; il faut qu'elles coïncident par quelques points, sinon elles passeraient étrangères l'une à l'autre; et il ne suffit pas ici de cette ressemblance profonde et vague qui existe nécessairement entre tous les êtres humains; il faut une ressemblance spéciale; il faut qu'elles aient passé par quelques expériences communes et soient arrivées séparément à des jugements identiques. Mais, d'autre part, un certain contraste n'est pas moins nécessaire; il faut qu'il y ait, pour l'un quelque chose d'inconnu, de mystérieux chez l'autre. C'est le connu qui attache, mais c'est l'inconnu qui excite; on pourrait dire que le but suprême de toute sympathie consiste à retrouver peu à peu, sous l'inconnu le connu, sous l'étranger soi-même.

L'étude des effets de la sympathie mettrait en relief la même idée : suppression des barrières individuelles : celui qui éprouve une sympathie spéciale pour une personne s'efforce instinctivement de l'imiter, d'obtenir son approbation, de se conformer à elle, en somme de ne plus faire qu'un avec elle. En résumé, pressentiment ou intuition d'une identité profonde, voilà la cause; effort pour parfaire cette identité, voilà l'effet de la sympathie. Elle évolue alors vers l'amitié ou l'amour suivant que la libido reste absent ou intervient; et, dans chacun de ces deux cas, il y a une façon spéciale d'assurer la fusion des deux êtres : but et essence de la sympathie. Adam Smith a tenté de fonder une morale sur la sympathie. (Camille Mélinand).

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