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La civilisation romaine
Les attributions de l'empereur
Aperçu
1- Les attributions de l'empereur
2 - La maison impériale et la cour
3- L'imperium
4- L'empereur et la loi
5 - Le culte impérial
La souveraineté des empereurs et leur despotisme, un des plus illimités que l'Europe ait connus, dérive du principe politique des anciens, l'omnipotence de l'Etat. Mais ce n'est pas en vertu d'un acte unique et définitif que la monarchie se substituant à la république, tous les droits et pouvoirs de l'Etat furent concentrés sur une tête. Dans sa forme première, celle du principat, l'empire romain ne marqua pas une révolution si radicale. Le principat fut une magistrature; l'empereur ou prince ne fut que le premier des magistrats de l'Etat, régnant conformément à la loi. C'est à ce point de vue qu'il faut se placer, avec Mommsen, pour bien comprendre la nature de l'autorité impériale dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, et pour bien apprécier l'évolution qui conduisit à la monarchie du Bas-Empire.

L'Empire est né le 13 janvier de l'an 27 av. J.-C. lorsque le fils de César, Octave, renonça à ses pouvoirs dictatoriaux qu'il avait reçus et exercés en qualité de triumvirreipublicae constituendae. Il remit le pouvoir au peuple et au Sénat; celui-ci, le 16 janvier, lui conféra le surnom d'Augustus. Ce nom restera pour désigner les empereurs, et c'est de cette année que datera leur ère. La période dictatoriale qui durait depuis vingt-deux années, l'entrée de César à Rome, fut close; sans doute, il serait absurde de considérer le nouveau régime comme un gouvernement par le peuple et le Sénat, mais il ne le serait guère moins de dire qu'au siècle précédent le peuple gouvernait. Le caractère originel du principat fut un partage d'attributions entre le Sénat et le magistrat suprême ou prince. Ce compromis régla la situation de l'Empire jusqu'au milieu du IIIe siècle. Il ne fut dénoncé qu'alors, quand eut lieu l'organisation d'une monarchie proprement dite; celle-ci, la monarchie de Dioclétien et de Constantin, diffère presque autant de celle d'Auguste et de Tibère que celle-ci de la République romaine.

Le principat repose sur la souveraineté du peuple; tous les pouvoirs de l'Etat sont exercés, non en leur nom propre, mais comme représentant le peuple, et le prince n'est qu'un délégué du peuple romain, et non pas un délégué avec mandat illimité, mais un délégué dont la compétence est nettement définie. Le prince est soumis aux lois, comme tous les autres citoyens; ou lui a sans doute accordé de nombreux privilèges, sans cesse accrus, mais il ne peut s'affranchir de l'observation de la loi; pour une donation, une adoption, un testament, il s'y soumet ou demande la dispense selon les formalités ordinaires. Plus tard, ils se feront défier des obligations des lois civiles; l'on admit qu'ils étaient implicitement dispensés, et leurs actes contraires à une loi ou ordonnance furent censés en contenir la dispense. Ils sont responsables de leurs actes, mais selon le principe romain, seulement après leur sortie de charge; on peut donc les poursuivre en justice après déposition ou abdication; un peut surtout attaquer leurs actes après leur mort et, à maintes reprises, ils ont été ainsi blâmés et leurs actes soumis à révision. Cette responsabilité n'est évidemment que théorique, mais il en résulte, que la monarchie de fait n'est pas une monarchie de droit; la personne du prince n'est pas effacée par l'institution monarchique; l'adage que le prince ne peut rien faire d'illégal est contraire à la conception romaine du principat. C'est seulement quand prévalut la conception de l'Orient hellénisé que le souverain fut au-dessus de la loi. L'inviolabilité du magistrat romain, le prince en bénéficia à son tour; il en étendit même l'application en assimilant toute attaque contre sa personne par parole ou par écrit, à une agression directe, mais c'est au nom de sa puissance tribunicienne qu'il revendiqua cette inviolabilité. Il est vrai qu'on alla plus loin en assimilant à ces crimes la violation d'un serment fait en attestant le génie du prince et surtout en appliquant à la torture les offenseurs; la torture était réservée aux esclaves; mais il faut ajouter que c'est seulement au temps de Sévère qu'on inscrivit dans la loi que, pour les attentats contre la personne impériale, tous les accusés seraient traités comme des esclaves.

Cependant l'idée monarchique d'une différence de qualité entre le souverain et ses sujets, idée incompatible avec la conception d'une magistrature, apparaît dès l'origine du principat, et l'importance de cet élément hétérogène grandira sans cesse. Officiellement écartée d'abord, elle finira par prévaloir. César, qui projetait de restaurer la monarchie avec le titre royal, et qui était imbu des idées helléniques et asiatiques, s'est fait décerner de son vivant des honneurs divins, plaçant sa statue dans tous les temples à côté de celles des dieux et se nommant un prêtre (flamine). Après sa mort, on ne mit pas de côté cette manière de voir. Son parti victorieux fit placer divus Julius au rang des dieux de la cité romaine. Cette décision eut la plus grave influence sur l'évolution ultérieure du principat. La monarchie que César voulait rétablir ne le fut pas juridiquement, mais le caractère sacré que lui attribuaient les Orientaux fut transmis aux successeurs de César. Son fils adoptif ne se fit pas décerner un culte de son vivant, mais il laissa faire en Grèce et même en Italie où bien des cités lui dédièrent des temples, lui nommèrent des flamines, placèrent son effigie dans les chapelles domestiques; il ne se fit pas appeler dieu, mais fils de dieu; le nom d'Auguste est significatif; le prince se place auprès des dieux, fils de dieu il sera divinisé après sa mort. Mais de même qu'Auguste avait été moins loin que César, Tibère, esprit positif, dédaigneux des honneurs, alla moins loin que lui. Il renonça définitivement à fonder la monarchie impériale sur le droit divin. La légitimité qui en fut résultée pour la famille impériale resta acquise aux membres de la lignée julienne (Auguste, Tibère, Caligula) leurs parents de la lignée claudienne (Claude, Néron) l'eurent encore, mais elle disparut avec eux pour ne se retrouver qu'à l'époque de Constantin. Le principat resta une institution de droit public, appuyée; il est vrai, sur la religion. Après Tibère et Caligula, on reprit l'usage de placer l'image du prince à côté de celle des Lares et des Pénates, et naturellement dans les temples des provinces. Mais il n'y eut plus de second fils de dieu dans la longue série des fondateurs de dynasties impériales; la consécration ou apothéose de l'empereur passant après sa mort au rang des dieux se réduisit de plus en plus à une cérémonie, ridiculisée dès l'époque de Claude et mal vue. Aucun des autres empereurs ne se fit plus passer pour dieu de son vivant; s'il le laissa faire dans des fêtes, par adulation, aucun ne le fit officiellement. On s'explique d'ailleurs cela si l'on réfléchit que le sentiment de la légitimité et l'orgueil du droit divin ne peuvent guère se développer que chez des souverains, fils de souverains, "nés dans la pourpre", comme on dira plus tard; or le principat ne connut jamais ce système de succession héréditaire fonctionnant normalement. La tentative d'Auguste pour rattacher par la con sécration les dieux et les chefs de l'Etat, d'illustrer ceux-ci du reflet de la divinité de leurs ancêtres, cette tentative échoua. C'est seulement à la fin du IIIe siècle, quand prévalent les idées orientales, qu'Aurélien sa déclare homme-dieu, que Dioclétien et Maximien se disent Jovien et Herculien; c'est alors qu'on assimile la souveraineté monarchique et la souveraineté divine.

Il y a cependant dans les usages du Haut Empire un autre symptôme contradictoire, nous voulons dire l'usage de qualifier de maître (dominus) le prince. On accentue ainsi la subordination d'autant que de maître à dieu il n'y a qu'un pas et que les deux termes sont associés. Auguste et Tibère avaient décliné cette appellation; les flatteurs la renouvellent sous Caligula; Domitien l'impose dans la terminologie officielle; Trajan l'y conserve; quand on le harangue, il veut être appelé dominus; mais dans les actes publics on ne l'écrit pas encore; c'est seulement avec Sévère et les empereurs syriens que se marque par là un nouveau progrès de l'idée monarchique; enfin Aurélien sur ses monnaies s'intitule maître et dieu. Dioclétien impose la formule; enfin, dans le courant du IVe siècle, les empereurs se qualifient eux-mêmes ainsi. Le christianisme modifia cet usage, mais en un temps où la conception de la monarchie de droit divin avait complètement prévalu.

Le prince ne reprit pas l'ancien titre de roi, pas même dans les pays où il gouvernait au lieu d'un roi, comme en Egypte; bientôt, d'ailleurs, l'empereur romain ayant une série de rois sous ses ordres considéra sa dignité comme supérieure. Cette idée se répandit tout à fait à l'époque du Bas-Empire. En somme, le souverain ne prend pas de titre spécial. Mais, d'autre part, il modifie son nom propre; cette manière de se distinguer des sujets a été adoptée par Auguste et conservée depuis lors par les monarques jusqu'à notre époque. Les premiers empereurs du Haut-Empire abandonnent leur nom de gens, à l'exception de ceux de la gens Claudia et de Vitellius, pour se désigner par leur cognomen. Cet usage fut suivi exclusivement par les princes et par leur famille masculine. A partir d'Hadrien, ils y renoncèrent, tout le système romain de dénomination étant tombé en désuétude. Le prénom d'imperator, empereur, adopté par César et par Auguste, abandonné par Tibère, Caligula et Claude, fut repris par Néron et devint de style après Vespasien. Le surnom (cognomen) de Caesar porté par le fondateur de la monarchie était héréditaire dans la gens Julia : à la mort de son dernier agnat, Gaius Caligula, il fut repris par son successeur Claude; les empereurs suivants continuèrent de le porter, de sorte que chaque fois il fut donné non seulement à eux-mêmes, mais à leurs fils et petits-fils. A dater d'Hadrien, on en limita l'usage au successeur désigné. Le surnom (cognomen) d'Auguste impliquait son caractère religieux; il était honorifique et n'était pas héréditaire, Mais, à la mort d'Auguste, le Sénat attribua à son successeur le même surnom honorifique. Il l'accepta, mais sans le conférer à aucun membre de sa famille. Ce surnom devint donc bientôt une caractéristique de la fonction impériale. La qualification de prince (princeps) qu'Auguste s'attribua à lui-même exprime à merveille la situation du souverain dans l'Empire des premiers siècles. Elle indique seulement une primauté individuelle, sans la compétence attachée à une magistrature. Jamais elle ne figura dans les titres officiels. Il n'y eut donc aucun titre spécial désignant la fonction impériale. Cependant, il y eut un certain nombre de titres qui furent particuliers aux empereurs; deux sa rapportaient à leur fonction : tribunicia potestate (investi de la puissance tribunicienne) et, proconsul (à partir de Trajan et régulièrement après Sévère); un autre était honorifique, père de la patrie, et ne fut décerné qu'au bout de quelque temps; mais, après Pertinax, les empereurs le prirent dès leur avènement; enfin les empereurs sont encore les seuls qui puissent inscrire parmi leurs titres celui de souverain pontife; ils y ajoutent à l'occasion ceux de consul, de censeur et répètent celui d'empereur pris dans le vieux sens du mot, pour les féliciter d'une victoire. Ces titres sont rangés en général dans l'ordre suivant : pontifex maximus, tribunicia potestate, imperator,consul, censor, pater patriae, proconsul.

Pour revêtir officiellement l'empereur de son pouvoir, pour effectuer ce qu'on appelait la « création » en parlant des magistrats romains, il faut deux actes différents, le pouvoir impérial se composant théoriquement de l'addition du pouvoir proconsulaire et du pouvoir tribunicien. C'est le premier, l'investiture du pouvoir proconsulaire et simultanément la prise du nom d'Auguste qui représente la « création » de l'empereur. Aucune condition n'est requise; au IIIe siècle, le titre d'Auguste fut souvent donné à des enfants et, dès le Ier, Caligula avait désigné pour lui succéder sa soeur Drusilla; plusieurs femmes ont en le titre d'Augusta auquel était incontestablement lié le pouvoir, au moins pour Livie et pour Agrippine. Ce sont les circonstances et non les obstacles juridiques qui ont empêché que Rome n'eût de souverain féminin. Le patriciat était octroyé par le Sénat aux empereurs qui ne l'avaient pas; et d'abord à Vespasien, qui fut le premier empereur plébéien; Macrin fut le premier empereur de la classe des chevaliers (217); il prit soin de se rattacher à la famille des Sévères et à celle des Antonins.

Aucune cérémonie particulière ne marque l'avènement ou entrée en charge du prince; les premiers actes sont son acclamation comme imperator par les soldats, la prise des titres qui lui afféraient, l'entrée en relation avec le Sénat; mais il n'y a nulle manifestation comparable à la prise d'auspices ou à la prise des faisceaux par les anciens magistrats, au couronnement des rois. Le prince ne prête aucun serment dont la formule lui soit spéciale; en revanche, il reçoit celui des soldats, en sa qualité de généralissime; sous Tibère et Caligula, la population tout entière prêta un serment de fidélité.

Le principat possède la condition fondamentale du régime monarchique; il est viager. La puissance proconsulaire n'a jamais été renouvelée annuellement à Rome comme l'étaient la plupart des magistratures. Lorsque Auguste accepta l'imperium, le commandement, il le fit avec cette restriction qu'il le déposerait quand les circonstances la permettraient; il fixa même plusieurs fois un terme, cinq ou dix années; il n'en fut pas moins un empereur perpétuel (imperator perpetuus), et le fait qu'il incorpore à son nom cette appellation d'imperator est significatif. Tibère renonce à cette limitation apparente et accepte l'imperium à titre définitif, en ajoutant cependant qu'il s'en dessaisira quand il sera juste qu'il prenne du repos. Après lui, la fiction tombe et jamais on ne contesta la perpétuité du pouvoirimpérial. D'ailleurs, pour l'autorité civile, Auguste l'avait fondée sur la puissance tribunicienne, et, celle-ci, on la lui avait conférée à vie. C'est par les années de la puissance tribunicienne que se comptait la chronologie impériale. Mais, en Egypte, on la rattache à l'ancienne année royale, l'empereur étant, dans la forme, le remplaçant et continuateur des anciens rois.

Le costume impérial est emprunté aux anciens magistrats romains. L'empereur porte leur toge avec la bande de pourpre; dans les grandes fêtes, la toge triomphale, entièrement pourpre et brodée d'or. Il ne se met pas en deuil. Comme général, il porte le manteau rouge (paludamentum ou purpura); à partir de Sévère, qui étendit à tout l'Empire romain le pouvoir proconsulaire, l'empereur porta toujours et partout ce costume militaire; la pourpre devint le vêtement impérial. Tandis que les magistrats marchaient tête nue, l'empereur porte une couronne de laurier; dans les fêtes, une couronne d'or. Constantin adoptera le diadème des monarques orientaux. Le port de l'épée était réservé jadis aux officiers et magistrats fonctionnant comme tels : l'empereur, en sa qualité de généralissime, la porte de droit. Il ne prend le sceptre que dans les processions triomphales. Il s'assied toujours sur la chaise curule; quand il paraît avec les consuls, il se place au milieu d'eux. Dans les fêtes publiques, il a son siège doré et plus haut, parmi les places réservées aux magistrats supérieurs et aux tribuns de la plèbe. Il n'a pas en principe le droit de parcourir la ville en voiture attelée, mais seulement en chaise à porteur (sella). Il peut se faire précéder d'un flambeau. Toujours et partout, il a ses licteurs et ses faisceaux, douze, puis, après Domitien, vingt-quatre. Ceux-ci sont décorés de laurier. Il a aussi ses appariteurs (viatores, praecones). Il a une escorte militaire fournie par les cohortes de la garde, par les prétoriens; c'est là une des marques distinctives de son pouvoir; elle manifeste sa qualité de chef militaire. II a de plus une garde du corps (corporis custodes), formée de Germains, qui protège sa maison et celle des siens; cette troupe de cavaliers figure parmi la domesticité du prince.

Une des prérogatives les plus graves de l'empereur, c'est l'importance attachée au serment prêté en invoquant son nom : ici, encore, nous constatons que c'est l'élément religieux du pouvoir impérial qui le différencie le plus profondément des magistratures romaines et en fait quelque chose de réellement nouveau. Jadis, on prêtait serment par les dieux de la cité romaine, Jupiter et les Pénates; on leur associa le génie (genius) de l'empereur régnant, les empereurs divinisés. La formule du serment de la ville de Salpensa est caractéristique; on y jure « par Jupiter, et le divin Auguste et le divin Claude et le divin Vespasien Auguste et le divin Titus Auguste et le génie de l'empereur César Domitien Auguste et les divins Pénates ». Cette formule fut adoptée pour tous les serments nécessités par les actes de l'Etat ou des communautés et aussi pour les serments privés. Le serment par le génie de l'empereur régnant est une prérogative du souverain, car on regarde comme un attentat de jurer par le génie d'un autre homme; pourtant, Séjan sous Tibère et Plautien sous Sévère acquièrent une telle situation qu'on jura par les génies de Tibère et Séjan, ceux de Sévère et Plautien. Mais ce sont des exceptions. Les conséquences de cette modification de la formule du serment par la mention du génie de l'empereur furent considérables. Dans le droit criminel de la République, on ne punissait pas le faux serment, laissant aux dieux le soin de venger l'offense qu'il leur faisait; mais lorsque le faux serment devint une offense à l'empereur régnant ou à un de ses prédécesseurs, il tomba sous le coup de la loi qui protégeait la considération (majestas) du prince. On fait officiellement à la nouvelle année des veaux pour la prospérité de l'empereur; sa fête a été placée au 3 janvier; dans tous les actes officiels des fonctionnaires et des prêtres, on appelle la bénédiction divine sur l'empereur comme sur la communauté. Les fêtes privées de l'empereur et de sa maison prennent rang parmi les fêtes publiques; en premier lieu, on fête le jour anniversaire de sa naissance, puis celui de son avènement, ceux ou il a échappé à un danger, à une maladie. Son image fut placée dans tous les temples ou chapelles des camps, son nom figure sur les étendards, à côté de l'aigle. C'est en plaçant ces effigies qu'on reconnaît le prince, en les enlevant qu'on s'insurge contre lui. Enfin, un des signes essentiels de la souveraineté, c'est le fait de placer sur les monnaies la tête du monarque. César reçut ce privilège du Sénat; les triumvirs le conservent, Auguste ensuite. Les rois vassaux le partagent dans les limites de leur royaume; certains membres de la famille impériale l'ont aussi reçu dit prince, mais l'image d'aucun autre personnage vivant ne figure sur les monnaies de l'empire romain. Lorsqu'à la mort de Néron on essaya de restaurer la République, on frappa des monnaies à l'effigie de certains magistrats; cela est topique. Enfin, sur ces monnaies, on inscrit seulement le nom et les titres de l'empereur on de son parent autorisé, sauf sur les pièces de cuivre où on laisse figurer jusqu'à Aurélien le nom du Sénat, symbole de la dyarchie.

Le dernier privilège honorifique du prince est la consécration ou apothéose, par laquelle il prend rang au milieu des autres dieux. Elle n'est pas accordée à tous; il y faut une sorte de jugement du Sénat dont nous reparlerons plus bas. Au milieu du IIIe siècle, sur les vingt et un dieux honorés par les Annales, quinze étaient des empereurs divinisés : Auguste, Claude, Vespasien, Titus, Néron, Trajan, Hadrien, Antonin, Verus, Marc Aurèle, Commode, Pertinax, Sévère, Caracalla et Alexandre Sévère.

Attributions diverses

Nous dirons successivement comment s'exerçait l'action de l'empereur sur les affaires étrangères, sur la justice, sur les finances, sur l'administration générale. 

Sur les affaires étrangères, c'était jadis le Sénat qui décidait; sous l'Empire, ce fut le prince. Il a seul et sans réserves le droit de paix et de guerre; il négocie et conclut les traités. Quelquefois le Sénat reçoit les ambassades; mais nul fonctionnaire n'a le droit d'entreprendre une guerre sans ordre de l'empereur; il y va de sa tête. Il s'ensuit que toutes les mesures pour la sécurité de l'empire romain sont l'affaire du prince, qui statue personnellement. C'est lui qui répartit les troupes, qui les concentre en cas de besoin; il tient le Sénat au courant des événements, mais ses lieutenants, c.-à-d. tous les chefs militaires, ne correspondent qu'avec lui, même dans les provinces sénatoriales.

La juridiction criminelle, le droit de punir, attribut de la souveraineté, n'appartient plus au peuple. Dès le début de l'Empire, il en est privé. Jusqu'aux premières années du me siècle, tant que dure le système des jurys, c'est l'empereur qui dresse et revise les listes des jurés, lesquels sont nommés à vie. Il a le droit, lorsqu'une condamnation n'a été prononcée qu'à une voix de majorité, d'ajouter la sienne en sens contraire et de déterminer l'acquittement; il assiste souvent aux procès. Mais, ce qui est bien plus important, c'est le droit de punir qui appartient à l'empereur les anciens droits du peuple romain sont, en cette matière, transférés d'une part au Sénat et aux consuls, de l'autre au prince. Tout le monde, même un sénateur, peut être cité devant le tribunal du prince et, à vrai dire, il offrait autant de garanties, ou aussi peu, que le tribunal sénatorial. A la fin du Ier siècle, on convint que les procès des sénateurs, surtout en matière capitale, seraient soustraits au tribunal du prince. Cette immunité fut inscrite dans la loi au temps de Sévère. Toute affaire peut être portée au tribunal impérial, lequel connaît le plus fréquemment de celles où sont impliqués des officiers, des fonctionnaires; en cas de conflit de juridiction, c'est la juridiction impériale qui prime celle du Sénat ou du tribunal ordinaire (quaestio). Le tribunal impérial siège partout où séjourne l'empereur; il n'est pas public. De même que le Sénat, l'empereur peut déléguer son autorité judiciaire. Ces délégations ont une grande importance, parce qn elles sont le principal fondement de la juridiction criminelle des gouverneurs et le seul pour les préfets de la ville et du prétoire.

Dans la justice civile, l'influence de l'empereur est limitée, comme celle des autres magistrats; il a le choix des jurés, qui revenait jadis au préteur urbain; quelquefois il casse des arrêts, mais au même titre que les anciens magistrats. Le progrès du régime monarchique se marque du reste par la décadence des jurys, qui finissent par disparaître. La juridiction civile de l'empereur est surtout importante dans les cas d'appel contre l'arrêt d'un magistrat. Absolu en principe, puisque l'empereur a une puissance d'ordre supérieur (imperium majus), ce droit est limité dans la pratique; l'empereur le délègue.

L'empereur imite encore les magistrats de la Rome républicaine en ceci qu'il ne statue dans les affaires juridiques importantes qu'avec le concours d'amis et de conseillers. Auguste et ses successeurs agirent ainsi. Hadrien donna à ce conseil (consilium, plus tard appelé consistorium) une organisation régulière.

Tout ce qui concerne le domaine et les finances de l'Etat romain est soumis à l'empereur; non seulement il statue souverainement sur les litiges relatifs aux limites entre les territoires de telle ou telle communauté, mais il dispose comme il veut du domaine public; il fait les assignations de terres sans s'assujettir à aucune restriction; il ne s'arrête que devant les expropriations de propriétés privées. Pour l'administration financière, on distingue plusieurs caisses. Le prince a d'abord la sienne, comme chaque proconsul : c'est le fisc (fiscus Gaesaris); mais elle lui appartient sans réserve; il en dispose comme de sa fortune privée. C'est sur le fisc qu'il paye les dépenses de l'armée de terre et de mer, de l'administration des provinces impériales, de l'annone, des routes, des aqueducs, etc.

Quant aux dépenses de la maison impériale, celles de ses employés personnels et particulièrement de ceux qu'il emploie à l'administration financière, ce sont des dépenses privées du souverain; bien loin d'être appointé par l'Etat, c'est lui qui fait les frais de véritables services publics. Les ressources du fisc étaient fournies par les revenus des provinces impériales, auxquels s'ajoutaient une partie des revenus des provinces probablement sénatoriales et probablement des subventions du trésor public (œrarium). Tout balancé, le prince donnait plus qu'il ne recevait. Auguste, dans son testament, nous apprend qu'il a dépensé sur sa fortune personnelle et les legs qu'il a reçus, plus de 4 milliards de sesterces pour l'Etat et ne laisse ainsi à ses héritiers que 150 millions. En l'an 62, le fisc privé de l'empereur versait annuellement 60 millions de sesterces de plus qu'il ne recevait. Ces témoignages et bien d'autres démontrent que l'empereur de cette époque ne tire pas ses revenus de l'Etat, comme fera celui du Bas-Empire; il affecte aux services publics la plus grande partie de son revenu personnel, lequel, il est vrai, lui vient en particulier de royaumes dont il est censé le maître, comme l'Egypte, mais aussi par héritage. Le système d'Auguste avait ce grave défaut qu'il n'avait pas créé de ressources équivalentes aux dépenses; le déficit était donc l'état normal; sous les bons princes, il était comblé par les libéralités impériales, sous les mauvais, on recourait à des confiscations, à des mesures vexatoires ou à des économies mal entendues. 

L'empereur intervient dans la gestion du trésor public; sans doute Auguste a laissé au Sénat le trésor (aerarium populi Romani) proprement dit; mais il a constitué à côté un trésor de guerre (aerarium militare) géré par des préfets. L'autre, auquel on appliqua le nom d'aerarium Saturni, fut contrôlé, et, dès le règne de Néron (56), confié à deux préfets subordonnés encore au Sénat, mais davantage au prince. La distinction du fisc et du trésor public subsista jusqu'à Dioclétien probablement, mais elle était désormais de pure forme. 

Le droit de créer des impôts nouveaux sur le peuple romain n'appartenait pas en principe aux empereurs; en fait, ils n'en créèrent presque pas jusqu'au règne de Dioclétien, lequel remania tout le système financier. En revanche, c'est l'empereur seul qui règle la répartition, c'est lui qui surveille la levée de l'impôt, soit que ses employés y procèdent, comme pour l'impôt foncier, sait qu'il soit affermé.

La prince et le Sénat ont des droits égaux pour le monnayage; mais, dès l'an 15 av. J.-C., où l'on reprit la frappe du cuivre, on convint que la monnaie de cuivre serait frappée par le Sénat, celle d'argent et d'or par l'empereur. La monnaie de cuivre d'abord, puis la monnaie d'argent après les altérations de Néron, ne fut autre chose qu'une monnaie fiduciaire; il en résulta de grands maux, surtout au lie siècle, et c'est seulement le Bas-Empire qui y mit fin en rétablissant une bonne monnaie; elle fut uniquement frappée par l'empereur.

A l'administration financière de l'Empire romain, il faut encore rattacher la poste, création d'Auguste, uniquement affectée d'abord aux besoins des services publics. C'est une des innovations importantes de l'Empire.

L'histoire de l'administration de la ville de Rome est très intéressante parce qu'elle permet de suivre les accroissements successifs de l'autorité impériale; bornée d'abord à une surveillance conforme à celle qu'exerçaient les consuls et les tribuns, elle se développa rapidement dès le règne d'Auguste; la raison en fut la même que celle qui explique les progrès de la centralisation administrative, la nécessité de pourvoir à des besoins en souffrance; une famine décida l'empereur à se charger de l'approvisionnement de la ville (cura annonae); il se chargea ensuite de l'entretien des routes, puis des aqueducs, puis des édifices publics; il fut conduit à organiser le corps des pompiers, puis à s'occuper de régulariser le cours du Tibre, d'entretenir les égouts; enfin Tibère organise la police urbaine. Cette dernière institution était une des plus contraires à l'ancien esprit républicain et de caractère ouvertement monarchique; d'autant plus que la compétence de cette juridiction administrative, la préfecture urbaine, sa développa aux dépens de celle des jurys. 

Dès le Ier siècle de l'Empire, toute l'administration urbaine de Rome a pris un aspect monarchique. On rappellera seulement le mot cruel d'après lequel le pain et les jeux étaient tout ce que le peuple demandait à l'empereur. Il lui assurait l'un et l'autre et de plus la sécurité. Claude fit décerner à l'empereur la prérogative monarchique de reculer le pomerium, l'enceinte religieuse de Rome.

A l'époque républicaine, les cités italiennes avaient l'autonomie administrative. L'Empire la respecta mieux que celle de Rome, où la vie municipale avait péri depuis longtemps. Cependant, pour avoir été plus lente, l'évolution fut la même, et la monarchie finit par absorber toute l'administration des communautés italiennes. On verra à la page sur Italie antique la condition privilégiée de la péninsule et la manière dont elle fut assimilée aux autres provinces de l'Empire. Cette transformation politique, qui s'acheva sous le Bas-Empire, attesta la fusion complète des vainqueurs et des vaincus dans un Etat nouveau qui est la continuation de l'Etat romain, mais qui a son originalité propre, l'Empire. L'extension de la juridiction de la pré fecture urbaine sur l'Italie fut suivie de l'institution de fonctionnaires préposés aux routes (curatores viarum); ceux-ci furent peu à peu chargés de surveiller les revenus de l'institution alimentaire (de Nerva), puis les douanes, l'annone. On créa ensuite des curateurs pour contrôler les administrations municipales; les abus, qui se produisaient inévitablement donnèrent lieu à l'intervention de l'empereur, auquel on faisait souvent appel. C'est au temps de Trajan que se généralisent ces empiétements. Ils ne sont pas limités aux municipalités italiennes; les communes libres des provinces sont également en cause. Partout on établit, au IIIe siècle, ces fonctionnaires dont le titre est significatif : correctores civitatum liberarum. On finit par donner à l'Italie des administrateurs analogues à ceux des autres provinces.

L'administration provinciale, qui fut le grand bienfait de l'Empire. Nous avons déjà dit que la puissance proconsulaire de l'empereur était le fondement de son autorité dans les provinces, mais que, dans quelques-unes, il gouverne à la place des anciens rois et comme souverain territorial; c'est à ce titre qu'il confère, par exemple, le droit de bourgeoisie d'Alexandrie. Dans cette catégorie de provinces, la propriété du sol appartient à l'empereur. On généralisa, et au milieu du IIe siècle les juristes soutinrent que, dans toutes les provinces impériales, le sol n'appartenait pas à l'Etat, mais à l'empereur. Il en résulta que les privilèges dont jouit la propriété publique furent étendus aux biens privés du prince. Cette confusion entre le domaine de l'Etat et le domaine du souverain montre une fois de plus comment le principat est devenu une monarchie dans toute la force du terme.

L'empereur et les magistratures.
Après avoir passé en revue les différentes attributions du prince, en tant que tel, il reste à dire un mot des différentes magistratures qu'il prenait temporairement. En premier lieu; le consulat : l'empereur le prenait dans l'année de son avènement; à plusieurs reprises, on songea à le lui conférer tous les ans, mais seulement parce que l'usage s'étant conservé de désigner les années par le nom des consuls, on voulait procurer l'avantage de cette éponymie au souverain. D'ailleurs, l'empereur prend le consulat lorsque cela lui plaît et sans suivre de règle constante. Quant à la censure, tant qu'elle ne fut pas absorbée par la principat, l'empereur la prit à plusieurs reprises. Quand elle disparut, on cessa de faire le recensement du peuple; celui des chevaliers et du Sénat fut fait annuellement par le prince à partir d'Auguste. L'empereur attacha un certain prix à la possession des sacerdoces; il fait partie des grands collèges (pontifes, augures, quindécemvirs, épulons, augustales, arvales); outre les droits qu'il exerce comme grand pontife, il a pris celui de nommer des membres de ces collèges recrutés en principe par cooptation.

Le prince n'a pas de suppléant désigné; rien qui ressemble à la régence dans les Etats monarchiques; rien non plus d'analogue à la situation des ministres dans nos monarchies constitutionnelles. Quand la prince se fait représenter, c'est seulement pour un cas défini, commandement de la garde, d'une légion, d'une province, jugement des appels d'une province; pas de délégation générale de ses pouvoirs. Les conseillers les plus influents n'eurent pas de titre spécial, de pouvoir formellement énoncé. Cependant il y eut un personnage qui, plus que tout autre, devint dans l'Empire le suppléant de l'empereur : ce fut le commandant de sa garde, le préfet du prétoire. Comme l'idée romaine supposait l'action personnelle du magistrat suprême, quand celui-ci ne peut venir lui-même, il lait porter ses ordres par ses employés les plus sûrs, au premier rang desquels est le chef de la garde ; d'autre part, dans ce régime militaire, celui-ci a une situation très forte; l'empereur doit avoir confiance en lui, et, d'autre part, s'en méfier, car l'influence du préfet du prétaire est une menace permanente pour lui; cet antagonisme domine l'histoire du Haut-Empire. Pour s'en délivrer, on affaiblit l'institution de la préfecture da prétoire en y appliquant le principe des anciennes magistratures, la collégialité. Plus tard, dans la monarchie du Bas-Empire, ou complète la précaution en revenant au second principe de l'époque républicaine, la brève durée de la fonction. En revanche, on lui attribua une compétence et une autorité de plus en plus vastes.

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Dictionnaire biographique
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