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La civilisation romaine
L'imperium de l'Empereur
Aperçu
1- Les attributions de l'empereur
2 - La maison impériale et la cour
3- L'imperium
4- L'empereur et la loi
5 - Le culte impérial
II serait inexact de regarder l'autorité impériale comme résultant légalement de la réunion d'une série de pouvoirs spéciaux; au contraire, le pouvoir proconsulaire, la possession de l'imperium, du droit exclusif de commander aux soldats dans tout l'Empire romain, suffit à constituer l'autorité impériale; quiconque possède ce pouvoir est empereur, n'eût-il que celui-là et, réciproquement, les empereurs prennent plus tard le pouvoir tribunicien. Il peut arriver qu'ils ne possèdent jamais ce dernier; tel fut le cas pour Pescennius Niger, qui n'en agit pas moins comme empereur. Puisque l'Empire est lié à l'imperium, il faut bien se rendre compte de la manière dont s'acquiert et se perd celui-ci. L'imperium est décerné par l'armée et le Sénat; l'assemblée du peuple n'a rien à y voir. L'empereur le prend sur invitation du Sénat ou sur l'invitation des troupes. Sans doute, on regarde l'intervention du Sénat comme plus correcte; mais, en droit, nulle différence; ne fût-on invité à prendre le titre d'empereur que par les soldats, rien ne vous en empêche. En fait, il faut l'accord de l'armée et du Sénat pour créer un empereur, attendu qu'il n'a de pouvoir légitime qu'une fois accepté par les deux. Les soldats qui nomment l'empereur étant censés agir au nom de l'armée entière, nul ne s'étonne s'ils sont peu nombreux ou de rang inférieur. La prise du pouvoir impérial implique une décision du Sénat, mais surtout le concours des troupes, et tout soldat armé peut se dire qu'il a un droit égal à désigner un empereur. Il serait probablement impossible de trouver dans l'histoire un autre régime qui ait à ce point dédaigné la légitimité. Est prince ou empereur légal quiconque a été reconnu tel par l'armée et le Sénat; il continue de l'être aussi longtemps que le Sénat et l'armée continuent de le reconnaître.

L'imperium d'Auguste et des princes suivants fut, dès le début, regardé comme pouvoir proconsulaire. Ce pouvoir est le noyau du pouvoir impérial; mais il s'exerce seulement sur les provinces, mais non pas en Italie et à Rome. Durant le Ier siècle, l'empereur ne s'intitule jamais proconsul; après Trajan, il le fait couramment, mais seulement hors d'Italie et, jusqu'à Alexandre Sévère, les empereurs observent cette réserve; vers le milieu du IIIe siècle et définitivement à dater du règne de Dioclétien, cette appellation de proconsul figure parmi les titres impériaux. 

Le nom d'Auguste exprime l'ensemble du pouvoir impérial et, non plus seulement sa face militaire; on le prend dès qu'on a été appelé à l'Empire, que ce soit par le Sénat ou par l'armée. Ce qui distingue le pouvoir impérial du pouvoir proconsulaire, c'est qu'il n'est limité ni dans le temps ni dans l'espace, comme celui des proconsuls ordinaires. La base de l'autorité de l'empereur, c'est que dans tout l'Empire toutes les troupes indistinctement lui prêtent le serment d'obéissance comme à leur général commun. Sans doute, il v eut jusqu'au règne de Caligula et dans quelques cas après lui, des troupes assez nombreuses dans les provinces sénatoriales; elles obéissent aux proconsuls, mais ceux-ci ne commandent pas en leur nom propre, mais en celui de l'empereur auquel a été prêté le serment de fidélité. Nul dans l'Empire n'a de soldats à lui que le prince. Le droit de lever des troupes et de les organiser est, au plus haut degré, une prérogative impériale; le gouverneur qui lève des troupes sans ordre du souverain tombe sous le coup de la loi de majesté; quand il y procède, l'empereur ne consulte même pas le Sénat. L'armée étant peu nombreuse, la durée du service militaire très longue, on n'eut guère recours à la conscription obligatoire. Le recrutement se fait sur l'ordre et avec mandat de l'empereur; il en charge soit, en Italie, des commissaires spéciaux, soit, dans les provinces, le gouverneur. Tous les officiers et sous-officiers sont nommés par l'empereur; c'est lui qui leur désigne leur poste; c'est encore lui qui fixe la hiérarchie militaire, lui qui dispose des décorations militaires; ce dernier droit, d'abord laissé aux proconsuls, fut de moins en moins exercé par eux. Quant au triomphe et aux ornements triomphaux, c'est le Sénat qui les décerne, mais, à partir du règne de Vespasien, sur la proposition de l'empereur. Le congé ne peut être accordé aux soldats que par l'empereur; tous les vétérans sont dénommés vétérans d'Auguste (veterani Augusti). Nous avons déjà fait remarquer le caractère perpétuel ou viager de l'imperium. Il n'est plus limité comme jadis à une province, mais s'étend sur toutes les provinces; il est vrai que Rome et l'Italie jusqu'aux Alpes demeurent en dehors; les troupes ne peuvent être casernées que hors de l'Italie. Toutefois, l'imperium s'applique aux forces maritimes et aux côtes d'Italie comme aux autres; c'est même dans la péninsule et dans ses ports de guerre que sont concentrées les forces navales.

D'autre part, le général était toujours accompagné de son escorte, de ses prétoriens; ceux de l'empereur furent casernés à Rome ou sur son enceinte. Des forces de police furent également logées dans la capitale. Néanmoins, c'est un fait important que Rome et l'Italie soient soustraites à l'autorité militaire de l'empereur et qu'il n'eut pas le droit d'y établir des légions. Septime Sévère fut le premier qui transgressa ce principe en faisant stationner sur le mont Albain la seconde légion parthique; il soumit l'Italie à son pouvoir proconsulaire, l'assimilant aux provinces. L'exercice du pouvoir proconsulaire de l'empereur varie selon qu'il s'applique à des provinces remises à son administration exclusive, à des pays qui ne sont pas de véritables provinces, à des provinces sénatoriales, à la flotte ou à la garde. Les premières provinces remises à l'administration impériale, dès l'an 27, furent celles de la Gaule, la Syrie, l'Espagne citérieure; nous verrons plus loin comment l'empereur et son délégué ou légat s'y comportent; le fait capital, c'est que l'appel des décisions de ce légat est porté à l'empereur exclusivement. Les Etats vassaux, rattachés à l'Empire, sans y être précisément incorporés, villes alliées, principautés ou royaumes, sont subordonnés au prince, lequel exerce tous les droits réservés à l'Etat romain : désignation des garnisons (au Bosphore, en Arménie, comme chez Cottius et en Egypte) ; désignation ou confirmation du roi vassal (chez les Arméniens, les Quades, les Thraces, les tribus africaines) ou du gouverneur romain qui a remplacé ce dernier. Dans tous ces Etats vassaux, le prince a la souveraineté entière, sans la partager avec le Sénat, même dans la mesure limitée où ce partage a lieu pour les provinces impériales; c'est cette règle qu'on appliqua à l'Egypte, aux régions alpestres (Alpes Maritimes, Alpes Cottiennes, Rhétie, Norique), où l'on ne mit pas de commandant militaire de rang sénatorial, mais de modestes délégués du prince, pris dans l'ordre équestre, ayant le titre de préfet ou procurateur. Dans les provinces sénatoriales, l'empereur a, par rapport à chacun des proconsuls, un pouvoir analogue, mais supérieur (imperium majus); il peut leur donner des instructions; il leur a enlevé, pour se les réserver, une partie des droits proconsulaires : celui de lever des soldats, de faire la paix ou la guerre, de fixer les impôts. Le commandement maritime fut rétabli par Auguste à son profit; il s'étendait à l'ensemble des mers de l'Empire; l'empereur nomme les amiraux des deux flottes de Misène et de Ravenne.

Quant à la garde, c'était une institution de l'époque républicaine; dès lors, on avait admis que le général se formât une cohorte de soldats ayant le droit de cité romaine et pourvus d'avantages particuliers, dispense de corvées et solde plus haute, qui étaient spécialement chargés de protéger sa personne et son quartier général (praetorium). L'empereur étant venu se fixer à Rome, son quartier général et sa garde se trouvèrent dans la ville. Auguste n'en laissait séjourner que le tiers et non caserné. Tibère établit toute la garde, sous les ordres de Séjan, dans une vaste caserne bâtie près de la porte Viminale; cette forteresse fut, durant trois siècles, une menace permanente pour Rome; une foule d'empereurs furent créés ou renversés par des mouvements partis de là. Cette garde fut augmentée et portée à la force d'une légion : neuf cohortes sous Auguste et Vespasien, puis dix; c'étaient des cohortes doubles, ce qui faisait un total de 9000, puis 10.000 soldats. On les recrutait, par engagement volontaire, parmi les Italiens. Pour le commandement, l'empereur était suppléé par le préfet du prétoire (praefectus praetorio); nommé par l'empereur, il devint bientôt un des personnages prépondérants de l'Empire; on en nommait généralement deux; trois sous Commode, Alexandre Sévère; pris dans l'ordre équestre, la durée de leur fonction était illimitée. Leur compétence s'agrandit beaucoup au IIIe siècle; mais, dès l'origine, leur situation à la tête de la garde impériale leur assura une grande influence.

Le pouvoir proconsulaire et l'imperium formaient le noyau du pouvoir impérial; mais ils ne suffisaient pas à le constituer entièrement, étant exclusivement militaires et administratifs et, théoriquement, ne s'étendaient pas sur Rome et l'Italie; ce pouvoir fondait bien la puissance du prince en fait, mais non en droit. Pour compléter celui-ci, il fallait la rattacher à l'une des grandes magistratures.

Auguste songea d'abord au consulat, qu'il garda plusieurs années de suite, puis il y renonça. Il se contenta de la puissance tribunicienne conférée à César, puis à lui-même, durant son triumvirat, pour sa vie entière. La puissance tribunicienne devint ainsi, dans la forme, l'expression complète de la souveraineté impériale. Le prince n'est pas tribun de la plèbe, ni collègue des tribuns; il hérite de cette vieille magistrature démocratique, avec son pouvoir d'exception dans la limite d'une compétence spéciale, placée sous la protection expresse des dieux. C'était bien, si on y ajoutait le pouvoir militaire qui avait manqué à Caius Gracchus, l'instrument le plus efficace de la souveraineté monarchique.

Voici quelle était la procédure usitée pour conférer la puissance tribunicienne d'après décision du Sénat, l'un des consuls en charge proposait la chose à l'assemblée du peuple réuni en comices centuriates. C'est là ce qui a permis aux juristes de dire que le pouvoir souverain était donné à l'empereur par le peuple. La loi qui lui accordait la puissance tribunicienne, qu'on appelle à partir d'Ulpien loi royale, par une réminiscence archaïque, a la forme d'un sénatus-consulte. Celle qui fut rendue par Vespasien a été conservée; elle spécifie à son profit une série de pouvoirs spéciaux, déjà obtenus par ses prédécesseurs. Sous cette forme, le pouvoir impérial est donc un pouvoir tribunicien accru par un certain nombre de clauses spéciales. En lui-même, le pouvoir tribunicien donne les droits des anciens tribuns de la plèbe, le droit d'intercession ou de veto contre les décisions sénatoriales souvent employé au Ier siècle, le droit de coercition, l'inviolabilité personnelle, le droit illimité de protéger les opprimés, d'intervenir contre les abus. Mais l'empereur a la puissance tribunicienne sans les restrictions qui la limitaient chez les tribuns; il la reçoit non pour une année, mais pour sa vie entière; non seulement pour la ville de Rome, mais pour toute l'étendue de l'Empire; même lorsqu'il n'est pas personnellement présent, il ne peut pas être tenu en échec par l'intercession d'un collègue. 

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