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Le culte des empereurs romains

Le culte des empereurs est une des particularités de l'empire romain; c'était le seul culte qui fut pratiqué dans toute l'étendue de cet Empire où coexistaient les religions les plus diverses. Toutes les villes et les provinces rivalisaient de zèle en faveur de ce culte, plus encore que de leurs cultes locaux ou nationaux. Les dieux protecteurs de chaque peuple ou de chaque cité avaient perdu de leur crédit par la suppression de l'indépendance; la puissance romaine qui avait tout plié sous son ascendant avait inspiré aux vaincus un respect presque religieux; incorporée dans la personne de l'empereur, elle fut aisément adorée.

Le culte des empereurs a été la religion officielle de l'Empire, car, si Rome resta fidèle à ses dieux nationaux, elle ne connut pas le prosélytisme religieux et laissa chaque pays adorer les siens; au contraire, elle les traitait avec bienveillance. La nécessité d'un culte commun à toutes les parties, si diverses de l'Empire, n'en existait pas moins, la vie religieuse étant étroitement associée à la vie publique. Il fallait avoir une religion administrative; ce fut le culte des empereurs. Nous en avons déjà indiqué les origines et parlé du serment que tous les magistrats et fonctionnaires prêtaient au nom de Jupiter, des divins augustes et des Pénates. C'est l'hostilité marquée par les Juifs et les chrétiens à ce culte du génie de l'empereur et des divins augustes ses prédécesseurs qui explique qu'on les ait considérés comme des ennemis de l'Etat. 

Les bienfaits de la paix romaine valurent à l'Empire et à sa religion une profonde popularité. Elle se manifeste au IIe et au IIIe siècle. L'influence grandissante des Orientaux, de longue date accoutumés à rendre aux souverains des honneurs divins, celle des Grecs qui divinisaient les hommes sans répugnance, donnent au culte des empereurs dans la moitié orientale de l'Empire un caractère particulier qui prépare la monarchie byzantine. L'empereur est qualifié de divin, de très saint; les impératrices syriennes sont de même adorées de leur vivant. Bientôt Dioclétien exigera de tous les honneurs divins et fera prosterner ses sujets devant lui. 

Les associations religieuses fondées pour desservir le culte des empereurs sont partout répandues et très actives : aux Augustales sont venus s'ajouter les collèges ou sodalités des Flaviales et des Antoniniani; chaque empereur ou impératrice divinisé a son prêtre ou sa prêtresse. Aux corporations officielles, il faut ajouter une foule d'associations privées qui se proposent le même objet, vénérant soit tous les augustes divins, soit l'un d'entre eux; on en compte autant dans les provinces et leurs principales villes qu'à Rome. Elles prennent rang dans la société et en forment une classe; au-dessous de l'ordre des décurions qui est fermé et héréditaire, se place un second ordre privilégié, celui des Augustales ou seviri Augustales. Ces associations fournissent donc aux petites gens une occasion de s'élever, revêtus des charges honorifiques; nouvelle cause de popularité pour le culte qui leur procure ces avantages. Les divins augustes sont de tout point assimilés aux autres dieux; ils ont leurs temples, leurs autels, leurs images, leurs fêtes

On célébrait l'anniversaire de leur naissance, de leur consécration, de la dédicace de leur temple, celui de l'avènement de l'empereur régnant : on lui apportait ses vieux le 3 janvier, et plus solennellement tous les cinq ans, tous les dix ans, tous les quinze ans. Le peuple prenait une part très grande à ces réjouissances; on allumait des lampes à la porte des maisons, on les décorait de feuillage, on se réunissait entre gens du même quartier pour banqueter. 

« Dans ce culte, dit Fustel de Coulanges, tout n'était pas public, tout n'était pas pour l'apparat. Beaucoup d'hommes dans le secret de leur maison, loin des regards de la foule et sans nul souci des fonctionnaires impériaux, adoraient la divinité de l'empereur associé à leurs dieux pénates. Il est impossible d'attribuer tout cela à la servilité; des peuples entiers ne sont pas serviles et ne le sont pas durant trois siècles. Ne supposons pas que ce culte fut un simple cérémonial, une règle d'étiquette; le palais impérial était presque le seul endroit au monde où il n'existait pas. Ce n'étaient pas les courtisans qui adoraient le prince, c'était Rome. Ce n'était pas Rome seulement, c'était la Gaule, c'était l'Espagne, c'étaient la Grèce, l'Asie. Si l'on excepte les chrétiens qui vivaient alors obscurs et cachés, il y avait dans tout le genre humain un concert d'adoration pour la personne du prince. Ce culte étrange se comprend et l'on en sent toute la sincérité et toute la force si l'on songe à l'état psychologique de ces générations. Les hommes étaient fort superstitieux.

Dans la société de l'empire romain, les pratiques de la dévotion étaient universelles; les plus hautes classes s'y livraient avec la même ferveur que les classes ignorantes. L'esprit humain tremblant voyait la divinité partout. Son besoin d'adorer s'appliqua naturellement à ce qu'il trouvait de plus puissant dans les choses humaines, à l'autorité impériale. Nous ne devons pas d'ailleurs confondre les pensées de ce temps-là avec la doctrine du droit divin des rois qui n'a appartenu qu'à une autre époque. Il ne s'agit pas ici d'une autorité établie par la volonté divine; c'est l'autorité elle-même qui était divine. Elle ne s'appuyait pas seulement sur la religion; elle était une religion. Le prince n'était pas un représentant de Dieu; il était un dieu. Ajoutons même que s'il était dieu, ce n'était pas par l'effet de cet enthousiasme irréfléchi que certaines générations ont pour leurs grands hommes. Il pouvait être un homme fort médiocre, être même connu pour tel, ne faire illusion à personne et être pourtant honoré comme un être divin. Il n'était nullement nécessaire qu'il eût frappé les imaginations par de brillantes victoires on touché les coeurs par de grands bienfaits. Il n'était pas dieu en vertu de son mérite personnel; il était dieu parce qu'il était empereur. Bon ou mauvais, grand ou petit, c'était l'autorité publique qu'on adorait en sa personne. 

Cette religion n'était pas autre chose en effet qu'une singulière conception de l'Etat. La puissance suprême se présentait aux esprits comme une sorte de providence divine. Elle s'associait dans la pensée des hommes avec la paix dont on jouissait après de longs siècles de troubles, avec la prospérité et la richesse qui se multipliaient, avec les arts et la civilisation qui s'étendaient partout. L'âme humaine, par un mouvement qui lui était alors naturel et instinctif, divinisa cette puissance. De même que dans les vieux âges de l'humanité on avait adoré le nuage qui, se répandant en eau, faisait germer la moisson, et le soleil qui la faisait mûrir, de même on adora l'autorité suprême qui apparaissait aux peuples comme la garantie de toute paix et la source de tout bonheur. » 

Les considérations développées par Fustel de Coulanges prouvent combien l'esprit des hommes du IIe et du IIIe siècle était profondément monarchique. L'autocratie avait été organisée par Auguste avec des formes républicaines afin de ménager les scrupules des Romains; mais, à mesure que l'Empire prévaut sur Rome, que celle-ci et l'Italie s'y absorbent, le principe monarchique s'affirme davantage dans les moeurs et les institutions, et c'est par une évolution continue et fatale qu'on aboutit à la monarchie sacro-sainte de Dioclétien et de Constantin. (GE).
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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