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Apothéose

Ainsi que son étymologie l'indique, l'apothéose est l'acte de consécration par lequel on divinise un humain après sa mort. L'apothéose a été connue de toute l'Antiquité; En Égypte, les rois adoraient leurs prédécesseurs comme des dieux, ce qui leur permettait de se prétendre dieux eux-mêmes (Religion égyptienne); en Grèce, on aimait l'idée de représenter certains humains avec les caractères et les attributs de la divinité; de là cette foule de héros ou demi-dieux qui peuplent la mythologie antique et qui ont, chacun, son histoire légendaire. Les héros fondateurs des villes ou des empires étaient l'objet d'un culte très suivi et très respectueux. C'est ainsi qu'Athènes eut pour grands dieux ses deux fondateurs Cécrops et Thésée.
« Mort, le fondateur devenait un ancêtre commun pour toutes les générations qui se succédaient; il était pour la cité ce que le premier ancêtre était pour la famille, un Lare familier. Son souvenir se perpétuait comme le feu du foyer qu'il avait allumé. On lui vouait un culte, on le croyait dieu, et la ville l'adorait comme sa Providence. Des sacrifices et des fêtes étaient renouvelés chaque année sur son tombeau. » (Fustel de Coulanges). 
Prise dans un sens général, l'idée d'apothéose était exprimée de différentes manières; on en trouve de nombreux spécimens sur les vases peints, les miroirs de bronze, les camées, les bas-reliefs et les peintures murales. Dans l'art grec et romain, nous voyons figurer l'apothéose tantôt au moyen d'un personnage (homme ou femme), emporté vers le ciel sur un quadrige, et accompagné de l'aigle ou de la victoire, tantôt sous les traits d'une femme diadémée enlevée dans les airs par un aigle ou un cygne, ce dernier symbolisant la pureté que donnait l'initiation aux mystères. Quelquefois aussi (c'est le cas pour les peintures de Pompéi) l'apothéose est représentée par un génie ailé, emportant une femme qui tient d'une main un voile déployé au-dessus de sa tête, de l'autre un flambeau allumé, symbole de l'immortalité. 

Dans l'antiquité grecque, Héraclès est le personnage dont les exploits fabuleux ont été le plus fréquemment glorifiés par les artistes. On le voit souvent couronné par la Victoire, seul ou bien accompagné d'Athéna, d'Hermès ou d'Iole, tenant presque toujours sa massue traditionnelle et son carquois. Il existe une peinture sur vase où l'apothéose de ce héros est traitée d'une manière très expressive : Sur le bûcher du mont Oeta gît le tronc d'Heraclès. A droite, Philoctète qui vient de l'allumer s'en va avec les flèches et le carquois; à gauche, une nymphe s'efforce d'éteindre les flammes avec l'eau d'une hydrie. Au dessus, Heraclès, revenu à la vie, est traîné dans un quadrige que conduit la Victoire ailée. Hermès introduit le char dans l'Olympe, au seuil duquel Apollon accueille le héros qui va prendre place parmi les immortels.

Ulysse, Diomède, Antor, Énée, étaient adorés par les villes de l'Italie centrale et de la Grande-Grèce; c'est ainsi encore que le fondateur mythique de Rome, Romulus, mis après sa mort au rang des divinités, reçut le nom de Quirinus (Religion romaine), des temples, des autels et des sacrifices, et qu'on chantait en son honneur des hymnes sacrés où on l'appelait «divin Romulus », Romule die. Pourtant, chez les Romains l'apothéose correspondait généralement moins, comme chez les Grecs, à un mythe nourrissant l'imagination des poètes et des artistes, qu'à une manière effective de rendre les honneurs divins aux hauts personnages. C'était une une véritable cérémonie religieuse. 

Dès la République on élevait dans les provinces des temples aux meilleurs proconsuls, de leur vivant même. Cette pieuse coutume se perpétua et s'amplifia sous l'empire. En soi, l'apothéose des empereurs ne diffère en rien de celle de Romulus Quirinus et de son collègue sabin Titus Tatius; c'est comme « nouveau fondateur » que César a reçu la qualité divine; c'est pour avoir agrandi, fortifié, conservé l'empire, que ses successeurs ont mérité un honneur semblable; l'apothéose n'était accordée qu'à certains des princes, et non pas à tous indistinctement. Ce qui complète l'analogie entre cette divinisation des empereurs et celle des héros fondateurs, c'est que les premiers sont parfois appelés, dans les inscriptions, les « divins Romulus », Romuli divi, c'est qu'Auguste avait lui-même délibéré un instant de prendre ce nom de Romulus, c'est que, le jour de ses funérailles, le sénateur Numérius Atticus prétendait que son âme s'était envolée du bûcher pour gagner le ciel : un pareil miracle s'était produit, disait-on, le jour des funérailles de Romulus. Toutefois, il y a cette différence entre l'apothéose des empereurs et celle des héros, que la première est continue, s'adressa à une série de souverains, forme une famille de dieux, tandis que l'autre s'arrête au fondateur et ne passe ni à ses héritiers, ni à ses successeurs, ni à ses descendants. Auguste a peut-être emprunté son idée de la divinisation des empereurs (car je ne doute pas que ses successeurs n'aient agi d'après ses instructions) à ce royaume d'Égypte où César et lui sont allés chercher le modèle de presque toutes les institutions de la monarchie romaine. Nous avons vu, en effet, que l'apothéose de tous les souverains existait au temps des Pharaons, et nous savons d'autre part que cet usage fut conservé par leurs successeurs sur le trône d'Égypte, les rois grecs de la dynastie des Ptolémées : tous les héritiers Alexandre qui se sont succédé à la cour d'Alexandrie ont été adorés comme dieux. Les Romains n'ont fait ici qu'imiter l'Égypte.
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Apothéose d'Auguste, 
d'après le camée de la Sainte-Chapelle.

Quoi qu'il en soit, Jules César, le premier après Romulus, reçut l'apothéose et devint dieu sous le nom de divus Julius; une comète, qui apparut alors dans le ciel, fut vue comme une preuve décisive que les dieux acceptaient ce nouveau collègue que leur envoyait le peuple-roi. Dès lors, la famille des souverains qui succédèrent à César, qu'ils fussent on non des descendants naturels du premier empereur, porta le nom de «-famille divine », de « famille du divin Jules », domus divina. Auguste reçut les mêmes honneurs que son père adoptif; puis, cette dignité vint à tous ceux des princes que le Sénat en jugeait dignes, car il fallait un décret du Sénat pour sanctionner l'apothéose, pour consacrer, comme on disait, un empereur! 

Les noms de tous ceux qui ont été ainsi divinisés nous ont été transmis par des médailles portant tout autour l'inscription : Consecratio. Hérodien décrit en détail (IV, 3) cette imposante solennité; il nous apprend que les Romains reproduisaient d'abord en cire l'image de l'empereur défunt et l'exposaient devant le palais impérial, sur un lit de parade tout en ivoire et recouvert de tapis brochés d'or. L'expression de cette figure de cire était celle d'un homme gravement malade. A gauche et à droite se tenaient différents personnages de distinction, vêtus de blanc, couleur ordinaire du deuil. Pendant les sept jours que durait cette exposition les médecins déclaraient que l'état de l'empereur s'aggrave d'heure en heure.

Lorsque les médecins annoncent enfin, dit l'auteur latin, que l'empereur est mort, les principaux chevaliers et les sénateurs les plus jeunes transportent le cercueil sur leurs épaules à travers la via sacra jusqu'à l'ancien forum, où ils le déposent sur un échafaudage, construit en forme d'escalier. D'un côté de celui-ci une troupe de jeunes patriciens, de l'autre un certain nombre de femmes de distinction entonnent sur un mode grave et plaintif des hymnes et des péans en l'honneur du défunt. Puis on enlève la bière pour la porter au Champ de Mars. Ici s'élève, à l'endroit le plus vaste et sur une base carrée, une construction en bois faite à l'instar d'une maison et composée de poutres énormes. Elle est remplie intérieurement de fagots secs, mais elle est ornée à l'extérieur de tapis brochés d'or, de statues en ivoire et de différentes oeuvres d'art. L'étage inférieur est conformé et décoré comme l'étage supérieur, mais il est un peu plus bas et pourvu de portes et de fenêtres ouvertes. Au-dessus de ces deux étages s'en élèvent d'autres se rétrécissant en forme de pyramide. On dépose le cercueil au second étage, et on le parsème d'épices. d'encens, de fruits et d'herbes parfumés. Dès que tout le monument est rempli de ces matières, l'ordre équestre tout entier se range tout autour et exécute solennellement quelques évolutions militaires. Arrivent ensuite par ordre des voitures avec des personnages vêtus de pourpre et masqués qui représentent des noms historiques, des rois et des généraux célèbres. Après cette cérémonie, l'héritier du trône saisit une torche et la jette au milieu de cette construction. Les assistants jettent alors de même du feu de toutes parts et la flamme, ainsi alimentée, embrasa bientôt le monument tout entier. En même temps du faite de cet édifice un aigle s'élance dans les airs. Les Romains s'imaginent qu'en lui plane et s'élance vers le ciel l'âme de l'empereur.
Tibère, Caligula, Néron, beaucoup d'autres princes,  furent exclus de ce rituel. En revanche, on divinisa souvent des membres de la famille impériale : c'est ce qui arriva sous le règne de l'empereur Caius Caligula pour sa soeur Livia Drusilla; et, peu après, pour Livie, la femme d'Auguste, pour Cnaeus Domitius Ahenobarbus, le père de Néron, et pour beaucoup d'autres. On ne tria pas toujours avec soin les nouveaux dieux.
L'apothéose fut souvent décernée, a dit Gaston Boissier, à des princes et à des princesses qui ne méritaient guère un tel honneur, comme Claude et les deux Faustines. Cet abus donna lieu à des réclamations très vives de la part des gens sensés. On connaît la charmante satire de Sénèque contre l'apothéose de Claude, où il le représente qui monte au ciel clopin-clopant et finirait par s'y établir si Auguste, qui voit le tort qu'un pareil collègue peut faire à sa divinité, ne le faisait précipiter dans les enfers. On connaît aussi les vers sanglants de Lucain, dans lesquels il prétend que l'apothéose décernée aux Césars est une façon de punir les dieux d'avoir laissé périr la République.

Déification de Germanicus, 
d'après un camée du Cabinet de France.

Les Romains exprimaient dans l'art cette apothéose de mille manières différentes : celle qu'on rencontre le plus souvent dans les médailles dont nous venons de parler consiste dans un buste impérial porté par un aigle. C'est elle qu'on voit figurée dans le magnifique camée du cabinet des Antiques de Paris, représentant l'apothéose de Germanicus. Quelquefois l'empereur déifié est emporté vers le ciel sur un char attelé de quatre chevaux allés ou de centaures. L'apothéose d'Auguste sur le camée de Vienne est un exemple classique à citer. Mais le plus souvent les Romains figuraient l'apothéose sous la forme adoptée dans les peintures murales de Pompéi que nous avons mentionnées plus haut : une femme (l'âme humaine) vue en buste, avec un voile déployé au-dessus de sa tête, tenant dans la main un flambeau allumé, ravie dans le ciel par un génie ailé. Telle est l'apothéose de Faustine la Jeune (bas-relief de l'arc de Marc-Aurèle), et celle d'Antonin et de Faustine (bas-relief de la colonne Antonine). Il serait trop long d'énumérer les autres modes de représentation de l'apothéose dans l'Antiquité. Nous nous sommes bornés à indiquer les plus importants et les plus caractéristiques.


Apothéose d'Antonin et de Faustine 
(bas-relief de la Colonne antonine).

Le christianisme ne supprima pas tout d'abord cet usage. Constantin, Constance, Jovien, Valentinien Ier, Gratien, Théodose, Honorius, ont été proclamés divin après leur mort. Chose étrange, on ne trouve pas parmi la liste des divi l'empereur Julien, le dernier défenseur des idées anciennes et du paganisme. Après Honorius, on ne rencontre plus de divus. On en aura compté au total soixante et onze.

Dans les temps modernes divers artistes, s'inspirant des principales légendes de la brillante mythologie grecque, ont retracé sur la toile des apothéoses d'un grand effet décoratif. Ch. Lebrun excellait surtout dans ce genre de décoration, soit qu'il composât des modèles pour la manufacture des Gobelins, soit qu'il couvrit de sa peinture les plafonds de quelques palais. Citons, comme exemple, son apothéose d'Hercule (Héraclès), à l'Hôtel Lambert de Paris, ainsi que l'apothéose d'Hercule par Lemoyne dans un plafond du palais de Versailles.

En dehors des sujets purement mythologiques, l'histoire, les hauts faits des souverains, des grands capitaines qui se sont illustrés sur les champs de bataille, le génie des plus célèbres écrivains, des savants et des artistes ont également servi de thème à l'art moderne pour représenter l'apothéose. Mais l'idée qu'un homme puisse devenir Dieu était devenu contraire à la conception de la divinité; aussi le mot apothéose ne fut-il dès lors qu'une métaphore. Il signifiait simplement glorification qui avait pour but de perpétuer dans l'humanité le souvenir d'une ou de plusieurs actions d'éclat, d'une puissance extraordinaire ou d'une intelligence hors ligne.

C'est ainsi que Meynier a peint sur le plafond de la salle des bijoux du Louvre l'apothéose de Nicolas Poussin, de Le Sueur et de Charles Le Brun; l'on y voit Clio inscrivant les noms des trois grands peintres dans les fastes du siècle de Louis XIV. La bibliothèque du Sénat, à Paris, est décorée de magnifiques peintures d'Eugène Delacroix représentant, en une sorte d'apothéose, les grandes figures de l'Antiquité réunies dans le bienheureux séjour des Champs-Elyséens. L'ancien hôtel de ville de Paris possédait une superbe apothéose de Napoléon Ier par Ingres. Le même artiste a fixé sur la toile une apothéose d'Homère qui est conservée au Louvre. Citons enfin, comme rentrant à peu près dans le même ordre d'idées, le Triomphe de Venise, au Palais des Doges, fresque due au merveilleux pinceau de Paul Véronèse.
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Ingres : l'Apothéose d'Homère.
L'Apothéose d'Homère, par Ingres (1827). "Devant le péristyle d'un temple dont l'ordre ionique rappelle. pelle symboliquement la patrie du Mélésigène [ = Homère supposé être né sur les bords du Mélès], Homère déifié. est assis avec le calme et la majesté d'un Julpiter aveugle; sa pose immobile indique la cécité, quand même ses yeux blancs comme ceux d'une statue ne diraient pas que le divin poète ne voit plus qu'avec le regard de l'âme les merveilles de la création qu'il a retracées si splendidement. un cercle d'or ceint ses larges tempes, pleines de pensées; son corps, modelé par robustes méplats, n'a rien des misères de la caducité; il est antique et non vieux : l'âge n'a plus de prise sur lui, et sa chair s'est durcie pour l'éternité dans le marbre éthéré de l'apothéose. D'un ciel d'azur que découpe le fronton du temple, et que dorent, comme des rayons de gloire, quelques zones de lumière orangée, descend dans le nuage d'une draperie rose une belle vierge tenant la palme et la couronne. Aux pieds d'Homère, sont campées dans des attitudes héroïques et superbes ses deux immortelles filles, l'Iliade et l'Odyssée : l'Iliade, altière, regardant en face, vêtue de rouge et tenant l'épée de bronze d'Achille; l'Odyssée, rêvant, d'un manteau vert de mer, ne se montrant que de profil, sondant de son regard l'infini des horizons et s'appuyant sur la rame d'Ulysse : l'action et le voyage. Ces deux figures, d'une incomparable beauté, sont dignes des poèmes qu'elles symbolisent; quel éloge en faire après celui-là?

Autour du poète suprême se presse respectueusement une foule illustre : Hérodote, le père de l'histoire, jette l'encens sur les charbons du trépied, rendant hommage au chantre des temps héroïques; Eschyle montre la liste de ses tragédies; Apelles conduit Raphael par la main; Virgile amène Dante; puis viennent Tasse, Corneille, Poussin, coupés à mi-corps par la toile; de l'autre côté, Pindare s'avance, touchant sa grande lyre d'ivoire; Platon cause avec Socrate; Phidias offre le maillet et le ciseau qui ont tant de fois taillé les dieux d'Homère; Alexandre présente la cassette d'or où il renfermait les oeuvres du poète. Plus bas s'étagent en descendant vers l'âge moderne Camoëns, Racine, Molière, Fénelon, rattaché au chantre de l'Odyssée par son Télémaque.

Il règne dans la portion supérieure du tableau une sérénité lumineuse, une atmosphère élyséenne argentée et bleue, d'une douceur infinie; les tons réels s'y éteignent comme trop grossiers, et s'y fondent en nuances tendres, idéales.

Ce n'est pas le soleil des vivants qui éclaire les objets dans cette région sublime, mais l'aurore de l'immortalité; les premiers plans, plus rapprochés de notre époque, sont d'une couleur plus robuste et plus chaude. Si Alexandre, avec son casque, sa cuirasse et ses cnémides d'or, semble l'ombre d'une statue de Lysippe, Molière est vrai comme un portrait d'Hyacinthe Rigaud.

Quel style noble et pur! quelle ordonnance majestueuse! quel goût véritablement antique! Dans ce tableau sans rival, l'art de Phidias et d'Apelles est retrouvé." (Théophile Gautier, Les Beaux-Arts en Europe (1855), chap. XIII).
 

Certaines abstractions, comme la justice, la loi, la charité, la vérité, etc., par cela seul qu'elles impliquent l'idée d'une perfection rare ou inconnue des humains, ont également été interprétées plus d'une fois sous des formes semblables à l'apothéose. Toutefois ces représentations sont ici encore plutôt du domaine de l'allégorie. (C. Jullian / Trawinski).

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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