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Les Francs
L'appellation de Francs, correspond à un nom collectif adopté vers le milieu du IIIe siècle de notre ère par une confédération de peuples germaniques, dans laquelle entrèrent successivement plusieurs tribus de la famille des Istaevones, établies au Nord-Est de la Gaule, sur la rive droite du Rhin inférieur. Ce nom, qu'on a essayé de rapprocher d'un verbe vieux-allemand wrangen, combattre, et de framja, l'arme principale de ces peuples guerriers, dérive plutôt d'un radical vieux-allemand Frank (lat. ferox), qui signifie hardi, insolent, indomptable et qui, plus tard, prit le sens de libre, indépendant. Dans la loi salique, en effet, Francus est synonyme de homo ingenuus.

Les différents peuples francs, quoique ligués entre eux et tout en portant le même nom, ne formaient pas une nation compacte avec gouvernement central et administration uniforme. Avec la plus grande facilité et sans inconvénient, ils entraient dans la confédération, s'en détachaient pour y revenir de nouveau suivant les hasards de la guerre et les nécessités du moment. Chaque tribu conserva une indépendance relative, son propre gouvernement, ses particularités, ses lois et coutumes. En principe, le but de la ligue paraît avoir été la guerre défensive et offensive; mais souvent il n'était autre que le pillage, ou simplement la satisfaction de leur goût pour les aventures et au besoin la conquête de terres étrangères. Pendant longtemps les principaux peuples francs continuèrent à garder leurs anciens noms. A la fin du Ve siècle, Clovis portait encore le nom de Sicambre, devenu une désignation honorifique (Procope, De Bello Gall., I, 12). Souvent les auteurs de l'époque, surtout des poètes, comme Sidoine Apollinaire et Claudien, appliquent le nom de Sicambre aux Francs en général et aux Saliens en particulier.

Les historiens anciens mentionnent les Francs pour la première fois à l'occasion d'une victoire qu'Aurélien, alors tribun d'une légion, et depuis empereur, remporta sur eux, près de Mayence, en 242 de notre ère. Les diverses tribus dont se composa la confédération des Francs. se partageaient en deux grandes divisions, les Francs Saliens et les Francs Ripuaires. 

Les Francs Saliens, dont les Sicambres formaient le noyau, tiraient leur nom de leur position géographique sur le bord de la mer, qui était appelée saile dans le dialecte de la langue celtique usité en Belgique. Ils occupèrent l'île des Bataves et le pays jusqu'à l'Escaut, lorsque Carausius, qui devait défendre contre eux le territoire romain, alla se faire reconnâitre empereur en Angleterre, en 237. Constance et Constantin les les repoussèrent, mais Julien les retrouva établis dans ces mêmes contrées, et les y laissa, après les avoir battus, pour se servir d'eux comme auxiliaires. Au commencement du Ve siècle, ils redevinrent hostiles aux Romains, et poussèrent leurs conquêtes sous leur chef Clodion au delà de Cambrai, jusque sur la Somme, et plus loin encore vers l'Ouest sous Childéric, successeur de Mérovée. 

Les Francs Ripuaires, qui habitaient primitivement entre le Mein et la Lippe, et dont les Cattes étaient la principale tribu, étaient ainsi appelés parce qu'ils s'étaient établis ensuite sur la rive gauche du Rhin, dans la contrée appelée Ripa, entre ce fleuve et la Meuse, d'où les victoires de Constantin et de Julien ne les repoussèrent que passagèrement, et dont Aétius, qui les combattit sous Valentinien en 430, les laissa en possession. Ils étendirent leur territoire, sur la rive gauche du Rhin, jusqu'à la Meuse à l'Ouest, et jusqu'aux Ardennes au Sud, et sur la rive droite jusqu'à la Werra, à l'Est. 

Clovis, roi des Francs Saliens, vainqueur des Alamans à Tolbiac, réduisit l'Armorique sous sa dépendance, enleva l'Aquitaine aux Wisigoths, et, par la destruction définitive de la puissance romaine dans les Gaules, par la réunion des Francs Saliens occidentaux aux Francs Ripuaires orientaux, et par sa conversion au catholicisme, fut, à la fin du Ve siècle, le fondateur du royaume des Francs, qui est devenu, au fil des siècles, la France. Les deux peuples conservèrent leurs lois particulières, qui différaient peu l'une de l'autre, et qui furent alors rédigées par écrit sous le nom de loi Salique, Lex Salica, et de loi des Ripuaires, Lex Ripuariorum.

Origine des Francs. La Francia primitive

Les origines des Francs sont fort obscures et, pendant des siècles, ont été l'objet de longues discussions et de nombreuses hypothèses. Au Moyen âge, on croyait communément que les Francs, ainsi que les Romains, étaient issus des compagnons d'Enée ou des autres fugitifs de Troie. Certains érudits ont prétendu qu'Aethicus Istricus, géographe grec du IVe siècle, était le premier auteur connu qui ait émis cette opinion; mais il est à remarquer que sa Cosmographie, dont nous ne possédons plus qu'un résumé en latin, faussement attribué à saint Jérôme, est d'une authenticité fort suspecte (Dederich, Der Frankenbund; Hanovre, 1873, pp. 49-65). Il est plus probable que cette fable, d'une origine plus récente, a été sinon inventée, du moins propagée, au VIIe siècle, par le pseudo-Frédégaire, dans son Historia Francorum (II) et amplifiée plus tard par l'auteur des Gesta regum Francorum (IV). Grégoire de Tours ne la connaît pas encore; se basant sur le témoignage de beaucoup d'historiens, il se prononce pour une origine pannonienne des Francs. 

« Les Francs, dit-il, émigrés (degressi) de la Pannonie, se sont d'abord établis sur les bords du Rhin, pour se fixer plus tard dans la Tongrie (?) (Thoringia), après avoir passé le fleuve. » (Hist. Franc., II, 9.) 
Au lieu de rattacher cette tradition aux Breuci, peuple de la Pannonie, desquels, dans ses Commentaires des Leges Salicae, Wendelinus, auteur du XVIIe siècle, a fait des Brenci et puis des Franci, on pourrait peut-être la mettre en rapport avec un passage de Tacite (Ann., IV, 47) qui nous apprend que, sous le règne de l'empereur Tibère, une Sugambra cohors était stationnée dans la Pannonie. C'est sur cette tradition, rapportée par Grégoire de Tours, que doit s'être greffée plus tard la légende de l'origine troyenne qui semble refléter les souvenirs confus de l'expédition aventureuse d'une bande de Francs qui, déportés vers 277 par l'empereur Probus sur les bords du Pont-Euxin, sont revenus par mer dans leur berceau rhénan après avoir pillé les côtes de la Grèce, de la Sicile et de l'Afrique. Quoi qu'il en soit, pendant tout le Moyen âge, on croyait à une communauté d'origine entre les Francs et les Romains. Malgré la faveur dont elle a joui pendant de longs siècles, cette croyance populaire, vivement attaquée par les érudits du XVIe siècle, finit par disparaître pour faire place aux quatorze conjectures énumérées par Audigier en 1676. Ce fut à cette époque que quelques savants commencèrent à se prononcer pour l'origine germanique. Cette vérité, entrevue par Bodin, Forcadel, François Hotman, Leibniz et Adrien de Valois, et démontrée d'une manière scientifique par Nicolas Fréret, gagna peu à peu du terrain, surtout aux dépens de l'hypothèse d'après laquelle les Francs auraient été une colonie gauloise, établïe en Germanie, revenue plus tard en Gaule pour aider leurs frères opprimés à s'affranchir du joug romain. Une fois la descendance germanique admise en principe il ne s'agissait plus que de déterminer la part des Francs dans la reconstitution et la réorganisation de la société gauloise après la chute de l'empire d'Occident et l'invasion des barbares, et de rechercher dans quelle mesure ils avaient été un des éléments constitutifs de la nationalité française et quelle avait été leur influence sur les conditions sociales et politiques, la législation, la civilisation, les destinées de la France. Ces graves questions furent l'objet, au XVIIIe siècle, d'un grand débat historique auquel prirent part, non sans passion, Boulainvilliers, Dubos, Montesquieu, Mably, Montlosier et d'autres. Les divers systèmes adoptés successivement par ces savants ont été résumés et critiqués par Augustin Thierry dans les considérations qui précèdent ses Récits mérovingiens.

Depuis Nicolas Fréret, il n'y a plus de doutes sur l'origine germanique des Francs. Comme il l'a démontré eu 1714, ce n'était ni une population distincte et homogène, ni une nation particulière ou nouvelle parmi les Germains, mais bien une association, une confédération de peuplades appartenant à la grande famille germanique des Istaevones. Originairement, cette ligue, formée de tribus dominantes et de tribus clientes, ne semble pas avoir eu pour but exclusif la guerre avec les Romains; elle était dirigée tout autant, sinon davantage, contre d'autres peuples germains, venant de l'Est, qui menaçaient les peuples confédérés dans leurs possessions ou s'efforçaient de les chasser de leurs cantonnements. Ce fut, selon toute vraisemblance, la ligue des Saxons qui, poussant toujours vers l'Ouest, força les Francs de leur opposer une autre ligne, et les pressa de franchir le Rhin pour faire irruption dans la Gaule romaine. Dès l'époque de la guerre des Marcomans (162-180), les Saxons avaient passé l'Elbe; et tous les peuples germains, qu'ils rencontraient sur leur passage, étaient forcés, soit de s'associer à eux, soit de chercher aide et protection auprès de la puissante tribu des Sicambres (Zosime, III, 6). Il est impossible de déterminer aujourd'hui le peuple qui a donné la première impulsion; mais on peut supposer que les Sicambres, réputés pour leur puissance et leur vaillance, formaient le premier noyau d'une alliance dont le but primitif paraît avoir été celui d'arrêter l'invasion saxonne. 

Après la cruelle défaite qui leur avait été infligée par Tibère, les Sicambres, qui n'avaient pas été déportés par les Romains, avaient dû se retirer au delà du Rhin, probablement sur les bords de la Lippe (Suétone, Tibère, IX ; Tacite, Ann., II, 20). Là, oubliés des Romains, ils s'étaient peu à peu relevés de leur désastre et avaient fini par récupérer la réputation de leur ancienne bravoure. Déjà fusionnés avec les Marses et les Gambriviens, ils prirent sous leur clientèle ou reçurent dans leur alliance quelques peuples moins importants, comme les Angrivariens, les Tenchthères, les Usipètes, les Tubantes, les Chasuariens ou Attuariens, les Dulgibiens et d'autres encore. Le pays, occupé par les différents peuples de cette ligue primitive, s'étendait au Nord de la Lippe entre le Rhin, l'Yssel et l'Ems et, s'il faut en croire le Géographe de Ravenne (I, 11), il aurait même atteint vers l'Est les bords de l'Elbe. Plus tard, probablement à l'époque où l'hostilité contre les Romains s'accentuait davantage, des peuples plus importants, comme les Chamaves, les Bructères, les Chattes et les Mattiaques se rallièrent également à la ligue et peu à peu les confédérés étendirent leur pouvoir sur toute, la rive droite du Rhin depuis l'embouchure de ce fleuve jusqu'à Mayence; car c'est là, dans l'ancien territoire des Chattes, que, vers l'an 240, nous les trouvons combattant les Romains pour la première fois sous le nom de Francs. Sur la Table de Peutinger, dressée, d'après E. Desjardins, vers l'an 353, et d'après Conrad Miller, en 366, nous trouvons pour la première fois le nom de Francia; mais il n'est appliqué qu'à une partie de ce pays transrhénan. Aucune raison plausible ne permet d'admettre avec E. Desjardins que les mots : qui et Pranci, placés sur cette carte à la suite du mot Chamavi et audessous des mots : varii, varii, soient avec les dénominations : Francia et Alamannia, des interpolations du Ve ou du VIe siècle (C. Miller, Die Weltkarte des Castorinus gen. die Peutingersche Tafel; Ravensbourg, 1887, p. 57). Ces mots prouvent, au contraire, que, vers le milieu du IVe siècle, les Chamaves et différents autres peuples (varii qui et Pranci), stationnés à l'Est du delta rhénan et qui primitivement ne faisaient pas partie de la ligue franque, y étaient entrés probablement peu de temps avant l'époque ou la carte fut dressée. D'autre part, sans accorder une importance exagérée à ce document géographique, nous apprenons, par la Table de Peutinger, que les Francs qui, au IIIe siècle, étaient les voisins des Alamans et qui, vers l'an 240, étaient stationnés à Mayence, ont dû être refoulés vers le Nord pendant la première moitié du IVe siècle par d'autres Germains qui sont venus occuper les bords du Rhin. La carte place, en effet, au Sud de la Francia les Burcturi, entre Cologne et Mayence, et la Suevia au Nord de l'Alamannia, entre Mayence et Strasbourg. Si nous admettons, avec Miller, que les Burcturi ne sont pas les anciens Bructères, comme on le croit communément, mais bien déjà les Burgondes, qui, après avoir refoulé les Francs vers le Nord, seraient venus avec les Suèves s'établir entre les Francs et les Alémans, nous voyons sur la Table de Peutinger quelle était, dans la dernière moitié du IVe siècle, sur les bords du Rhin, la position approximative des différents peuples qui se préparaient à envahir la Gaule romaine. (L. Will.).

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