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Histoire de la géographie antique
Le temps des expéditions
[La Terre]
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Jalons
Le temps des expéditions

Les conquêtes d'Alexandre (vers 330 av. J.-C.) ont eu dans l'histoire une immense importance. A notre point de vue spécial, elles ont beaucoup profité à la géographie. L'élève d'Aristote a fait une véritable exploration scientifique de l'empire qu'il soumettait. Dès avant son entrée en Asie, la première campagne de son règne en Thrace (336) fournit sur les pays jusqu'au Danube des informations recueillies par Ptolémée et où Arrien puisa tout son premier livre.

L'empire perse, sillonné par les administrateurs et les marchands grecs, fut connu avec une grande exactitude. Quand on toucha à l'Iaxartes et à l'Indus, on entrevit au delà l'immense Asie des Touraniens et des Indiens. Sur leurs frontières s'établirent des milliers de colons grecs qui maintinrent jusqu'à l'ère chrétienne un royaume gréco-bactrien. Les officiers de l'armée et autres gens de la suite publièrent de nombreux mémoires bien documentés, tels Clitarque, Anaximène de Lampsaque, Aristobule, Callisthène, Hiéronyme de Candie, Hécatée d'Abdère, Duris de Samos. Une mention spéciale est due aux ingénieurs militaires Diognète et Baéton. Ils relevèrent les routes avec une précision égale à celle des géomètres modernes. On en peut juger par le fragment conservé des Stathmes du premier; cet itinéraire des marches d'Alexandre pour la partie comprise des Pyles Carpiennes à l'Hyphase (de la Caspienne au Pendjab) est d'une exactitude parfaite. On ne sait que le titre des Stathmes d'Armyalas.

Sur mer, le pilote Onésicrite et l'amiral Néarque se distinguèrent. Le journal maritime de Néarque, qui revint de l'Indus au golfe Persique, le long de la côte, a été conservé par Arrien; les distances y sont soigneusement indiquées. Onésicrite donna des renseignements, de seconde main malheureusement, sur les côtes de l'Inde; il l'évalue au tiers de la terre habitée; il fit connaître la grande île de Taprobane (Sri Lanka), mais s'en exagéra énormément les dimensions; cette erreur s'est perpétuée dans la géographie jusqu'à l'époque des Grandes découvertes. Observons que les Anciens ne soupçonnèrent pas que l'Inde fut une presqu'île. Ultérieurement, les Ptolémées firent d'Alexandrie le grand entrepôt du commerce mondial en même temps que la capitale intellectuelle du monde méditerranéen. C'est à Alexandrie (Les Écoles d'Alexandrie), que la géographie antique allait ainsi connaître son apogée.

Les Ptolémées (L'Égypte Ptolémaïque) développèrent notamment la navigation vers l'Inde. Le voyage de l'Inde d'Androsthènes de Thasos, compagnon de Néarque, est perdu; de même le récit du voyage d'Évhémère qui explora l'Arabie Heureuse et découvrit plusieurs îles, dont Panchea; les Indiques; Mégasthène, ambassadeur de Séleucus auprès du souverain de l'Inde Chandragoupta; ceux de Daïmaque, de Platée et de Denys envoyés de Séleucus et de Ptolémée Philadelphe, le périple de l'Inde de l'amiral syrien Patrocle, etc.

Le contact de l'Inde et de la Grèce fut un fait historique de premier ordre et il en résulta une grande extension des connaissances géographiques. Simultanément se poursuivait l'exploration de la Bactriane, de la Sogdiane, des vallées de l'Imaüs, des rives de l'laxartes; ici, il faut noter l'expédition de Démodamas, général d'Antiochus. Ce fut après Mégasthène la principale source sur les régions indiennes. Pour compléter cette énumération d'ouvrages malheureusement perdus, il faut citer ceux de l'amiral de Ptolémée Il, Timosthènes de Rhodes, le récit mensonger d'Eudoxe de Cyzique qui aurait recommencé la circumnavigation de l'Afrique; la géographie de l'Éthiopie due à Basilic ; les périples de Zénothémis, Philéas, Nymphodore, consacrés à la Méditerranée. Il nous faut maintenant parler des savants que mirent en oeuvre ces matériaux pour la construction d'une géographie scientifique.

Une nouvelle géographie.
En même temps que l'expédition d'Alexandre reculait vers l'Orient les bornes du monde connu des Grecs, elles étaient reculées vers le Nord-Ouest, par un voyage d'exploration aussi admirable que celui d'Hannon ; il fut exécuté par Pythéas de Marseille. C'était un vrai savant, observant avec un gnomon l'ombre du Soleil au solstice d'été; il en avait conclu la latitude de Marseille, la fixant à 30 300 stades de l'équateur, soit 43°17'18"; l'erreur est de moins d'une minute. Pythéas fut chargé par ses compatriotes d'explorer la mer Extérieure pour chercher les pays de production de l'étain et de l'ambre, afin d'enlever ce commerce aux Carthaginois. Il côtoya l'Ibérie, la Celtique, franchit la Manche et atteignit la Grande-Bretagne, passa aux îles Cassitérides (îles Scilly?), observa les grandes marées du golfe de Bristol dont il reconnut la cause, l'action lunaire, longea la Grande-Bretagne jusqu'à sa pointe septentrionale et atteignit la région où la nuit n'est plus que de deux heures. Il apprit que dans une terre nommée Thulé, au solstice d'été, le Soleil ne se couche pas; ceci indique que cette Terre était sous le cercle arctique; il s'agirait donc de l'Islande, d'autant qu'au-delà de Thulé on signale la mer glacée qu'on nommait Cronium ou mer Cronienne (Le continent Cronien). On disait que dans ces régions reculées les éléments se confondaient; il n'y avait plus ni terre, ni mer, ni air. Dans ce même voyage, ou dans un autre, Pythéas visita la Baltique dont il évalue la longueur à 6 000 stades. Ses informations de ce côté paraissent exactes. L'importance des découvertes de Pythéas fut méconnue. On lui emprunta surtout son erreur sur la dimension de la Grande-Bretagne qu'il exagérait fort probablement à cause des sinuosités du littoral, lui donnant 40 000 stades de circuit, et la notion de Thulé, terre mystérieuse de l'extrême Nord.

Le premier à nommer est Aristote (384-322). Ses idées sont connues par ses écrits et ceux de son école. Il accepte, comme Platon, les idées des pythagoriciens et regarde la Terre comme sphérique, et il la juge immobile au centre de l'univers (bientôt Héraclide du Pont signalera sa révolution autour de son axe, démontrée par Aristarque). Il démontre sa sphéricité et son isolement par des arguments astronomiques et physiques, le déplacement de l'étoile polaire par rapport à l'horizon quand on va du Sud au Nord, le contour de l'ombre de la Terre projetée sur la Lune pendant les éclipses. Il affirme que la Terre est très petite comparée aux espaces célestes ; pourtant il estime qu'on n'en connaît qu'une petite partie; comme Platon, il suppose qu'il existe plusieurs parties du monde habitées qui ne sont pas encore ranimes : idée féconde; il place une de ces parties dans l'hémisphère méridional à l'opposé de celle des Grecs. Le Traité du Ciel dit :

« Les mathématiciens, qui cherchent à déterminer la grandeur du globe terrestre, lui donnent environ 400 000 stades de tour. » 
C'est une évaluation exagérée, presque du double de la vérité; mais la tentative est curieuse. Aristote pensait que la zone tempérée est seule habitable, à l'exclusion de la zone torride et de la zone glaciale, négligeant l'observation qui eut démenti cette idée par l'exemple de l'Éthiopie et de l'Inde méridionale; quant à la zone glaciale, elle avait été touchée, probablement par Pythéas, puisque le philosophe parle d'une constellation (la Couronne) qui ne se couche jamais pour les pays situés sous le cercle arctique. Quoi qu'il en soit, voici l'idée que les Météorologiques donnent de la partie connue de la Terre, notre ancien continent : 
« On représente d'une manière ridicule le contour de la terre habitée lorsqu'on lui donne une forme circulaire. Que la terre habitée ne puisse avoir cette forme, c'est ce que démontrent à la fois le raisonnement et l'expérience. Les voyages de terre et de mer nous montrent en effet que la zone habitable est resserrée dans sa largeur, d'un côté par la zone polaire, de l'autre par la zone tropicale, l'une et l'autre inhabitables, tandis que dans le sens de sa longueur, de l'Ouest à l'Est, la zone tempérée embrasse le tour entier de la terre et qu'elle serait partout propre à l'habitation de l'humain si la mer n'interrompait la continuité des terres. La terre habitable est donc beaucoup plus étendue en longueur qu'en largeur. L'intervalle compris entre les colonnes d'Hercule et l'Inde est à l'espace qui s'étend depuis l'Éthiopie jusqu'à la Méotide et aux parties extrêmes de la Scythie, comme cinq et même un peu plus est à trois, autant du moins que les voyages terrestres et maritimes peuvent fournir des éléments certains pour des déterminations de cette nature. La portion habitée de la Terre a été, en effet, explorée dans le sens de la largeur, jusqu'aux lieux où elle cesse d'être habitable. »
Le Traité du Monde donne les chiffres de 70 000 stades pour la longueur, 40 000 pour la largeur, chiffres admis par Posidonius et Strabon, ce qui ferait environ 13 000 km, de long, 7 400 de large. La première évaluation n'est pas trop forte, d'autant que la limite de l'Inde est élastique (on peut la porter jusqu'à l'Indochine); mais la seconde est exagérée; l'auteur n'arrive pas à faire concorder ses conceptions cosmographiques avec les faits géographiques, il faut ou qu'il se trompe sur la place du cercle tropique et le rejette au Sud de l'Éthiopie ou qu'il se trompe dans ses calculs puisque les 40 000 stades qu'il attribue à la zone tempérée sont presque le double de sa largeur effective. Enfin on trouve dans le Traité du Ciel un passage qui contredirait le calcul de la circonférence terrestre. Les deux tiers de celle-ci devraient s'étendre à l'Est de l'Inde et à l'Ouest de l'Espagne. Or, il dit : 
« Toutefois des auteurs ont avancé que l'espace occupé par la mer entre les colonnes d'Hercule et les parties orientales de l'Inde ne devait pas être très étendu, se fondant sur ce fait que les extrémités de la Mauritanie et les extrémités de l'Inde nourrissent également des éléphants. » 
Cette opinion fausse sera reprise par des écrivains latins et aura une influence déterminante sur la découverte du Nouveau Monde.

Du moment que l'on fut persuadé que la Terre était ronde, on en tira forcément cette conséquence qu'on pouvait aller par mer de l'Ibérie à l'Inde. Ératosthène a donné à ce sujet des indications à peu près exactes, évaluant à 200 000 stades le pourtour de la zone tempérée, sous le parallèle de Rhodes, et en attribuant plus du tiers au continent connu. D'autres, Strabon, par exemple, réduisirent l'étendue présumée de la partie maritime; ils étaient aussi portés à admettre derrière l'Atlantique la présence d'un continent inconnu. Vers le temps de l'ère chrétienne, plusieurs écrivains conçurent l'existence de quatre continents symétriques, deux par hémisphère; un seul étant connu, les trois autres étaient ignorés; Macrobe a plus tard développé cette théorie de la terra quadrifida. Les littérateurs, les utopistes placèrent volontiers (comme jadis Homère son Élysée) derrière l'océan Atlantique leur pays idéal, Atlantide de Platon, terre des Méropides de Théopompe, Plutarque tout un continent (Le Continent Cronien). Il est vraisemblable que ces imaginations ont eu leur part à la découverte de l'Amérique. La considération essentielle, c'est qu'une fois reconnue la forme vraie de la Terre, on comprit qu'on n'en connaissait qu'une fraction. L'insuffisance de la science nautique et les préjugés sur l'inhabitabilité de la zone intertropicale paralysèrent les grandes explorations, mais le principe de l'existence d'autres continents fut généralement accepté.

Indépendamment des théories générales, les écrits d'Aristote renferment de nombreux faits géographiques. Le monde connu est partagé en trois parties, Europe, Asie, Libye; l'Europe s'arrête au Tanaïs, la Libye à l'isthme arabique (de Suez) ; ce sont presque nos limites actuellement admises. En revanche, il faut noter une série de généralisations absurdes : tous les grands fleuves, sauf le Nil, vont du Nord au Sud, donc le Nord de la Terre est la région la plus élevée, conviction très répandue ; plus tard, Trogue-Pompée accentue cette théorie :

« La Scythie (plaine russe) est si évidemment la partie la plus élevée du monde que tous les fleuves qui en sortent vont se décharger dans la Méotide, de là dans le Pont, puis dans la mer d'Égypte. »
Aristote pense aussi que les plus grands fleuves découlent des plus hautes montagnes. Il fait naître au Paropamise (Hindou Kouch) le Bactrus, le Choaspes, l'Araxe, le Tanaïs, l'Indus ; les fleuves scythes aux monts Riphées, « situés sous l'Orase même »; au mont Pyrene, point culminant de la Celtique, l'Ister (Danube) et le Tartessus, qui traverse l'Ibérie pour se jeter dans l'Océan. Des erreurs et des confusions qui montrent qu'il n'a nulle idée de l'étendue relative vraie de chaque contrée. Le Phase, petit torrent, est cité à côté des grands fleuves. Les aristotéliques s'exagèrent la grandeur des îles Britanniques (Albion, lerné), de Taprobane, des monts Hercyniens. Que penser de cette chaîne fantastique mise au Nord de la Scythie? Enfin, alors que les prédécesseurs considéraient que la Caspienne est une mer fermée, on suppose maintenant qu'elle s'ouvre au Nord, dans l'océan Boréal, et on sera conduit à en exagérer les dimensions; cette idée fausse se perpétuera. Pourtant, à travers ces erreurs, on discerne que les connaissances s'étendent; de nouveaux noms paraissent.

Deux disciples d'Aristote, Théophraste et Dicéarque, furent de vrais géographes. Le premier avait consacré à la géographie mathématique; sa botanique (La botanique dans l'Antiquité) et sa minéralogie étaient pleines de détails géographiques. Il contribua à faire connaître exactement Italie et l'Espagne. Dicéarque fut tout à fait un géographe. il mesura les montagnes de la Grèce; ses résultats sont peu exacts : 10 stades (de 184 m) pour le Pélion, 15 pour le Cyllène, ce qui est beaucoup trop. Il dressa une grande carte de la terre habitée, accompagnée d'un ouvrage explicatif. Sa carte marque un grand progrès. Les anciens ne traçant ni méridiens, ni parallèles sur les leurs; elles manquaient de points fixes auxquels on pût rapporter les limites des pays et la situation relative des lieux ; c'étaient des tableaux bien plus que des cartes. Dicéarque traça sur la sienne, au milieu de la zone tempérée (vers notre 36e parallèle) une ligne parallèle à l'équateur ou diaphragme ; elle passait par le détroit de Gadès, la Sicile, la pointe de l'ltalie, le Péloponnèse, Rhodes, le golfe d'Issus, le Taurus, au Sud de l'Arménie et au Nord de la Perse, le Paropamise. Sur cette ligne divisée en stades, on put reporter les distances fournies par les itinéraires; à l'intersection de Rhodes fut tracée du Sud au Nord une perpendiculaire, également divisée en stades. On put désormais appuyer sur cette double ligne tout un réseau de degrés.

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