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La phénoménologie

Le terme de phénoménologie (de Phainomenon = ce qui apparaît et logos = discours)a d'abord servi à désigner la science des phénomènes. Pour Hegel, c'est l'histoire des étapes successives de l'esprit pour s'élever de la sensation individuelle à la raison universelle. Hamilton appelle ainsi la psychologie en tant qu'elle s'oppose à la logique. La phénoménologie en tant que doctrine philosophique a, quant à elle, été fondée au début du XXe siècle par Husserl (1859-1938).

La phénoménologie husserlienne

L'idée clé de la phénoménologique est que la conscience est toujours dirigée vers quelque-chose, c'est-à-dire qu'elle a une intentionnalité. Toute expérience est une expérience de quelque chose.

La méthode principale de la phénoménologie consiste à décrire avec précision les phénomènes tels qu'ils apparaissent à la conscience, sans préjugés ou hypothèses préalables.

La réduction phénoménologique.
La phénoménologie commence généralement par ce que Husserl appelait l'attitude naturelle, par laquelle nous vivons le monde tel qu'il se présente spontanément à nous. Cependant, pour une analyse plus approfondie, elle recourt à une méthode, réduction phénoménologique, qui vise à accéder aux structures essentielles de l'expérience, en mettant de côté les interprétations et les préjugés personnels (épochè) afin a d'identifier les structures essentielles et les caractéristiques universelles des phénomènes en examinant différentes variations possibles de ces phénomènes (réduction eidétique). .

L'Épochè.
L'Épochè (la vieille notion grecque, qui signifie suspension temporaire du jugement sur l'existence du monde extĂ©rieur), Ă©galement appelĂ©e suspension phĂ©nomĂ©nologique ou simplement suspension, consiste chez Husserl Ă  mettre entre parenthèses ou Ă  suspendre provisoirement toutes les croyances, les jugements et les hypothèses que l'on pourrait avoir sur le monde extĂ©rieur. Il s'agit de suspendre tout jugement Ă  propos de l'existence rĂ©elle du monde extĂ©rieur et de se concentrer uniquement sur les phĂ©nomènes tels qu'ils apparaissent dans la conscience. Au lieu de prĂ©sumer que les objets physiques sont rĂ©ellement lĂ , dans le monde, on considère les expĂ©riences et les perceptions de ces objets comme des phĂ©nomènes mentaux, indĂ©pendamment de leur existence objective. La pratique de l'Épochè permet au philosophe phĂ©nomĂ©nologue d'Ă©tudier les expĂ©riences subjectives de manière rigoureuse et systĂ©matique, en cherchant Ă  dĂ©couvrir les structures essentielles des phĂ©nomènes, les relations entre eux et les lois qui les sous-tendent. 

La rĂ©duction eidĂ©tique. 
La deuxième forme de rĂ©duction, la rĂ©duction eidĂ©tique, cherche Ă  identifier les structures essentielles et les caractĂ©ristiques universelles des phĂ©nomènes en examinant diffĂ©rentes variations possibles de ces phĂ©nomènes. L'idĂ©e est de distinguer ce qui est spĂ©cifique Ă  une expĂ©rience particulière de ce qui est universellement applicable Ă  toutes les expĂ©riences similaires. Lorsqu'un phĂ©nomĂ©nologue engage la rĂ©duction eidĂ©tique, il se dĂ©tourne des particularitĂ©s spĂ©cifiques des expĂ©riences et se concentre sur les Ă©lĂ©ments essentiels qui dĂ©finissent un type de phĂ©nomène, cherchant par lĂ  Ă  dĂ©terminer ce qui rend une expĂ©rience ou un objet de connaissance. 

La réduction eidétique implique généralement les étapes suivantes :

• Étape de la variation imaginative. - Le phénoménologue imagine différentes variations possibles d'un phénomène tout en maintenant constantes certaines caractéristiques essentielles. Par exemple, pour comprendre l'essence d'une chaise, on peut imaginer diverses formes, tailles et matériaux de chaises tout en maintenant constantes les caractéristiques nécessaires qui font de chaque objet une chaise (comme la possibilité de s'asseoir).

• Identification de l'essence. - Après avoir effectué des variations imaginatives, le phénoménologue tente d'identifier les caractéristiques invariables et fondamentales qui définissent l'essence du phénomène. L'essence est ce qui rend ce phénomène ce qu'il est et le distingue d'autres phénomènes.

 â€˘ GĂ©nĂ©ralisation. - Une fois que l'essence a Ă©tĂ© identifiĂ©e, le phĂ©nomĂ©nologue peut gĂ©nĂ©raliser ces caractĂ©ristiques pour dĂ©gager des lois ou des structures universelles qui s'appliquent Ă  toutes les instances du phĂ©nomène en question.

En suivant ces étapes, Husserl cherchait à atteindre ce qu'il appelait l'essence pure des phénomènes, c'est-à-dire la structure fondamentale et invariable de ce qui apparaît à la conscience. Il considérait que cette démarche permettait d'accéder à une connaissance plus fondamentale et plus objective que celle basée sur les jugements empiriques et les interprétations personnelles.

Les structures de la conscience

Les phĂ©nomĂ©nologues ont cherchĂ© Ă  Ă©lucider les diffĂ©rentes facettes de l'expĂ©rience consciente sans prĂ©jugĂ©s ni prĂ©suppositions, en se fondant sur l'idĂ©e que les phĂ©nomènes tels qu'ils se prĂ©sentent Ă  la conscience sont le point de dĂ©part de toute investigation philosophique. Cela les a conduits Ă  s'interroger sur la manière dont la conscience est structurĂ©e, organisĂ©e et fonctionne lorsqu'elle apprĂ©hende le monde. Parmi les principales structures de la conscience identifiĂ©es par la phĂ©nomĂ©nologie, on mentionnera l'intentionnalitĂ©, dont on a dĂ©jĂ  dit le rĂ´le central qu'elle joue dans la construction de la thĂ©orie, la subjectivitĂ© et l'intersubjectivitĂ©,  la perception, la temporalitĂ©, la spatialitĂ© et le langage. L'analyse de ces structures vise ainsi Ă  dĂ©finir les modèles et les relations sous-jacents qui rendent possible notre expĂ©rience consciente. 

L'intentionnalité.
La conscience n'est pas simplement un rĂ©ceptacle qui rĂ©agit Ă  des stimuli. Elle ne se contente pas de recevoir passivement des impressions sensorielles. Elle les structure activement pour leur donner signification. L'expĂ©rience consciente est ainsi toujours relationnelle et tournĂ©e vers un objet (un objet physique, une idĂ©e, une Ă©motion, ou tout autre contenu de la pensĂ©e). Chaque acte de conscience se dĂ©finit par le fait qu'il est toujours une conscience de quelque chose. C'est en ce sens que la phĂ©nomĂ©nologie dit que la conscience est intentionnelle, qu'elle est dirigĂ©e vers un objet ou un contenu intentionnel et ne peut ĂŞtre comprise indĂ©pendamment de cet objet. 

L'intentionnalitĂ© est neutre par rapport Ă  l'existence rĂ©elle de l'objet : la conscience peut tout aussi bien ĂŞtre dirigĂ©e vers un objet qui n'existe pas effectivement dans le monde extĂ©rieur (on peut penser Ă  une licorne , et cette pensĂ©e est tout aussi intentionnelle que la pensĂ©e d'un cheval...). 

Noème et noèse.
La phénoménologie a introduit les notions de noème ( = le contenu intentionnel) et de noèse ( = l'acte intentionnel) et a montré comment ces deux aspects sont interconnectés dans chaque acte intentionnel, et comment ils sont étroitement liés à la conscience elle-même. Elle identifie différents types d'actes intentionnels : la perception, l'imagination, le désir, la croyance, etc. Chacun ayant sa propre structure et sa propre dynamique.

Les deux faces de l'intentionnalité.
La phénoménologie distingue entre deux types de réalités : le transcendantal et l'empirique. Le transcendantal concerne les structures fondamentales de la conscience qui rendent possible toute expérience. Ces structures sont considérées comme universelles et a priori, c'est-à-dire indépendantes de l'expérience concrète individuelle, et les actes intentionnels de la conscience (la perception, par exemple) sont conditionnés par des structures transcendantales qui organisent et rendent possible l'expérience. En contraste, l'empirique se réfère aux aspects concrets et particuliers de l'expérience, liés aux données sensibles et aux faits empiriques spécifiques. Transcendantal et empirique sont complémentaires et conduisent la phénoménologie à distinguer entre l'intentionnalité transcendantale (liée à la conscience pure, sans référence à un monde extérieur) et l'intentionnalité naturelle (liée à la conscience tournée vers le monde empirique).

• L'intentionnalité transcendantale est la caractéristique fondamentale de la conscience d'être toujours une conscience de quelque chose. L'intentionnalité transcendantale est transcendantale dans le sens où elle va au-delà de la simple référence à des objets empiriques particuliers. Elle concerne les structures a priori et universelles de la conscience qui permettent l'expérience intentionnelle en général, indépendamment des contingences empiriques. Dans l'intentionnalité transcendantale, la conscience pure est envisagée comme étant capable de diriger son attention vers des objets idéaux, abstraits ou imaginaires, sans nécessairement faire référence à des objets concrets du monde extérieur.
• L'intentionnalité naturelle est la manière dont la conscience est orientée naturellement vers le monde empirique qui l'entoure. Contrairement à l'intentionnalité transcendantale, qui concerne la capacité de la conscience à se diriger vers des objets idéaux ou imaginaires, l'intentionnalité naturelle se concentre sur la relation de la conscience avec le monde réel et concret. Dans l'intentionnalité naturelle, la conscience est toujours tournée vers des objets dans le monde extérieur (objets physiques, personnes, événements, etc.). C'est cette orientation vers le monde empirique qui permet à la conscience de s'engager activement avec son environnement, de percevoir des objets, d'avoir des expériences sensorielles et de participer à la réalité quotidienne.
La subjectivité et l'intersubjectivité.
La subjectivitĂ© se rapporte Ă  la perspective unique de chaque individu sur le monde. Chaque personne perçoit le monde en fonction de son histoire, de ses Ă©motions, de ses croyances et de ses prĂ©jugĂ©s personnels. L'expĂ©rience subjective est le point de dĂ©part de toute investigation philosophique, car la conscience est le lieu oĂą l'expĂ©rience subjective se produit, elle en est le pivot. 

La phĂ©nomĂ©nologie reconnaĂ®t aussi que les individus partagent un monde commun et communiquent entre eux. L'intersubjectivitĂ© se rĂ©fère Ă  la manière dont les expĂ©riences subjectives peuvent ĂŞtre partagĂ©es et comprises par d'autres, crĂ©ant ainsi un monde commun de significations. La question est alors de savoir quelles sont les structures communes de l'expĂ©rience qui sont partagĂ©es entre les individus, mais aussi comment l'intersubjectivitĂ© se dĂ©ploie dans le temps, de quelle la manière les relations Ă©voluent, se transforment et influencent l'expĂ©rience temporelle de chacun. 

Moi transcendantal et moi empirique.
La distinction que fait Husserl entre transcendantal et empirique se retrouve dans l'analyse qu'il fait du moi

• Le moi empirique se réfère à l'individu concret, à la personne en tant qu'entité psychologique et physique distincte. C'est le moi que nous expérimentons dans notre vie quotidienne, avec toutes nos expériences, émotions, pensées et sensations. Le moi empirique est façonné par des facteurs tels que l'éducation, la culture, les expériences personnelles et les influences sociales.

• Le moi transcendantal est un concept plus abstrait, et représente aussi une dimension plus fondamentale de la subjectivité. C'est le moi qui rend possible toute expérience consciente et est le fondement de la conscience et de l'activité cognitive. Husserl considère le moi transcendantal comme un point de départ nécessaire pour comprendre la réalité. C'est le moi qui donne une structure à notre expérience du monde. Husserl soutient en outre que le moi transcendantal n'est pas simplement le moi individuel, mais plutôt un moi qui transcende les limites de l'individu pour être la condition de possibilité de toute expérience.Dans cette perspective, le moi transcendantal n'est pas limité par le temps, l'espace ou d'autres caractéristiques empiriques, mais il est universel et intemporel, assurant la continuité de l'individu à travers ses expériences. La notion de moi transcendantal permet aussi de comprendre comment l'intersubjectivité émerge dans l'acte de perception.

L'alter ego.
L'altérité, c'est-à-dire la manière dont nous comprenons et réagissons à l'autre en tant qu'altérité radicale, différente de nous-mêmes, est un défi que la phénoménologie a relevé en étudiant les possibilités de la rencontre avec autrui, notamment au travers de la notion d'alter ego. L'alter ego, l'autre moi, c'est à l'autre en tant que sujet conscient. Lorsque nous interagissons avec d'autres personnes, nous ne les percevons pas seulement comme des objets, mais nous les expérimentons comme des sujets conscients, ayant eux aussi leur propre perspective et intentionnalité. La conscience de l'autre contribue à la constitution de notre propre conscience. Cela posé, Husserl analyse la manière dont nous attribuons des significations partagées et se façonne ainsi notre compréhension du monde. Il y a une co-constitution de la réalité.

La perception.
La perception est l'acte par lequel la conscience apprĂ©hende les phĂ©nomènes, qu'ils soient des objets physiques, des Ă©vĂ©nements, des sensations, etc. Elle est le moyen par lequel le monde se prĂ©sente Ă  la conscience. 

La phĂ©nomĂ©nologie s'intĂ©resse Ă  l'expĂ©rience perceptuelle, Ă  la relation entre le sujet et l'objet, Ă  la structure temporelle de la perception, etc. Elle insiste en particulier sur la manière dont le corps, mĂ©diateur entre le sujet percevant et le monde extĂ©rieur,  joue un rĂ´le central dans la perception. Elle souligne que nous percevons les objets depuis une perspective naturelle, c'est-Ă -dire depuis notre position corporelle et notre point de vue personnel. 

Les phĂ©nomĂ©nologues ont Ă©galement  analysĂ© la manière dont les sensations et les Ă©motions sont intĂ©grĂ©es dans l'expĂ©rience perceptuelle, ainsi que la manière dont nous partageons par la perception un monde commun de significations et d'expĂ©riences avec autrui.
 

Temporalité.
La conscience est intrinsèquement temporelle, c'est-à-dire qu'elle s'inscrit dans le flux du temps. Heidegger a développé une phénoménologie de la temporalité, qui met l'accent sur la manière dont le temps structure notre expérience : le temps n'est pas seulement un contexte dans lequel les phénomènes se déroulent, il fait partie intégrante de la manière dont la conscience appréhende et structure le monde. Cela conduit la phénoménologie à distinguer le temps objectif, mesuré par les horloges et les calendriers, du temps phénoménal, qui se réfère à la manière dont le temps est vécu et interprété par chaque individu. Cette distinction a mis en lumière la subjectivité de l'expérience du temps.

Avec Husserl qui parle de temporalitĂ© intentionnelle, la phĂ©nomĂ©nologie distingue traditionnellement trois moments temporels fondamentaux,  vĂ©cus dans l'expĂ©rience quotidienne : le passĂ©, le prĂ©sent et le futur. Notre expĂ©rience du temps est orientĂ©e vers le futur, et notre conscience est toujours en attente de ce qui va se produire.  Elle reconnaĂ®t en outre deux autres aspects de la temporalitĂ© : la rĂ©tention qui se rĂ©fère Ă  la manière dont le passĂ© est maintenu dans le prĂ©sent, et la protention qui fait rĂ©fĂ©rence Ă  la manière dont le futur est anticipĂ© dans le prĂ©sent. Ces deux phĂ©nomènes permettent Ă  la conscience de former une continuitĂ© temporelle et d'ĂŞtre ainsi conscience de la durĂ©e, de la succession, de la simultanĂ©itĂ© et d'autres aspects temporels de l'expĂ©rience. Maurice Merleau-Ponty, en particulier, a Ă©tudiĂ© la manière dont nous retenons le passĂ© et comment cela affecte notre perception du prĂ©sent.

La phénoménologie s'est penchée sur la manière dont nous percevons notre propre temporalité, sur la manière dont nous nous percevons comme des êtres en devenir, toujours en transition, entre le passé et le futur. Elle s'est également intéressée à la manière dont le temps est partagé entre les individus dans un contexte social. Alfred Schütz, par exemple, a étudié la manière dont nous partageons nos expériences temporelles avec les autres et à la manière dont nous pouvons comprendre la temporalité sociale.

La spatialité.
La spatialitĂ© concerne la manière dont la conscience apprĂ©hende l'espace et la disposition des objets dans l'environnement, et comment l'espace est intĂ©grĂ© dans l'expĂ©rience consciente. Comment les phĂ©nomènes spatiaux  se prĂ©sentent-ils Ă  la conscience? Comment interviennent-ils dans notre expĂ©rience quotidienne du monde? Comment les objets sont-ils situĂ©s les uns par rapport aux autres? comment il sont-ils perçus dans diffĂ©rentes perspectives, et comment l'espace s'organise autour des objets? 

L'espace, pour la phĂ©nomĂ©nologie, de la mĂŞme façon que le temps, ne constitue pas simplement un contexte passif dans lequel les phĂ©nomènes se dĂ©roulent, mais il est une dimension active de la manière dont la conscience apprĂ©hende et structure le monde. Elle s'intĂ©resse donc Ă  l'espace tel qu'il est vĂ©cu par la conscience, plutĂ´t qu'Ă  l'espace abstrait et objectif tel que la gĂ©omĂ©trie le dĂ©crit. Elle a Ă©laborĂ© la notion d'espace vĂ©cu (ou espace habitĂ©) pour comprendre comment les individus vivent et habitent des espaces spĂ©cifiques et comment ces espaces sont investis de sens. Husserl a abordĂ© la question de la constitution ou la construction de l'espace. Il a cherchĂ© Ă  comprendre comment l'espace est construit dans la conscience Ă  travers des actes perceptifs, comment il est organisĂ© en tant que champ de prĂ©sence, et comment il est rendu cohĂ©rent. 

Merleau-Ponty a, pour sa part, développé une phénoménologie de l'espace corporel, qui interroge la manière dont notre corps est enraciné dans l'espace et comment il structure notre perception spatiale. L'espace est intimement lié au corps : il est vécu à travers le corps, en termes de perspectives, de déplacements et d'interactions corporelles avec le monde. La spatialité est donc intimement liée à la subjectivité de l'observateur. Elle relève également de l'intersubjectivité, puisque la question se pose aussi de savoir comment l'espace peut être partagé avec d'autres, comment nous partageons un monde commun de significations et d'expériences avec autrui.

Langage.
Le langage est un moyen d'exprimer et de comprendre notre expĂ©rience subjective.  Il permet de traduire les pensĂ©es, les Ă©motions, les perceptions et les intentions en mots et en discours. La phĂ©nomĂ©nologie analyse comment le langage est utilisĂ© pour dĂ©crire les phĂ©nomènes et comment il peut influencer la manière dont nous comprenons le monde. Martin Heidegger s'est particulièrement intĂ©ressĂ© Ă  la relation entre le langage et l'expĂ©rience.

En formulant des idĂ©es et en les exprimant verbalement, nous sommes en mesure de structurer et de  clarifier nos propres pensĂ©es et de les dĂ©velopper. Le langage facilite la rĂ©flexion et la conceptualisation de l'expĂ©rience. Le langage permet ainsi aux individus de donner une forme explicite Ă  leur expĂ©rience subjective, de partager cette expĂ©rience avec d'autres, et d'analyser la signification et la structure des phĂ©nomènes. 

Les phénoménologues s'intéressent aussi aux actes de langage, c'est-à-dire aux différentes façons dont le langage est utilisé pour accomplir des tâches communicatives (décrire, interroger, promettre, etc.). Ils étudient comment ces actes de langage sont liés aux intentions et à la conscience. Ils étudient également la manière dont le langage peut à la fois révéler et limiter notre perception et notre compréhension des phénomènes. Ils ont ainsi contribué au développement de la linguistique phénoménologique, tournée vers l'expérience subjective du locuteur et de l'auditeur et qui est une approche qui s'oppose à la linguistique descriptive, concentrée sur la structure formelle du langage.

La néo-phénoménologie

La nĂ©o-phĂ©nomĂ©nologie est une approche philosophique contemporaine qui s'inscrit dans la lignĂ©e de la phĂ©nomĂ©nologie de Husserl, mais qui vise Ă  renouveler et Ă  rĂ©interprĂ©ter cette doctrine en se confrontant aux enjeux philosophiques, scientifiques et culturels du XXIe siècle. Comme la phĂ©nomĂ©nologie classique, la nĂ©o-phĂ©nomĂ©nologie met l'accent sur l'intentionnalitĂ©, c'est-Ă -dire la manière dont la conscience est toujours orientĂ©e vers quelque chose. Elle est engagĂ©e dans le dialogue interdisciplinaire et interphilosophique, intĂ©grant des idĂ©es provenant d'autres traditions philosophiques comme l'existentialisme, la philosophie analytique ou le pragmatisme, pour enrichir sa propre perspective. Elle se montre Ă©galement attentive aux dĂ©couvertes et aux concepts issus des sciences cognitives, afin d'intĂ©grer des idĂ©es des neurosciences, de la psychologie et de la philosophie de l'esprit dans sa rĂ©flexion sur la nature de la conscience et de l'expĂ©rience. 

Parmi les thèmes de la nĂ©o-phĂ©nomĂ©nologie, on trouve une rĂ©flexion sur la manière dont l'omniprĂ©sente technologie affecte notre expĂ©rience du monde et comment elle transforme notre conscience et nos interactions. Elle s'intĂ©resse Ă©galement Ă  la manière dont notre expĂ©rience du monde est influencĂ©e par notre corps et notre incorporation dans le monde au travers des questions relatives Ă  la corporĂ©itĂ©. Enfin, comme la phĂ©nomĂ©nologie, la nĂ©o-phĂ©nomĂ©nologie considère la temporalitĂ© - le temps et l'histoire - comme un Ă©lĂ©ment central de l'expĂ©rience humaine, sa comprĂ©hension et son vĂ©cu du monde. Voici quelques philosophes contemporains souvent citĂ©s comme Ă©tant associĂ©s Ă  la nĂ©o-phĂ©nomĂ©nologie (dont ils ne se rĂ©clament pas nĂ©cessairement) ou qui ont contribuĂ© Ă  son dĂ©veloppement 

Quelques noms de la phénoménologie

Les philosophes suivants ont contribuĂ© de façon significative Ă  l'Ă©laboration et Ă  l'expansion de la phĂ©nomĂ©nologie : 
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La phénoménologie avant la phénoménologie

• Emmanuel Kant (1724-1804) a influencé la phénoménologie en posant des questions sur la nature de la connaissance, la perception, et la subjectivité. Sa distinction entre le phénomène (ce qui apparaît à la conscience) et le noumène (ce qui existe indépendamment de la perception) a jeté les bases pour les réflexions ultérieures sur la perception phénoménologique.

• Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) a contribué à la réflexion sur la conscience subjective et sur la manière dont le Je constitue le monde. Ses idées sur le sujet en tant qu'acte de poser des objets dans la conscience ont influencé la phénoménologie.

• Franz Brentano (1838-1917) a enseignĂ© Husserl et a dĂ©veloppĂ© des idĂ©es importantes sur l'intentionnalitĂ©, c'est-Ă -dire la manière dont les actes mentaux sont dirigĂ©s vers des objets dans le monde. 

 â€˘ Hermann Lotze (1817-1881) a Ă©galement influencĂ© la rĂ©flexion sur l'intentionnalitĂ© et la manière dont la conscience est tournĂ©e vers le monde. Ses idĂ©es ont eu un impact sur les premières rĂ©flexions de Husserl.

• Carl Stumpf (1848-1936) a contribué au développement de la psychologie descriptive et expérimentale, qui a influencé la démarche méthodique de Husserl dans la recherche phénoménologique.

• Max Scheler (1874-1928) a apporté des contributions importantes à la phénoménologie axiologique en se penchant sur les questions de valeurs, d'éthique, et de la place de la personne dans le monde.

La phénoménologie du XXe siècle

• Edmund Husserl (1859-1938) a dĂ©veloppĂ© les concepts et la mĂ©thodologie de base de la phĂ©nomĂ©nologie dans son oeuvre majeure, Recherches logiques (Logische Untersuchungen). 

• Martin Heidegger (1889-1976), bien qu'il ait Ă©tĂ© fortement influencĂ© par Husserl, a dĂ©veloppĂ© sa propre interprĂ©tation de la phĂ©nomĂ©nologie, connue sous le nom d'hermĂ©neutique phĂ©nomĂ©nologique. Il a Ă©crit sur l'existence, l'ĂŞtre-au-monde, l'authenticitĂ© et la temporalitĂ©, notamment,  dans Etre et Temps.

• Xavier Zubiri (1898-1982), philosophe dont la pensée est souvent associée à la phénoménologie, a développé une approche originale de la philosophie, en mettant l'accent sur la réalité concrète, l'intelligence et la métaphysique.

• Luigi Pareyson (1918-1991) a dĂ©veloppĂ© une phĂ©nomĂ©nologie  hermĂ©neutique de l'esthĂ©tique, mettant l'accent sur l'interprĂ©tation et la crĂ©ativitĂ© dans l'art.

• Jean-Paul Sartre (1905-1980), philosophe existentialiste, a utilisé la méthode phénoménologique pour aborder les questions de la liberté, de l'existence, et de la responsabilité. Son oeuvre L'Être et le Néant est un texte influent en phénoménologie existentielle.

• Jan Patočka (1907-1977), phénoménologue existentialiste, a mis l'accent sur la vie incarnée, la dimension corporelle de l'existence humaine, et a développé une philosophie de la responsabilité (responsabilité envers soi-même et envers autrui).

• Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) était un philosophe associé à la phénoménologie existentialiste. Il a étudié la perception, le corps et l'expérience corporelle dans des oeuvres telles que Phénoménologie de la perception.

 â€˘ Emmanuel Levinas (1906-1995) a dĂ©veloppĂ© une phĂ©nomĂ©nologie Ă©thique qui met l'accent sur l'altĂ©ritĂ© et la responsabilitĂ© envers autrui. Son oeuvre TotalitĂ© et infini a eu un impact sur la philosophie morale contemporaine.

La néo-phénoménologie

• Hubert Dreyfus (1929-2017)a apporté des contributions importantes à la réinterprétation de la phénoménologie dans le contexte de la technologie et de l'intelligence artificielle.

• Alphonso Lingis (né en 1933), influencé par Merleau-Ponty, a travaillé sur des thèmes tels que la corporéité, le voyage, l'éthique et la perception.

• Jean-Luc Nancy (1940-2021) a étudié la notion de communauté et de corporéité dans une perspective phénoménologique. Son travail remet en question les conceptions traditionnelles de l'identité individuelle et de la présence, insistant plutôt sur la relation et la coexistence.

• Jean-Luc Marion (né en 1946) a introduit le concept de saturité phénoménale, qui renvoit à la manière dont les phénomènes se donnent à nous de manière excessive, dépassant notre capacité à les saisir complètement. Sa réflexion sur la donation concerne le don des phénomènes eux-mêmes.

• Shaun Gallagher (né en 1948) s'est particulièrement intéressé aux questions liées à l'embodiment et à la conscience.

• Dermot Moran (né en 1953 ) a contribué à l'étude de Husserl et de la phénoménologie dans le monde contemporain.

• Sara Heinämaa (née en 1963), spécialiste de Merleau-Ponty, a également étudié les questions de genre et d'ontologie dans le contexte de la phénoménologie.

• Dan Zahavi (né en 1967) a contribué de manière significative à la phénoménologie contemporaine en examinant les questions de l'intersubjectivité et de la conscience.

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Dictionnaire Idées et méthodes
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