|
Destinée
humaine. - L'être humain a une fin. Que l'on considère
cette fin comme un but prévu et voulu par un créateur, ou
qu'on la considère comme le terme, naturel de l'existence
humaine, il n'en est pas moins vrai que cette fin existe. Seulement cette
fin ne mérite proprement d'être appelée une destinée
que dans l'hypothèse d'une volonté
supérieure qui aurait créé l'humain en vue d'un but.
Dans l'hypothèse contraire, la vie humaine arriverait à son
terme, sans y être aucunement adressée, par le jeu seul des
forces mécaniques de la nature. Quoi qu'il
en soit, nous pouvons dire qu'il y a autant de manières de concevoir
notre destinée qu'il y a de façons de résoudre le
problème métaphysique. Ainsi,
selon la doctrine professée, la croyance
sur la destinée devra changer. Or, les trois principales doctrines
métaphysiques, celles auxquelles peuvent sa ramener toutes les autres
sont : le matérialisme, le panthéisme
et le spiritualisme. Il y aura donc trois
principales conceptions de l'humaine destinée.
Dans l'hypothèse
matérialiste, l'humain n'étant
qu'un composé de molécules matérielles, n'a d'autre
destinée que la dissolution et la mort. Dès qu'il cesse de
vivre, il cesse d'être et tout est fini pour lui. Ses atomes corporels
subsistent, mais rien ne les retient plus; ils se décomposent, se
désagrègent et se séparent pour aller former de nouveaux
composés. Comme d'ailleurs, dans cette hypothèse, le monde
entier et la vie humaine ne sont que les résultats des forces brutes
inséparables de la matière,
on ne saurait assigner à la vie un but quelconque. Il n'y a nulle
part de causes finales, la vie humaine ne
saurait en avoir une. L'humanité ne sert à aucun dessein
supérieur. Si donc notre vie a une fin, ce n'est que parce que nous
lui en assignons une. C'est, en effet, une manière de penser nous
est naturelle que de proposer des buts à notre activité.
Sans doute, au point de vue purement matérialiste, ce n'est là
qu'une illusion, mais c'est une illusion universelle
à laquelle le mécaniste
le plus convaincu ne saurait échapper, et, par conséquent,
tout humain qui réfléchit arrive à proposer à
sa vie un but général vers lequel il oriente ou croit orienter
ses actions. La maxime générale d'action, qui devient ainsi
la règle de sa conduite, n'a certainement
aucun résultat sur ses actions mêmes, puisque tout le détail
de sa vie est réglé par le jeu des lois mécaniques,
puisqu'il n'est qu' « un théorème
qui marche », ou peut cependant apprécier différemment
cette maxime, et par conséquent la destinée de chaque vie,
selon la quantité de bien et de mal qu'elle apportera dans le monde.
Ce bien et ce mal devront être mesurés d'après le plaisir
et la douleur, car, aux yeux de la science pure,
tous les mouvements, tous les phénomènes
ont une égale valeur ; seule, la sensibilité
établit des différences et déclare bons les phénomènes
qui lui agréent, mauvais ceux qui lui déplaisent. Ainsi le
plaisir et la douleur sensibles, dans un système
matérialiste, sont les seules règles de la bonté des
choses, de la bonté, par conséquent, des règles d'action,
des maximes de vie. Si maintenant on considère les vies humaines,
on verra que beaucoup d'entre elles, que la plupart ne se proposent comme
but que leur bonheur propre et individuel; la destinée qu'elles
se proposent est égoïste; quelques
natures se proposent le bonheur d'autrui; elles
visent moins à satisfaire leur sensibilité propre que la
sensibilité de leurs semblables ; leur destinée est donc
altruiste. Il est incontestable que cette seconde
destinée, s'adressant à tous et non plus à un seul,
procure des plaisirs plus nombreux, et par suite doit être déclarée
supérieure à la première. L'altruisme est donc supérieur
à l'égoïsme et saint Vincent de Paul vaut plus qu''Héliogobale.
C'est ce qu'Auguste Comte avait parfaitement vu.
Le matérialisme doit donc dire : La vie humaine se termine naturellement
à la mort et, en réalité, n'a point de destinée
véritable. Au point de vue humain, chaque vie paraît orientée
vers un but et on peut distinguer deux sortes de buts : le bonheur individuel,
l'égoïsme; le bonheur universel, l'altruisme. Il y a donc deux
destinées apparentes de la vie humaine,
toutes deux également nécessaires,
également légitimes, mais dont la seconde paraît à
notre sensibilité supérieure à la première.
Pour le panthéisme,
tous les êtres de la nature
sont des émanations (Système
de l'émanation), des modes, des reflets de la substance
universelle et divine, qui est partout répandue. L'existence personnelle
se termine à la mort, mais la vie se prolonge par delà. Le
principe divin qui est en chaque humain fait
retour à la pensée universelle dont
il est un mode, de même que les matériaux du corps retournent
à la matière universelle d'où ils sont sortis. L'âme
prolonge éternellement sa vie, soit qu'elle vienne se perdre dans
l'océan de la vie divine, soit qu'elle serve à animer d'autres
corps, ainsi que le croient les Hindous
et que l'ont cru Pythagore et Platon
lui-même. Dans la premier cas, l'âme n'apparaît un moment
à la surface de l'être que pour disparaître tout de
suite après. Dans le second cas, l'âme a une succession indéfinie
d'existences très variées. C'est ce qu'on appelle la métempsycose.
Mais, dans les deux cas, ce qui nous paraît constituer le plus essentiel
de notre existence, la personnalité, disparaît. Qu'à
la mort l'âme s'absorbe dans le Dieu-Tout, ou qu'elle aille animer
un autre corps, elle perd également la conscience et la mémoire
de la vie qu'elle vient de terminer. Ici donc, comme dans l'hypothèse
matérialiste, la fin véritable de l'humain se termine à
la mort. Les éléments impersonnels de notre être peuvent
éternellement subsister, nous n'en sommes pas moins morts tout entiers.
Rien ne subsiste de ce qui fut Socrate, et heureusement
aussi Alexandre, César
ou Napoléon. Les effets de leur existence
se sont prolongés longtemps après eux et se prolongent encore,
mais eux ont tout entiers disparu au moment où ils sont morts. Le
panthéisme supprime donc, comme le
matérialisme, toute destinée
humaine et le fait d'autant mieux que, pas plus que le matérialisme,
il n'admet que rien dans le monde soit adressé à une fin.
Il croit que tous les événements du monde se déroulent
selon la loi-immanente
et nécessaire qui préside à
l'évolution de la nature divine. L'avenir
n'est pas prévu ni voulu; il est ce qu'il doit âtre, nécessairement
amené par le présent et par le passé. Ici cependant,
comme dans le matérialisme, l'humain peut se représenter
une maxime générale d'action, se donner l'illusion qu'il
propose un but à sa vie et qu'il se compose une destinée
et, de même que dans le matérialisme, les maximes qu'il peut
se proposer se ramènent à deux, à la maxime égoïste
et à la maxime altruiste, et ainsi le panthéisme doit admettre
deux sortes de destinées : les égoïstes et les altruistes,
égales toutes les deux en nécessité, mais inégales
en valeur au regard de nos appréciations sensibles.
Le spiritualisme
admet en l'humain une âme
spirituelle et immortelle. Il admet, en outre, que l'humain a été
créé par un Dieu
éternel et provident. Tout donc a été créé
en vue d'un but. L'humain aussi a un but et, par conséquent, dans
le véritable sens du mot, une destinée. Il aura d'abord la
destinée générale de la nature
et ensuite une destinée spéciale, appropriée à
son caractère d'humain. Quiconque admet un Dieu, avec les attributs
ordinaires de cet être, doit admettre que Dieu, étant souverainement
intelligent et souverainement bon, ne peut agir qu'en vue des fins les
plus hautes et les meilleures; mais, comme rien ne peut âtre meilleur
que lui-même, Dieu ne peut agit qu'en vue de lui. Possédant
en lui la plénitude de l'être et la béatitude complète,
s'il agit, ce ne peut être que pour ajouter à son être
un rayonnement et une sorte de gloire. Dieu agit pour sa gloire; la destinée
générale de la nature, et, par conséquent, de l'humain,
consiste donc à procurer cette gloire; c'est de là que se
déduit la destinée générale de l'humanité.
Il semble ainsi que
la destinée soit absolument extérieure à l'humain
dans la théorie spiritualiste. Il serait cependant injuste de le
croire. L'humain a une destinée intérieure qui est sa propre
béatitude. Le bonheur, en effet, accompagne toujours l'accomplissement
des lois. L'humain donc qui remplit son essence, qui obéit aux lois
divines, devra posséder la bonheur et le posséder d'autant
plus grand qu'il a obéi avec plus de perfection. On peut donc dire
que, pour le spiritualisme, la destinée humaine consiste à
connaître et à servir Dieu et à obtenir ainsi une béatitude
immortelle. Le christianisme
va même plus loin et fait de la vie future une véritable divinisation.
Le bienheureux participe à la vie divine et jouit du bonheur même
de Dieu. Mais par le fait même que le spiritualisme admet la liberté,
il admet aussi que l'humain par sa faute peut manquer sa destinée,
contrevenir aux lois divines, négliger la science, s'adonner au
vice.
Que devient l'âme
immortelle qui a ainsi contrevenu à sa destinée? Beaucoup
de spiritualistes n'hésitent pas à suivre sur ce point le
christianisme et à dire que son malheur doit être éternel
comme l'eût été son bonheur même; d'autres, comme
Kant, semblent admettre que le sort de l'âme
n'est jamais irrévocablement fixé et qu'elle peut toujours
ou s'amender ou déchoir; d'autres admettent qu'après un temps
d'expiation elle pourra être appelée à animer de nouveaux
corps, de façon à recommencer l'épreuve; d'autres
enfin croient que l'âme qui a manqué sa destinée est,
pour toute punition, privée de l'immortalité et anéantie
de la mort par un décret spécial de Dieu; c'est la théorie
de l'immortalité conditionnelle soutenue par un certain nombre de
protestants. Telles sont les diverses doctrines professées sur la
destinée humaine. Nous n'avions ici qu'à les exposer et non
à les discuter. (G. Fonsegrive). |
|