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Le
temps des Qadjars
La mort, à
Ispahan
d'Abbas III , dernier des Séfévides,
avait fourni à Nadir l'occasion de prendre pour lui-même la
Couronne de Perle (1736). Abandonnant le chiisme
des Séfévides, Nadir rétablit la croyance à
la légitimité des quatre premiers Califes.
Il réduisit les Bakhtiaris; qui se livraient au brigandage dans
les montagnes voisines d'Ispahan; il s'empara de Kandahar
après un long siège (1738), de Kaboul ,
sans coup férir, et entra en Inde la même année:
Il rendit ainsi à la Perse toute sa puissance, mais il devint odieux
par sa cruauté et par son avarice, et fut assassiné en 1747.
L'assassinat de Nadir ouvrit pour la Perse une ère nouvelle de troubles
(règnes d'Adil-Shah, d'Ibrahim-Khan, etc.). L'Afghanistan
en fut détaché par Ahmed-Shah,
fondateur du royaume des Afghans. Cette période d'anarchie s'acheva
par l'usurpation d'un Kurde, Kerim ou Kerym (1751), qui s'empara
de l'autorité, sans prendre le titre de khan ,
mais, sous celui de wekil, c'est-à-dire régent.
Il gouverna avec sagesse et habileté, et mourut en 1779. Un prince
de sang royal, Ali-Mourad, se rendit maître du pouvoir; mais il périt
d'une chute de cheval en 1785. Djafar, beau-frère et successeur
d'Ali-Mourad, fut battu par l'eunuque Agha-Mohammed, d'origine turkmène ,
et de la tribu des Qadjars, qui, après s'être rendu indépendant
dans le Mazandéran, parvint, à force de perfidies et de cruautés,
à fonder la dynastie des Qadjars en 1794.
Sous le regard
des Puissances.
Lorsque le second
souverain qadjar, Feth-Ali-Shah, neveu d'Agha-Mohammed,
qui établit sa résidence à Téhéran ,
monte sur le trône, c'est à l'ambition de plus en plus
évidente de la Russie
que son règne va devoir faire face. Mettant à profit les
rivalités des fils de Kerym, la fin tragique de Agha-Mohammed-Qadjar,
fondateur de la dynastie encore régnante jusqu'au début du
XXe siècle, elle obtient de Feth-Ali
la cession de la Géorgie, dont elle avait essayé en vain
de s'emparer sous le règne de Agha-Mohammed (1813). En 1825, une
nouvelle reprise de la lutte oblige Feth-Ali d'abandonner l'Arménie
jusqu'à l'Araxe, au traité de Turkman-Tchaï (1832).
Ce prince mourut
en 1833, et ce fut son fils, Mohammed-Shah, qui succéda à
son aïeul Feth-Ali, en 1834. A l'instigation
de la Russie, dont l'influence restait prépondérante à
la cour de Téhéran, Mohammed fit en 1837 la guerre à
l'État de Hérat ;
mais les Anglais le forcèrent en 1838 à lever le siège
de la capitale de cet État. Il eut pour successeur en 1848 son fils
Nasr-Ed-Din ou Nasser-Eddin-Shah (1848-1896), qui toujours sous l'influence
russe s'empara de Hérat en 1856; qui dut cependant être évacuée
l'année suivante. Un traité de paix mit fin en 1857 à
une guerre que l'Angleterre avait déclarée à la Perse
en 1856. Les Persans s'emparèrent ensuite du Bélouchistan ,
du Kouhistan
(1860) et s'étendirent au Nord, jusqu'à l'Atrek, malgré
les progrès du fanatisme babi (babisme), qui prêchaient un
égalitarisme d'autant plus attractif que les abus de l'oligarchie
étaient alors patents.
Nasr-ed-Din entrait
à la mosquée
de Schah-Abdul-Azim (mai 1896), lorsque Mirza Mohammed Riza, tira sur lui
un coup de feu, dont il mourut presque immédiatement; le meurtrier
avait été plusieurs fois condamné pour complots. L'avènement
du nouveau shah Mouzaffer-ed-Din, fils de Nasr-ed-Din, fut marqué
par des troubles dans diverses régions du pays; les juifs
furent menacés à Chiraz
et ailleurs. Dans une réception solennelle des principaux dignitaires
du royaume, le nouveau shah déclara faire abandon à perpétuité
de tous impôts sur le pain et la viande, dans toute l'étendue
de son empire.
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Caravane
dans les steppes d'Iran au début du XXe siècle.
En février
1900, près de 20 000 hommes de troupes russes, avec un train de
siège et de grandes quantités de rails, étaient dirigés
sur Merv, dans le but d'accroître l'influence du tsar en Iran ,
à la suite de l'emprunt de 22 millions et demi de roubles en or,
contracté en Russie et garanti par les produits des douanes; cet
emprunt était émis à 5% ; jusqu'à ce qu'il
fût complètement remboursé (en 75 ans), le gouvernement
persan s'engageait à ne conclure aucun autre emprunt à l'étranger
sans le consentement de la Banque de Perse, de création russe. Les
droits de douane perçus dans les ports du golfe Persique
étaient laissés en dehors de la garantie de l'emprunt, ce
qui indiquait, de la part de la Russie, l'intention d'abandonner aux intérêts
britanniques la partie méridionale des domaines du shah. Quant au
reste, la convention le plaçait virtuellement sous la domination
de la Russie, car une des conditions de l'accord était qu'au moyen
des produits du nouvel emprunt, la Perse se libérerait de toutes
obligations pécuniaires antérieures; or, la principale de
ces obligations résultait de l'emprunt anglais de 1892. La Russie
obtenait en même temps des concessions pour la construction de chemins
de fer en Perse, dont un, de Julfa à Hamadan (via Tabriz ),
avec espoir d'embranchement sur Téhéran, fut commencé
sous la surveillance d'officiers de l'état-major russe et terminé
en 1903. Il traverse les districts les plus importants de la Perse pour
la Russie, au point de vue économique comme au point de vue stratégique.
Cette entente russo-persane a été une fois de plus affirmée
par la visite qu'en 1900 le shah fit à Saint-Pétersbourg;
il se rendit aussi à Paris, Vienne et
Istanbul.
La Russie continuait
d'assurer son influence. Elle créait (février 1901) une nouvelle
ligne de navires à vapeur pour le commerce entre Odessa
et Binder, Bouchir, Bander-Abbas et autres localités du golfe Persique,
en même temps que le gouvernement établissait des tarifs exceptionnellement
bas sur les chemins de fer pour les marchandises de toute la Russie transitant
par Odessa.
En 1902, le shah
fit un autre voyage en Europe, visitant la plupart des grandes capitales,
y compris Londres et Paris
: il y revient d'ailleurs presque tous les ans. La Russie fit au shah un
nouveau prêt de 10 millions de roubles par l'intermédiaire
de la Banque de Perse et obtint la concession d'une voie ferrée
de Tabriz
à Téhéran, avec un traité de commerce qui lui
assurait de précieux avantages. Un différend de frontière
s'est produit entre la Perse et l'Afghanistan ,
dans la région du fleuve Helmund, dont le cours est incertain, par
suite du déplacement fréquent de son lit; les Afghans l'auraient
détournée exprès pour enlever aux Persans le moyen
d'irriguer leurs champs. Le major Mac-Mahon partit de la frontière
des Indes avec une escorte considérable pour tâcher de mettre
d'accord à ce sujet Persans et Afghans, et ceci du consentement
des uns et des autres; mais, en Russie, on vit dans cette expédition
une intervention menaçante du gouvernement britannique.
Le 2 février
1903, une mission spéciale anglaise remettait solennellement au
shah, à Téhéran, les insignes de l'ordre de la Jarretière.
Sept jours après, avait lieu entre l'Angleterre et le Perse la signature
d'un nouveau traité de commerce, modifiant avantageusement pour
la première le traité de 1857, abolissant l'affermage de
l'administration des douanes et les droits de transit et admettant chacun
des deux pays au régime de la nation la plus favorisée. Ainsi,
l'Angleterre rétablit un peu l'équilibre rompu à son
détriment pendant deux ans, avec la Russie, qui ne cessait de pousser
ses avantages. On suivit avec attention, en Perse, les péripéties
de la guerre russe-japonaise ; les défaites de 1905 ont moins nui
au prestige du grand empire du Nord, que ce n'eût été
le cas si ce prestige n'était surtout fondé sur des intérêts
financiers. L'ouverture d'une succursale de la Banque russe à Ispahan
était annoncée. Le 8 décembre 1904, le prince Mirza-Khan,
envoyé spécial du shah, remettait à Nicolas II une
lettre autographe de ce dernier, à
l'impératrice un collier de perles et au tsarévitch un portrait
du shah orné de brillants.
Le gouvernement turc,
prétextant des lenteurs de la commission de délimitation
de la frontière turco-persane, a réuni dans cette région
des forces militaires qui ont occupé des territoires revendiqués
par la Perse (15 janvier 1906). L'origine de ce conflit remontait au traité
du 28 juillet 1823, qui devait préciser la frontière des
deux pays entre la Caspienne et le mont Ararat, et qui avait eu pour effet,
au contraire, un état de guerre permanent entre les tribus qui l'avoisinaient
de part et d'autre. Des conventions ultérieures, en 1847, en 1869,
n'avaient pas eu meilleur résultat. Le 1er
mai, une note de la Porte à l'ambassadeur de Perse fit des propositions
conciliantes, que la Perse était toute disposée à
accepter.
Le régime
des Qadjars, intérieurement affaibli par ses accords défavorables
signées en 1900 avec la Russie et trois ans plus tard avec l'Angleterre,
s'est heurté au tout début du XXe
siècle à une forte opposition intérieure qui a conduit
le shah Mazzafer ed-Dîn, conseillé par l'Angleterre, à
l'octroi d'une constitution (qui si elle ne fut pas appliquée sur
toute la période, allait rester en vigueur du moins sur le papier
jusqu'à la Révolution islamique en 1979), et à l'inauguration
solennelle, au mois d'août 1906, à Téhéran,
d'un Parlement (le Majles). Le renoncement à ces dispositions
par Mohammed Ali, le successeur de Mazzafer ed-Dîn, en 1908
conduit à un soulèvement et, l'année suivante à
l'installation sur le trône d'un nouveau monarque, Shah Ahmed. Celui-ci
se maintiendra en place jusqu'en 1925, mais le pouvoir effectif, à
partir de 1921, passera entre les mains de Rezâ Pahlavi, un cosaque
persan, tombeur au final de la dynastie des Qadjars et fondateur de celle
des Pahlavi. (A19). |
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