 |
Théorie
des idées-images, théorie philosophique
dans laquelle les idées sont considérées, suivant
le sens étymologique de leur nom (en grec éidos, idea,
forme, image), comme de véritables images des
objets, et comme étant elles-mêmes l'objet immédiat
auquel l'esprit s'applique dans le phénomène
de la perception. La théorie des Idées-images,
on, comme l'on dit encore, des Idées représentatives, semble avoir eu
pour origine l'impossibilité de donner une explication
posititive de la perception; mais, en substituant la perception de l'idée
à celle de la chose même, on ne faisait que déplacer la difficulté,
si même on ne la compliquait. C'est dans la philosophie
atomistique qu'il semble avoir été fait pour la première fois mention
des idées. Démocrite supposait que ce que
nous appelons la perception est produit par certaines émanations des corps,
qui pénètrent jusqu'à l'âme et viennent s'y imprimer,
en passant par les organes des sens. Ces émanations
ou effluves sont des figures semblables aux corps dont elles se détachent.
Telle fut aussi la doctrine d'Épicure; Lucrèce,
qui nous l'a transmise, donne aux émanations les noms de vestigia,
simulacra (traces, images); et enseigne expressément que c'est
ainsi que nous connaissons non seulement les formes, mais les odeurs, les
saveurs, les sons, en un mot toutes les propriétés
des corps.
Telle est la théorie
des Idées-images sous sa forme la plus naïve, la plus grossière sans
doute, mais la plus intelligible
encore et la moins illogique. Car, quelques objections que soulèvent toutes
les parties du système, à ne le prendre que dans son principe, on comprend
jusqu'à un certain point que des images matérielles fassent impression
sur une âme matérielle, formée, comme tout le reste; d'atomes agrégés.
Mais que penser de l'inconséquence des philosophes qui reconnaissent la
spiritualité de l'âme et conservent néanmoins l'hypothèse des Idées-images?
Aristote, ses disciples, presque toute la philosophie
scolastique, Locke
enfin, ont mérité ce reproche. Le premier pensait que l'âme ne reçoit
la notion des objets extérieurs que par un intermédiaire, celui-là même
qu'il appelle formes, ou idées sensibles.
"Le
sens, dit-il, est ce qui est capable de recevoir ces idées sans en recevoir
la matière."
Et tous les efforts
de l'école tendent effectivement à expliquer comment les idées se spiritualisent,
pour ainsi dire, en passant du dehors au dedans. On peut prendre une notion
sommaire, mais assez exacte, des artifices et des subtilités de pensée
et de langage auxquelles le péripatétisme
a eu recours pour atteindre ce but, en lisant le chapitre que Malebranche
(Recherche de la vérité, I.III, IIe partie, ch. 2) a consacré
à la critique de ce système. Quoi qu'il en soit, les doctrines d'Aristote,
transportées presque de toutes pièces dans la scolastique, y perpétuèrent
la tradition des Idées-images, sous le nom d'Espèces.
et, malgré les rares protestations de quelques esprits plus indépendants,
tels que Duns Scot, qui trouvait avec raison
que l'idée ainsi comprise n'est qu'un embarras de plus, on continua de
croire et d'enseigner que la perception des objets n'est possible que par
l'intermédiaire des idées, et que celles-ci sont les images des choses.
La philosophie
cartésienne finit, il est vrai, par entendre les idées dans un tout
autre sens; mais Locke conserva l'ancienne théorie :
"
Il est évident, dit-il il, que l'esprit ne connaît pas les choses immédiatement,
mais seulement par l'intermédiaire des idées qu'il en a, et, par conséquent,
notre connaissance n'est a vraie qu'autant qu'il y a de la conformité
entre nos idées et leurs objets."
Or, ou ces paroles ne
signifient rien, ou l'idée ne peut être conforme à l'objet qu'autant
telle en est la copie, c.-Ã -d. l'image; et ici se reproduisent avec toute
leur force les objections qu'on aurait pu également élever contre les
simulacra des Épicuriens, contre les
formes ou idées péripatéticiennes, et
contre les espèces scolastiques. Si l'image est matérielle, en quoi la
perception de cette matière est-elle plus explicable que celle de la matière
des corps eux-mêmes? Et que fait-on autre chose que de doubler la difficulté
ou de la déplacer? En outre, comment concevoir ces images circulant Ã
travers l'espace, s'y croisant, s'y heurtant,
ces milliers d'images semblables ou différentes, émises simultanément
par un objet que perçoivent des milliers de spectateurs? Et si, avec beaucoup
de bonne volonté, on peut admettre un instant que les images des choses
visibles fassent impression sur une âme matérielle, à la façon du cachet
sur la cire, que sera-ce lorsqu'il s'agira des images du son, de la résistance,
etc., et de l'impression faite par ces images matérielles sur une âme
immatérielle? Suppose-t-on des images immatérielles? Ce sont d'autres
contradictions : que peut-on entendre par des images immatérielles de
la matière? Comment procèdent-elles des corps, et comment agissent-elles
sur l'âme?
Enfin, de quelque
côté qu'on prenne la théorie des Idées-images, quelques modifications
qu'on lui fasse subir, elle aboutit toujours à un ensemble de résultats
absurdes, dont le plus curieux peut-être est celui que Berkeley
et Hume ont très logiquement déduit de la doctrine
de Locke, savoir, que les corps n'existent pas,
ou, ce qui revient au même pour nous, que nous ne savons absolument rien
de leur existence, puisque, ne les connaissant que par les idées et n'ayant
aucun moyen de comparer celles-ci à leurs prétendus originaux, nous ne
savons, Ã proprement parler, ni si elles leur ressemblent, ni si ces originaux
existent réellement. Ainsi, le scepticisme
le plus complet, ou, si l'on se décide résolument pour la négative,
le nihilisme, telle est la conséquence forcée
du système des Idées-images. (B-e.). |
|