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Le Moyen Âge
Les premières croisades (1096 - 1204)
La première croisade eut lieu de 1096 à 1100, sous le pontificat d'Urbain II : prêchée par Pierre l'Ermite, puis par Urbain lui-même, elle eut pour chefs Godefroy de Bouillon (Les Enfances de Godefroi de Bouillon), Eustache et Baudouin, ses frères; Hugues de Vermandois, Robert II, duc de Normandie, Boémond, prince de Tarente, Tancrède, son neveu, et Raymond de Toulouse. Les faits les plus importants de l'expédition sont la bataille de Dorylée (1097), où les Musulmans furent entièrement défaits; la prise de Nicée, d'Edesse (1097), d'Antioche (1098) et celle de Jérusalem (1099). Les Croisés formèrent à Jérusalem un royaume chrétien, dont ils déférèrent la couronne à Godefroy de Bouillon; et dans les villes voisines plusieurs principautés, où régnèrent les autres chefs des croisés.

La deuxième  croisade, de 1147 à 1149, entreprise sous le pontificat d'Eugène III, et prêchée par Saint Bernard, eut pour chefs Louis VII, roi de France, et Conrad, empereur d'Allemagne (1147). Ces deux princes n'éprouvèrent que des revers. Ils étaient cependant sur le point de prendre Damas (1148), lorsque la discorde se mit entre les seigneurs de leurs armées, et les contraignit à revenir en Europe

La troisième croisade, de 1189 à 1193, fut entreprise sous le pontificat de Clément III, et prêchée par Guillaume, archevêque de Tyr. Il s'agissait de reconquérir Jérusalem, retombée au pouvoir des musulmans en 1187. Trois souverains partirent avec de nombreuses armées pour la Terre-Sainte : Philippe-Auguste, roi de France, Richard Coeur de Lion, roi d'Angleterre, et Frédéric-Barberousse, empereur d'Allemagne. Mais le succès ne répondit point à l'espérance générale : l'armée de Frédéric fut presque entièrement détruite en Asie, et lui-même il périt en Cilicie (1190); les deux autres princes s'emparèrent de St-Jean-d'Acre, mais, une fâcheuse rivalité s'étant établie entre eux, Philippe revint bientôt en France (1191), et tout le courage de Richard n'aboutit qu'à obtenir de Saladin une trêve de 3 ans.

La quatrième croisade, de 1202 à 1204, prêchée par Foulques de Neuilly sous le pontificat d'Innocent III, fut dirigée par Baudouin IX, comte de Flandre, Villehardouin, sénéchal de Champagne  Boniface II, marquis de Montferrat, et Enrico Dandolo, doge de Venise. L'armée des chrétiens n'alla pas plus loin que Constantinople. Elle en chassa d'abord l'usurpateur Alexis l'Ange (1203), et plaça sur le trône Alexis le Jeune; l'année suivante, elle reprit Constantinople sur un nouvel usurpateur, Ducas Murtzuphle, mais cette fois ses chefs se partagèrent l'empire grec : Baudouin eut le titre d'empereur; les Vénitiens s'emparèrent des plus belles stations maritimes. 

La première croisade

Si Grégoire VII conçut le premier l'idée d'une expédition armée en faveur des chrétiens d'Orient, c'est à Urbain Il que revient la responsabilité d'avoir donné à ce projet une forme et un objectif bien définis. Sans nous arrêter aux légendes qui se formèrent dès la fin du XIe siècle, prétendue lettre d'Alexis Comnène au comte de Flandre, pèlerinage et vision de Pierre l'Ermite, nous allons exposer le peu de faits certains que l'on connaisse. Soit dans le désir d'affirmer ses droits à la tiare que lui disputait l'antipape Guibert, archevêque de Ravenne, soit pour créer une diversion favorable aux chrétiens d'Espagne, accablés par les Almoravides (on savait si peu de chose alors de l'état politique du monde musulman que cette dernière hypothèse n'est pas absolument invraisemblable), le pape Urbain II se résolut à prêcher et à faire prêcher la guerre sainte. Peut-être fut-il question de cette rave affaire au concile de Plaisance (mars 1095), mais ce tut certainement au concile de Clermont tenu au mois d'août suivant que la première croisade fut décidée. Urbain, dans un discours ardent, dont la substance nous a été conservée, invitait tous les fidèles à s'armer pour secourir leurs frères captifs, pour arracher les lieux saints à la tyrannie et aux insultes des mécréants; il invoquait le témoignage des chrétiens d'Occident, victimes des cruautés des Turcs, promettait la vie éternelle à ceux qui succomberaient pour cette sainte cause. Cette parole enflammée souleva l'Europe entière; la ferveur religieuse, le goût des aventures et de la vie active, le besoin instinctif de fuir les misères de l'existence, telles sont les causes principales de la première croisade.

Des prédicateurs populaires se chargèrent de propager la bonne parole. Le plus célèbre fut Pierre l'Ermite; il n'avait jamais pu, quoi qu'en dise la légende, visiter Jérusalem et il n'avait certainement rien fait pour décider Urbain II à prêcher la croisade. Mais, une fois l'expédition résolue, on le voit parcourir la France, la Flandre et l'Allemagne et déterminer des milliers de chrétiens à le suivre. Après un hiver entier consacré à ces prédications, il arrive à Cologne (avril 1096) et quitte bientôt cette ville, suivi de quelques chevaliers et d'une foule de pauvres gens, multitude sans discipline et sans prévoyance; un peu avant lui, une troupe de Français était partie, guidée par un chevalier du Parisis, Gauthier sans Avoir; elle atteignit Constantinople dès le mois de juillet. La marche de Pierre devait être plus lente et plus difficile. Après avoir débuté par massacrer les Juifs de Cologne, de Spire et de Mayence, ses bandes traversent paisiblement l'Allemagne entière, la Hongrie dont le roi Coloman leur fournit des vivres, et passe le Danube à Semlin. Plus loin, en Bulgarie, les difficultés commencent. Une partie des croisés périt sous les murs de Nisch, et les survivants n'atteignent Constantinople que le 30 juillet. Alexis, qui juge qu'il n'a rien à gagner avec de pareils auxiliaires, se hâte de les faire passer en Asie, en leur donnant l'avis charitable d'éviter les Turcs. Vain conseil : les pèlerins allemands provoquent les Sarrasins et s'avancent au delà de Nicée. Battus une première fois le 29 septembre, enfermés dans la forteresse de Xérigordon, ils sont forcés de se rendre et massacrés. Le reste de l'armée tombe dans une embuscade près de Nicomédie et à Civitot; des vaisseaux envoyés par Alexis ramènent les débris de l'armée en Europe; la plupart des survivants n'ont plus qu'un désir, rentrer chez eux (octobre 1096).

D'autres bandes commandées par Gottschalk, Volkmar, Emich, comte de Leiningen, avaient de même succombé; mais la chevalerie européenne approchait et allait changer la face des affaires. Les innombrables guerriers, nobles et autres, qui avaient pris la croix, avaient formé dès le début trois ou quatre armées. La première, composée de Lorrains et d'Allemands, prend pour chef Godefroy de Bouillon, duc de Basse-Lorraine, et ses frères Eustache et Baudouin de Boulogne; elle traverse l'Allemagne, la Hongrie, la Bulgarie et la Thrace en bon ordre et atteint Constantinople le 23 décembre 1096. La deuxième, composée de Flamands et de Frisons, sous Robert de Flandre, y arrive en avril 1097. La troisième, les Provençaux et les gens du centre de la France, sous Raimond de Saint-Gilles, comte de Toulouse et marquis de Provence, arrivent vers le même temps après avoir passé par l'Italie du Nord, la Dalmatieet l'Epire. Bohémond et son neveu Tancrède amènent par mer, de Brindisi à Durazzo, puis par terre, à travers l'Epire et la Thrace, les contingents italiens et les Normands du Sud de l'Italie. Enfin, en mai 1097, Robert de Normandie et Étienne, comte de Blois, passent le Bosphore à leur tour. Chaque corps au début agit isolément; rarement les soldats ou les chefs arrivent à s'entendre; il n'y a qu'un chef nominal, le légat, Adhémar de Monteil, évêque du Puy. Le véritable chef de la croisade, jusqu'à la prise d'Antioche, sera Bohémond; plus tard, la direction suprême passera plutôt à Raimond de Saint-Gilles; à aucun moment Godefroy ne joue dans toute cette longue campagne le rôle prépondérant que la tradition lui a prêté.

Pendant tout l'hiver de 1096-1097, les négociations sont incessantes entre Alexis, qui vent s'assurer la possession exclusive des futures conquêtes des croisés et les princes occidentaux, qui comptent bien se créer des établissements aux dépens des Turcs, sans trop se soucier des droits de l'empereur de Byzance. Bohémond décide la plupart de ses alliés à prêter à Alexis un hommage tout platonique; l'empereur leur fournit des vaisseaux et des vivres, et cette immense multitude, aussi nombreuse que les sables de la mer et les étoiles du ciel, disent les chroniqueurs, est bientôt transportée en Asie (avril-mai 1097). La première ville à réduire était Nicée, capitale du sultan Kilidj-Arslan. Ce prince, rassuré par la défaite des compagnons de Pierre l'Ermite, était alors absent; la place attaquée à la fois par terre et par eau (les vaisseaux grecs occupaient le lac Ascanique) est forcée de se rendre après un mois de résistance (15 mai - 19 juin). Alexis en prend possession et l'armée des croisés se met en marche vers l'est (27 juin). Trois jours plus tard (1er juillet), elle se heurte contre l'armée de secours, commandée par l'émir Soliman à Dorylée; la bataille, grâce à la prudence de Bohémond, est décisive, les Turcs écrasés et les chrétiens continuent leur marche. Ils pouvaient compter sur l'appui des populations chrétiennes, indignement foulées par les musulmans, et sur l'alliance du royaume chrétien d'Arménie, qui s'était depuis peu constitué au Nord-Est du Taurus. Aussi pendant plusieurs mois la marche en avant est-elle ralentie; tandis que le gros de l'armée gagne Césarée de Cappadoce, Tancrède et Baudouin poussent une pointe en Cilicie; ce dernier devait un peu plus tard aller conquérir Edessesur le prince arménien Thoros, et y fonder la principauté de ce nom. Enfin, le 24 octobre 1097, l'armée atteint Antioche. Cette ville était encore l'une des plus importantes de la Syrie et la clef du pays. Elle avait pour maître l'émir Yaghi-Sijan, l'un des chefs turcs qui se partageaient la Syrie, les uns favorables aux Fatimides d'Égypte, les autres alliés du calife de Bagdad, comme le sultan seldjoukide Bark-Jarok, comme Doukâk, prince de Damas; Yaghi-Sijan comptait sur leur concours et sur celui de la plupart des autres princes musulmans.

Le siège commença immédiatement, mais sans suite, sans ardeur. Les croisés quittaient journellement le camp pour aller battre le pays et se procurer des vivres; beaucoup périssaient dans ces escarmouches, et le pays ravagé et ruiné fut bientôt hors d'état de nourrir l'armée de la croix. La misère devient alors effroyable, au dire des chroniqueurs; on en arrive à se disputer les nourritures les plus immondes; les provisions apportées au milieu de l'hiver par la flotte de la Méditerranée raniment un peu les forces, mais la maladie, le typhus succèdent à la famine; l'expédition semble bien compromise.

Cependant Doukâk, seigneur de Damas, se disposait à secourir la place. Une première armée envoyée par lui est détruite après un rude combat par Bohémond et Robert de Flandre (31 décembre 1097); une autre, commandée par Ridwan d'Alep et ses alliés, subit le même sort le 9 février 1098; mais bientôt le bruit se répand que des forces considérables s'approchent sous la conduite de Kerbogha, seigneur de Mossoul. Quelques-uns des princes chrétiens comprennent que l'armée est perdue, si Antioche n'est pas prise avant l'arrivée de Kerbogha. Bohémond, qui convoite cette place et qui a déjà noué des intelligences avec les assiégés, s'en fait garantir la possession par ses confédérés, et le 2 juin 1098 les troupes chrétiennes entrent dans la ville grâce à la trahison d'un renégat arménien nommé Firouz. Le massacre est horrible comme toujours, Yaghi-Sijan est tué; son fils, avec quelques fidèles, parvient à gagner la citadelle.

La prise d'Antioche arrivait à point. Le 5 juin, Kerbogha paraissait avec une armée considérable que les chroniqueurs estiment à cinq cent mille ou même six cent mille hommes; l'émir avait perdu inutilement trois semaines devant Edesse énergiquement défendue par Baudouin. A peine arrivé, il bloque la ville, et se dispose à la réduire par la famine. La situation était critique; point de vivres, la peste (Les pestes au Moyen âge), aucun espoir de secours. Dès janvier, un certain nombre de croisés de distinction, dont Pierre l'Ermite lui-même, avaient fui Antioche; ces désertions se multiplient, beaucoup de croisés cherchent à percer la ligne de blocus, et ceux qui y réussissent, tel Étienne, comte de Blois, ne se laissent pas ramener au camp comme Pierre l'Ermite. Chez ceux qui restent, les privations, les misères accrues par les souffrances de l'été syrien surexcitent le sentiment religieux; les prétendues visions se multiplient; enfin, le 14 juin, sur les indications d'un illuminé, un prêtre provençal nommé Pierre Barthélemy, le comte de Toulouse découvre dans l'église de Saint-Pierre la lance qui, disait-on, avait percé le flanc du Christ en croix. Cette découverte relève les esprits, le courage se ranime; on nomme Bohémond chef suprême de l'armée pour quatorze jours. Des députés envoyés à Kerbogha pour demander la levée du siège n'obtiennent qu'une réponse méprisante, le choix pour les chrétiens entre la mort ou la conversion à l'islam. Il devenait urgent de combattre; le 28 juin, les princes conduisent contre les hordes de Kerbogha une armée de misérables amaigris et faméliques. Mais le fanatisme religieux leur donne des forces; en quelques heures, ils dispersent la multitude ennemie, et, dans leur naïveté, ils attribuent leur triomphe à des cavaliers célestes que tous ont cru voir de leurs yeux d'hallucinés.

La partie était gagnée et les Turcs vaincus pour longtemps. Pendant tout l'été, l'armée reste à Antioche, en proie à la peste; le légat Adhémar de Monteil périt le ler août 1098. En même temps, de violentes querelles éclatent entre Raimond de Saint-Gilles et Bohémond pour la possession de la ville, et cependant Alexis, qui ne cache plus son hostilité contre les croisés, reconquiert la majeure partie de l'Asie Mineure. L'expédition risquait d'avorter misérablement; les chefs, y compris Godefroy de Bouillon, paraissaient disposés à reprendre la route de l'Europe; la masse des pèlerins, moins soucieuse de politique que ses chefs, se décide à marcher vers le sud, à accomplir entièrement le voeu fait. Elle entraîne avec elle Raimond lui-même, qui doit les commander ou plutôt les suivre, et se dispose à conquérir place après place toutes les villes qu'il rencontre sur la route (fin novembre 1098). Il dépense trois mois à ces sièges inutiles; l'hostilité entre lui et Bohémond devient de plus en plus violente, si bien que le comte de Toulouse, seul des princes croisés, rentre en négociations avec Alexis. Enfin la foule l'emporte, et l'armée quittant l'intérieur se rapproche de la côte pour rester en communication avec la flotte chrétienne (mai 1099). Les villes ouvrent leurs portes sans résistance, tant les victoires sous Antioche ont frappé de terreur les émirs musulmans, et, le 7 juin, les derniers survivants de la grande armée, vingt mille, dit-on, arrivent devant la ville sainte. Là les dissensions recommencent, et beaucoup de barons quittent l'armée pour aller à la hâte s'assurer des villes du Jourdain et de la mer Morte en y plantant leurs bannières. Faible est le nombre des pèlerins qui, fidèles à leurs voeux, approchent de la ville sainte en pénitents et les pieds nus.

Depuis quelques mois, Jérusalem avait changé de maîtres. Les Fatimides d'Égypte avaient dès le début résolu de profiter de l'arrivée des croisés pour rentrer en possession de la Palestine, conquise par les Turcs vingt ans plus tôt. Les chrétiens avaient, de leur côté, noué avec le Caire des négociations, envoyé dans cette ville une ambassade; soins inutiles, les intrigues d'Alexis, toujours hostile aux Occidentaux, la maladresse des ambassadeurs, la perfidie des Égyptiens rendent ces efforts infructueux, mais ces derniers en profitent pour rentrer dans Jérusalem (août-septembre 1098), en faisant croire aux Turcs, défenseurs de la ville, qu'ils arrivent comme alliés des croisés. Le siège de Jérusalem traîne en longueur; enfin, après de longues discussions, les chefs croisés estiment qu'il faut en finir. Ils font avec l'aide des ingénieurs de la flotte chrétienne élever de puissantes machines, ravitaillent le camp par Joppé, et, le 15 juillet 1099, une brèche est pratiquée dans l'enceinte, à trois heures, à l'heure supposée de la mort de Jésus sur le Golgotha. Le massacre est terrible; tout ce que la ville renferme de musulmans est passé au fil de l'épée; le sang, dans l'église du Saint-Sépulcre, atteignait le jarret des chevaux. Godefroy de Bouillon, appuyé par ses frères, le comte d'Édesse et Eustache, est proclamé baron du Saint-Sépulcre. L'Égypte, au surplus, allait tenter un nouvel effort; au mois d'août Godefroy apprend que le vizir du Caire, Al-Afdhal, arrive avec vingt mille Éthiopiens et des troupes bédouines; il rassemble à la hâte tous les hommes valides restés en Terre sainte, marche à l'ennemi et le met en fuite près d'Ascalon. Le royaume latin de Jérusalem était fondé.

Cependant les prédications pour la croisade continuaient en Europe : Urbain II, mort le 29 juillet 1099, son successeur Pascal n'avait rien négligé pour exciter les chrétiens à voler au secours de leurs frères. Moines et jongleurs parcouraient l'Occident, racontant mille merveilles de la Terre sainte; on lisait avec admiration et envie les lettres des croisés, bulletins naïfs dont quelques-uns sont parvenus jusqu'à nous. Dès 1099, des flottes pisanes, génoises et vénitiennes sont venues ravitailler l'armée de la croix ; le mouvement s'accentue en 1100, et une immense multitude, conduite autant par le goût des aventures que par l'enthousiasme religieux, se met en marche. Les Lombards et quelques Allemands sont prêts les premiers et atteignent Constantinople en mars 1101; on estime à près de trois cent mille guerriers la force de ce contingent. Alexis, qui ne perd aucune occasion de profiter de la croisade, séduit les chefs et leur donne des guides qui doivent les mener à Siwas, dans l'ancienne Cappadoce, où Bohémond est prisonnier depuis un an. Mal conduits, sans provisions, sans vivres, les malheureux pèlerins, après quelques légers succès, sont rejoints sur les bords de l'Halys, près d'Amasie, par les Seldjoukides. L'armée presque entière périt (1101); quelques princes, échappés au carnage, gagnent péniblement Sinope et retournent à grand-peine à Byzance. Là ils trouvent une seconde armée, composée d'Allemands et de Français, sous les ordres du duc d'Aquitaine, Guillaume de Poitiers, et de Welf, duc de Bavière. Après beaucoup d'hésitations, cette armée s'enfonce à son tour en Asie Mineure. Elle atteint heureusement Héracléa, sur les frontières d'Arménie, mais pour essuyer près de cette ville une défaite décisive. La plupart des chefs de marque périssent; quelques autres, dont Guillaume de Poitiers, échappent à grand-peine et par la Cilicie gagnent Antioche. Ces désastres répétés découragent les chrétiens d'Occident, et il faudra les prédications de saint Bernard pour les entraîner de nouveau en Terre sainte. 

La deuxième croisade

Pendant plus de quarante ans, en effet, il n'est plus question de croisade. La situation de l'Europe, qui s'est lentement modifiée, donne de tels soucis à la papauté que les successeurs d'Urbain II en oublient la Terre sainte. La société laïque s'est développée et elle est devenue moins accessible aux idées enthousiastes qui avaient donné naissance au mouvement de 1095. Pour ranimer le zèle un peu attiédi, il faudra un grand désastre. Cependant le royaume latin de Jérusalem s'est peu à peu affermi, mais la situation des Latins reste difficile; d'une part les musulmans n'ont point désarmé et continuent la lutte au Nord, à l'Est et au Sud, et d'autre part les empereurs grecs qui n'ont point renoncé à l'espoir de recouvrer les anciennes possessions asiatiques de Byzance, se montrent hostiles aux nouveaux venus, et les princes d'Antioche sont sans cesse en guerre avec eux. L'émir de Mossoul, Imad-eddin-Zengui, profite de ces divisions et redouble ses attaques contre le comté d'Édesse, poste avancé de la domination chrétienne vers l'Euphrate et l'ancienne Mésopotamie. Le comte Joscelin défend vigoureusement sa capitale, mais le prince d'Antioche, engagé dans une campagne contre le nouvel empereur Manuel Comnène, ne peut rien pour lui. La reine de Jérusalem, Mélissende, est également impuissante. La place succombe (novembre 1144) et avec elle tout le comté qu'Imad-eddin soumet en quelques mois. La situation paraît tellement menaçante que les barons francs se résolvent à réclamer le secours de leurs frères d'Europe et députent à Eugène III (novembre 1145).

La France semblait la plus intéressée à secourir les Latins; tout l'y conviait: relations de famille, souvenirs de 1095. Aussi est-ce à la chevalerie française que le prédicateur de la nouvelle croisade, saint Bernard, s'adresse tout d'abord. Le roi Louis VII, qui désire expier l'épouvantable massacre de Vitry et accomplir le pèlerinage que son frère aîné, Philippe, mort trop jeune, avait promis de faire, donne l'exemple à sa noblesse, qui, animée d'un saint zèle, prend la croix à la voix de l'abbé de Clairvaux (assemblées de Bourges, Noël1145, et de Vézelay, Pâques1146). Le pape Eugène III s'est dans l'intervalle résolu à faire directement appel au monde chrétien et à lancer une encyclique décrétant une nouvelle croisade. La même exaltation a gagné l'Allemagne, où elle s'est traduite suivant l'usage par le massacre des juifs (La diaspora juive). Saint Bernard, appelé sur les bords du Rhin, recommence ses prédications avec le même succès qu'en France et décide sans peine l'empereur Conrad de Souabe à prendre lui-même la croix (Noël 1146, diète de Spire); avec l'empereur se croisent les principaux barons du royaume germanique et parmi eux Frédéric Barberousse. Pris du même zèle, les Saxons décident de se lever en masse contre les païens slaves de l'Elbe, contre les Wendes. Enfin le mouvement gagne la Frise, la Néerlande et l'Angleterre.

L'armée de la croisade se divise en trois corps. Le premier, composé des Allemands, sous Conrad, se rassemble dans la Marche de l'Est (Autriche) dès juin 1147, traverse la Hongrie sans peine, éprouve de longs retards en Thrace et en Macédoine et atteint la mer d'Orient le 7 septembre. Après un orage épouvantable, qui éprouve fort les pèlerins, les croisés gagnent Constantinople et passent en Asie dans le même mois. L'empereur Manuel, pourtant allié fidèle de Conrad, n'était pas taché d'éloigner le plus tôt possible de sa capitale ces dangereux auxiliaires. Les difficultés commencent bientôt. Attaquée par la cavalerie légère des Seldjoukides, la lourde chevalerie allemande met huit jours à faire la route entre Nicée et Dorylée. Le manque de vivres, la difficulté des chemins obligent Conrad à une retraite désastreuse; il se réfugie à Nicée, puis à Constantinople, comptant gagner la Syrie par mer. Une troupe de 15 000 Allemands sous le duc de Carinthie, Bernard, et l'évêque historien Otton de Freisingen, avait quitté l'armée dès Nicée; elle parvient en côtoyant la mer Egée à gagner Laodicée, puis les côtes de Pamphylie, où l'évêque et les derniers survivants s'embarquent pour la Syrie. La principale armée de la croisade est détruite. Restaient les Français.

Ceux-ci, partis de Metz en juillet 1147, avaient péniblement traversé la Germanie, la Hongrie et la Thrace; Manuel Comnène, qui redoutait en eux les alliés de son ennemi mortel, Roger de Sicile, veut leur faire traverser l'Hellespont et non le Bosphore. Louis VII persiste à gagner Constantinople, qu'il atteint le 4 octobre. Les Français, auxquels les Grecs ont fait de faux rapports de prétendus succès des Allemands, demandent à grands cris à passer la mer. Manuel ne les retient que le temps d'arracher aux barons un serment de vasselage pour leurs futures conquêtes et les transporte en Asie Mineure (26 octobre). Quelques jours plus tard, Louis VII rencontre Conrad et ses barons et apprend de leur bouche le désastre de Dorylée. Devenu plus prudent, le roi de France se décide à longer la côte. A Éphèse, par malheur, il tombe malade et l'armée n'atteint le Méandre qu'au commencement de décembre. De là on gagne à travers mille difficultés Antioche de Lycie, puis Laodicée, ou les attaques des Seldjoukides toujours renouvelées décident les Français à descendre vers la côte. Les Templiers, qui guident l'armée, y rétablissent l'ordre tant bien que mal, et conduisent les pèlerins à Attalia. Là nouveau mécompte; ni vivres pour les hommes, ni foin pour les chevaux. Désespéré, Louis VII se décide à cingler vers la côte syrienne avec quelques barons fidèles. Des guides grecs s'engagent à conduire vers la Cilicie les débris de l'armée. Bien peu des pèlerins ainsi abandonnés atteindront la Palestine (février 1148).

Le désastre était complet. Les faibles secours arrivés d'Occident ne permettaient plus de songer à un siège d'Edesse. Les princes chrétiens se décident à entreprendre le siège de Damas. C'était une imprudence. Moïn-eddin-Anaz, ministre des princes de Damas et y exerçant l'autorité sous leurs noms, s'était montré l'ami des chrétiens; on allait le forcer à s'allier à Nour-eddin, fils et successeur de Imad-eddin. Les croisés, conduits par le roi Louis et l'empereur Conrad, qui vient d'aborder en Syrie, et renforcés par les contingents de Jérusalem, marchent sur Damas (juillet 1148). La place vigoureusement défendue et couverte par des jardins et des plantations que Moïn-eddin a transformés en ouvrages avancés, résiste, et l'approche de Nour-eddin oblige les princes chrétiens à lever le siège (28 juillet). Les croisés ne pensent plus dès lors qu'au retour. Dès le 8 septembre, Conrad part : Louis VII séjourne à Jérusalem jusqu'à Pâques1149, puis regagne péniblement la France, en passant par la Sicile et par l'Italie. L'incapacité militaire des chefs avait fait échouer la seconde croisade. Saint Bernard et Suger, abbé de Saint-Denis, rêvaient d'entreprendre une nouvelle expédition. La mort de ce dernier, l'opposition du pape épargnèrent à la chrétienté un nouveau désastre. Le seul résultat effectif de cette grande prise d'armes était en somme la conquête de Lisbonne, enlevée aux Arabes d'Espagne par la troisième armée de la croisade. Composée d'Anglais, de Frisons et de Néerlandais, cette armée avait pris le chemin le plus long, mais le plus sûr, et longé les côtes de l'Europe depuis Dartmouth. Après avoir aidé le roi de Portugal, Alphonse, à occuper sa future capitale (28 novembre 1147), les pèlerins atteignirent heureusement la Syrie vers le milieu de l'année suivante. En somme, l'Europe n'avait pu sauver le royaume de Jérusalem qui va de 1149 à 1187 subir une longue agonie. 

La troisième croisade

Le grand ennemi des chrétiens de Syrie était Nour-eddin, dont le fanatisme religieux était à la mesure du leur, mais qui était aussi un politique habile et un bon chef de guerre. A peine les croisés de retour en Europe, il attaque le prince d'Antioche, Raimond, qui est défait et périt dans le combat (29 juin 1149). La prise d'Ascalon par les Latins (1152) répare en partie cet échec, mais Nour-eddin, par contre, occupe définitivement Damas. Il est encore battu près du lac de Tibériade en 1458, mais sur un nouveau champ d'action il triomphe des chrétiens. L'Égypte, aux mains des Fatimides, était alors en pleine décadence et agitée par des troubles civils. Nour-eddin et les chrétiens de Syrie conçoivent la même pensée, s'emparer de ce riche pays. Les musulmans l'emportent, le fameux Salah-eddin  (Saladin) détrône le dernier calife fatimide, et l'union de la Syrie et de l'Égypte sous un seul maître se trouve consommée. La chute de Jérusalem paraît dès lors imminente, et dès 1169 le roi de Jérusalem, Amaury, se voit réduit à implorer de nouveau les secours de l'Occident.

Fort heureusement la brouille se met entre Nour-eddin et son lieutenant. Salah-eddin, après avoir sans peine repoussé une tentative des Grecs sur Damiette (1169), profite de la mort du sultan de Syrie (1174) pour conquérir les États de son ancien chef. Une fois maître du pays, il reprend la guerre sainte contre les Latins; la défaite de Ramlah (25 novembre 1177) l'arrête pour quelques années, mais dix ans plus tard, il reparaît sur la frontière. Le nouveau roi de Jérusalem, Gui de Lusignan, marche contre lui; les deux armées se rencontrent à Hattin, près du lac de Tibériade (juillet 1187). L'impéritie du roi assure la victoire aux musulmans; le roi Gui et une foule de chevaliers tombent avec la sainte croix aux mains du vainqueur. Salah-eddin profite de sa victoire; il soumet toute la côte, d'Ascalon à Beyrouth, puis paraît le 19 septembre devant Jérusalem; le 2 octobre, la ville se rend et les habitants se rachètent à prix d'argent de l'esclavage. Cette perte  n'est pas compensée par l'échec que le sultan éprouve devant Tyr, défendu par le marquis Conrad de Montferrat; à la fin de 1187, les chrétiens ne possèdent plus en Syrie que la principauté d'Antioche, celle de Tripoli, Tyr, Sidon et quelques places sans importance.

La situation de l'Europe chrétienne paraissait peu favorable à une nouvelle croisade; le pape et l'empereur, le roi de France et celui d'Angleterre se faisaient une guerre acharnée; l'autorité de l'Église semblait bien ébranlée, et déjà des sectaires la rejetaient ouvertement. Toutefois, l'indifférence religieuse n'existait pas encore au XIIIe siècle, et la nouvelle de la prise de Jérusalem réchauffa cette foi un peu tiède, qui sommeillait. On put se croire revenu au temps d'Urbain II; à la voix du souverain pontife, Clément III, l'Europe entière se lève, les querelles particulières s'apaisent, il semble que la chrétienté tout entière va marcher au secours de la Terre sainte. Les premiers prêts sont les Italiens, Toscans, Lombards, Génois et Pisans, et les Scandinaves. Durant les années 1188-1189, des bandes de pèlerins armés gagnent sans cesse les ports de Syrie et vont grossir la petite armée de Gui de Lusignan et de Conrad de Montferrat. En même temps, les trois plus puissants princes de l'Europe, Frédéric Barberousse, Henri Plantagenet et Philippe-Auguste, se préparent à aller porter à leurs frères de Syrie un secours plus effectif.

L'empereur est prêt le premier; tout d'abord il termine, avec l'appui du légat, Henri, évêque d'Albano, la guerre qu'il avait contre Philippe, archevêque de Cologne, exile pour trois ans d'Allemagne son plus redoutable adversaire, Henri le Lion, et remet le pouvoir à son fils, Henri de Souabe. Il prend la croix solennellement à la diète de Mayence le 27 mars 1188 et fixe le départ au 23 avril de l'année suivante. Dans l'armée qu'il forme, il n'admet que des guerriers éprouvés, chevaliers ou piétons, règle à l'avance la marche des troupes, veille aux approvisionnements; il se montre en un mot chef prudent et avisé. Après quelques hésitations, il se décide pour la route de terre, comptant sur l'amitié de Kilidj-Arslan II, sultan d'Iconium, fidèle allié des chrétiens, et rejette les propositions de Salah-eddin qui offre la liberté du culte à Jérusalem et le libre accès pour les pèlerins, moyennant la reddition des dernières places de Syrie. L'armée quitte Ratisbonne le jour fixé, 23 avril 1189 ; le roi de Hongrie, Béla, auquel on a acheté le droit de passage, ouvre ses États aux Allemands, qui dès juillet ont atteint la vallée de la Morava. La traversée de l'empire grec est plus longue et plus périlleuse. L'empereur Isaac essaye de retarder la marche des croisés en négociant, et ce n'est qu'après de sanglants combats que Frédéric peut atteindre Andrinople; il y reste jusqu'au 14 février 1190. Isaac, qui a enfin compris sa faiblesse, s'engage à faire traverser l'Hellespont aux Occidentaux; ceux-ci promettent de payer les vivres dans les pays de domination grecque; dès mars 1190, ils sont tous sur la côte asiatique.

La marche en Asie présentait de grandes difficultés; le pays était accidenté, les vivres rares et chers; à force d'énergie et en veillant avec soin à la discipline, Frédéric triomphe de tous les obstacles; le 21 avril, il est déjà à Philadelphie, de là il se dirige à l'Est, vers Laodicée; l'armée rencontre bientôt les bandes turques. Elle les disperse, mais au prix d'efforts surhumains; les chevaux périssent par milliers, les hommes eux-mêmes souffrent de la disette. L'empereur comptait sur l'appui du sultan d'Iconium; mais le vieux sultan, ami des chrétiens, venait de se démettre et ses fils, alliés fidèles de Salah-eddin, se montraient absolument hostiles. Frédéric prend rapidement son parti; le 7 mai, il atteint Philomelium, brûle la ville et marche à grandes journées sur Iconium. L'armée le suit avec entrain ; elle est toujours animée du même enthousiasme, les soldats croient voir à leur tête saint Georges qui les mène au combat. Le 17 mai, après dix jours de marche forcée, on campe devant Iconium; la ville est prise d'assaut dès le lendemain, la paix imposée aux Turcs et les chrétiens se ravitaillent et se refont une cavalerie. Le Taurus est franchi à grand-peine (26 mai-9 juin), et l'armée atteint la rive du Salef (Cydnus); là un grand malheur l'attendait. L'empereur, impatient, entre dans le torrent glacé, trop tôt agrès son repas; il est entraîné par le courant. Avec lui disparaissait l'espoir des chrétiens d'Orient; il avait su conserver intacte sa belle armée; un repos de quelques jours dans les plaines d'Antioche lui eût permis de tenter quelque grande entreprise; seul d'ailleurs il eût pu, grâce à son âge, à sa valeur, à son expérience militaire, servir de chef à la croisade, apaiser les querelles mesquines qui devaient en compromettre le succès. Privée de son chef, l'armée des Allemands se remet péniblement en marche, sous les ordres du neveu du défunt, le duc de Souabe; elle est décimée par les Sarrasins, et les débris atteignent Antioche à grand-peine (21 juin 1190).

Les rois de France et d'Angleterre s'étaient cependant mis en marche. Richard Coeur de Lion, qui vient de succéder à son père Henri II, amène ses troupes à Vézelay, y trouve Philippe-Auguste, et les deux rois descendent ensemble jusqu'à Lyon. Là ils se séparent; Philippe va s'embarquer à Gênes et se fait conduire à Messine, qu'il atteint le 16 septembre 1190 ; Richard se met en mer à Marseille et arrive en Sicile le 23 ; il y retrouve sa flotte qui a cependant fait la longue traversée d'Angleterre en longeant les côtes d'Espagne. Richard s'attarde en Sicile, prend parti dans les querelles intestines de ce royaume et semble oublier son voeu de croisade. Philippe, outré de ses retards, part seul le 30 mars 1191; Richard le suit le 10 avril; mais il s'arrête encore à l'île de Chypre qu'il conquiert sur un prince grec, Isaac Comnène; il n'atteint Acre que le 8 juin.

Depuis le mois d'août 1189, Gui de Lusignan, renforcé de temps à autre par des pèlerins d'Occident, assiégeait cette forte place, et était lui-même comme assiégé par l'armée de Salah-eddin, qui tenait à ne pas laisser les chrétiens s'emparer de ce port, le plus important de la Palestine. Les mois d'hivernage surtout furent terribles pour les chrétiens, ravitaillés d'une façon assez irrégulière par les vaisseaux italiens; n'oublions pas les querelles entre les chefs ou plutôt l'absence de chefs. Mais l'hiver ne durerait pas toujours, et avec le printemps revenait l'espérance. On comptait sur Frédéric Barberousse, dont on ne sut la mort qu'assez tard, et pendant les mois d'été, sans trop s'occuper du siège, les chrétiens donnaient cours à leur humeur aventureuse, à leur amour des plaisirs. De son côté Salah-eddin ne maintenait que difficilement son armée dans l'obéissance et n'obtenait qu'à grand-peine des secours de ses voisins, jaloux de sa puissance. L'arrivée de Philippe et de Richard Coeur de Lion, puis de Frédéric d'Autriche (été 1191) ranime les querelles entre les croisés; Conrad de Montferrat et Gui de Lusignan se disputent les débris du royaume de Jérusalem. En juillet, on commence à parler de la reddition de la place; Salah-eddin consent à faire la paix sur les bases suivantes : cession d'Acre, délivrance de la sainte croix et des chrétiens captifs moyennant 200 000 besants d'or. Mais le 12, Acre ouvre ses portes et le traité est rompu.

Le roi de France, écoeuré de toutes ces intrigues, malade d'ailleurs, se dispose à partir; il prend part au conseil des princes qui partage le royaume de Jérusalem entre Gui et Conrad, laisse à Richard un corps de troupes sous les ordres du duc de Bourgogne, Hugues, et du comte de Champagne, Henri, et met à la voile le 31 juillet. Richard devenait le véritable chef de la croisade; on vit alors combien ce vaillant chevalier manquait d'esprit de suite. Il commence par rompre les négociations avec Salah-eddin et faire massacrer les prisonniers sarrasins, au nombre de deux mille (20 août), puis il se met en marche, d'abord vers Jérusalem, puis vers Ascalon. Après une grande victoire sur les troupes sarrasines, il s'attarde au siège de Joppé, puis, fatigué de ces retards, rentre en relations avec le sultan. En janvier 1192, il reprend sa marche vers Jérusalem ; les nouvelles qu'il reçoit d'Angleterre, où son frère Jean conspire contre lui, l'arrêtent; il décide alors Gui à abdiquer en faveur de Conrad (avril 1192), qui tombe peu après sous le poignard de deux fanatiques de la secte des Assassins (Ismaéliens); on le remplace par Henri de Champagne, et Gui reçoit l'île de Chypre. Après de nouveaux atermoiements, l'armée chrétienne commence à se disperser; Hugues de Bourgogne emmène le contingent français et va mourir à Tyr. Richard se multiplie, effraye les Sarrasins par sa bravoure aventureuse; il n'en est pas moins réduit à signer une paix désastreuse (septembre 1192); Jérusalem reste aux musulmans qui garantissent la libre entrée de la cité sainte aux pèlerins sans armes; les captifs chrétiens devront se racheter à leurs frais; la côte de Syrie reste aux chrétiens de Joppé à Tyr; il n'est plus question de la sainte croix. Dégoûté de la croisade, Richard, à qui cette cette paix défavorable a fait perdre la face, s'embarque le 9 octobre; il s'est fait tant d'ennemis qu'il ne sait où aborder. Son vaisseau le conduit en Frioul; de là il tente de gagner la Flandre par l'Allemagne méridionale; arrêté près de Vienne, le 21 décembre 1192, il ne recouvre la liberté que le 4 février 1194, après avoir payé une énorme rançon à l'empereur Henri IV, trait d'avarice qui n'est point à l'honneur du fils de Frédéric Barberousse. La croisade avait échoué une fois de plus. (A. Molinier).

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