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La religion
Aperçu
L'émotion religieuse et les formes de la religion.
Méthode de la science des religions.
Les définitions de la religion.
Les formes primitives de l'émotion religieuse.
Les formes primitives des dieux.
Le culte.
La magie.
La notion du sacré et de l'impur.
Évolution du sacrifice et de la prière.
L'animisme et le culte des morts.
Les mythes.
La métaphysique religieuse et le symbolisme.
Le sacerdoce
La religion et la morale.
Classification des religions.
Avenir de la religion.
La plupart des classifications proposées prêtent fort gravement à la critique, et tout d'abord la division classique en religions animistes, polythéistes et monothéistes. L'animisme, le polythéisme, le monothéisme sont, à vrai dire, des moments du développement religieux, des stades divers d'une même évolution, beaucoup plutôt que des types distincts, des rameaux divergents d'un même tronc. Toutes les religions à leur origine, consistent essentiellement dans l'adoration de Puissances vagues et redoutables, dont le nombre ni les attributions ne sont rigoureusement déterminés, mais qui sont répandues à travers la nature entière; toutes elles tendent vers le culte d'un Dieu unique, en lequel s'absorbent et se concentrent les manifestations multiples du divin, toutes elles traversent une période plus ou moins longue de polythéisme organisé où le gouvernement de l'univers appartient à une oligarchie d'êtres surhumains. Et, d'autre part, à la phase animiste de l'évolution religieuse, dans le culte prépondérant et parfois exclusif du puissant protecteur auquel le pacte d'alliance, scellé par les rites sacrificiels unit le clan ou la tribu, apparaît déjà comme une première. ébauche du monothéisme, A la période polythéiste, «l'hénothéisme», cette sorte d'oubli de tous les autres dieux, tandis que l'on s'adresse à l'un d'entre eux dans les prières ou dans les hymnes ou qu'on cherche par le sacrifice à gagner sa bienveillance ou à contraindre sa coopération, cette proclamation de l'unité divine par prétérition, sur laquelle Max Müller et Maspero ont appelé tout particulièrement l'attention, la prédominance assignée à l'un des Immortels, au Ciel on au Soleil par exemple, l'identification si fréquente des diverses Puissances cosmiques les unes avec les autres, qui en viennent parfois à ne paraître plus que les noms divers et les fonctions multiples d'un même être, font mieux que préparer la voie au monothéisme : il existe dès bises puissance. Il ne faut plus qu'un effort de réflexion philosophique pour que les fidèles prennent conscience de l'unité de Dieu, unité qui d'ailleurs revêtira plus souvent la forme panthéistique que la forme personnelle dans les religions naturistes. Mais par contre, que de traces de polythéisme subsistent dans les religions les plus rigoureusement monothéistes, le culte des saints, par exemple, qui a son parallèle dans le culte des imams-musulmans, et les cultes maraboutiques, ou survivent jusqu'aux rites et aux croyances de l'antique animisme funéraire! A l'Islam le dogme chrétien de la Trinité n'apparaît-il pas comme un tri-théisme et dans le Judaïsme même, les anges, les messagers de Dieu et ses ministres, n'ont-ils pas gardé quelque chose de leur ancien caractère divin ?

La division, souvent donnée, en religions coutumières ou traditionnelles et religions révélées, prête, elle aussi, à plus d'une objection. Dans toute religion adulte et pleinement constituée trouve place la notion d'une révélation divine, soit par des oracles ou des prophètes, soit par des manifestations miraculeuses; partout où des livres sacrés sont conservés, ils passent pour l'oeuvre des dieux. La notion cependant de cette révélation se précise et se définit dans la mesure même où lu religion s'organise et se détermine, dans la mesure où le sacerdoce acquiert de la puissance, de l'indépendance et de l'autorité. Le prêtre n'est pas le créateur de la religion, mais il est le créateur de l'orthodoxie. A dire vrai toutefois, c'est seulement dans les religions éthiques qu'il revêt pleinement ce caractère de gardien de la loi et de la vérité religieuses. En analysant plus profondément le principe de cette division, on verrait que dans la mesure où elle peut être acceptée, et nous avons indiqué quelles réserves il convient de faire, elle se ramène à celle qu'à la suite du professeur Tiele nous avons proposée. Noms en dirons autant de la classification en religions nationales et religions universalistes: les seules religions universalistes sont des religions éthiques, nous ne dirons pas des religions de rédemption - toutes les religions sont des religions de rédemption - mais des religions de rédemption morale, qui sont fondées sur la conscience même du péché.

Toutes les religions dites primitives, les religions de l'Amérique précolombienne, les religions de l'Égypte, les religions de l'Assyro-Chaldée, celles de la Phénicie et de la Syrie, l'ensemble des religions indo-européennes (ex : Religions de l'Inde, religions de l'Iran, religion grecque, religion romaine, religion nordique, religion slave, etc.), appartiennent au groupe naturiste : elles sont en leur fond identiques les unes aux autres et ne sont séparées que par des différences de développement, de complexité et de raffinement; nous avons essayé au cours de cet article d'en marquer les traits essentiels. Ainsi que nous l'avons montré, en ces vieux cultes de la nature, en ces mythes cosmiques eux-mêmes pénètrent bien avec le temps certains éléments éthiques, mais ils y tiennent toujours une place subordonnée par rapport aux éléments naturistes et aux éléments proprement religieux. Si d'ailleurs cette infiltration de notions morales devient trop abondante, si les principes éthiques tendent à jouer un rôle prépondérant, un moment arrive où l'assimilation des idées et des sentiments nouveaux par la vieille foi et les antiques symboles n'est plus possible, et alors, ou bien la religion naturiste se dissout et cède la place à une religion morale, ou bien une restauration dans toute leur intégrité des anciens rites, de la dogmatique naturiste et de la morale cérémonielle, barre la route aux novateurs. Les mythes traditionnels sont remis en honneur et le culte national reparaît reconstitué et rajeuni, mais ce sont le plus souvent restaurations de courte durée.

Toutes les religions de la nature n'ont d'ailleurs qu'une puissance d'expansion et par là une puissance de vie et de durée limitée: elles sont toujours en quelque mesure locales ou nationales, et leurs sectateurs ont toujours entre eux d'autres liens que la simple acceptation d'une même foi. Enfin, si leur origine est souvent assignée à une révélation divine, jamais elles n'ont à leur berceau un humain ou un groupe d'humains auxquels on puisse rapporter historiquement leur fondation.

Il en va tout autrement des religions éthiques : elles n'excluent point. absolument les éléments naturistes, mais ils ne tiennent en elles qu'une place tout à fait secondaire et subordonnée. Ce qui gouverne toutes choses, c'est une règle morale, incarnée le plus souvent, mais non pas toujours (le bouddhisme en fournit la preuve) dans un dieu personnel : les puissances cosmiques ne sont plus que ses agents et ses ministres. La loi même de l'univers est une loi éthique. Tout ce qui existe n'a sa raison d'être et son explication dernière que par sa relation avec des notions morales, et si le monde est conçu comme mauvais et condamnable, comme en opposition avec le divin, toute la religion se réduira à n'être que l'ensemble des procédés par lesquels l'humain peut s'affranchir de la chair. Et la morale dont il s'agit ici n'est plus une morale rituelle et cérémonielle, mais une morale à la fois individuelle et sociale qui règle la conduite de l'humain vis-à-vis de ses frères et contrôle les désirs de son coeur. Toutes les religions éthiques tendent vers le monothéisme; lorsqu'elles ne sont pas vraiment monothéistes, elles sont dualistes, mais elles admettent toujours le triomphe ultime des Puissances de lumière sur les Puissances de ténèbres, et partout apparaît la notion d'un maître souverain de l'univers, en qui s'incarnent la bonté et la justice absolues. La communauté religieuse perd ici tout caractère national; le lien qui unit ses membres est un lien mystique, et elle est ouverte à tous, sans acception de personnes; nulle condition de parenté, de race, de nationalité n'est requise pour y entrer. Par leur nature même, les religions éthiques sont universalistes: ce que prescrit leur code moral et religieux, il le prescrit pour l'humanité entière et il le prescrit à tous; il est à noter que si parmi ses commandements il en est qui ont trait aux rites et aux cérémonies, ils ont pour la plupart une signification essentiellement morale. Dogmes, prescriptions, symboles, récits mythiques, rituel même, sont le plus souvent rattachés à une révélation divine expresse et formelle, qui a eu lieu à un moment et à un lieu déterminés par l'intermédiaire d'un humain surhumain, d'un prophète inspiré ou d'un fils de Dieu qui devient l'objet ou d'un véritable culte, et il est alors considéré comme le nécessaire médiateur entre l'Éternel et l'humanité, ou il devient tout au moins l'objet d'une profonde et respectueuse vénération. Les religions éthiques mémo, qui, comme le bouddhisme, sont athées en leur principe, aboutissent à la divinisation de leur fondateur.

Mais le trait le plus essentiel de ces religions (monothéisme hébraïque, bouddhisme, confucéisme, christianisme, islam), c'est que toutes elles se rattachent historiquement et en fait à un humain ou à un groupe d'humains dont le génie individuel les a créées. Il y a une religion commune de l'humanité : c'est en ses mille aspects divers le culte de la nature, que l'âme humaine doue de la pensée et de la volonté dent elle-même elle est faite. Comme le langage, elle est un produit involontaire et anonyme de la conscience collective des peuples, mais lorsque apparaissent ces formes originales, nettement individualisées, que révèlent les religions éthiques, elles ne se présentent point à nous comme le lent aboutissement de processus psychiques inconscients, diffus dans toute la masse d'une nation; elles sont la création intentionnelle bien qu'irréfléchie et toute spontanée d'un individu ou d'un groupe restreint d'individus. Ce sont les prophètes qui ont créé le Dieu unique et spirituel du judaïsme, c'est Jésus qui a créé le Père céleste; la métaphysique du péché et de la nouvelle naissance est l'oeuvre de saint Paul au même titre que l'Antigone est l'oeuvre de Sophocle ou la découverte des lois du pendule l'oeuvre de Galilée. Et ces créateurs ne se donnent que très rarement pour tels : ils viennent, disent-ils, non pas substituer une religion nouvelle à la religion ancienne, mais restituer sa signification vraie à la religion qu'on pratique autour d'eux et que les humains ont corrompue : ce sont des réformateurs.

C'est toujours en des exigences de la conscience religieuse et morale que leur effort pour épurer et spiritualiser la religion a sa racine; c'est par là que leur oeuvre se distingue de celle des philosophes qui, eux aussi, se sont donné pour tâche, durant toute l'antiquité, de faire plus parfaites et plus dignes d'être crues et pratiquées les religions naturistes : les exigences auxquelles ils cherchaient à satisfaire, c'étaient les exigences de la raison, des exigences par conséquent intellectuelles et logiques. Aussi, malgré tout leur génie, n'ont-ils pas réussi à prendre rang parmi les fondateurs de religion.

Peut-être est-ce une conséquence de leur création par des individus, mais les religions éthiques perdent le caractère essentiellement social qui était celui des religions naturistes; elles s'adressent à tous, mais non pas à une collectivité qui embrasserait l'humanité entière, elles parlent à chacun, et c'est de lui qu'elles lui parlent; elles ne tondent pas directement à la prospérité collective, mais tout d'abord au salut individuel. Le véritable sanctuaire de Dieu, ce ne sont plus les temples où l'on sacrifie pour le peuple, c'est le cour du juste, c'est l'âme de l'humain pieux. Mais d'ordinaire les religions morales ne créent point pour s'exprimer de symboles originaux, où du moins persistent en elles, à côté d'eux, les vieilles cérémonies et les mythes anciens que rajeunissent les idées et les sentiments nouveaux qui s'y incarnent et qu'ont rendu sacrés les émotions augustes auxquelles depuis des âges reculés ils servent de véhicules. Par les cérémonies et les mythes sont réintégrés dans la religion morale le ritualisme et la mythologie des vieux cultes naturistes, et lorsqu'un sacerdoce se constitue dans la religion nouvelle, il devient l'instrument de cette réaction, de ce retour inconscient vers le passé. D'âge en âge apparaissent alors des prophètes, des inspirés, des réformateurs, qui reprennent l'ouvre que le fondateur avait tentée et s'efforcent d'édifier sur les ruines de la mythologie et du rituel une religion spirituelle, dont la substance même est faite d'affirmations morales.

Il faut remarquer qu'il y a entre les religions purement naturistes, telles que la religion védique, la religion primitive de l'Iran, les religions des Celtes, des Germains, des Hellènes ou des Romains, les religions de l'Assyro-Chaldée et les grandes religions éthiques des formes de transition ou de passage qui participent de la nature de l'un et de l'autre types de croyances et de pratiques : le brahmanisme, le mosaïsme ou judaïsme pré-prophétique, le mazdéisme en fournissent de très frappants exemples. Légalistes et ritualistes, nationales et, dans leurs formes originelles, indéniablement naturistes, elles sont cependant pénétrées d'une inspiration morale très haute, elles se préoccupent du salut de l'individu, elles se rattachent, sinon à des fondateurs historiques, du moins à des fondateurs légendaires. A vrai dire, il en est deux, le mosaïsme (Moïse) et le mazdéisme, qu'il semble bien que l'on doive comprendre dans le groupe des religions éthiques, malgré l'abondance des éléments naturistes qui y ont persisté. Quant au brahmanisme, on ne saurait le séparer des autres religions de la nature, auxquelles tant de liens le rattachent, mais il est indéniable que les préoccupations éthiques y tiennent une place essentielle, que la règle des moeurs y est inséparable des règles rituelles, que la rédemption morale de l'individu y est l'une des fins essentielles du culte, et l'on ne saurait oublier que le jaïnisme et le bouddhisme sont après tout nés de lui. (L. Marillier, c. 1900).

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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