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John Law

John Law est un financier, né à Edimbourg en 1671, mort à Venise en mai 1729. Son père, William, était orfèvre et en même temps changeur et banquier; sa mère, Jane Campbell, descendait de la noble maison d'Argyle. La mort de son père le mit en possession d'une grande fortune, dans laquelle était compris le domaine de Lauriston, dont il ajouta le nom à son nom patronymique. A vingt ans, il vint se fixer à Londres. II eut la malheur de tuer en duel un rival, le sieur Whilston, fut condamné à mort, puis, par grâce, à la prison perpétuelle. Il s'évada (1695), gagna le continent et visita en peu d'années Amsterdam, Paris, Venise, Gênes, Naples et Rome, partout préoccupé du système financier dont il recueillait à loisir les éléments. Il obtint enfin sa grâce complète, et, de retour en Ecosse, fit paraître les Considérations sur le numéraire et le commerce (La Haye, 1705, in-8). 

Persuadé que l'abondance du numéraire était la grande source de la prospérité publique, que, d'autre part, la valeur attribuée à l'or et à l'argent tenait non à leur rareté ni à leur utilité intrinsèque, mais au fait que ces métaux servaient presque uniquement de moyens d'échange, il prétendait les monopoliser dans une banque d'Etat, et les remplacer dans la circulation par des billets de crédit pour une valeur triple ou quadruple. La Banque percevrait les impôts, émettrait les emprunts publics. Elle centraliserait toute espèce de grand commerce et de grande industrie. Elle ferait d'ailleurs aussi les opérations ordinaires des banques (comptes de dépôts, escompte, etc.). Le capital nécessaire au fonctionnement serait divisé en actions. John Law développa aussi le plan d'une banque foncière qui aurait délivré aux propriétaires écossais, avec hypothèque sur leurs terres, un papier-monnaie ayant cours forcé. Ni la banque d'Etat, ni la banque foncière ne furent accueillies en Ecosse : les principes de Law parurent utopiques. Law reprit le cours de ses voyages; à Paris (où son nom était prononcé improprement Lass, du  génitif anglais Law's abusivement employé), il joua si grand jeu et avec tant de bonheur, que le lieutenant de police d'Argenson le pria de partir : 

« Il en savait trop aux jeux que lui-même avait introduits dans la capitale. »
John Law se rendit à Gênes, à Rome, à Venise, à Turin, où Victor-Amédée lui répondit qu'il n'était pas assez riche pour se ruiner; partout il menait grand train, vivant d'agiotage et de jeu : en 1715, iI avait réuni une fortune de 1.600.000 livres, tout en jetant l'or à pleines mains. Après la mort de Louis XIV, Law vit que le moment était favorable. La dette française s'élevait à 2.412.000.000, et les impôts étaient écrasants. Le conseil des finances repoussa la banque d'État comme avait fait le Parlement d'Ecosse. Mais Law obtint aisément de fonder à ses risques et périls une banque privée (lettres patentes du 2 mai 1716, registrées en Parlement le 23), qu'il surnomma toutefois «-générale ». Elle fut constituée au capital de 6 millions (1.200 actions payables un quart en espèces et trois quarts en billets d'Etat). Par édits des 8 et 10 mai 1716, la Banque fut établie rue Vivienne, dans une partie de l'ancien palais Mazarin. Outre l'escompte des lettres de change (abaissé successivement de 12 à 6 et à 4%), les comptes des négociants, et les dépôts, la Banque eut le droit d'émettre des billets payables au porteur en écus du même poids et du même titre que ceux du jour de l'émission. Comme, d'une part, les billets d'Etat perdaient les trois quarts de leur valeur et que Law les prenait au pair; que, d'autre part, les variations des monnaies étaient perpétuelles et que Law garantissait les porteurs de ces billets contre cet aléa, la Banque (unique d'ailleurs en son genre à Paris et en France) fit bientôt des affaires énormes et émit jusqu'à 20 millions de billets sans ébranler la confiance. L'édit du 10 avril 1717 lui permit de rayonner en province. Le crédit public et le commerce national se ranimèrent partout. 

Le 4 décembre 1718, le régent érigea cet établissement en banque royale, et Law en fut nommé directeur. Le 27 du même mois, un arrêt du conseil défendit de faire en argent aucun paiement au-dessus de 600 livres. Cet arrêt prohibitif amena des contraventions qui mirent dans toute sa nudité la partie la plus vile du coeeur humain, la soif de l'or! La voix de la nature, la voix de l'équité, furent étouffées; il y eut des confiscations; les dénonciateurs furent excités, encouragés, récompensés. On vit des valets trahir leurs maîtres, qui dans leur sagesse cherchaient à conserver l'argent qu'ils possédaient. Le frère fut vendu par le frère et le père par le fils. Des noms respectables disparurent, des noms flétris prirent leur place et brillèrent. La rue Quincampoix, à Paris, qui était devenue le centre de l'agiotage, devint le théâtre de scènes burlesques, odieuses ou tragiques. Un personnage grotesque barbotta au milieu de cette fange. C'était un pauvre diable que le caprice de la nature avait favorisé d'une protubérance sur le dos, et dont le romancier Paul Féval fera son Bossu (1858). Son industrie consistait à louer sa bosse aux agioteurs, qui, au milieu de cette foule, s'en servaient comme d'un pupitre. Si la banque avait duré longtemps, la bosse eût été sans doute à la mode. En 1719, cet établissement commençait déjà à tomber en discrédit. Des marchands anglais et hollandais se procurèrent alors à bas pris des sommes considérables en billets; ils se firent rembourser par la banque et emportèrent hors du royaume plusieurs centaines de millions en numéraire.
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L'affaire Law.
La rue Quincampoix et son bossu au temps de l'affaire Law.

Mais les bénéfices attendus ne répondirent pas à l'aveugle confiance de ceux qui avaient fait monter les actions de 500 livres à 10.000 et à 20.000 même. Les plus habiles se mirent à réaliser. John Law essaya d'enrayer la baisse par ses Lettres à un créancier (1720). Il recourut aux moyens toujours aisés en apparence du despotisme monarchique (cours forcé des billets, défense aux particuliers d'accaparer le numéraire, réduction progressive, bientôt révoquée, de la valeur des actions et des billets). La banqueroute commençait et le mécontentement éclata bientôt. Pour calmer les esprits, le régent destitua Law de ses fonctions de contrôleur-général. Ces billets de la banque étaient, comme nous l'avons dit, hypothéqués sur des établissements à créer dans le Mississippi. Mais il n'était question dans le public ignorant que des mines d'or, des champs de diamants et d'émeraude que l'on découvrait soi-disant chaque jour. Comme pourtant les colons manquaient, la police faisait pour y pourvoir des rafles de vagabonds et de filles publiques dans les rues de Paris. On s'empara aussi d'une assez grande quantité d'honnêtes artisans. Des femmes, dans l'espoir de vivre sans crainte avec leurs amants, payèrent des archers pour envoyer promener leurs maris au Mississippi. Des fils, pour jouir plus vite des biens de leurs pères, usèrent du même moyen; enfin, le peuple indigné se révolta, battit, tua quelques archers, et le ministre intimidé fit cesser cette odieuse persécution. 

Un édit du 21 mai 1720 avait ordonné la réduction graduelle de mois en mois des billets et des actions de la compagnie des Indes. Cette mesure avait été révoquée vingt-quatre heures après, mais elle avait déjà porté un coup mortel à la banque.  La Banque ne remboursa plus les billets au-dessus de 10 livres. Le peuple murmura et Law fut poursuivi par les huées et les menaces jusqu'au Palais-Royal où il s'était réfugié. La Banque fut supprimée, et les actions ou billets changés en rente après de notables réductions. Le régent garda Law dans son palais pendant tout le mois de décembre de cette année. Dans sa pauvreté Law s'était battu à toutes les armes en forme de partie de plaisir; lorsqu'il fut riche il devint poltron au-delà de toute idée, parce que, disait-il,

« je ressemble à la poule aux oeufs d'or, qui morte ne vaudrait pas davantage qu'une poule ordinaire. »
Il parvint à gagner secrètement une de ses terres. Des princes enrichis par son système eurent alors la pudeur de favoriser sa fuite. Il gagna d'abord Bruxelles, sans presque rien emporter. Puis il reprit avec moins d'éclat sa vie d'aventurier. Il se fixa enfin à Venise où il mourut. Les conséquences du système avaient été tellement effrayantes pour l'Etat et pour les particuliers, que, jusqu'à l'époque de Louis XVI, aucun établissement de crédit ne fut autorisé en France. (H. Monin).
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Dictionnaire biographique
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