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Kotzebue

August Friedrich Ferdinand de Kotzebue. - Littérateur né à Weimar le 3 décembre 1761, mort à Mannheim le 23 mai 1819. Il était fils d'un conseiller de légation du duché de Weimar, et, tout jeune encore, il perdit son père. Il nous a renseignés sur sa jeunesse dans Mein literaerischer Lebenslauf, un des nombreux écrits autobiographiques qu'il publia successivement, soit pour se défendre, soit simplement pour se raconter et se produire. Sa mère se consacra tout entière à son éducation; elle le fit instruire par deux candidats en théologie, qui, "en attendant qu'une vocation supérieure les mit à la tête d'un troupeau, n'épargnaient rien pour faire de lui un mouton". A leur enseignement pédantesque, il opposa les leçons plus aimables et plus fructueuses de sa mère, qui n'avait qu'un tort envers lui: c'était de l'adorer et d'exiger pour son enfant préféré le même tribut d'adoration de la part des personnes qui fréquentaient sa maison. La louange devint dès lors un besoin pour lui, et ce qui lui fut le plus sensible dans la suite, ce furent les blessures faites à sa vanité. 

Mme Kotzebue était en relations avec la cour et avec le monde littéraire, et Goethe se souvenait encore, dans sa vieillesse, d'avoir vu l'enfant jouer dans son jardin et dresser des pièges aux oiseaux. Goethe lui donna même quelques mots à dire dans une comédie intitulée Die Geschwister, où Amélie Kotzebue, la soeur aînée d'August, tenait le principal rôle. Déjà le futur écrivain s'annonçait par des essais, très éparpillés comme ses lectures, et appartenant à tous les genres. S'il fallait en croire son propre témoignage, il aurait composé, dès l'âge de six ans, une idylle et un drame; il est vrai que le drame tenait tout entier sur une page. Il jouait ses productions dramatiques, lui-même faisant tous les rôles, sur une petite scène qu'il avait installée dans la maison de sa mère; ce fut le premier des théâtres d'amateurs qu'il monta successivement dans tous les lieux qu'il habita.

Au gymnase de Weimar, il eut pour maître son oncle, le conteur Musaeus, qui encouragea son talent. En 1777, il commença ses études universitaires à Iéna, et il les continua l'année suivante à Duisbourg, où sa soeur venait de se marier. Il était inscrit à la faculté de droit, mais il étudia surtout les langues anciennes, le français et l'italien. Étant à Iéna, il remit un conte en vers à Wieland, et il s'étonna de ne pas le voir paraître dans le Mercure allemand, que Wieland dirigeait. De Duisbourg, il envoya une comédie à Schroeder, alors directeur du théâtre de Hambourg, qui la lui retourna ; l'éditeur Weygand lui refusa également le manuscrit d'un roman. Ce triple échec était très blessant pour un homme qui débutait hardiment dans trois genres différents. Il put cependant faire représenter devant la cour de Weimar, en 1779, un drame, Charlotte Frank, faible imitation d'Emilia Galotti, qui échoua, et une comédie, Die Weiber nach der Mode, qui réussit grâce à quelques allusions satiriques qu'il y avait introduites. 

A la suite de ces premiers succès, et après qu'il eut passé ses derniers examens de droit, le comte de Goerz, ambassadeur de Prusse en Russie, ami de son père, attira sur lui la faveur de l'impératrice Catherine Il. Nommé gouverneur de l'Estonie en 1783, il épousa une jeune fille noble, qui avait de grandes propriétés aux environs de Revel (Tallinn); lui-même était anobli par sa charge. Il créa aussitôt dans sa province un théâtre, où il fit jouer les pièces qu'il avait composées dans l'intervalle, tragédies, drames, comédies et farces. En 1787, une maladie dont il guérit avec peine, et qui le laissa dans un état de faiblesse mélancolique, lui inspira le fameux drame de Misanthropie et Repentir, qui fit le tour de tous les théâtres de l'Europe. Cette pièce, le triomphe de la prose larmoyante, fut applaudie à Paris, en pleine Révolution, en 1792; une nouvelle version, faite par la citoyenne Molé, la soeur de l'acteur, en 1798, parut si bien acclimatée sur les scènes françaises qu'elle fut reprise, en 1823, par Talma et Mlle Mars; enfin, et sans parler des traductions de Weiss et Jauffret en collaboration, de Weiss seul, et de Rigaud, Misanthropie et Repentir fut encore porté sur le Théâtre-Français par Gérard de Nerval en 1855, et sur le théâtre de l'Odéon par Pagès en 1862, les deux dernières fois avec un moindre succès; cependant Gérard de Nerval avait ajouté au texte allemand ce qui manque à toutes les oeuvres de Kotzebue, le style. 

Pour rétablir tout à fait sa santé, Kotzebue se rendit, en 1790, aux eaux de Pyrmont ; il vint ensuite à Weimar, où il fut reçu avec des marques d'estime, mais non avec les grands honneurs auxquels il s'attendait. II se vengea par un odieux pamphlet, Doctor Bahrdt mit der eisernen Stirn, qu'il mit sous le nom du moraliste Knigge, mais dont on connut bientôt le véritable auteur. L'opinion publique se souleva contre lui, et, sa femme étant morte peu de temps après, il quitta des lieux où, disait-il, il avait perdu le repos de sa vie. II passa l'hiver suivant à Paris, chargé, sans doute, par le gouvernement russe d'observer la marche de la Révolution.

Il a consigné les détails de son voyage et de son séjour dans l'écrit intitulé Meine Flucht nach Paris im Winter 1790. Sa mission terminée, il retourna en Russie et composa une série d'ouvrages dramatiques, satiriques et autobiographiques, qu'il fit paraître successivement sous le titre de Die ,jüngsten Kinder meiner Laune (Leipzig, 1793-97, 6 vol.). En 1795, il se démit de ses fonctions de gouverneur - on ne sait si ce fut de gré ou de force - et il se retira dans son domaine de Friedentlial, aux environs de Narva.

Poussé par le besoin de se rappeler au souvenir de ses compatriotes, Kotzebue entreprit, en 1797, un nouveau voyage en Allemagne; il s'arrêta à Vienne, où il fut appelé à diriger les représentations du Théâtre de la cour, fonction que venait de quitter le poète Alxinger. Mais il eut bientôt de vifs démêlés avec les acteurs, et il résigna sa charge au bout de deux ans, moyennant une pension de 1 000 florins. Il revint à Weimar (1800), cette fois avec l'intention de s'y fixer; il y acheta même une maison. Mais, sur le conseil de sa seconde femme, une Livonienne, il voulut, la même année, retourner en Russie. Il fut arrêté à la frontière, séparé de sa femme, vit ses papiers saisis, et on lui déclara qu'il était relégué en Sibérie, sans lui indiquer les motifs de cette mesure. Il réussit à tromper la vigilance de ses gardiens, et trouva pendant quelques jours un asile dans un château voisin; mais il fut dénoncé et définitivement acheminé vers son lieu d'exil. C'est du moins ce qu'il raconte dans son ouvrage : Das merkwürdigste Jahr meines Lebens (Berlin, 1801, 2 vol.); mais aucun document authentique ne permet de contrôler l'exactitude de ces détails. Des critiques malins n'ont-ils pas prétendu que tout le récit n'était qu'un roman ingénieux? ( surtout les Lettres d'un Français à un Allemand servant de réponse à M. de Kotzebue, par Ph, Masson, Bâle, 1802; et Bemerkungen über des Herrn von Kotzebue neuesten Roman, Das merkwürdigste Jahr meines Lebens, Vienne, 1802; enfin, une lettre de Schiller à Goethe, du 6 juillet 1802). 

Le fait est que Kotzebue arriva à Tobolsk, qu'il y fut très bien reçu, et qu'il eut même la satisfaction d'y voir jouer quelques-unes de ses pièces. Il fut transporté ensuite à Kurgan, qui lui était assigné comme séjour, et où il fut traité également avec de grands égards. Au reste, son exil ne dura pas. L'empereur Paul, ayant lu dans une traduction russe la petit drame intitulé le Vieux Cocher de Pierre III, où son père était loué, dépêcha aussitôt un courrier en Sibérie pour ramener l'auteur. Kotzebue fut nommé conseiller aulique et directeur du Théâtre allemand de Pétersbourg, et il reçut en outre, comme compensation de ses ennuis passés, le domaine de Wokrokul, dont le revenu était de 4 000 roubles. L'empereur Alexandre Ier, qui succéda à Paul en 1801, paraît lui avoir été moins favorable, du moins dans les premières années de son règne. Kotzebue revint en Allemagne, et essaya encore une fois de se fixer à Weimar. Mais la situation prépondérante que Goethe y avait acquise le gênait.

Il présenta au théâtre une de ses meilleures comédies : Die deutschen Kleinstaedter, inspirée par la Petite Ville de Picard. Goethe, comme directeur, en retrancha, pour la représentation, les allusions personnelles; la pièce réussit, mais Kotzebue n'en garda pas moins rancune à Goethe. Il organisa, pour se venger, une manifestation en l'honneur de Schiller, dont le but était bien moins de fêter Schiller que de diminuer le prestige de Goethe. Il fallut l'intervention du duc de Weimar pour déjouer ses intrigues. Il habita quelque temps Iéna, fit ensuite un second voyage à Paris, et s'établit, en 1802, à Berlin, où il fonda une revue, Der Freimüthige, dirigée contre Goethe et les frères Schlegel : ceux-ci, plus tard chefs de l'école romantique, ne s'étaient pas encore séparés du groupe de Weimar. Dans les années suivantes, nous trouvons Kotzebue tour à tour en France, en Livonie et en Italie; il recueillit ses impressions dans Erinnerungen aus Paris im Jahre 1804 (Berlin, 1804) et Erinnerungen von einer Reise aus Liefland nach Rom-und Neapel (Berlin, 1805). En 1806, il s'arrêta à Koenigsberg pour dépouiller les archives de la ville, et il en retira quelques documents importants, qui forment tout l'intérêt de son ouvrage sur l'Histoire de la Prusse (Riga, 1808-1809, 4 vol). 

Étant à Paris, il avait cherché en vain à attirer l'attention de Napoléon, et il montra dès lors un vif ressentiment contre la France. Lorsque la Prusse fut occupée par les armées françaises, il regagna la Russie, et, après la paix de Tilsit, il fut chargé d'une mission secrète à Londres, dont le but paraît avoir été de négocier la reddition de la flotte russe à l'Angleterre. Il commença, en 1808, une publication trimestrielle, Die Biene, mélange de récits et d'anecdotes, de tirades morales et politiques, et il en donna la suite dans Die Grille, qui parut à intervalles inégaux en 1810 et 1811. L'unique lien, qui rattachait entre elles ces feuilles éparses, c'était la haine de l'auteur contre Napoléon et la France. Il voulait même que la langue française fût bannie des relations internationales. Ce fut lui surtout qui, pendant les campagnes de 1812 et 1813, rédigea les notes diplomatiques et les manifestes de l'empereur Alexandre. Il suivait le quartier général russe.

En 1814, il fut nommé consul de Russie à Koenigsberg, où il prit en même temps la direction du théâtre. Rappelé à Pétersbourg en 1816, il fut attaché au ministère des affaires étrangères. Mais, dès l'année suivante, il repartit pour l'Allemagne, avec la mission secrète de renseigner le gouvernement russe sur l'état des esprits dans l'Europe occidentale et spécialement sur les revendications et les entreprises du parti libéral. Les peuples qu'on avait menés à la croisade contre Napoléon réclamaient avec instance les réformes qui devaient être le prix de la victoire, tandis que les souverains ajournaient d'année en année la réalisation de leurs promesses. Kotzebue était d'avis que la volonté du prince était la première des lois et qu'un peuple n'avait aucun droit par lui-même. C'est la doctrine qu'il prêchait dans sa feuille hebdomadaire : Das literarische Wochenblatt; il y poursuivait aussi de ses sarcasmes les associations d'étudiants, qui propageaient l'esprit révolutionnaire. Il avait d'abord demeuré à Weimar, mais, le voisinage des universités d'léna et de Halle lui ayant parti dangereux, il s'établit à Mannheim. 

Une dernière circonstance acheva de le perdre dans l'opinion publique. Lors du congrès d'Aix-la-Chapelle, en 1848, un journaliste nommé Sturdza rédigea en français et pour le compte du tsar un Mémoire sur l'état actuel de l'Allemagne, qui fut tiré à cinquante exemplaires et communiqué à titre confidentiel aux cours allemandes. Un exemplaire fut livré à la rédaction du journal anglais le Times, qui le publia. Le mémoire ne contenait pas seulement des accusations graves contre la jeunesse des écoles, mais encore des insinuations blessantes pour l'amour-propre national; il n'était pas de la main de Kotzebue, mais celui-ci l'avait certainement inspiré et en avait fourni les matériaux. Le 23 mars 1819, à dix heures du matin, un étudiant de l'université d'Iéna, Karl-Ludwig Sand, se présenta, avec une demande d'audience, dans la demeure de Kotzebue, qui lui donna rendez-vous pour l'après-midi. Il revint à l'heure indiquée, et, après avoir échangé quelques paroles avec Kotzebue, il le frappa au coeur d'un coup de poignard en s'écriant : "Traître à la patrie !". Il essaya ensuite de se tuer, et ne put que se blesser. Le procès dura jusqu'au mois de septembre; la sentence de mort ne fut prononcée que le 5 mai 1820, et l'exécution eut lieu le 20 mai. Un compte rendu du procès fut donné par Hohehorst (Stuttgart, 1820), mais la vente n'en fut autorisée que trois ans après. Dans le public, on plaignait non pas la victime, mais le meurtrier. Au reste, le crime de Sand, comme tous les crimes politiques, alla contre son but et ne fit que hâter la réaction. Quant à la réputation littéraire de Kotzebue, elle ne fut ni grandie ni diminuée par sa mort violente

Kotzebue n'a jamais été compté comme historien, et, comme auteur dramatique, il n'a jamais su créer un caractère. Ses comédies se sont maintenues plus longtemps que ses tragédies et ses drames, grâce à une qualité qui n'aurait pas suffi à les faire réussir chez nous, mais qui manque souvent même aux grands écrivains allemands, l'entente de la scène. Aujourd'hui, la banalité des effets choque le public, devenu plus délicat. C'est quelque chose, disait Molière, de faire rire les honnêtes gens : Kotzebue n'a jamais cherché qu'à faire rire n'importe qui et par n'importe quels moyens. (A. Bossert).

Cinq fils de Kotzebue se sont rendus célèbres à divers titres. 

Otto (1787-1846) a fait trois voyages autour du monde; dans le second, qu'il fit à bord du Rurik, dans le but de découvrir une route par les mers du Nord, il eut pour compagnon le poète Chamisso; un archipel au Sud du détroit de Béring porte son nom.

Moritz (1789-1861) accompagna son frère dans le premier de ses voyages; fait prisonnier par les Français en 1812, il a retracé les incidents de sa captivité dans Der russische Kriegsgefangene unter den Franzosen (Leipzig, 1815); il a fait partie d'une ambassade russe en Perse, dont la relation a été publiée par son père (Vienne, 1819). 

Paul (1801-84) combattit dans les armées russes en Perse, en Turquie et en Pologne; il devint chef d'état major du général Gortchakov en 1853, prit part au siège de Silistrie, à la défense de Sébastopol et à la bataille de la Tchernaïa; il a été gouverneur de la Pologne de 1874 à 1880.

Wilhelm, né en 1813, a fait sa carrière dans la diplomatie; il a donné au théâtre, sous le nom de Wilhelm Augustsohn, deux drames : Ein unbarmherziger Freund et Zwei Sünderinnen, dont le premier a réussi, et on lui doit quelques publications intéressantes sur la Moldavie, telles que : Rumaenische Volkspoesie (Leipzig, 1857), et Aus der Moldau, Bilder sent Skizzen (1860).

Alexander, peintre de batailles, né en 1815, abandonna en 1837 l'état militaire pour l'art et étudia sous Sauerweib à l'Académie de Pétersbourg. Sa première oeuvre importante, la Prise de Varsovie, lui valut du tsar de nombreuses commandes. Après avoir tour à tour séjourné à Paris et travaillé dans l'atelier d'Horace Vernet, aux Pays-Bas et en Italie, il alla se fixer à Munich, où il s'attacha surtout à reproduire, dans des compositions grandioses et pleines d'un coloris éclatant, des scènes de guerre du XVIe siècle : Prise de Schlüsselburg, Bataille de Poltawa, Prise de Narva, Passage du col de Panitz par Soumarow, Episode du Combat de la Trebbie en juin 1799, Combat du Pont-du-Diable, Passage de la baie de Bothnie; ajoutons-y : la Fondation de Pétersbourg, pour le Maximilianeum de Munich, et la toile humoristique : le Général Scheremetjew recevant au nom de Pierre le Grand le serment d'hommage de le ville de Riga

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