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Les
Khitans avant leur établissement en Chine
Les légendes khitanes placent le berceau
de ce peuple au Sud de la rivière Sira-muren; en outre, nous savons que
l'ancienne capitale (Ling-hoa Tcheng ou Si leou) était au Nord-Ouest de
la ville de Koangning où étaient enterrés quelques-uns des chefs khitan;
Koang-ning est situé à l'Ouest de la rivière Leao, dans la province
mandchoue de Chang-king, mais tout près de la barrière de pieux qui forme
la limite Ouest du Leao-tong; l'ancienne capitale devait donc se trouver
en dehors de cette barrière, c.-à -d. dans la partie Nord du Tche-li occupée
par la suite par les Mongols Tumet. LÃ
fut pendant de longs siècles le centre de l'État khitan. Le première
mention qui soit faite des Khitans par les annales chinoises date de l'année
405 de notre ère; mais cette mention
elle-même nous fait remonter plus haut encore dans leur histoire, puisqu'elle
se réfère à un certain Kopi-neng, qui aurait été chef des Khitans
vers 233-239 ap. J.-C. Cependant un
autre texte ne rapporte l'apparition des Khitans qu'Ã une date un peu
postérieure à l'année 333; ce serait
en effet après la défaite des Tong-hou par Mou yang hoang, roi du Leao-tong
(monté sur le trône en 333), que les Tong hou se seraient divisés en
trois hordes dont l'une prit le nom de Khitan.
Les Khitans n'apparaissent pas dès le
début comme une entité bien puissante; un des plus célèbres parmi leurs
anciens chefs, Dakhuri, qui commandait en 479
à leurs huit tribus, n'avait que 40 000 sujets. Aussi les Khitans ne purent-ils
pas se maintenir dans un état de complète indépendance; ils furent soumis
aux Yeou-yen qui étaient, au Ve
siècle et au commencement du VIe,
la puissance dominante en Mongolie. Quand, vers l'année 552,
les Yeou-yen furent détruits par les Turks,
les Khitans ne firent que changer de maîtres et tombèrent sous le joug
turc. Ils profitèrent cependant de la période de transition pour diriger
une attaque contre l'empereur de la dynastie des Tsi septentrionaux qui
régnait alors à Pékin; ils furent repoussés
d'ailleurs avec pertes. Jusqu'au commencement du VIIe
siècle, kes Khitans restèrent de fort gênants voisins pour
les Chinois qui avaient à se garder sans cesse contre leurs incursions.
Mais lorsque l'Empire du Milieu, longtemps divisé en deux ou plusieurs
Etats rivaux, retrouva son unité sous les princes de la dynastie Tang,
il ne tarda pas à faire respecter son prestige jusqu'en Tatarie; en l'an
628, les Khitans se soumirent à l'empereur
Taizong; leur pays fut appelé la commanderie
de Song-mo et leur chef en fut nommé gouverneur (tou-tou). Cette
soumission ne fut réelle qu'autant que les Khitans virent les Chinois
capables de les maîtriser; dès qu'ils les sentaient faiblir, ils se révoltaient;
c'est ainsi que le Fils du Ciel eut plus d'une fois à les combattre, notamment
en 697, en 714,
en 730 et en 749.
Durant la seconde moitié du VIIIe
siècle et la première moitié du
IXe, les Turks Ouïgours
furent tout-puissants en Mongolie; c'est à eux que les Khitans prêtèrent
serment d'allégeance; aussi ne les voyons-nous guère, dans toute cette
période, immiscés aux affaires de Chine. Cependant, en 848,
les Ouïgours furent battus par les Hakas, les ancêtres des Kirghizes
actuels; les Khitans grandirent alors rapidement. A la fin du IXe
siècle, la dynastie Tang, elle aussi, donnait des signes visibles
de décrépitude; la Chine ne devait pas offrir beaucoup de résistance
au chef barbare qui serait assez hardi pour l'envahir : Apaoki fut le héros
khitan qui eut cette audace.
Les
Leao
Yelu Apaoki était né en l'an 872;
Hentekin, qui était devenu roi des Khitans en 901,
lui donna le commandement de l'armée. En 902,
Apaoki envahit le Nord de la Chine et rapporta de cette expédition un
grand butin et 95 000 prisonniers. A son retour, il construisit la ville
de Long-hoa-tcheou (appelée aussi Chang-king = la capitale supérieure,
ou Si-leou = la tour de l'Ouest), au Sud de la rivière Jaune ou
Sira-muren, probablement sur la rive droite du Chono-ussu, en face de la
bourgade ruinée de Boro-khoto. Dans les années qui suivirent, de sanglantes
intrigues de palais achevèrent de perdre la dynastie Tang qui disparut
de la scène de l'histoire en 907.
La Chine se divisa alors en plusieurs royaumes. Un de ces Etats fut
celui d'Apaoki, qui ne comprenait, à vrai dire, qu'un très petit territoire
de la Chine propre, puisqu'il ne dépassait pas au Sud la préfecture secondaire
de Ki, au Nord-Est de Pékin, mais qui était
considérable par, ses possessions en Mongole. Apaoki l'agrandit encore
par la conquête du royaume de Po-Haï (Leao tong) qu'il fit de 925
à 926; son pouvoir s'étendit alors
depuis la Corée à l'Est jusqu'Ã
la Dzoungarie
à l'Ouest. Il mourut en l'an 926 et
fut canonisé sous le nom de Tai tsou.
Il est regardé comme le fondateur de
la dynastie à laquelle son fils Tai tsong donna en 937
le nom de Leao; ce fut Tai tsong qui en fit une dynastie vraiment chinoise
en
s'emparant de tout le Nord de la Chine
aux dépens de la dynastie éphémère des Turks Cha-to ou dynastie des
Tsin postérieurs (936-945).
Enfin, à partir de l'année 979, et
jusqu'au commencement du XIIe
siècle, la Chine ne fut plus divisée qu'en deux grands Etats
: la Chine du Sud, gouvernée par les Song, et la
Chine du Nord où régnaient les Khitans; c'est à cette époque que la
Chine commença à être connue de l'Europe, et, comme ce fut par les régions
du Nord qu'on entra en relations avec elles, notre Moyen âge apprit Ã
la désigner sous le nom des Khitans et l'appela le Catay ou Cathay.
Les
empereurs khitans de la dynastie Leao sont les suivants : Tai Isou (907-26)
Tai tsong (927-46); Che tsong (947-50); Mou tsong (951-67);
King tsong (968-82); Cheng tsong (983-1030); Hing tsong (1031-1054);
Tao tsong (1055-1100); Tien tcha (1101-24).
Malgré la durée et la puissance de la dynastie
Leao, on n'a conservé aucun livre ni aucune inscription en langue khitane.
On ne possède qu'un petit nombre de mots écrits en transcription chinoise
dans un appendice à l'histoire des Leao; sauf quelques caractères reproduits
dans le Chou che hoei yao, on n'a aucun spécimen de l'écriture
: on sait cependant par les Annales chinoises que, en 920,
Apaoki fit, inventer un système de caractères écrits dérivés des caractères
chinois.
Les
Leao occidentaux (Kara Kitaï)
Après avoir régné sur la Mongolie, la
Mandchourie et le Nord de la Chine pendant
plus de deux siècles, les Khitans reparaissent encore une fois au Nord
du Turkestan;
leur nouvel empire, quoiqu'il n'ait guère duré qu'une cinquantaine d'années,
eut cependant un grand éclat. Les souverains khitans de l'Asie centrale
sont connus des Chinois sous le nom de Si Leao ou Leao occidentaux et des
écrivains persans sous le nom de Kara Khitai ou Khitan noirs.
Le fondateur de cette dynastie fut un certain
Yelu Tache. En 1122, Yelu Tache avait
été mis à la tête des troupes par le dernier empereur de la dynastie
Leao, Yelu Yen-hi (dont le nom posthume est Tien-tcha); en cette qualité,
il lutta contre les Toungouses de la
dynastie Kin (Jin) qui avaient envahi la Chine septentrionale; mais il
ne put leur tenir tête; l'empereur dut s'enfuir de Pékin,
fut fait prisonnier en 1214 et mourut
peu après. Yelu Tache, à la tête de 70 cavaliers suivant les uns, de
200 suivant les autres, s'enfonça alors dans l'Ouest; il ne tarda pas
à être rejoint par plusieurs chefs nomades et, en 1125,
se trouva à la tête d'une armée de dix mille hommes. Il intimida si
fort le khan turc qui commandait la Kashgarie, qu'il lui prit sans coup
férir sa capitale, Balagasoun (la situation de cette cité a donné lieu
à de nombreuses controverses; Bretschneider et Howorth la plaçaient sur
la rivière Tchou, qui sort du lac Issik-koul); les Kara Khitans eurent
dès lors le centre de leur empire dans la région comprise entre le lac
Balkash, la rivière Ili et la rivière Tchou; mais leur domination s'étendait
bien au delà et se faisait sentir jusque dans la Kashgarie et le Kharezm
(capitale Ourghendj).
Yela Tache prit le titre de gourkhân ou
khan universel. Il mourut en 1136.
Sa femme, la Kan tien heou, exerça la régence de 1136
à 1141. Son fils Yelu yili (canonisé
sous le nom de Jen tsong) prit le pouvoir en 1142
et mourut en 1153. La soeur de Yelu
Yili, Pu-so-wan, exerça la régence de 1154
à 1168. Tchikoulou, second fils de
Yelu yili, monta sur le trône en 1168;
il fut le dernier souverain de la dynastie. En 1203,
Gengis Khan avait défait les Naïmans orientaux
et, en 1206, les Naïmans occidentaux;
Goutchlouk, fils du chef des Naïmans orientaux, s'enfuit avec les débris
de son peuple et, toujours poursuivi par les Mongols,
arriva en 1208 sur le territoire de
Tchikoulou. Celui-ci, se trouvant à la chasse, fut fait prisonnier par
Goutchlouk qui s'arrogea le titre de gourkhân et se proclama successeur
des empereurs Leao. L'usurpateur ne jouit pas longtemps de son triomphe,
car il fut tué en 1218 par les Mongols
dont l'envahissante suprématie supprima définitivement l'empire khitan.
Pour suivre jusqu'au bout les destinées
des Khitans, il faut rappeler que, même après la conquête mongole, on
les voit reparaître une fois encore. Un officier du dernier khan du Kara
Khitai, un nommé Borae Hadjib, tenta la fortune à main armée; il s'empara
de la ville de Kévachir (ou Bardasir) et se fit reconnaître sultan de
toute la province perse de Kirman. Ses descendants héritèrent de son
trône pendant quatre-vingt-six ans; ils furent nommés Kara Khitaïens.
Ils s'éteignirent en l'an 1309. (Ed.
Chavannes). |
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