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Baïf

Lazare de Baïf est un diplomate et humaniste, né en sa terre des Pins, près de La Flèche, en Anjou, vers la fin du XVe siècle, mort en 1547. Après un début de carrière assez difficile, il fut attaché à la maison da cardinal de Lorraine, devint, sous François Ier, conseiller du roi, maître des requêtes de l'hôtel du roi, et ambassadeur à Venise et en Allemagne. Les dépêches de son ambassade de Venise, la plus importante, vont du 16 août 1529 au 1er janvier 1534.

Il est aussi connu comme humaniste que comme diplomate et s'était lié en Italie avec Bembo, Sadolet et les meilleurs lettrés du temps. Il avait appris le grec sous la conduite de Jean Lascaris et passait pour l'un des meilleurs hellénistes de France. Il a traduit en français, vers pour vers, l'Electre de Sophocle (Paris, 1537) et l'Hécube d'Euripide (Paris, R. Estienne, 1550). Ces deux traductions ont paru sans nom d'auteur. Il avait commencé à traduire les Vies de Plutarque

On lui doit : De re vestiaria (Bâle, 1526), et De re navali et vestiaria et de vasculis et Antonii Thylesii de coloribus (Paris, 1536, avec figures, réimprimé à Bâle, 1537 et 1541, et chez Estienne, 1549). Le De re navali, qui fut dédié à François Ier, fut l'occasion d'une polémique très vive entre Charles Estienne et Etienne Dolet, qui s'était occupé du même sujet (1536). Ce traité a fait longtemps autorité pour les questions de marine ancienne. (P. de Nolhac).

Jean-Antoine de Baïf est un poète français, né à Venise en février 1532, mort vers 1589. Il était le fils naturel de Lazare de Baïf, gentilhomme angevin, alors ambassadeur de François Ier auprès de la République de Venise. Le poète a pris soin de nous raconter loi-même l'histoire de ses premières années dans une épître adressée au roi Charles IX et placée en tête du recueil général de ses poésies publié en 1573. Il eut pour parrain le capitaine Rinçon, revint bientôt en France avec, son père qui fut nommé conseiller d'Etat et ne l'accompagna pas dans la dernière mission diplomatique dont il fut chargé, à la diète de Spire.

Jean-Antoine ne fut pas si tôt hors de l'enfance tendre, pour nous servir de ses propres expressions, que son père lui donna, sans épargner, les maîtres les meilleurs : en dernier lieu, il le confia au célèbre Daurat qui professait au collège de Coqueret. Daurat avait un autre élève de douze ans plus âgé, Pierre de Ronsard. Les deux jeunes gens se lièrent d'une vive affection; aussi bien les relations étaient anciennes entre leurs deux familles, originaires de pays voisins. Cette amitié eut les plus heureuses conséquences pour l'un et pour l'autre : Ronsard révéla sans doute à son jeune ami les secrets de la versification française; Baïf, de son côté, put faciliter à son compagnon l'étude de la langue grecque.

Lazare de Baïf mourut en 1547, laissant à son fils de quoi vivre honorablement.
En 1549 paraît La Défense et Illustration de la langue française. Du Bellay et Ronsard sont déjà célèbres, Baïf brûle de les égaler; en 1551, il donne ses premiers vers dans le Tombeau de Marguerite de Valois et, presque coup sur coup, publie les Amours de Méline et les Amours de Francine (1552-1555). On croit généralement que Méline ne fut qu'une maîtresse imaginaire ; quant à Francine, elle lui inspira une passion réelle et sincère (lire le poème de Ronsard, le Voyage de Tours, où il met en scène Baïf et Francine).

Vers 1569, les biens du poète furent pillés par les calvinistes et il en fut à moitié ruiné; il eut recours à Charles IX qui lui vint libéralement en aide et le nomma même secrétaire ordinaire de sa chambre. En 1573, il publia le recueil général de ses poésies chez Lucas Brayer; il les divisa en neuf livres de poèmes, cinq d'amours, cinq de jeux, cinq de passe-temps. Les jeux comprennent une tragédie avec choeurs, Antigone, et une comédie en vers de huit syllabes, le Brave. L'édition de 1573 contient, en somme, toute l'oeuvre poétique de Baïf, à l'exception des Mimes, Enseignements et Proverbes qui parurent trois ans plus tard. Les Mimes furent très goûtés des contemporains, et leur vogue se maintint si longtemps qu'on les réimprima jusqu'à six fois, de 1576 à 1619.
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 Extrait d'Antigone

Créon a défendu d'ensevelir Polynice, frère d'Antigone ; celle-ci a désobéi, le tyran l'inerroge et la menace de mort (ces vers sont traduits de Sophocle).

« CRÉON.

Toy, toy qui tiens penchant la teste contrebas, 
Dy, le confesses-tu, ou nies [Ni-es, dissyllabe] tu le cas?

ANTIGONE.

J'avoue [J'a-vou-e. trissyIIabe] l'avoir fait, et je ne le vous nie.

CRÉON. (Au garde.)

Quant est de toy, va-t-en ou tu auras envie,
Absous de ce forfait. (A Antigone.) 
Toy, qui as fait l'offense, 
Dy-moy sans delaier [= sans faire delai], scavois tu la deffense?

ANTIGONE.

Ouy, je la scavois, et chacun comme moy.

CRÉON.

Et tu as bien osé faire contre la loy?

ANTIGONE.

Aussi n'estoit ce pas une loy, ni donnée
Des dieux, ni saintement des hommes ordonnée; 
Et je ne pensoy pas que tes loix peussent tant 
Que toy, homme mortel, tu vinsses abatant
Les saintes lox des dieux, qui ne sont seulement 
Pour durer aujourd'huy, mais eternellement; 
Et pour les bien garder j ay mieux aimé mourir
Que ne les gardant point, leur courroux encourir;
Et m'a semblé meilleur leur rendre obeïssance
Que de creindre un mortel qui a moins de puissance 
Or si davant le temps, me faut quitter la vie, 
Je le comte pour gain, n'ayant de vivre envie, 
Car qui ainsi que moy, vit en beaucoup de maux,
Que perd il en mourant, sinon mille travaux! A
ussi ce ne m'est pas une grande douleur 
De mourir, pour sortir hors d'un si grand malheur;
Mais ce m'ust bien esté un plus grand deconfort [=désespoir, découragement.] 
Si, sans point l'inhumer, j'usse laissé le mort 
Duquel j'estois la soeur, fille de mesme mere [Jocaste] 
Mais, l'ayant fait, la mort ne me peut estre amere. 
Or, si tu dis que j'ay follement fait l'offense,
Encor plus follement tu as fait la deffence. »
 

(Baïf, extrait d'Antigone).

Cependant, malgré l'éclatant succès de son dernier ouvrage, la renommée de Baïf ne lui survécut guère; au commencement du XVIIe siècle, il était déjà oublié et même méprisé. Le cardinal Du Perron disait de lui qu'il était un très mauvais poète. La critique moderne n'a pas ratifié ce jugement véritablement inique, elle a reconnu à Baïf un talent poétique gracieux et facile, trop facile peut-être. Sainte-Beuve, dans son Tableau de la poésie française au XVIe siècle, lui a rendu la part de gloire qu'il mérite et lui a fixé au sein de la Pléiade un rang honorable au-dessous de Ronsard et de Du Bellay.

Mais Baïf ne fut pas seulement un poète, ce fut aussi un réformateur de la poésie française; il voulut remplacer l'usage des vers rimés par celui des vers mesurés selon les règles de la prosodie latine et grecque; en même temps il songeait à simplifier l'orthographe. II nous a laissé un recueil de ces vers mesurés, appelés aussi baïffins, sous ce titre : « Etrenes de poesie fransoeze en vers mesurés... au Roé... Les Bezognes d'Eziode, les vers dorés de Pitagoras, Anségnemans de Faukilidès, 1574-». Il avait aussi composé deux traités, malheureusement perdus aujourd'hui, l'un sur la prononciation, l'autre sur l'art métrique.

Pour mener à bonne fin sa double entreprise, Baïf fonda, en 1567, une Académie de musique et de poésie; le roi en approuva les statuts malgré une vive opposition de l'Université. Les académiciens se réunissaient soit dans la maison du poète, au faubourg Saint-Marcel, soit même, comme nous l'apprend Agrippa d'Aubigné, pour l'année 1576, dans le cabinet du roi. Malgré le constant appui de Charles IX et de Henri III, l'Académie avait cessé d'exister en 1584. (E. Salone).
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Fables

« Tout l'esté chanta la cigale;
Et l'hyver elle eut la faim vale* 
Demande a manger au fourmi [masculin au XVIe s.].
« Que fais-tu tout l'esté? - Je chante.
- Il est hyver; dance, faineante [On prononçait fai-niante (nian, diphtongue)]. » 
Apprend des bestes, mon ami.

Le lion et l'ours se liguerent; 
Une proie ensemble questerent [= cherchèrent]. 
La prennent, en sont en debat. 
Le renard leur querelle avise;
A l'emblée [ = enlever en volant comme un oiseau] emporte leur prise, 
La mange, durant leur combat.

A ce que l'on dit, tous les hommes
De nature ainsi faits nous sommes, 
Qu'un bissac au cou nous portons.
Poche davant, poche derriere 
Davant (c'est l'humaine maniere) 
Les fautes d'autruy nous mettons,

Derriere nous jettons les nostres, 
Voyans clair aux pechez des autres, 
Aux nostres avons les yeux clos. 
Si jamais vous ay fait service 
Qui vous ait pleu, voyez mon vice 
En la poche dessus mon dos. »

* Faim subite et impérieuse. L'étymologie de vale est inconnue. Fringale est une corruption de faim vale.
 

(Baïf, extrait des Mimes).
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