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Le Jansénisme

Les théologiens orthodoxes définissent le jansénisme : un système hérétique sur la grâce, le libre arbitre, la prédestination, le mérite des oeuvres et le bienfait de la rédemption. Dans le célèbre livre que ses éditeurs testamentaires intitulèrent Augustinus Cornelii Jansenii, episcopi, seu doctrina sancti Augustini de humanae naturae sanitate, aegritudine, medicina, adversus Peligianos et Massilienses, tribus tomis comprehensa (Louvain, 1640, in-foI.; Paris, 1644; Rouen, 1652), Jansenius avait entrepris d'exposer la doctrine de saint Augustin. Or, comme nous l'avons dit à propos de Baius et de Gotteschalk, il y a beaucoup de choses, des choses différentes et même contraires, dans saint Augustin, qui a rédigé lui-même de nombreuses rétractations de ses propres opinions, et dont l'autorité a été alléguée tour à tour par les catholiques et par les hérétiques. Quand il combat les manichéens, qui estimaient essentiellement mauvaise la nature de l'humain, il laisse à la liberté et aux facultés humaines une part qui peut être accommodée à la doctrine traditionnelle du catholicisme. Mais, quand il combat les pélagiens (Pélage), qui lui opposaient les qualités naturelles et la liberté de l'humain, et généralement toutes les fois qu'il expose ingénument son propre sentiment, tout en gardant le nom de liberté, il réduit l'humain à une impuissance telle, qu'elle rend vains tous les efforts de sa volonté, et qu'elle l'asservit à une grâce nécessaire, d'autant plus voisine de la fatalité, que dans le système qu'il développa en la lutte contre les pélagiens, la préscience divine équivaut à la prédestination. En effet, par suite du péché d'Adam, l'humanité est devenue une masse corrompue (massa perditionis), absolument incapable par elle-même, non seulement de faire, mais de vouloir le bien, par des motifs agréables à Dieu. Dans cet état, tout ce qu'elle veut est un péché. Tous les humains sont libres, mais seulement de pécher, et dans la manière de pécher : aucun d'eux ne peut être sauvé, sinon par le bénéfice d'une disposition spéciale, gratuite et irrésistible (insuperabiliter et indeclinabitiler), que nul désir ou nul acte de sa part n'a la vertu de mériter ou de provoquer, mais qui, après avoir pré venu la volonté des élus, les soutient dans leurs résolutions et les aide à agir, pour achever en eux l'oeuvre de l'élection. Ne pas comprendre un humain dans ce décret d'élection, c'est le mettre hors de la grâce qui, seule, peut sauver; c'est le laisser incurablement réduit à un état permanent du péché, et implicitement le prédestiner à la damnation. En fait, l'Église catholique n'a jamais admis cette doctrine, parce -qu'elle atténue désastreusement la valeur des oeuvres, et que cette valeur constitue le plus riche trésor de l'Église. Quand l'augustinisme lui est présenté en la personne de saint Augustin, elle s'incline; mais, quand il est représenté par des docteurs moins inviolables, elle les condamne sévèrement.

Jansenius avait lu dix fois tous les ouvrages de saint Augustin et trente fois ses écrits contre les pélagiens; d'ailleurs son ouvrage était dirigé contre le pélagianisme et le semi-pélagianisme. Il semble inutile de dire dans quels écrits de saint Augustin il avait cherché la doctrine de ce Père de l'Église, et ce qu'il y avait trouvé. Son gros livre, qui résume vingt-deux années de travail, est divisé, comme le titre l'indique, en trois parties-

I. Historique de l'hérésie de Pélage et de ses continuateurs; II. Exposé de la doctrine de saint Augustin sur la nature de l'humain, dans son état de pureté primitive, puis dans son état de dégradation depuis la chute d'Adam; Ill. Sentiments du même docteur sur la grâce et sur la prédestination des anges et des humains.
Dès son apparition, les Jésuites l'attaquèrent bruyamment, les partisans de Jansenius le défendirent de même. Un décret de l'Inquisition (22 mars 1641) prescrivit vainement le silence aux uns et aux autres. Par bulle du 6 mars 1642, Urbain VIII condamna l'Augustinus, comme ayant été publié sans l'autorisation du Saint-Siège et comme renouvelant des propositions de Baius condamnées par Pie V et Grégoire XIII. Mais ce fut seulement le 2 janvier 1644 que cette bulle fut portée à la faculté de théologie de Paris, avec une lettre de cachet du roi, enjoignant de la recevoir, selon l'intention du pape. La faculté fit défense à tous les bacheliers de soutenir ou d'approuver les propositions condamnées; mais elle différa l'enregistrement de la bulle, parce qu'elle visait des décrets de l'Inquisition, dont l'autorité n'était pas reconnue par l'Église gallicane. Quelques jours auparavant, Isaac Habert, alors théologal de l'Église de Paris, depuis évêque de Vabres, avait commencé à attaquer l'Augustinus dans des sermons prêchés à Notre-Dame. Plusieurs historiens prétendent qu'en agissant ainsi, Habert obéissait aux ordres de Richelieu; mais Richelieu était mort depuis un an. Antoine Arnauld répondit par une Apologie de M. Jansenius; Habert répliqua par une Défense de la foi, à laquelle Arnauld opposa une seconde Apologie, puis une troisième, ayant pour titre Apologie pour les saints Pères. Habert ne répondit plus, mais il composa un ouvrage dans lequel il établissait, d'une manière très pertinente, que la doctrine des Pères grecs est unanimement contraire au système de l'Augustinus.

Le 1er juillet 1649, Nicolas Cornet, docteur de la maison de Navarre, syndic de la faculté de théologie, présenta à l'assemblée six propositions dont les cinq premières résumaient ce que lui et des docteurs vénérables prétendaient avoir trouvé de plus contraire à la foi dans le livre de Jansenius. Un autre docteur, Sainte-Beuve, proposa d'y ajouter une septième. Les deux dernières propositions concernaient le sacrement de Pénitence; il n'en fut plus question dans la suite. Malgré l'opposition de Louis de Saint-Amour, une commission fut nommée pour examiner les propositions incriminées. Soixante docteurs appelèrent comme d'abus contre cette décision, et obtinrent du parlement (5 octobre) un arrêt défendant d'agiter cette matière jusqu'à ce que la cour en eût autrement ordonné. Les commissaires furent intimidés par cette procédure. Après avoir désavoué devant le parlement la censure qu'ils avaient préparée, ils conclurent, et la faculté résolut qu'on ne passerait point outre à l'examen des propositions, parce qu'il y avait été pourvu par les ordonnances ecclésiastiques et qu'il suffisait au syndic de les exécuter. Mais l'assemblée du clergé (mai 1650) adopta une lettre qui avait été rédigée par Habert et qui fut signée par quatre-vingt-cinq évêques auxquels trois autres s'adjoignirent dans la suite. Afin de mettre fin aux divisions et aux querelles qui troublaient l'Église, les évêques sollicitaient un jugement souverain du pape sur les cinq premières propositions dénoncées par Cornet. Ils rappelaient que Jansenius, proche de la mort, avait soumis son ouvrage au jugement du Saint-Siège. En effet, le 6 mai 1638, une demi-heure avant de mourir, il avait dicté un testament, par lequel il léguait le manuscrit de l'Augustinus à Réginald, son chapelain, le chargeant de le publier conjointement avec deux autres amis. Ce testament finissait ainsi : 
«Je sens que des changements seraient difficiles. Cependant, si le Saint-Siège exige quelques changements, je suis un fils obéissant et soumis à l'ÉgIise, dans laquelle j'ai vécu jusqu'à mon lit de mort.»
Il avait même en la pensée de dédier son livre au pape; sa lettre, supprimée par Calenus et Fromond, fut publiée plus tard par Condé, entre les mains duquel elle était tombée. Dans son Augustinus (Praemium, c. XXIX; Epilogus, édition de Rotterdam, t. III, p. 445), il avait écrit : 
«Je veux vivre et mourir dans la communion du successeur du prince des Apôtres, ce vicaire de Jésus-Christ, ce chef des pasteurs, ce pontife de l'Église universelle. J'adopte tout ce qu'il prescrit; je rejette, je condamne, j'anathématise tout ce qu'il rejette, condamne et anathématise. Je ne me flatte point d'avoir bien saisi partout le sens de saint Augustin. Je suis un humain, sujet à l'erreur comme les autres humains, et j'abandonne mon ouvrage au jugement du Saint-Siège et de l'Église romaine, ma mère. Dès ce moment, j'accepte, je rétracte, je condamne et anathématise tout ce qu'elle décidera que je dois accepter, rétracter, condamner ou anathématiser. »
Dès le 12 août 1651, une congrégation spéciale, composée de cinq cardinaux et de treize consulteurs, fut instituée à Rome, pour connaître des cinq propositions soumises au jugement du Saint-Siège. Elle procéda d'abord avec lenteur, attendant l'arrivée des députés de France. Ceux des jansénistes arrivèrent les premiers. Le 10 juillet, ils remirent au pape une lettre signée de onze évêques : L. H. de Gondrin, archevêque de Sens; B. d'Elbène, évêque d'Agen; Gilbert de Choiseul, évêque de Comminges; Le Baron, évoque de Valence et de Die; A. d'Elbène, évêque d'Orléans; Bernard, évêque de Saint Papoul; J.-H. de Salette, évêque de Lescar; Félix, évêque de Châlons; François, évêque d'Amiens; Henry, évêque d'Angers, Nicolas, évêque de Beauvais. Ils priaient le pape de décliner l'instance de leurs quatre-vingt-huit collègues; pour trois raisons principales : 
1° parce que les propositions dénoncées ayant été faites à plaisir et composées de termes ambigus et équivoques, pour rendre odieuses certaines personnes et exciter des troubles, la décision dont elles seraient l'objet, n'atteignant pas la réalité des faits, ne mettrait point fin aux disputes;

2° parce que les questions de la grâce et de la prédestination divine sont pleines de difficultés, et qu'elles ne s'agitent d'ordinaire qu'avec de violentes contestations;

3° parce que, suivant l'ordre légitime des jugements de l'Église universelle, joint à la coutume observée dans l'Église gallicane, les causes concernant la foi ne devaient être portées à Rome qu'après avoir été examinées et jugées en France par un concile d'évêques.

Dans tous les cas, ils demandaient qu'on opérât comme dans l'ancienne congrégation De auxiliis, en entendant contradictoirement les parties. Malgré cette intervention, la congrégation poursuivit son oeuvre, admettant les députés des parties à présenter leurs moyens et arguments, mais séparément et sans débat contradictoire. L'instruction dura deux ans et quelques mois. Le 9 juin 1653, après quarante-cinq séances, dont les dix dernières avaient été présidées par Innocent X en personne, fut publiée la bulle Cum occasione (datée du 31 mai), qui condamnait les cinq propositions suivantes, formulées dans les termes mêmes que Cornet avait présentés à la faculté de Paris :
I. Quelques commandements de Dieu sont impossibles à des humains justes qui veulent les accomplir, et qui font à cet effet des efforts suivant les forces qu'ils ont alors : la grâce qui les leur rendrait possibles leur manque. Cette proposition, littéralement extraite du livre de Jansenius, était déclarée téméraire, impie, blasphématoire, frappée d'anathème.

II. Dans l'état de la nature corrompue, on ne résiste jamais à la grâce intérieure. Cette proposition n'est pas mot pour mot dans l'Augustinus, mais la doctrine qu'elle exprime y est en vingt endroits. Condamnée comme hérétique.

III. Pour mériter et démériter, dans l'état de la nature corrompue, on n'a pas besoin d'une volonté exempte de la nécessité d'agir; il suffit d'avoir une liberté exempte de contrainte. Condamnée comme hérétique. Jansenius avait écrit : "Une oeuvre est méritoire ou déméritoire lorsqu'on la fait sans contrainte, quoiqu'on ne la fasse pas sans nécessité."

IV. Les semi-pélagiens admettaient la nécessité d'une grave intérieure et prévenante pour chaque action en particulier; et ils étaient hérétiques en ce qu'ils prétendaient que cette grâce était de telle nature, que la volonté de l'humain avait le pouvoir d'y résister ou d'y obéir. La première partie de cette proposition fut condamnée comme fausse, la seconde comme hérétique.

V. C'est une erreur des semi-pélagiens de dire que Jésus-Christ est mort ou qu'il a répandu son sang pour tous les humains sans exception. La bulle déclare cette proposition fausse, téméraire, scandaleuse; et, si on l'entend en ce sens que Jésus-Christ soit mort pour le salut seulement des prédestinés, elle la condamne comme impie, blasphématoire, injurieuse, dérogeant à, la bonté divine, et hérétique. Jansenus avait écrit que les Pères, bien loin de penser que Jésus-Christ soit mort pour le salut de tous les humains, ont regardé cette opinion comme une erreur contraire à la foi catholique; que le sentiment de saint Augustin est que Jésust-Christ n'est mort que pour les prédestinés, et qu'il n'a pas plus prié pour le salut des réprouvés que pour le salut des démons (De gratia Christi, I. III, c. II).

En France, le nonce remit au roi une copie de la bulle, avec un bref du pape. Le 11 juillet, Mazarin réunit chez lui trente évêques qui se trouvaient à Paris. Il s'en trouvait toujours un bon nombre, en ces temps où l'on pratiquait fort peu la résidence. Leur sentiment fut unanime pour la réception et l'observation de la bulle; ils écrivirent au pape pour le remercier. Quatre jours après, ils adressèrent à tous les archevêques et évêques une lettre qui leur fut envoyée avec des lettres patentes du roi autorisant la publication de la bulle. Ce qui en faisait une loi du royaume. Elle fut reçue partout sans résistance, Dans ses assemblées du mois d'août et du mois de septembre, la faculté de Paris en vota l'enregistrement à l'unanimité; elle députa vingt docteurs pour remercier le roi de l'avoir obtenue, et lui répondre des sentiments de toute la compagnie.

Les jansénistes eux-mêmes acceptèrent extérieurement la constitution d'Innocent X; mais, pour en éluder les conséquences, ils se livrèrent à des simulations et dissimulations, évasions et distinctions qui auraient fort joliment animé la verve de Pascal, si elles avaient été commises par des Jésuites. Le Journal de Saint-Amour (1662, in-fol) et leur correspondance intime attestent l'irritation et le mépris que la bulle excitait chez eux. Cependant ils protestaient qu'ils se soumettaient sincèrement à la décision du pape; qu'ils tenaient comme lui les cinq propositions pour de véritables hérésies, et qu'ils les condamnaient dans le mauvais sens qu'il y avait condamné. Mais, afin de ne pas renier l'Augustinus, ils soutinrent que les propositions censurées ne se trouvaient point dans ce livre et, d'ailleurs, qu'elles n'étaient pas condamnées dans le sens de Jansenius, mais dans un sens faux qu'on avait mal à propos attribué à ses paroles; que sur ce fait le pape avait pu se tromper. C'est ce qu'on a appelé la distinction des sens, la question de fait et la question de droit.
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La déroute des Jansénistes.
"La déroute et confusion des Jansénistes". - Gravure extraite d'un almanach
publié par les Jésuites (1653).

Ces distinctions ruinaient toute la discipline de l'Église catholique. En effet, il est étrange de reconnaître à une autorité la faculté de définir souveraine. ment une doctrine, et de lui contester le discernement nécessaire pour constater que cette doctrine est contredite par tel ou tel livre, tel ou tel discours, tel ou tel acte. En matière d'hérésie, la question de droit ou de dogme est toujours inséparablement liée à une question de fait. En matière de livres, ce serait inutilement que l'Église les condamnerait et en interdirait la lecture, si la distinction janséniste était admise; les fidèles pourraient s'obstiner à les lire, sous le prétexte -que les erreurs que l'Église a cru y découvrir n'y sont pas, et que l'auteur a été mal entendu. En toute matière, les ordonnances seraient vaines, s'il était permis à ceux qui doivent y obéir de ne les accepter que dans un sens différent de celui que les mots présentent naturellement à l'esprit. Les jansénistes étaient forcés de convenir avec leurs adversaires que le sens dans lequel les cinq propositions sont condamnées est bien le sens propre, naturel et littéral qu'elles ont suivant la signification ordinaire des termes qui les composent. Eux-mêmes, avant la condamnation, les soutenaient en ce sens-là, qu'ils prétendaient orthodoxe, l'attribuant à Jansenius. C'est en ce sens qu'elles furent défendues dans les congrégations romaines par les quatre consulteurs qui avaient pris parti pour elles et c'est en ce sens aussi que des humains d'une intelligence et d'une sincérité incontestables, comme le savant oratorien Thomassin, confessaient, après avoir abandonné le jansénisme, qu'ils avaient entendu et compris la doctrine de l'Augustinus.

Le 9 mars 1654, une assemblée des évêques présents à Paris, réunie au Louvre, nomma des commissaires afin de considérer les diverses interprétations et autres évasions inventées pour rendre inutile la constitution. Cette commission se composait de quatre archevêques B. Bouteillier, de Tours; G. d'Aubusson, d'Embrun; P. de Marca, de Toulouse; F. de Harlay, de Rouen, et des évêques d'Autun, de Montauban, de Rennes et de Chartres. Elle examina attentivement les textes de Jansenius se rapportant à chacune des cinq propositions, et elle prit connaissance des mémoires présentés par les jansénistes. Le 24, dans une séance présidée par le cardinal Mazarin, elle présenta son rapport, déclarant que les cinq propositions censurées sont comprises, sans aucune supposition, dans le livre de Jansenius, et que loin d'altérer ou d'aggraver la doctrine qui y est contenue, elles n'en expriment pas suffisamment le venin. Ce rapport rappelait que les condamnations se font suivant la signification propre des paroles et suivant le sens de l'auteur qui a enseigné une doctrine incriminée, et non pas en un double sens, dont l'un pourrait être catholique et l'autre hérétique. En conséquence, il concluait que les cinq propositions étaient condamnées dans leur sens propre, qui était le sens de Jansenius. Ces conclusions furent adoptées dans une séance tenue le 28, en laquelle l'assemblée, statuant, par voie de jugement, sur les pièces produites de part et d'autre, décida que la constitution d'Innocent X avait condamné les cinq propositions comme étant de Jansenius et dans le sens de Jansenius. Par bref du 29 septembre, le pape félicita l'assemblée de sa décision, et déclara formellement qu'il avait condamné la doctrine de Cornelius Jansenius contenue dans son livre intitulé Augustinus. L'année suivante (20 mai 1655), les évêques, convoqués à Paris pour l'assemblée générale du clergé de France, résolurent d'adresser à tous les évêques du royaume une lettre commune les conviant à faire signer la bulle et le bref par tous les chapitres, par tous les recteurs des universités et par toutes les communautés, tant séculières que régulières, exemptes et non exemples; par les curés et par ceux qui étaient ou seraient pourvus de bénéfices dans leurs diocèses, et généralement par toutes les personnes qui étaient sous leur charge, de quelque qualité et condition qu'elles fussent.

Le confesseur du duc de Liancourt, de la paroisse de Saint-Sulpice, lui refusant l'absolution à moins qu'il ne donnât des marques d'une soumission parfaite à la bulle, et qu'il ne rompit ses liaisons avec les jansénistes, Arnauld publia sur ce cas une lettre adressée à une personne de condition (24 février 1655). Il la fit suivre d'une seconde (Lettre de M. Arnauld, docteur de Sorbonne, à un duc et pair de France, pour servir de réponse à plusieurs écrits publiés contre sa première lettre, sur ce qui est arrivé à un seigneur de la cour dans une paroisse de Paris). Cette lettre, datée de Port-Royal-des-Champs (10 juillet 1655), fut déférée à l'examen de la faculté de théologie par Denis Guyard, alors syndic, comme contenant deux propositions passibles de censure : 

I. Les cinq propositions n'ont été soutenues par personne; elles ont été forgées par les partisans des sentiments contraires à saint Augustin. En les attribuant à Jansenius, on impose des hérésies à un évêque catholique qui a été très éloigné de les enseigner. Ayant lu avec soin le livre de Jansenius et n'y ayant point trouvé ces propositions, M. Arnauld et ses amis ne peuvent déclarer en conscience qu'elles y sont.

II. La grâce, sans laquelle on ne peut rien, a manqué à un juste, en la personne de saint Pierre, dans une occasion où l'on ne peut pas dire qu'il n'ait pas péché.

Cette dernière proposition renouvelait et aggravait, en la précisant, la première des cinq propositions condamnées par la bulle. Les débats de cette affaire, dans laquelle Arnauld et ses amis épuisèrent toutes les subtilités de la théologie et de la procédure, et usèrent de tous les moyens imaginables d'obstruction, durèrent du 4 novembre 1655 au 29 janvier 1656, et occupèrent environ quarante séances de la faculté. Le 14 janv., la première proposition fut censurée par 130 docteurs, comme téméraire, scandaleuse, injurieuse au pape et aux évêques, et donnant lieu de renouveler la doctrine. de Jansenius précédemment condamnée. 76 docteurs avaient émis des avis plus ou moins favorables à Arnauld. Le 29 janvier, la deuxième proposition fut déclarée, par 127 docteurs, impie, téméraire, blasphématoire, frappée d'anathème et hérétique. Avant la fin de cette dernière séance, les amis d'Arnauld s'étaient retirés, de sorte qu'il n'y eut point d'avis contraire. Un arrêté du même jour enjoignit à Arnauld de se soumettre à la censure en la souscrivant dans la quinzaine, sous peine d'être retranché du corps de la faculté et rayé du catalogue de ses docteurs. On prescrivit cette signature à tous les docteurs et officiers de la faculté; ceux qui la refusèrent furent exclus. Depuis ce temps jusqu'à la Révolution, la faculté exigea cette souscription et celle du formulaire du pape, dont il est parlé plus bas, de tous ceux qui se présentaient pour les examens du baccalauréat. Au commencement de l'instance, Arnauld, après avoir vainement réclamé l'intervention du parlement, avait prétexté, pour se soustraire à l'examen de la faculté, un appel au pape, contrairement à l'opinion précédemment émise par les jansénistes, à propos des cinq propositions, que les causes de ce genre ne devaient être portées à Rome qu'après avoir été jugées en France. Après sa condamnation, il se garda bien de donner suite à son appel.

Ce fut à l'occasion de cette affaire que Pascal commença la publication de ses Lettres à un provincial. Elle est présentée dans les trois premières et les quatre dernières, avec beaucoup d'esprit et pou d'exactitude. Les autres lettres ont trait aux Jésuites. En les écrivant, il semble que Pascal avait pour but d'assurer aux jansénistes l'appui des ennemis des jésuites; elles eurent pour résultat de procurer momentanément aux jésuites la bienveillance ou au moins l'indulgence des adversaires, alors très nombreux et très puissants, du jansénisme.

Le 1er et le 2 septembre 1636, l'assemblée générale du clergé, composée de 40 évêques et de 47 députés du second ordre, trancha la question de fait, en déclarant que, avec la même autorité que, pour les matières de foi, l'Église juge des questions de fait qui sont inséparables de ces matières ou des moeurs générales de l'Église. Elle adopta un formulaire pour l'acceptation de la bulle d'Innocent X, et l'adressa à tous les évêques du royaume, les invitant à s'en servir, afin de rendre l'exécution de la bulle uniforme dans tous les diocèses; puis elle décida que les évêques qui négligeraient de faire souscrire la bulle et 18 bref d'Innocent X ne seraient plus reçus dans les assemblées générales, provinciales ou particulières du clergé. Alexandre VII succédait à Innocent X depuis le 7 avril 1655. Informé de ce qui se passait en France, il fit une constitution reproduisant et confirmant celle d'Innocent X; il y appelait «perturbateurs du repos public, enfants d'iniquité, ceux qui avaient l'audace de soutenir que les propositions censurées ne se trouvent point dans le livre de Jansenius, mais qu'elles ont été forgées à plaisir ou qu'elles n'ont point été condamnées dans le sens de l'auteur» (16 octobre 1656). Cette constitution fut reçue le 17 mars 1657 par l'assemblée générale, à laquelle les prélats présents à Paris et qui n'en faisaient point partie avaient été invités à s'adjoindre. Le formulaire qui devait être signé dans tous les diocèses fut définitivement arrêté en ces termes : 

"Je me soumets sincèrement à la constitution dis pape Innocent X, du 31 mai 1653, selon le véritable sens qui a été déterminé par la constitution de notre saint père Alexandre VII du 16 octobre 1656. Je reconnais que je suis obligé, en conscience, d'obéir à ces constitutions; et je condamne, de coeur et de bouche, la doctrine des cinq propositions de Cornelius Jansenius, contenues dans son livre intitulé Augustinus, que ces deux papes et les évêques ont condamnées; laquelle doctrine n'est celle de saint Augustin, que Jansenius a mat expliquée, contre le vrai sens de ce saint docteur."
Ces mesures n'eurent guère d'autre résultat que de susciter des écrits exprimant les protestations des jansénistes sur la question de fait. Les plus importants furent deux ouvrages d'Arnauld : Cas proposé par un docteur touchant la constitution d'Alexandre VII et le formulaire du clergé; Réflexions sur l'avis de Mgr d'Aleth (cet évêque estimait alors qu'on pouvait et qu'on devait signer le formulaire). Deux oeuvres latines sous le pseudonyme de Paul Irénée et de Guillaume Wendbrock : la première (Disquisitiones Pauli Irenaei) justifiant Jansenius en niant le fait; la seconde, attribuée à Nicole, contenant une traduction des Lettres de Pascal, avec notes et mémoires. Le 13 décembre 1660, le roi fit appeler au Louvre les prélats présidents de l'assemblée générale du clergé, alors réunie à Paris; il leur dit qu'il désirait qu'ils s'appliquassent à chercher les moyens les plus propres et les plus prompts pour extirper la secte du jansénisme. II emploierait son autorité pour les faire exécuter : résolu d'user de sévérité pour réprimer ceux qui n'avaient point pu se gagner par la douceur. Pour obéir à ces ordres, l'assemblée décida qu'on exigerait sans retard la signature du formulaire. Ceux qui la refuseraient seraient considérés comme hérétiques et poursuivis selon les voies prescrites par le droit canon. Ceux qui avaient écrit contre la teneur des constitutions devraient faire, en outre, une rétractation formelle de ce qu'ils avaient enseigné. Le formulaire fut autorisé par un arrêt du conseil du 13 avril 1661; et une lettre du roi fut adressée à tous les archevêques et évêques du royaume, pour les inviter à le faire signer. Quelques évêques écrivirent au roi pour le prier de trouver bon qu'ils n'exécutassent point ses ordres; d'autres, parmi lesquels l'évêque d'Aleth, envoyèrent à l'assemblée même des récusations analogues, en réponse à sa lettre-circulaire, qui les avait invités à signer et à faire signer.

L'exécution des mesures prescrites par le roi et par l'assemblée du clergé commença par le diocèse de Paris, alors administré par les vicaires généraux du cardinal de Retz. Dès le 8 juin, ils rendirent, pour réclamer la souscription du formulaire, une ordonnance qui fit grand bruit. Elle distinguait entre le fait et le droit, demandant croyance pour la décision de foi et respect pour la solution de fait. Les curés de Paris s'empressèrent de signer et de faire signer leurs ecclésiastiques; et dans une assemblée du 29 juin, ils firent dresser par notaire une déclaration attestant que l'ordonnance des vicaires généraux les avait fort édifiés, eux et les prêtres de leurs paroisses. Trois jours auparavant, l'assemblée générale du clergé avait porté plainte au roi contre ce mandement. Il fut condamné par arrêt du conseil (9 juillet), ordonnant qu'il serait sursis à la signature du formulaire, jusqu'à ce qu'il fût réformé. Les vicaires généraux furent sévèrement blâmés par un bref d'Alexandre VII (1er août 1661). Après de longues négociations avec beaucoup de contestations et résistances, ils publièrent une nouvelle ordonnance, conforme au projet qui avait été envoyé de Rome et exigeant obéissance et soumission d'esprit sur tous les points.

Répondant à l'évêque de Châlons-sur-Marne, qui lui avait demandé son avis, l'évêque d'Aleth déclara que son sentiment était que les évêques ne devaient ni signer ni faire signer le formulaire, en exécution du décret et de la déclaration de rassemblée du clergé. En effet, les évêques, députés à cette assemblée, n'avaient nullement, selon lui, l'autorité d'un concile général, leur permettant d'obliger par décret et ordonnance leurs confrères présents et absents, et de les déclarer, en cas de refus, privés de l'entrée et de voix délibérative et passive dans toute sorte d'assemblées ecclésiastiques. D'autre part, nier la solution d'une question de fait peut être un acte de témérité, d'ignorance on de présomption; ce n'est point un acte d'hérésie. Enfin, ordonner à des confrères même absents, qui ont la même autorité qu'eux pour juger de pareilles matières, de souscrire que des propositions sont hérétiques en un sens, avant de leur expliquer ce sens, constitue une espèce d'injure ou une marque de peu d'estime; c'est les traiter comme s'ils étaient incapables de la science ou du discernement nécessaires pour juger ces matières. C'est les confondre dans le troupeau des simples fidèles. Les évêques d'Angers, de Beauvais et de Sens écrivirent pareillement pour protester; et messieurs de Port-Royal prirent soin de faire imprimer leurs lettres.

Les raisons présentées par l'évêque d'Aleth n'avaient guère de force qu'à l'égard des évêques. Pour le reste du clergé, les théologiens jansénistes étaient divisés en trois partis. Les premiers prétendaient qu'eu ne devait point faire de difficulté de signer le formulaire, sans explication ni restriction quelconque, quoiqu'on ne crût pas que Jansenius eût enseigné les hérésies qui lui étaient attribuées. Suivant eux, la signature ne tombait que sur le droit, pour ce qui était de la créance intérieure. Elle n'emportait, à l'égard du fait, qu'un témoignage de déférence et de respect, qui n'engageait qu'à ne pas contredire publiquement le pape et les évêques, et non à croire intérieurement que ce qu'ils avaient décidé sur ce point était conforme à la vérité. Les seconds déclaraient que lorsqu'on n'était point persuadé que les cinq propositions sont de Jansenius, on ne pouvait signer le formulaire simplement et sans quelque explication ou restriction verbale, soit en réservant expressément la question de fait, soit au moins en indiquant qu'on ne rendait témoignage que de la pureté de sa propre foi. Autrement, la signature renfermerait une restriction mentale, toujours criminelle dans les professions de foi, et de plus un faux serment et une calomnie contre le prochain. C'est en ce sens que fut conçue la déclaration rédigée pour les religieuses de Port-Royal et qu'on trouvera plus loin. Pascal la jugeait équivoque, ambiguë, par conséquent coupable. Les troisièmes estimaient qu'en condamnant le sens de Jansenius, les constitutions avaient condamné la doctrine de la grâce efficace par elle-même. Cette doctrine étant une vérité de foi, qu'il n'est point permis d'abandonner, les papes qui Pavaient condamnée s'étaient trompés non sur le fait, mais sur le droit; d'ailleurs eux-mêmes déclaraient le fait inséparable du droit en cette matière. En conséquence, on ne devait signer qu'en protestant expressément de ne point vouloir condamner le sens de Jansenius.

Pendant l'année 1663, il fut sursis à la signature du formulaire, à cause des négociations entreprises par Gilbert de Choiseul, évêque de Comminges, et le P. Perrier, professeur de théologie au collège des Jésuites à Toulouse, et poursuivies sur l'ordre du roi, pour obtenir la soumission des jansénistes, par voie d'accommodement. Les conférences n'aboutirent qu'à des récriminations réciproques et à un bref d'Alexandre VII (29 juillet 1663), invitant les archevêques et évêques de France à mettre la dernière main à leur oeuvre et à faire tous leurs efforts pour engager tout le monde à se soumettre, de la manière due, aux constitutions, et à rejeter et condamner sincèrement les cinq propositions. Ils devraient pour cela employer les moyens qui leur sembleraient les plus propres et les plus efficaces. Le pape louait la piété du roi et déclarait qu'il ne doutait pas qu'il emploierait, s'il était besoin, son autorité pour vaincre l'opiniâtreté des rebelles. Ce bref fut reçu le 2 octobre par une assemblée des évêques présents à Paris, avec prière au roi de faire procéder, dans les deux mois au plus tard, à la souscription du formulaire et à l'exécution des délibérations des précédentes assemblées. Des lettres patentes furent expédiées en conséquence. Le 29 avril 1664, le roi alla en personne faire enregistrer au parlement une déclaration portant que le formulaire serait signé par tous les ecclésiastiques, séculiers ou réguliers, nonobstant toutes appellations simples ou comme d'abus; que les bénéfices de ceux qui auraient manqué de le signer dans le mois demeureraient vacants et impétrables de plein droit; que personne ne pourrait à l'avenir lire pourvu de bénéfice, ni admis aux degrés dans les universités ou aux charges, principautés et régences en dépendant, ni faire profession dans aucun monastère ou en exercer les charges et offices, sans avoir auparavant souscrit le formulaire.

Le 9 juin suivant, pour écarter certains scrupules et répondre aux allégations des jansénistes, Péréfixe, alors archevêque de Paris, publia un mandement déclarant qu'à moins d'être malicieux ou ignorant, on ne pouvait prendre sujet des constitutions des papes et du formulaire, pour dire qu'ils exigeaient une soumission de foi divine, à l'égard du fait; ils réclamaient seulement à cet égard une foi humaine et ecclésiastique, obligeant à soumettre sincèrement son jugement à celui des supérieurs ecclésiastiques. Comme les jansénistes prétendaient que le pape n'avait jamais fait mention expresse du formulaire et qu'il le désapprouvait, non seulement par son silence, mais par son exemple, puisqu'il n'en faisait pas lui-même pour Rome, on décida dans le conseil du roi de demander à Alexandre VII un formulaire, avec commandement aux évêques de le publier et de le faire signer. Par bulle du 15 février 1665, le pape envoya, pour être souscrit dans les trois mois, le formulaire suivant :

Je soussigné, me soumets à la constitution apostolique d'Innocent X du 31e jour de mai 1653 et à celle d'Alexandre VII, son successeur, du 16 octobre 1656; je rejette et condamne sincèrement les cinq propositions extraites du livre de Cornelius Jansenius, intitulé Augustinus, dans le propre sens du même auteur, comme le siège apostolique les a condamnées par les mêmes constitutions. Je jure ainsi. Dieu me soit en aide et les saints Évangiles.
Cette bulle fut enregistrée, le 29 avril, en vertu d'une déclaration, que le roi avait portée lui-même au parlement, ordonnant aux archevêques et évêques, sous peine de saisie de leur revenu temporel, de signer et faire signer le formulaire, sans user d'aucune distinction, interprétation ou restriction.

Tous les évêques, à l'exception de quatre, obéirent et firent obéir leur clergé; la plupart très sincèrement, car eux-mêmes avaient sollicité les mesures adoptées par le Saint-Siège et par le roi; mais plusieurs avaient toléré les interprétations, restrictions et évasions prohibées par la déclaration du roi. Lés quatre évêques qui restaient franchement rebelles étaient : Pavillon, évêque d'Aleth; Buzanval, de Beauvais; Henri Arnauld, d'Angers; Caulet, de Pamiers. L'évêque de Noyon s'était d'abord joint à eux; mais il se soumit peu après. Dans son mandement du 1er juin, Pavillon dit : 

"Que la soumission qu'on rend aux décisions de l'Église se renferme dans lés vérités révélées, et que c'est à celles-là seulement qu'elle assujettit entièrement la raison. Les autres vérités n'étant point absolument nécessaires, Dieu n'a point laissé d'autorité infaillible pour les connaître. Quand l'Église juge si des propositions eu des sens hérétiques sent contenus dans un livre, et si un auteur a eu tel ou tel sens, elle n'agit que par une lumière humaine; en quoi tous les théologiens conviennent qu'elle peut être surprise. Partant, sa seule autorité ne peut captiver notre entendement, quoiqu'il soit vrai de dire qu'il n'est point permis de s'élever témérairement contre ses jugements, vers lesquels on doit témoigner son respect, en restant dans le silence."
Les trois autres écrivirent dans le même sens. Les mandements de ces quatre évêques furent cassés par un arrêt du conseil d'État (20 juillet 1665), comme contraires à la déclaration du roi et aux intentions du pape. A Rome, ils furent mis à l'index.

A la suite des premiers mandements des vicaires généraux du cardinal de Retz, les religieuses de Port-Royal avaient signé le formulaire, avec une tète et une queue, comme en disait alors, c.-à-d. avec des explications destinées à dégager leur conscience, sur la question de fait; néanmoins, avec des angoisses telles que la soeur sainte Euphémie (Jacqueline Pascal) en mourut, et que la mère Agnès en fit une grave maladie. Quand en leur demanda de nouveau leur signature, en exécution du mandement rédigé de concert avec le nonce, elles l'accompagnèrent de la déclaration suivante : 

« Considérant que dans l'ignorance où nous sommes de toutes les choses qui sont au-dessus de notre profession et de notre sexe, tout ce que nous pouvons faire est de rendre témoignage à la pureté de notre foi, déclarons très volontiers par notre signature, qu'étant soumise avec un très profond respect à N. S. P. le pape et n'ayant rien de si précieux que la foi, nous embrassons sincèrement et de coeur tout ce que Sa Sainteté (Alexandre VII) et le pape Innocent X en ont décidé, et rejetons toutes lés erreurs qu'ils ont jugées y être contraires. »
Quand on exigea d'elles une souscription pure et simple, elles la refusèrent et elles persistèrent dans leur refus, malgré les subterfuges proposés par des personnages réputés vénérables, malgré lés démarchés personnelles de l'archevêque de Paris, malgré l'enlèvement de seize religieuses, malgré la relégation de Port-Royal de Paris à Port-Royal-des-Champs, malgré la suspense ipso facto, malgré l'interdit des sacrements, malgré les pressions de la supérieure qui leur fut imposée, malgré une longue lettre à elles adressée par Bossuet : elles étaient persuadées que Dieu faisait alors des miracles chez elles, pour les encourager à la persévérance; et Nicole les fortifiait par ses Lettres sur l'hérésie imaginaire. Onze seulement succombèrent, qui se livrèrent ensuite à des variations délirantes, tantôt rétractant leur signature, tantôt la renouvelant pour la rétracter encore.

En présence de l'obstination des quatre évêques, le roi pria le pape de déléguer douze prélats de France, pour connaître de leur contumace. Le pape fit difficulté sur le nombre douze, afin de ne point autoriser la prétention dés évêques français, de né point être jugés par moins de douze évêques; il ne consentit à en commettre que neuf. On avait négocié longtemps sur le nombre, puis sur le choix des jugés. Quand ces négociations furent terminées, Alexandre VII mourut et fut remplacé par Clément IX (10 juin 1667). Dès le mois de juillet, Clément confirma la Commission instituée par son prédécesseur. Le nonce qui le représentait à Paris, Bergellini, archevêque de Thèbés, obtint du roi quelques mesures pour punir ou plutôt intimider les quatre évêques; mais il écrivait à Rome qu'il serait fort difficile d'en venir à l'exécution, parce que leur parti était devenu puissant. Ils avaient, disait-il, gagné la faveur des ministres d'État et la protection de quelques princesses du sang; attiré à leurs sentiments une grande partie des docteurs de la Sorbonne, dés membrés des parlements et même des réguliers.

En effet, quelques princesses s'étaient émues dés persécutions infligées aux saintes filles de Port-Royal; et l'Église gallicane s'était alarmée, se sentant menacée tout entière par la procédure qui soumettait des évêques de France au jugement immédiat dés commissaires du pape. Dix-neuf évêques, secrètement encouragés par vingt autres, prirent hautement la défense de leurs collègues poursuivis. Le 1erdécembre 1667, L. H. de Gondrin, archevêque de Sens, et les évêques de Châlons-sur-Marne, de Boulogne, de Meaux, d'Angoulême, de La Rochelle, de Comminges, de Couserans, de Saint-Pons, de Lodève, de Vence, de Mirepoix, d'Agen, de Saintes, de Rennes, de Soissons, d'Amiens, de Tulle et de Troyes, écrivirent au pape, pour le prier d'inaugurer son pontificat en rendant la paix à l'Église. Après avoir loué l'éminente vertu des quatre évêques, qui sent un dés ornements de leur ordre, ils justifient leurs mandements; et comme eux ils déclarent que ce serait un dogme nouveau et inouï, que de prétendre que lés décrets par lesquels l'Église décide des faits qui arrivent de jour en jour sont certains et infaillibles, et qu'on doit foi à ces décisions de fait, comme aux dogmes révélés de Dieu, dans l'Écriture ou dans la Tradition. Il suffit que les fidèles rendent aux décrets de ce genre le respect dû à tous les actes de l'Église. Ils ajoutent : 

«Ainsi, T. S. P., si c'était un crime d'être dans ce sentiment, ce ne serait pas leur erreur particulière, mais ce serait celle de nous tous, ou plutôt celle de toute l'Église. C'est pourquoi il y a eu plusieurs évêques et dés plus célèbres d'entre nous, qui ont fait la même chose qu'eux, eu par des mandements publics, quoique non imprimés; ou, ce qui n'a pas moins de poids, dans des procès-verbaux qui demeurent dans leurs greffés, et dans lesquels ils ont expliqué tout au long cette doctrine. D'autres se sont rendus faciles aux ecclésiastiques qui ont voulu faire quelque addition à leur signature, pourvu qu'elle ne conclut rien que d'orthodoxe.»
Les dix-neuf adressèrent au roi une lettré conçue avec une égale fermeté, portant témoignage d'estime aux quatre évêques et insistant sur l'irrégularité de la procédure instituée contre eux par le bref du pape. Cela déplut fort au roi. Sur le réquisitoire du procureur général, le parlement rendit un arrêt ordonnant qu'il serait informé des cabales et assemblées illicites, tendant à troubler la paix de l'Église et à affaiblir l'autorité dés déclarations et bulles enregistrées touchant la doctrine de Jansenius (19 mars 1668). L'évêque de Châtias, comme le plus ancien des signataires, répondit au procureur général que le «bref de Rome contenait des clauses extraordinaires pour faire le procès à quatre évêques, non seulement centre les lois canoniques, mais au préjudice même de l'équité naturelle». Lui et ses collègues se seraient crus indignés du caractère qu'ils tenaient de Jésus-Christ s'ils né se fussent opposés à l'exécution de ce bref (24 mai). De leur côté, les quatre avaient invité tous les évêques de France à prendre leur défense, dans une cause qui était commune à tous : 
«Puisque, écrivaient-ils, il ne s'agit pas seulement de notre opposition particulière, mais du renversement des saints canons, du vivement des premiers principes de l'équité naturelle et du dernier avilissement de notre dignité» (25 avril 1668).
Un arrêt du conseil d'État, rendu le 4 juil., le roi présent, ordonna la suppression de leur lettre-circulaire et fit défense à tous archevêques et évêques d'y avoir égard.

Ainsi, au-dessus des cinq propositions, du sens de Jansenius, du point de droit et du point de fait, émergeait une question de juridiction, intéressant au plus haut degré les franchises et les usages de l'Église gallicane, et la dignité du corps épiscopal. Le nonce, que était informé de l'émotion que cette question excitait chez le clergé, dans les universités et dans les parlements, estimait que la continuation des poursuites provoquerait des conflits, que le roi pourrait, sans doute, réprimer par la force, s'il le voulait; mais qui exposeraient à des atteintes fâcheuses l'autorité spirituelle du Saint-Siège. II accueillit, avec empressement, les démarches qui furent faites auprès de lui, par l'archevêque de Sens et par Félix III Vialart de Herse, évêque de Châlons-sur-Marne. Ces évêques s'étaient arrêtés à l'expédient suivant : les quatre évêques ne révoqueraient pas leurs mandements et ne rétracteraient point ce qu'ils avaient avancé; mais ils ordonneraient une nouvelle signature du formulaire, non par d'autres mandements publics, mais par des procès-verbaux qui demeureraient dans leurs greffes. Par ces procès-verbaux, ils déclareraient à leurs ecclésiastiques, qu'au regard du fait, l'Église n'obligeait qu'à une soumission de respect et de silence; et ils leur feraient signer le formulaire au pied de cette déclaration. Ensuite, ils écriraient au pape une lettre pleine de respect, pour lui rendre compte de cette signature. Les quatre évêques acquiescèrent à ces conditions; mais ils y ajoutèrent qu'on leur laisserait la liberté de dresser leurs procès-verbaux et leur lettre au pape comme ils le jugeraient à propos, et qu'on ne pourrait les obliger à y mettre aucun terme obscur, ambigu ou équivoque.

Hugues de Lionne, alors secrétaire d'État à l'étranger, et que Saint-Simon appelle le plus grand ministre du règne, recommanda très vivement cette transaction au nonce, qui témoigna l'approuver, et en référa au pape. On ajouta aux stipulations précédentes que les quatre évêques ne subiraient point de peines canoniques pour leur résistance passée. Jusqu'alors, le roi était censé ignorer ce qui se faisait. Mais Colbert et Le Tellier s'étant joints à de Lionne, pour approuver, celui-ci montra au roi, qui l'agréa, le projet de la lettre que les quatre évêques devaient adresser à Rome. On dit que le roi mit pour condition expresse à son assentiment que l'on contenterait le pape. Pour réponse, le nonce reçut de Clément IX l'ordre de ne plus parler de rétractation des mandements, mais d'employer tous ses efforts à obtenir l'autre point, c.-à-d. une souscription sincère. II semble bien résulter de ces termes que le pape entendait qua la sincérité de la souscription pouvait s'accommoder avec le maintien des mandements. On a écrit que, outre la signature que les quatre évêques devaient donner dans leurs synodes, publiquement, avec distinction du droit et du fait, on leur en demanda une autre, pure et simple, qui serait envoyée à Rome, mais qui ne serait vue que du pape seul. Tout prouve que cette proposition, si vraiment elle a été faite, fut repoussée.

A part une courte addition insérée par l'évêque d'Aleth pour son diocèse, les procès-verbaux des déclarations faites par les quatre évêques, en requérant la souscription de four clergé, sont identiques. En voici les dispositions principales : 

«I. Par cette signature, vous devez vous obliger à condamner sincèrement, pleinement, et sous aucune réserve ni exception, tous les sens que l'Église et le pape ont condamnés et condamnent dans les cinq propositions en sorte que vous professiez que vous n'avez de doctrine sur ce sujet que celle de l'Église catholique, apostolique et romaine.»


C'est vraisemblablement cette première déclaration qui a permis aux évêques médiateurs de donner au nonce, et à celui-ci de transmettre à Rome les renseignements en conséquence desquels Clément IX énonça dans le bref mentionné ci-après, que la souscription avait été faite purement et simplement. 

«II. Nous vous déclarons en second lieu, que ce serait faire injure à l'Église que de comprendre entre les sens condamnés dans ces propositions la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas touchant la grâce efficace par elle-même, nécessaire à toutes les actions de la piété chrétienne, et la prédestination gratuite des élus, à laquelle toute l'Église convient que les papes n'ont donné aucune atteinte, comme ils l'ont souvent déclaré eux-mêmes.»
L'importance capitale, prépondérante, absorbante, attribuée à cette doctrine, constitue le caractère spécifique du jansénisme. 
«III. Nous vous déclarons en troisième lieu, qu'à l'égard du fait contenu dans le dernier formulaire, vous êtes seulement obligés par cette signature à une soumission de respect et de discipline, qui consiste à ne point vous élever contre la décision qui en a été faite, et à demeurer dans le silence, pour conserver l'ordre qui doit régler en cette matière la conduite des inférieurs à l'égard des supérieurs ecclésiastiques.»
L'évêque d'Aleth ajouta : 
«Parce que l'Église n'étant point infaillible en ces sortes de faits, qui regardent les sentiments des auteurs ou de leurs livres, elle ne prétend pas obliger, par la seule autorité de sa décision, ses enfants à les croire.»
Ces procès-verbaux et le formulaire d'Alexandre VII furent signés dans le diocèse de Beauvais, le 14 septembre 1668; dans celui d'Angers, le 15; à Aleth et à Pamiers, le 18. La lettre de soumission des quatre évêques fut inscrite à Rome, dans le registre de la secrétairerie, le 26 Le même courrier avait apporté une lettre de Louis XIV, exprimant la satisfaction qu'il ressentait de cet accommodement. Deux jours après, le pape fit expédier un bref adressé au roi. Il y annonce qu'il a appris avec joie que les quatre évêques se sont soumis à la souscription pure et simple du formulaire, et qu'il partage la satisfaction que le roi s'était empressé de lui exprimer. Antoine Arnauld se fit présenter au nonce, par les évêques de ChâIons et de Sens, et il attesta avoir signé le formulaire consciencieusement. Il fut aussi présenté au roi par Pompone, son neveu; et il tourna ce compliment :
« Sire, je regarde comme le plus grand bonheur qui me soit jamais arrive, l'honneur que Sa Majesté me fait de me souffrir devant elle.»
Le 23 octobre, le roi, étant en son conseil d'État, ordonna que les bulles et constitutions d'Innocent X et d'Alexandre VII continueraient d'être inviolablement observées et exécutées dans toute l'étendue du royaume; mais que les contraventions et inexécutions faites à ces bulles et à la déclaration du mois d'avril 1655 resteraient comme non avenues, sans que les poursuites pussent être renouvelées sous quelque prétexte que ce fut. Il fit, en outre, défense à tous ses sujets de s'attaquer, sous couleur de ce qui s'était passé, usant des termes hérétiques, jansénistes, semi-pélagiens ou autres noms de parti; et même d'écrire ou publier des libelles sur les matières contestées. Le 27, il écrivit aux quatre évêques une lettre bienveillante. Cependant le pape faisait toujours attendre sa réponse à leur lettre de soumission. Ils avaient bien remis au nonce des certificats attestant sommairement la signature du formulaire; mais leurs adversaires les avaient dénoncés comme ayant usé de duplicité. Clément IX chargea le nonce de faire discrètement une enquête. Lorsqu'il eut acquis l'assurance que les restrictions énoncées dans les procès-verbaux portaient, non sur le sens de la décision de droit, mais seulement sur le caractère de la décision de fait, et même qu'une soumission de discipline et de respect avait été promise à cette décision, il adressa aux quatre évêques un bref pour leur donner une marque de sa bienveillance paternelle (19 janvier 1669). Les religieuses de Port-Royal avant pareillement signé le formulaire, l'archevêque de Paris leva les censures prononcées contre elles (février).

On donne communément le nom de paix de Clément IX à cet accommodement. Les jansénistes affectèrent de triompher; ils l'appelèrent paix de l'Église. Pour en perpétuer le souvenir, ils firent frapper une médaille contenant d'un côté la figure et le nom du roi; de l'autre, sur un autel un livre ouvert, sur ce livre les clefs de saint Pierre avec le sceptre et la main de justice du roi passés en sautoir; au-dessus, un Saint-Esprit rayonnant avec ces mots : GRATIA ET PAX A DEO; sur le devant de l'autel : OB RESTITUTAM ECCLESIAE CONCORDIAM. Sur la plainte du nonce, le roi fit rompre le coin de cette médaille. (E. H. Vollet).



En librairie - A. Richardt, Histoire du jansénisme, de Jansénius à la mort de Louis XIV, L'Oeil / François-Xavier de Guibert, 2002. - Marandé, L'origine et les causes du jansénisme (fac simile de l'édition de 1654), Phénix Editions, 2002.  - Jean-Pierre Chantin, Les amis de l'oeuvre de la vérité, jansénisme, miracles et fin du monde, Presses universitaires de Lyon, 1998. - Du même, Le jansénisme, entre hérésie imaginaire et résistance catholique, Le Cerf, 1996. - Gérard Namer, L'abbé Le Roy et ses amis, essai sur le jansénisme extrémiste intramondain, EHESS, 1995. - Léo Hamon, Du Jansénisme à la laïcité, Maison des sciences de l'homme, 1995. - Françoise Hildesheimer, Le jansénisme, Desclée de Brouwer, 1992. - Marie Florine Bruneau, Racine, le jansénisme et la modernité, José Corti, 1986. - Louis Cognet, Le Jansénisme, PUF (QSJ), 1991.

Daniel Tollet, Le jansénisme et la franc-maçonnerie en Europe centrale, PUF, 2002. -  Marie-José Michel, Le Jansénisme et Paris, Klincsieck, 2000. - Monique Cottret, Jansénismes et Lumières, pour un autre XVIIIe siècle, Albin Michel, 2000. - Jacques Gres-Gayer, Le jansénisme en Sorbonne (1643-1656), Klincksieck, 1996. - René Taveneaux, Le jansénisme en Lorraine (1640-1789), Vrin. - Du même, Jansénisme et prêt à intérêt, Vrin.

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