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La Bastille
Aperçu Des origines à la Révolution Le 14 juillet 1789
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La Bastille, à Paris. -  Ancienne forteresse et prison d'État à Paris. On a vu à la page Bastille ce que l'architecture militaire appelait ainsi. Ce nom est resté par la suite le qualificatif exclusif de l'édifice dont Charles V avait d'abord fait une citadelle, qui protégeait la porte Saint-Antoine, et que le peuple de Paris détruisit dans la journée du 14 juillet 1789. 

L'ancienne Bastille Saint-Antoine possédait huit tours, hautes de 24 mètres et réunies par d'épaisses courtines ayant à la base près de 3 mètres d'épaisseur. Cette forteresse appuyait l'enceinte de la ville, mais ne s'y reliait pas d'une manière suffisante pour que la possession du rempart amenât la reddition de la bastille. Ces huit tours se nommaient : la tour du Trésor, la tour de la Chapelle, la Berthaudière, la Liberté (ces deux dernières avaient été construites de 1370 à 1382 par Hugues Aubriot (prévôt des marchands); la tour de la Comté, la Bazinière, la tour du Coin et la tour du Puits; ces deux dernières furent ajoutées aux anciennes fortifications en 1553. Les tours de la Bastille étaient divisées dans leur hauteur par cinq étages voûtés; elles étaient rondes, à bases coniques. 

Parmi ceux qui y furent enfermés, on cite Jacques d'Armagnac, Anne Dubourg, Biron, Bassompierre, Bussy-Rabutin, Fouquet, Pélisson, Voltaire, La Bourdonnais, Latude, Linguet, etc. La Bastille fut rasée définitivement entre 1789 et 1791 et, au centre de la place qu'elle laissa, on érigea un monument commémoratif des événements de 1830, la Colonne de Juillet, inaugurée en 1840. La date du 14 juillet a été choisie comme fête nationale en France depuis 1880.

Le tour du propriétaire.
Essayons de reconstituer cette sinistre forteresse, où la libre pensée était traitée à l'égal du crime bas et odieux. De nombreuses estampes, les relations de quelques Tisonniers, les descriptions faites lors de sa prise, le 14 juillet, permettent de donner une idée très exacte du château, tel qu'il fut pendant les deux derniers siècles de la monarchie. C'était un carré long dont les grands côtés faisaient face l'un à la ville, l'autre au faubourg. Il couvrait tout l'espace occupé actuellement par les dernières maisons du boulevard Henri IV et de la rue Saint-Antoine et par la place de la Bastille, qui s'étendait plus loin qu'aujourd'hui dans la direction de la Seine et de l'Arsenal (on a figuré sur cette place, par un dallage, l'emplacement de quelques-unes des tours et des murailles). L'entrée de la Bastille s'ouvrait à l'extrémité de la rue Saint-Antoine, là où elle rencontre maintenant la rue Jacques-Coeur, ainsi que l'atteste une inscription placée sur la maison qui porte le n° 232. Cette première entrée était libre; au-dessus de la porte, un magasin d'armes; dans la cour, à gauche, quelques boutiques dont la location appartenait au gouverneur; à droite, les casernes des invalides et les écuries. On pouvait également accéder dans cette cour par les jardins de l'Arsenal.
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Paris : la Bastille en 1420.
La Bastille en 1420.

Nous franchissons une porte, un pont-levis, et nous sommes dans la deuxième cour où se trouvait à droite, regardant le nord, la maison du gouverneur. En face de cette maison, une avenue longue de quinze toises bordée à droite par des bâtiments où étaient installées les cuisines. Cette avenue, établie sur le pont dormant, jeté au-dessus des fossés, conduisait au pont-levis fatal que tant de gens ne franchirent qu'une fois; on passait devant deux corps de garde et l'on se trouvait dans la grande cour intérieure. Six tours l'environnaient; trois à droite, du côté du faubourg, qui étaient la tour de la Comté, la tour du Trésor et celle de la Chapelle. On ignore l'origine du nom de la première; celle du Trésor (C) avait renfermé l'épargne d'Henri IV; la chapelle était située jadis dans la troisième (B); plus tard elle fut installée de l'autre côté de la cour. En face, trois autres tours : de la Bazinière, de la Bertaudière et de la Liberté. Les deux premières (H, G) devaient sans doute leur nom à des prisonniers qui y avaient vécu (le fait est certain au moins pour la tour de la Bazinière). Quant à celle de la Liberté (F), on suppose qu'elle avait dû être le théâtre d'une évasion, à moins d'y voir une appellation ironique. 

La nouvelle chapelle avait été construite près de cette tour. Six niches pratiquées dans le mur, et pouvant contenir chacune une personne, recevaient les rares prisonniers autorisés à entendre la messe. Le rectangle de la cour se fermait, du côté opposé au pont-levis de l'entrée, par un bâtiment de date récente (1761) et qui renfermait les logements de l'état-major, la salle du Conseil et celle où l'on conservait les papiers de la Bastille (K). Un passage pratiqué dans cette construction permettait d'accéder à une seconde cour, plus petite que la première et appelée la cour du Puits; deux tours à ses extrémités, celles du Puits (E) et du Coin (A) dont les noms s'expliquent d'eux-mêmes; entre les deux tours, les logements du personnel inférieur. Nous aurons tout dit quand nous aurons indiqué un vaste bastion qui servait de jardin au gouverneur, parfois de promenade à des prisonniers privilégiés et qui s étendait au delà des tours de l'est, vers le faubourg (M). On y accédait par un passage pratiqué entre les tours de la Comté et du Trésor.

Plan de la Bastille en 1789.
Plan de la Bastille en 1789. - A. tour du Coin; B, tour de la Chapelle; C, tour du Trésor; D, tour de la Comté ; E, tour du Puits ; F, tour de la Liberté ; G, tour de la Bertaudière; H, tour de la Bazinière;  I, Salle du Conseil; K, Archives; L, Escalier des fossés extérieurs; M, Bastion; N, guérites; O, Porte de l'Arsenal; P, Chapelle.
Voilà pour l'aspect extérieur. Visitons maintenant la prison même. Différents locaux y étaient réservés aux détenus, suivant la nature ou la gravité du délit qui leur était reproché, suivant leur qualité et les quelques protections dont ils pouvaient être l'objet. Chacune des tours contenait trois sortes de ces locaux; au pied, un cachot tout à fait obscur et sans air où l'on enfermait les prisonniers révoltés, ceux qui avaient tenté de s'enfuir ou de violer les règlements; ils y restaient un temps plus ou moins long, dont le gouverneur était juge. A chaque étage (les tours n'étaient pas toutes de même hauteur), une chambre, fermée d'une triple porte et éclairée par une fenêtre pourvue de trois grilles encastrées à distance égale dans l'épaisseur de la muraille; un mobilier très sommaire, comme on pense : deux matelas, une table légère et deux sièges; enfin, une cheminée dont le tuyau était traversé par de nombreuses barres et grilles, afin d'éviter toute communication entre prisonniers et tout moyen d'évasion. Pour la même raison, un espace vide était ménagé entre les planchers de chaque étage. Tout en haut de la tour, un dernier ordre de chambres appelées les calottes, parce qu'elles étaient pratiquées directement sous la voûte ogivale; c'étaient, comme les cachots du rez-de-chaussée, des chambres de punition pour les prisonniers récalcitrants. Au total, quarante-deux chambres, dont trente-sept dans les tours.

L'embastillement.
Il est assez difficile de donner avec exactitude une idée du régime auquel étaient soumis les détenus de la Bastille; on n'a guère, pour se guider, que les relations des prisonniers et il est trop clair que celle de Constantin de Renneville, par exemple, et même celle de Linguet, manquent d'impartialité; il faut les contrôler par des dépositions plus justes et les rares documents authentiques dont les archives nous ont livré le secret. Il importe, tout d'abord, de remarquer que la rigueur de la détention alla toujours en diminuant; elle était bien moins cruelle lors des dernières années de la monarchie qu'au commencement du siècle et surtout pendant le siècle précédent; elle variait toutefois en raison du caractère du gouverneur, et l'une des raisons pour lesquelles la Bastille tomba en 1789 est certainement la dureté extrême qu'apporta de Launay dans l'accomplissement de sa charge. Les preuves sont nombreuses pour affirmer qu'un emprisonnement à la Bastille fut toujours une peine plus rigoureuse que dans toute autre prison; Colbert, parlant d'un certain M. Perrot, s'exprime ainsi : 
« Comme les dix mois de prison qu'il a soufferts et celle de trois semaines dans la Bastille doivent suffire pour expier sa faute [...]. » (Lettres et Instructions, publ. par P. Clément, t. III, 2e partie, p. 590). 
L'un des plus graves reproches qui aient été formulés contre la Bastille, notamment par Linguet, est qu'on y retenait souvent les prisonniers, faute de connaître leur crime et l'époque à laquelle ils avaient été incarcérés. Il a été conservé de trop nombreux et trop complets dossiers de prévenus pour qu'on ne puisse se persuader de l'exagération de cette assertion; toutefois la lettre suivante, de Louvois au gouverneur, doit donner à réfléchir :
« Monsieur, ce mot n'est que pour vous prier de me mander qui est Piat de La Fontaine, qu'il y a cinq ans qu'il est à la Bastille et si vous ne vous souvenez point pourquoi il y a été mis ». (Arch. de la Bastille, publ. par Ravaisson, V, 248.) 
Nous pourrions multiplier les citations de cette nature. Il faut dire enfin que la Bastille contenait plusieurs catégories de prisonniers : les uns, véritables criminels méritant un sévère châtiment, d'autres qui y étaient détenus sur un soupçon, une délation parfois calomnieuse, d'autres encore qui n'y demeuraient que quelques jours, à titre de réprimande. Du nombre de ces derniers fut Dangeau, le célèbre chroniqueur, qui, en 1677, y passa deux jours pour s'être battu « à coups de poing et de canne » dans les salons du roi, à propos d'une discussion de jeu.

Une lettre de cachet, signée du roi, suffisait sans autre procédure à déterminer l'incarcération à la Bastille. Ce n'est pas le lieu de traiter la question des lettres de cachet et des abus odieux qu'elles firent naître; nous pensons toutefois qu'il sera intéressant de connaître la teneur de l'une de ces terribles feuilles, toutes semblables, aux formules imprimées, d'où dépendait la liberté, souvent la vie de chaque sujet du roi. En voici une, copiée entre mille : les passages en italique sont ceux qui étaient remplis à la main : 

« Mons. le comte de Jumilhac, je vous fais cette lettre pour vous dire de recevoir dans mon château de la Bastille le nommé [...] et de l'y retenir jusqu'à nouvel ordre de ma part. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, Mons. le comte de Jumilhac, en sa sainte garde. Écrit à Compiègne le 20 juillet 1765. - Louis [et plus bas] : PHELIPPEAUX. [Au dos] : à Monsieur le comte de Jumilhac, gouverneur de mon château de la Bastille ». 
Un exempt avait mission de procéder à l'arrestation; l'accusé était conduit en voiture, presque toujours nuitamment, et remis entre les mains du gouverneur avec un cérémonial qu'il serait trop long de décrire ici. Le prisonnier était fouillé, dépouillé des papiers, armes ou argent dont il se trouvait possesseur, et, quand l'inventaire en était fait, il était écroué dans l'une des quarante-deux chambres du château. Les personnages de marque étaient ordinairement autorisés à avoir un domestique avec eux; dans certains cas, deux prisonniers étaient réunis dans la même chambre, soit que leur faute ne fût pas des plus graves, soit que la prison fût entièrement occupée. Cette circonstance permit à Latude et à d'Alègre de préparer ensemble leur évasion. Le service des huit tours était fait par quatre porte-clefs, chacun ayant deux tours dans ses attributions; ce service consistait principalement à apporter aux détenus leur double repas. Toutes les relations sont d'accord à louer la nourriture et conviennent qu'elle ne laissait rien à désirer. L'abbé de Roquette, qui passa à la Bastille six mois de l'année 1742 et y fut, il est vrai, fort doucement traité, laissait à son porte-clefs la moitié de ses repas; Linguet se trouve tout aussi satisfait et Latude ne se plaint que de la monotonie avec laquelle la même nourriture est servie pour chacun des jours de la semaine, ce qui permet, dit-il, de prédire pendant un siècle ce qu'on aura le lundi ou le mercredi, ou le vendredi, etc. L'abondance du menu était, au reste, réglée par un tarif correspondant à la qualité du prisonnier; ce qu'en dit Linguet est curieux : 
« Un colporteur, un homme du bas étage, apporte à la marmite commune un écu d'extraordinaire par jour; un bourgeois, un légiste de la classe inférieure, cent sols; un prêtre, un financier, un juge ordinaire, dix livres tournois; un conseiller au Parlement, quinze livres; un lieutenant-général des armées, vingt-quatre livres; un maréchal de France, trente-six livres. J'ignore, ajoute-t-il, quel est, dans ce cadastre ministériel, le taux d'un prince du sang-». 
Un autre texte (publié dans la Bastille dévoilée) nous révèle que ce taux était de cinquante livres. C'était le trésor royal qui faisait les frais de la nourriture; en outre, le gouverneur recevait du roi une somme de cent cinquante livres par jour pour quinze places de détenus, à raison de dix livres chacune, qu'elles fussent occupées ou non.

Il faut lire dans les relations des prisonniers les stratagèmes auxquels ceux-ci avaient recours pour remplacer l'encre et le papier lorsqu'on leur en avait refusé l'usage Latude écrivait à l'aide d'un fétu de paille imprégné de son sang; l'abbé de Roquette, qui n'était privé que de papier, se servait des feuilles dont étaient enveloppés les paquets de bougies, qu'il faisait acheter en grand nombre à cet effet. Une distraction plus précieuse était celle de la promenade dans la cour, ou sur la plate-forme des tours. Il s'en faut qu'elle fût accordée à tous, et elle ne l'était jamais qu'en vertu d'une permission écrite par le lieutenant de police. Les termes de ces permissions sont d'un laconisme navrant :

« Je veux bien accorder au sieur de Fourcroy, prisonnier à la Bastille, de prendre l'air; ainsi M. Chevalier, major, le fera promener dans la cour intérieure du château. Ce 17 avril 1763. De SARTINE » (Recueil de lettres de M. de Sartine, conservé à la Bibl. de la ville de Paris). 
Même pour ceux qui jouissaient de cette promenade, limitée à une heure par jour, une restriction pénible en diminuait singulièrement le charme. A chaque instant, la grande cour était traversée par quelqu'un du dehors, pourvoyeur des cuisines ou autre, et comme un étranger ne devait jamais apercevoir le visage des prisonniers, le promeneur devait s'enfermer aussitôt dans une cellule spéciale, appelée le cabinet; Linguet prétend qu'il lui est arrivé souvent de passer les trois quarts du temps de la promenade ainsi enfermé dans le cabinet. Quant à la promenade des plates-formes, elle fut interdite quelques années avant la Révolution; certains détenus en avaient usé pour communiquer par des signaux avec l'extérieur. C'était, dit Latude, une faveur dont on ne faisait jouir que les personnes qualifiées; les hommes du tiers-état ne pouvaient se promener que dans les cours ou il n'y avait pas de vue, au lieu que sur la plate-forme on apercevait tout le riche bassin au milieu duquel Paris est situé. On sait que Latude avait réussi, du haut des tours, à se mettre en rapport avec deux jeunes filles du voisinage, grâce auxquelles il faisait parvenir ses innombrables suppliques, et qui lui apprirent la mort de Mme de Pompadour, à l'aide d'un transparent placé à leur fenêtre.

Si l'encre et le papier étaient presque toujours prohibés, à plus forte raison l'étaient tous les instruments qui pouvaient servir d'armes. Linguet décrit avec indignation le compas en os qu'il n'obtint qu'à grand-peine. Nous avons trouvé la mention d'un couteau 

« fait comme ceux dont les vitriers se servent pour garnir les vitres de plomb, qui ne coupent absolument point et qui sont arrondis par le bout » (Arch. de l'Art. franc., 1re série, v, 92).
Ce couteau s'appelait bastille et bien probablement son nom lui venait du lieu où l'on en avait toléré l'usage. Il n'est pas de stratagème auquel n'eussent recours les prisonniers pour se procurer une arme quelconque et abréger ainsi leurs misérables jours. En 1669, un prisonnier (c'était un épicier) demande au porte-clefs du tabac et le prie de lui prêter un couteau pour le couper. En même temps, il l'envoie chercher de l'eau, et profite de cette courte absence pour s'ouvrir la gorge. Le malheureux ne réussit pas à se tuer, et le roi décida que l'affaire serait assoupie « pour ne réveiller la curiosité du monde » (Arch. de la Bastille, VII, 330-1).

On ne refusait pas aux prisonniers l'autorisation de se confesser, mais l'usage invariable était, du moins au XVIIIe siècle, qu'ils fussent entendus par un Jésuite. L'abbé de Roquette raconte qu'il refusa le ministère de celui qu'on lui envoyait et qu'un de ses compagnons de détention, ecclésiastique comme lui, l'imita. Lorsqu'un détenu mourait, on mandait le clergé de l'église Saint-Paul, qui venait avec un cérémonial strictement réglé; l'enterrement avait lieu, à la nuit tombée, dans le cimetière de la paroisse; le nom du défunt, ou un nom supposé, était inscrit sur les registres de sépulture de la même église. Jal et quelques autres érudits ont pu en relever un grand nombre avant l'incendie qui détruisit ces documents en 1871. Suivant Ravaisson, on inhumait dans les souterrains du château ceux des prisonniers qui n'étaient pas catholiques ou qui avaient refusé les derniers sacrements, ce qui expliquerait la présence d'ossements trouvés en 1790 parmi les décombres (Procès-verbaux, publiés dans la Revue rétrospect., 2e série, t. II, 1835, pp. 296-312).

Et pour finir...
Ces renseignements seraient incomplets si nous ne rappelions en quelques mots quelques-uns des faits du domaine de l'histoire ou de l'anecdote, qui ont popularisé le souvenir de la Bastille. Pellisson, le secrétaire et l'ami de Fouquet, l'écrivain si distingué qui nous a donné la première histoire de l'Académie, n'est connu de beaucoup que par l'anecdote de l'araignée qu'il avait su apprivoiser dans sa prison, et que le gouverneur, M. de Besmaux, fit exprès d'écraser un jour sous son talon : 

« Ah! Monsieur, s'écria Pellisson, j'aurais mieux aimé que vous m'eussiez cassé le bras! » 
Il y eut bien des évasions de la Bastille, probablement plus encore qu'on ne l'avoua et que les documents ne le disent; mais la plus célèbre, la seule célèbre, restera toujours celle de Latude, qui put, en dix-huit mois, fabriquer avec du linge et des draps de lit une échelle de corde, longue de quatre-vingts mètres et forger des outils suffisants pour entamer des murailles épaisses comme l'étaient celles de la Bastille. Il lui fallait desceller les barres de fer des cheminées, atteindre la plate-forme des tours, puis descendre dans le vide, traverser un fossé plein d'eau et, dans ce fossé, travailler plusieurs heures à percer un mur. Il y réussit, à travers mille dangers; puis, redevenu libre, ayant gagné la Hollande, il s'y fit arrêter de nouveau : mais il pouvait dire avec quelque fierté dans ses Mémoires ce que cette arrestation avait coûté au gouvernement français : deux cent dix-sept mille livres!
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Paris : démolition de la Bastille.
La démolition de la Bastille.
Tableau de Pierre-Antoine Demachy. Musée Carnavalet.

Il nous reste à parler du personnel ou état-major de la Bastille. Le chef en était le gouverneur, appelé anciennement capitaine : voici la série que nous avons pu reconstituer de ces officiers : le sire de Saint-Georges, en 1404 ; Guichart de Cissoy, sire de Romilly, en 1458 (d'après une quittance conservée à la Bibl. nat., fonds fr. 22389, pièce 9); Philippe L'Huillier, en 1475; Henri de Guise, en 1588, ayant sous ses ordres Bussy-Leclerc; de Bourg et de Vic, sous Henri IV; Maximilien de Béthune, duc de Sully, en 1601 et en 1611; de Châteauvieux; le maréchal de Bassompierre, en 1617; le connétable de Luynes; le maréchal de Vitry; le duc de Luxembourg; le maréchal de l'Hôpital; Leclerc du Tremblay; de Louvière; François de Montlesun, seigneur de Besmaux (1658-1697); de SaintMars (1698-1708); Charles le Fournier de Bernaville (1708-1718); Jourdan de Launay (1718-1749); Pierre Baisle (1749-1758); François-Jérôme d'Abadie (17581761); Antoine-Joseph, comte de Jumilhac (1761-1776); Jourdan de Launay (1776-1789). 

La charge de gouverneur était des plus lucratives : 60000 livres environ par an, grâce aux bénéfices faits sur la nourriture des prisonniers et la rente de 150 livres par jour qu'elle rapportait pour le traitement fixe de quinze prisonniers, présents ou non au château. Au-dessous du gouverneur, venait dans la hiérarchie le lieutenant de roi, dont l'office valait 5000 livres, puis un major, archiviste et comptable, ayant un traitement de 4000 livres, et un aide-major, pavé 1500 livres, ces deux derniers fonctionnaires ayant sous leurs ordres des employés pour les écritures et la comptabilité. Il y avait aussi un médecin, un chirurgien, un chapelain et un confesseur. Les officiers subalternes étaient les porte-clefs, au nombre de quatre (chacun ayant le service de deux tours), qui apportaient aux prisonniers la nourriture et tout ce qui leur était nécessaire. Enfin, la garde du château était confiée à une compagnie de soldats invalides commandée par plusieurs sous-officiers. (Fernand Bournon).

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Dictionnaire Villes et monuments
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