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Cheminée

La cheminée est un mode de chauffage des habitations, composé d'un foyer disposé pour recevoir le combustible avec, au-dessus, un tuyau servant à l'évacuation de la fumée, relève, par ses dispositions principales et l'ornementation qu'elles comportent, de l'architecture et de la décoration. En effet, les jambages et le manteau, les plaques et les intérieurs de cheminées, le chambranle qui leur sert de cadre et, suivant les circonstances, la hotte qui les surmonte et la partie apparente des tuyaux de fumée qui s'en dégage, ont affecté des formes et reçu des moulures qui ont varié avec le style général de l'époque et qui ont fait largement contribuer les cheminées à l'ensemble architectural et décoratif des habitations. De plus, les cheminées ont souvent offert de riches motifs de sculpture parfois peints et dorés, et les matériaux entrant dans leur composition ont souvent aussi, par leur choix, leur éclat et leur variété, fourni d'heureux exemples de polychromie naturelle. 
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Cheminée provenant d'une maison du Mans (musée de Cluny)
Cheminée de la maison de Hugues Lallement (musée de Cluny).
Cheminée provenant d'une maison 
du Mans. (Art français du XIe siècle)
Cheminée de la maison de Hugues Lallement, à Châlons-en-Champagne.

Mais si de nombreux passages des auteurs anciens ne laissent aucun doute sur l'existence, en Grèce et à Rome, de cheminées assez semblables à celles que nous construisons encore de nos jours, si même des vestiges signalés dès la Renaissance et dont quelques-uns subsistent encore nous montrent bien toute l'importance de certaines cheminées antiques comparables à celles des grandes cuisines et des chauffoirs des abbayes du Moyen âge, ce n'est guère qu'à partir du XIIe siècle que nous voyons apparaître les cheminées disposées dans les intérieurs des pièces et faisant corps avec la construction; en revanche, dès cette époque, les exemples abondent et permettent de suivre les transformations éprouvées jusqu'à nos jours, tant dans les dispositions que dans l'ornementation des cheminées. II y a lieu de mentionner qu'avant le XIIe siècle, les cuisines des abbayes, dont quelques-unes existent encore mais défigurées, n'étaient guère elles-mêmes que de vastes cheminées; car elles consistaient en de grandes pièces circulaires ou polygonales voûtées, renfermant plusieurs foyers dans des niches séparées, et chacun de ces foyers était muni d'un tuyau spécial pour l'évacuation directe de sa fumée, tandis qu'au centre de la voûte s'élevait un tuyau d'un plus fort diamètre servant à la ventilation générale de la pièce. 
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Cheminées du Palais Jacques Coeur, à Bourges.
Cheminées du Palais Jacques Coeur, à Bourges (XVe s.). © Photo : Serge. Jodra, 2009.

Au XIIe siècle, les cheminées offrent en plan un renfoncement circulaire, polygonal ou barlong, ménagé dans l'épaisseur du mur; leur manteau fait une grande saillie sur ce renfoncement et les jambages ou pieds-droits de la cheminée se terminent en pilastres ou en colonnettes avec chapiteaux regagnant la saillie du manteau par des consoles formant encorbellement et parfois d'une certaine richesse de moulures. La hotte conique ou pyramidale qui surmonte le manteau aboutit à un tuyau cylindrique ou rectangulaire dont la demi-épaisseur fait souvent saillie à l'extérieur du mur contre lequel est adossée la cheminée, et ce tuyau est prolongé assez haut au-dessus du comble et terminé par une lanterne que couronne un petit clocheton conique ou pyramidal. Telle la belle cheminée sculptée que l'on peut voir encore aujourd'hui dans un bâtiment dépendant de la maîtrise de la cathédrale du Puy-en-Velay (Viollet-le-Duc, Dictionnaire de l'Architecture, Cheminée, fig. 1, 2 et 14.). Avec la vie de château et les grandes-salles communes de la fin du Moyen âge, les cheminées prirent de plus en plus d'importance, leur foyer devint plus vaste et par suite accessible à une plus nombreuse assistance; en outre, elles formèrent, au point de vue de l'architecture, le principal motif de décoration des pièces d'apparat. 

Sauval (Histoire et Antiquités de Paris, Il, p. 279) nous a conservé la description des cheminées de deux chambres à coucher du roi Charles V; l'une, à l'hôtel Saint-Pol, avait pour ornements de grands chevaux de pierre; l'autre, au château du Louvre,

« était chargée de douze grosses bêtes, et de treize grands prophètes qui tenaient chacun un rouleau; de plus, terminée des armes de France, soutenue par deux anges et couverte d'une couronne ». 
Une gravure de Ducerceau (Des plus excellents bastiments de France) reproduit la cheminée, elle aussi détruite, de la salle des Preuses du château de Coucy, sorte de cheminée double dont un pied-droit divisait la portée du manteau, formant ainsi comme deux cheminées jumelles et, sur ce manteau, étaient sculptées en ronde bosse, plus grandes que nature, les statues des neuf Preuses dont le costume accuse la fin du XIVe siècle, et qui portaient chacune un écusson sur lequel était gravé un attribut. Mais le plus bel exemple encore existant de cheminées monumentales que nous ait légué le Moyen âge est la cheminée, construite au commencement du XVe siècle, dans la grande salle du palais des comtes de Poitiers, cheminée dont nous donnons un dessin (fig. 1), laquelle montre bien comme cette cheminée forme une magnifique décoration occupant, entre les colonnettes extrêmes de ses pieds-droits, une longueur de 10 m sur le fond de la grande salle. 

Le dessus du manteau de cette cheminée porte une tribune adossée à la fenêtre, tribune à laquelle on arrive par deux petits escaliers à vis situés dans les angles; les trois travées de la fenêtre, divisées chacune en quatre parties, ont deux de ces parties aveuglées par le passage des tuyaux de fumée correspondant aux trois foyers en lesquels l'âtre est séparé par des jambages décorés de colonnettes, enfin, tout l'ensemble, avec les dix degrés formant estrade au devant de la cheminée, est d'un effet grandiose et peut-être unique dans l'art du Moyen âge. Au reste, cette époque montre encore, à côté de ces vastes cheminées qui décoraient les grandes salles des palais, des maisons communales ou des abbayes, des cheminées beaucoup plus simples dans les maisons d'habitation dont les intérieurs sont venus jusqu'à nous; mais toutes ou presque toutes ces cheminées, moins perfectionnées comme appareils de chauffage que celles que l'on construit à l'époque contemporaine, offrent, en revanche, un caractère plus architectural qui prouve bien le rôle important de la cheminée dans la vie et les habitudes de nos ancêtres du XIIe au XVIe siècle.
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Figure 1. - Cheminée de la grande salle
du Palais des Comtes, à Poitiers.

Avec la Renaissanceet jusqu'à nos jours, les proportions des cheminées changent notablement et se rapprochent de celles admises aujourd'hui pour les palais ou les riches habitations. Le foyer, redevenu unique, est encadré d'ordres d'architecture, de cariatides, de consoles sur lesquels le manteau repose comme un entablement, et le dessus de ce manteau, en pierre ou en bois, gagnant quelquefois le plafond, porte des sujets sculptés, des médaillons avec des bustes, des scènes peintes, des écussons rehaussés de leurs métaux et de leurs couleurs avec leurs supports héraldiques, etc., le tout souvent couronné d'un fronton. Nous donnons ci-dessous (fig. 2) une cheminée construite au XVIe siècle dans l'ancien hôtel d'Alluys, à Blois, cheminée qui est un charmant modèle de simplicité dans ses lignes et de luxe dans sa décoration, et nous rappellerons la magnifique cheminée de la chambre échevinale de l'ancien hôtel du magistrat du Franc, à Bruges.
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Figure 2. - Cheminée du XVIe siècle;
Hôtel d'Alluys, à Blois.

Cette cheminée, où la pierre, le marbre et le bois sont alternés, a été exécutée après 1528 par un artiste bressan, Guyot de Beaugrant, et probablement en souvenir de la bataille de Pavie et du traité dit la Paix des Dames. Elle reproduit, en quatre bas-reliefs sculptés sur son manteau, l'histoire de la chaste Suzanne, et au-dessus l'empereur Charles-Quint et ses ancêtres avec les écussons des principales parties de son empire.

L'architecture et la sculpture des cheminées conservèrent encore une importance réelle pendant tout le XVIIe siècle; mais, avec le XVIIIe siècle et le grand développement pris par les glaces d'appartements, avec le style contourné de décoration des intérieurs sous Louis XV, les cheminées se virent, pour ainsi dire, réduire à l'état de meubles, de tablettes saillantes sur lesquelles vinrent se placer des bronzes d'art, des pendules, des vases, des bibelots, et le dessus de leur manteau fut surtout appelé à encadrer une glace prenant chaque jour plus d'ampleur. Enfin, après un retour à des formes plus simples et plus architecturales à la fois, sous les règnes de Louis XVI et de Napoléon Ier, c'est surtout  la deuxième moitié du XIXe siècle et l'éclectisme de ses tendances artistiques qui, en reproduisant des modèles de tous les âges précédents et en s'inspirant de tous les styles, même de ceux de l'extrême Orient, a rendu aux cheminées des édifices publics et des riches habitations une importance relative. Nous citerons, pour terminer, comme exemples de riches cheminées de palais élevées à cette époque, les cheminées des salons de réception des appartements du préfet de la Seine au premier étage de l'aile sur le quai de l'Hôtel de ville de Paris. Dans ces cheminées, encadrées par une arcade qu'elles occupent entièrement, des termes décorent les pieds-droits et portent la saillie du manteau sur lequel les abouts d'un fronton coupé reçoivent des figures couchées avec attributs. Au-dessus, des colonnes ioniques accolées, avec en retour des atlantes, entourent un médaillon ovale qui doit recevoir en décoration céramique les armes de la ville de Paris, et la corniche architravée surmontant ces colonnes porte un cartouche orné, semblant attendre une horloge (fig. 3).
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Figure 3. - Cheminée de l'Hôtel de Ville
de Paris; Salon du Préfet.

II faut ajouter que, à côté de ces cheminées qui constituent une rare exception par leur grandeur et leur richesse notre époque voit, dans de nombreux hôtels privés, en aménager beaucoup, certainement plus simples, mais étudiées en harmonie avec le style des pièces auxquelles elles sont destinées et enfin, jusqu'à nos jours comme au Moyen âge et sous la Renaissance, les cheminées tendent à constituer à nouveau un des principaux éléments de décoration des intérieurs des édifices.  Il n'est pas jusqu'aux souches des tuyaux de fumée qui, nettement accusées et dépassant de beaucoup la hauteur des combles qu'elles traversent, ne fournissent à l'architecte, de nos jours comme autrefois, un élément de construction et de décoration avec lequel il lui faut compter et dont les deux pavillons extrêmes qui subsistent des ailes du palais des Tuileries (Pavillon de Flore et  Pavillon de Marsan) et les façades de l'Hôtel de ville, à Paris, offrent d'intéressants exemples. (Charles Lucas).

Construction.
il nous reste maintenant à dire quelques mots sur le mode de construction  des cheminées et leur rôle pour l'aménagement intérieur des maisons et des édifices, dans lesquels elles constituent parfois un élément architectural d'une certaine importance. La cheminée, sous sa forme actuelle la plus usitée (fig. 4, 5), est composée : d'un âtre A, placé au niveau du sol, en briques, en carreaux ou en fonte; une plaque de foyer F, en avant de l'âtre; un contre-coeur C ou plaque de fond (généralement en fonte); ces parties constituent avec les côtés verticaux de l'âtre le corps de la cheminée au-dessus duquel s'élève le conduit de fumée f qui sert à l'évacuation des produits de la combustion. La partie extérieure de la cheminée, celle qui fait saillie dans la pièce à chauffer et qui est susceptible de recevoir une forme plus ou moins décorative, constitue en quelque sorte l'enveloppe du foyer et comprend : les côtés ou les ébrasements E; les jambages, pilastres ou pieds-droits J; le manteau M sur le devant duquel se trouve le linteau ou traverse T; la tablette t, qui recouvré ce manteau. On fait généralement les ébrasements en briques, en faïence ou en fonte; les jambages, linteaux et tablettes en marbre; ils sont plus ou moins ornés et se rapportent à des types dont les principales désignations sont : à capucine, à modillons, à consoles, style Pompadour, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, etc. 
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Figure 4.

On garnit ordinairement la face antérieure du foyer d'un encadrement en cuivre et d'un tablier ou rideau en tôle, qui s'élève ou s'abaisse à l'aide d'un contrepoids P suspendu à une chaînette sur poulie et dissimulé dans l'épaisseur d'un des côtés de la cheminée. La disposition du foyer indiquée ci-dessus, avec côtés verticaux, ébrasements à 45° et rétrécissement de l'orifice supérieur, fut imaginée par Rumford au commencement du XIXe siècle et se désigne souvent sous son nom. Lhomond ajouta le tablier mobile qu'on abaisse pour activer le tirage et faciliter l'allumage en forçant toute la colonne d'air à affluer par la grille; Descroisille remplaça le tablier plein par un rideau en toile métallique, qui produit le même effet sur le tirage sans ôter la vue du feu, disposition souvent employée maintenant par les constructeurs. 
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Figure 5. 

Dans les cheminées les mieux aménagées, on a introduit diverses dispositions ayant pour objet de réchauffer au contact d'une enveloppe métallique, interposée dans le foyer ou constituant ses parois, l'air appelé directement du dehors par une prise spéciale. Parmi les principales dispositions employées à cet effet, nous citerons les appareils Fondet, Cordier, Giraudeau et Jalibert, Joly, Gaillard et Maillot qui dérivent, d'ailleurs, du type primitif créé par Leras et Fondet. L'air pris extérieurement est amené, en dessous de l'âtre, dans une rangée de tubes, surmontant un coffre en fonte qui forme le fond du foyer et aboutissant à un tuyau horizontal dont les deux extrémités vont déboucher de chaque côté des montants de la cheminée par des orifices garnis de bouches de chaleur; l'air échauffé au contact des tubes, autour desquels circulent la flamme et les produits de la combustion évacués par un conduit supérieur, se répand dans la pièce et contribue ainsi à produire une utilisation plus complète de la chaleur dégagée par le combustible. (GE).
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Venise : cheminée.
Cheminée vénitienne en tronc de cône.  © Photos : Serge. Jodra, 2009 - 2012.
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Dictionnaire Architecture, arts plastiques et arts divers
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