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Les Propylées de Paris

Les Propylées de Paris. - Nom donné par Calonne, contrôleur général des finances, aux anciennes Barrières de Paris. Voici quelle fut leur origine : le grand chimiste Lavoisier, qui était en même temps fermier général, avait calculé que le nombre habituel des habitants de Paris requérait, proportionnellement, en objets consommables, un cinquième de plus que la quantité atteinte par l'impôt de l'octroi, ce qui faisait dans les taxes un déficit de près de six millions de francs. Il communiqua son observation et ses calculs au gouvernement, par un rapport qui resta enfoui plus de deux ans dans les cartons du Contrôle général des finances. Un premier commis, Mollien (qui fut ministre du Trésor sous Napoléon Ier), l'en tira, et Joly de Fleury, alors contrôleur général, ordonna d'en suivre l'exécution. Les préparations, préliminaires conduisirent jusqu'en 1784, et  Calonne, successeur de Joly de Fleury, fit mettre la main à l'oeuvre. Il voulut que l'on profitât de l'occasion pour donner aux portes de la capitale de la France un caractère monumental, qui rappelât les célèbres Propylées d'Athènes. Mollien imagina, comme complément du mur de clôture, le boulevard extérieur en vue de faciliter les communications, d'éclairer la surveillance des commis de l'octroi, et de diminuer la circulation des grosses voitures affluant dans la ville, en les obligeant à suivre cette voie le plus longtemps possible avant de franchir les Barrières pour arriver à leur destination. Ces boulevards devaient, ajouter à l'effet des modernes Propylées, qui reçurent ce nom parce qu'elles devaient être élevées, et le furent en effet, en dehors du mur d'enceinte destiné à déjouer la fraude sur les octrois.

Il y eut soixante Propylées ou bâtiments de Barrières, dont la moitié au moins ne se composait que d'un seul bâtiment, élevé sur le côté de la route, qui était barrée par une grille de fer avec doubles portes, et tenant d'un côté au bâtiment, de l'autre à une grosse guérite de pierre. Les Barrières les plus importantes avaient un bâtiment en parallèle de chaque côté de la route. Ces constructions, ainsi que le mur d'enceinte, coûtèrent 25 millions de francs. Commencées en 1784, sur les plans et sous la direction de l'architecte Ledoux, la plupart étaient achevées vers la fin de 1787; mais alors un avis du Conseil royal des finances, provoqué par Loménie de Brienne, qui succédait à Calonne, fit arrêter les travaux, comme ruineux dans un temps où le Trésor était déjà obéré. Le contraste des nouvelles constructions avec ce qui existait ressortait d'autant plus, qu'un mur de moellons, chaperonné d'une épaisse dalle de pierre, remplaçait une misérable clôture de planches de sapin, ébréchées par le temps, et que les Propylées succédaient à de pauvres cabanes de bois, montées sur des galets de bois, qui même avaient valu pendant longtemps aux Barrières de Paris le nom de roulettes. Les travaux furent donc abandonnés, et, quatre ans après, l'Assemblée constituante ayant supprimé les octrois, tout devint inutile, bâtiments et mur d'enceinte. On ne les acheva qu'en l'an VII (1798) et années suivantes, après le rétablissement de l'octroi par le gouvernement directorial.

Les Propylées de Ledoux occupèrent beaucoup, dans le temps, l'attention du public et des artistes; elles eurent et conservèrent toujours une certaine célébrité par le caractère monumental des plus grandes, par l'originalité, la bizarrerie, ou l'élégance de toutes. Quelques-un de ces bâtiments ont été conservés; mais la plupart  n'existent plus depuis 1860, époque où Paris s'agrandit en annexant les communes voisines et reçut pour nouvelles limites, d'abord, la muraille bastionnée édifiée par Thiers, et aujourd'hui, grosso modo, le Périphérique; il est donc intéressant, au point de vue de l'art, de conserver le souvenir de ces constructions, car, de quelque manière qu'on les juge, elles marquent un effort, plus d'une fois heureux, pour sortir des sentiers battus. Peu de bâtiments ont été autant critiqués et blâmés dans leur conception : ils avaient cependant certaines qualités d'ensemble, qui auraient, au besoin, prouvé que Ledoux n'était pas un architecte vulgaire. Au plus fort du déchaînement contre cet artiste novateur, Quatremère de Quincy, qui ne préconisait que les ordres grecs et le pur classique grec, écrivit néanmoins dans son Dictionnaire d'architecture le jugement suivant : 

" Lors de la formation des nouvelles Barrières de Paris, l'auteur ingénieux de ces monuments fantastiques se plut à y reproduire l'ordre dorique sans base, qu'il crut propre à servir l'idée qu'il s'était faits du caractère convenable à des barrières [...]. Cependant le caractère imposant et grandiose que l'auteur de ces monuments sut tirer de l'emploi de cet ordre, la fierté de la modénature, la hardiesse des profils, et l'aspect majestueux de quelques-unes de ces compositions, parmi les quelles on retrouve quelques redites et des imitations des masses des anciens temples doriques, l'étrangeté même de ce style, contribuèrent à familiariser les yeux avec le goût et les proportions du dorique grec sans base."
Maintenant nous allons entrer dans quelques détails, et montrer des spécimens. Les trois Propylées ci-dessous sont de médiocres, et même de petites proportions, sans néanmoins perdre le caractère monumental dont Ledoux se préoccupait habituellement, et qu'il affecta souvent même pour ses compositions les moins importantes.
Barrière de Picpus Barrière du Combat Barrière des Réservoirs
On trouvera "le caractère imposant et grandiose et I'aspect majestueux" dans la vue ci-dessous. Remarquez la sévérité du soubassement, dont les murs sont taillés en refends profondément fouillés et arrondis en bossages; observez ces frontons si larges portés sur de gros pilastres carrés, qui leur donnent un aspect de lourdeur autant que de force. Cette propylée , qui existe encore en partie, se trouve dans le XIXe arrondissement, au carrefour de la rue de Flandre à droite, et de l'avenue Jean Jaurès (anc. route d'Allemagne) à gauche : voilà pourquoi il y a quatre guérites, deux à l'extrémité de chaque grille. Ces guérites ont un caractère de force remarquable, qui fait presque sembler leurs arcs à des portes de forteresses. Le grand bâtiment du centre subsiste encore, et sert comme de perspective au long bassin de La Villette.

Barrière Saint-Martin, vers 1870.
On reconnaîtra encore le même caractère de grandiose et de majesté dans la vue ci-après de la Barrière du Trône ou de Vincennes; les colonnes triomphales qui occupent le centre de la composition portent les statues de Charlemagne et de Saint Louis, et reposent sur un piédestal qui servait de guérite. Elles subsistent encore, et donnaient un cachet d'élégance à la composition, dont cependant les bâtiments latéraux sont pleins de lourdeur. 

Nous appliquerons à cette Barrière et à la précédente ce que Quatremère dit encore de nos Propylées :

« Ces édifices offrent de loin des masses pyramidales assez belles, et quelquefois imposantes, dont les dimensions générales paraissent annoncer dans l'éloignement un style large et grandiose.»
Obtenir cet effet pour des édifices tous destinés à être vus de loin, à frapper la vue de plus de passants que de regardants, dénotait déjà une très habile intelligence du but que l'on avait dû se proposer. L'architecture est toujours faite pour être vue de loin, et l'artiste qui n'a pas l'intuition de l'effet des masses, plus encore que de celui des lignes (intuition généralement rare), n'élève que des monuments froids et sans charme. 

Barrière du Trône ou de Vincennes.
Ledoux, voulant donner une grande variété à ses compositions, paraît les avoir quelquefois assorties au site où elles devaient alors se trouver; c'est ainsi que quelques-unes ont l'aspect de petits châteaux de plaisance, quand elles étaient tout à fait en vue de la campagne; nous reconnaîtrions volontiers ce caractère aux barrières Blanche et du Roule, que nous donnons ci-dessous, et qui se trouvaient en pleine campagne.
Barrière Blanche Barrière du Roule
En voici, maintenant, qui ont un caractère moitié temple et moitié maison, avec quelque chose du genre de Palladio; ce sont : la barrière de Clichy, immortalisée dans un charmant tableau d'Horace Vernet, et la barrière de Belleville.
Barrière de Clichy Barrière de Belleville
Les trois spécimens figurés ci-après témoignent encore, de la fécondité d'imagination de Ledoux, qui non seulement puisait dans son propre fonds, mais, à l'occasion, s'inspirait aussi des édifices de l'Antiquité. La première de ces deux vues, celle de la barrière de Reuilly, paraît évidemment une sorte de réminiscence du temple de Claude, à Rome. La seconde, la barrière de la Conférence, a un caractère plus original : placée sur le bord de la Seine, où il y avait, en plein fleuve, une sorte de Douane, l'architecte a donné à son édifice un peu ce caractère. Une guérite, formant piédestal à une statue colossale assise de l'Abondance, est très heureusement placée sur le mur du quai. Ce motif produit un heureux effet dans l'agencement général, et prouve encore que Ledoux entendait bien la distribution et la pondération des masses, chose si importante en architecture. 

Quant à la troisième barrière, celle du Mont-Parnasse (Montparnasse), choisie afin que l'on ne nous accusât pas de partialité pour l'artiste, elle ne paraît guère, malgré son nom, avoir été inspirée par le dieu des beaux-arts; c'est une de celles qui, par leur excessive bizarrerie, ont dû provoquer le plus de critiques, et davantage excuser jusqu'à un certain point, sans néanmoins le justifier, l'espèce d'anathème que les délicats en architecture, et peut-être aussi un peu les envieux, se plurent à jeter sur les Propylées de Paris. Nous reviendrons tout à l'heure, en parlant de la barrière de l'Étoile, sur ce petit et très malencontreux édifice.

Barrière de Reuilly   Barrière de la Conférence      Barrière du Mont-Parnasse
La barrière de Saint-Denis rentre dans le caractère de château; son portique en colonnes, avec bossages supportant un fronton, est d'un effet assez mâle. Ce fronton, répété sur de petits avant-corps engagés sur les trois autres côtés, leur donne peut-être trop d'importance, bien que couronnant un simple mur percé de fenêtres, et nuit à la valeur du portique de la façade. On remarquera la guérite massive, placée comme un avant-poste d'observation sur le boulevard, indépendamment des deux guérites plus simples au milieu de sa grille. 

La barrière de Charenton représente deux temples doriques grecs, trop fidèlement inspirés du Parthénon, du temple de Thésée, à Athènes, du temple d'Athéna au cap Sunium, etc. On croit que cette barrière a été faite, ou tout au moins terminée, par Molinos, architecte de la ville de Paris du temps du Premier Empire français.

Barrière de Charenton Barrière de Saint-Denis
Les défauts des Propylées de Paris étaient l'exagération des contrastes, où la bizarrerie est quelquefois poussée jusqu'au choquant; l'abus de l'innovation dans les profils, bouleversant l'agencement des membres, mettant, par exemple, des quarts de rond à la place des doucines, et réciproquement: plaçant sur des colonnes d'un aspect robuste des tailloirs très-minces, que les architraves semblent devoir écraser; en un mot, affectant souvent un mélange de force et de faiblesse, de sévérité et de caprice, qui n'ont ni grâce, ni grandeur. Ledoux remit les bossages en honneur, mais il en fit abus, soit dans les arcs, dont il hacha l'archivolte par des claveaux saillants en nombre égal aux claveaux lisses, comme à la barrière du Trône, par exemple; soit dans les chambranles de portes et de fenêtres, où il procéda de même, et, pour les fenêtres, comprit jusqu'à leurs appuis dans ses impitoyables bossages, ainsi qu'à la barrière Saint-Denis; soit enfin sur des colonnes, où, aux bossages peu saillants et à bords arrondis, à la manière florentine, il alla jusqu'à substituer des dés carrés, alternant avec les tambours circulaires, et coupant des fûts, les hérissant du haut en bas, de manière à leur faire perdre deux fois leur forme, de sorte qu'elles ne ressemblaient ni à des colonnes, ni à des pilastres (la figure ci-dessous); soit, enfin, en les accouplant par des assises horizontales, allant de l'une, à l'autre, ainsi qu'on l'a vu plus haut à la barrière du Mont-Parnasse (Montparnasse), ceci est vraiment de l'extravagance. 

Barrière de l'Etoile.
Quant aux colonnes de la barrière de l'Etoile, peut-être pourrait-on dire que Ledoux les a coupées par des dés carrés, parce qu'elles devaient être vues de cette immense avenue de Neuilly, et qu'à distance cette bizarrerie était peu sensible, et donnait un aspect de force et de solidité à des fûts qui auraient pu paraître frêles. C'est là une explication que nous ne donnons pas pour excellente, mais que nous ne croyons pas dénuée de vraisemblance. En effet, si l'on veut bien examiner notre dessin, surtout pour les faces vues de profil, parallèlement à la route, la bizarrerie est bien moins choquante, et produit un effet de lignes qui n'est pas sans quelque agrément. N'oublions pas non plus que, quand Ledoux éleva ces deux Propylées, l'énorme Arc de l'Étoile n'existait pas pour faire contraste et les écraser.

Aucun travail du genre, et aussi considérable que celui des Propylées de Paris, n'avait encore été exécuté en aussi peu de temps et par un seul artiste. Les qualités et les défauts que montra Ledoux dans cette vaste entreprise influèrent sur le goût du temps; on le vit dans plusieurs hôtels construits alors, puis sous le Consulat et le Premier Empire (Napoléon Ier), et dont il subsiste encore quelques-uns à Paris. Nous éprouvons un regret triste en réfléchissant que cet article est une espèce d'oraison funèbre. Quelques mois après le 1er janvier 1860, jour néfaste pour les Propylées de Paris, qui, malgré de graves défauts, particulièrement dans les détails, avaient cependant un vrai mérite d'originalité, elles ont disparu du sol, à peu près en masse; il n'en reste plus que les rares spéciments que nous avons nommés, et auxquels il faut ajouter un des moins méritants, la barrière de Chartres, petit temple en rotonde, inspiration de Saint-Pierre-in-Montorio, de Rome; elle doit son salut à sa position dans le Parc Monceau, dont elle forme la construction la plus importante, et la seule qui porte avec elle un vrai souvenir.  (C. D-Y.).



En librairie. - Jean-Pierre Lyonnet, Propylées de Paris - Claude-Nicolas Ledoux, Editions Honoré Clair, 2013. Avec l'histoire des propylées de Paris, J.-P. Lyonnet nous convie à une promenade poétique et sensible le long des murailles de Paris; grâce à ses illustrations originales, il nous permet la découverte d'une exceptionnelle série architecturale, restituée pour la première fois dans son intégralité.(Comm. de presse).
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Dictionnaire Villes et monuments
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