| On peut ramener à trois les motifs qui déterminèrent, en 1793, la réforme du calendrier grégorien. La Convention voulut briser une arme entre les mains de son adversaire, le clergé, propager tout ce qui pouvait inculquer à la nation l'amour de la République et de la liberté, enfin soumettre la mesure du temps aux principes de la numération décimale qui régissaient déjà la mesure des surfaces, des volumes et des poids. Quoique cette réforme n'eût pas été expressément réclamée par l'opinion publique, elle avait déjà préoccupé plus d'un bon esprit et inspiré plus d'un essai précurseur. Dès 1785, Riboud, ancien procureur du roi de Bourg-en-Bresse, avait publié les Etrennes littéraires ou Almanach offert aux amis de l'humanité. Les noms des grands hommes y remplaçaient ceux des saints de l'Église. L'ingénieux procureur avait, pour célébrer l'anniversaire des plus illustres d'entre eux, institué des fêtes qui rappelaient leurs travaux ou leurs bienfaits. La fête de l'agriculture tombait le jour dédié à Columelle : Jean-Jacques Rousseau présidait à la fête des âmes sensibles, et Scarron à celle des malades agréables. Pour Newton, il y avait la grande fête de l'univers. Pierre-Sylvain Maréchal reprit la même idée, mais la développa avec une tout autre ampleur. Son Almanach des honnêtes gens (1788) contient déjà plusieurs dispositions importantes du calendrier républicain. Maréchal institue d'abord une ère nouvelle, l'ère de la raison. Puis il fixe le commencement de l'année au 1er mars. Les douze mois sont maintenus. Mais à côté de la dénomination usuelle, l'auteur en propose une qui est purement ordinale : Mars s'appelle Princeps, Avril Alter, Mai Ter, Juin Quartile, Juillet Quintile, etc. (Almanach des honnêtes gens, 1788). Chaque mois est divisé en trois décades. Les jours complémentaires sont les épagomènes; on les consacrera à célébrer des fêtes solennelles : le 31 mars sera la fête de l'Amour, le 31 mai celle de l'Hyménée; on fêtera la Reconnaissance le 31 août et l'Amitié le 31 décembre. Une fête générale est réservée, le 31 janvier, à tous les grands hommes aëmères, c.-à-d., à tous ceux dont on ignore la date de la naissance et de la mort. Maréchal, à l'exemple de Riboud, n'ouvre son calendrier qu'aux grands noms de la science, de l'histoire, de la philosophie. Mais la plus large tolérance dicte ses choix. Chez lui, Jésus-Christ coudoie Epicure. Tout porte à croire que l'Almanach des honnêtes gens ne fut pas inutile aux réformateurs de 1793. Un tel livre ne pouvait guère leur être inconnu. Il avait été réédité, sous des titres divers, en 1791 et en 1792. D'autre part la forme des deux calendriers présente la plus grande analogie. On s'est contenté, semble-t-il, en 1793, d'accommoder le travail de Maréchal aux exigences de la situation nouvelle, et notamment, de l'imprégner d'esprit républicain. Le soin de la réforme fut confié par la Convention au comité de l'instruction publique. Gilbert Romme, son président, s'adjoignit les savants les plus illustres de l'époque : Lagrange, Dupuis, Monge, Guyton de Morveau, Lalande, enfin plusieurs membres de l'Académie des sciences lui prêtèrent leur concours. Le projet qui sortit de cette collaboration fut soumis à la Convention nationale, le 20 septembre 1793. La discussion, ouverte le 5 octobre suivant, fut close le même jour. On adopta les propositions du comité, sauf celles qui concernaient la nomenclature des mois et des jours. Voici quelles sont les dispositions essentielles du nouveau calendrier. L'ère ancienne fut abolie pour les usages civils. Elle finit le 21 septembre 1792, avec la royauté. Une ère nouvelle fut instituée elle commença le 22 septembre 1792, avec la République. Le même jour où les représentants du peuple réunis en Convention nationale proclamaient la République, le Soleil arrivait à l'équinoxe vrai d'automne en entrant dans le signe de la Balance à 9 h 18 mn 30 s du matin pour l'Observatoire de Paris. Un grand phénomène céleste coïncidait ainsi avec un grand événement historique. Cet accord désigna le 22 septembre pour être non seulement le premier jour de l'ère, mais encore le premier jour de l'année. On rapporta en conséquence le décret qui fixait le commencement de la seconde année de la République au 1er janvier 1793. Tous les actes passés de cette époque au 6 octobre 1793 étaient datés de l'an Il. On décida qu'ils appartiendraient à l'an I. Chaque année commença à minuit avec le jour où tombait l'équinoxe vrai d'automne pour l'Observatoire de Paris. Le mois fut conservé. C'était une division qu'on estimait utile. D'après les conceptions de l'époque, elle servait, en rappelant les lunaisons, les intérêts du marin, de l'homme des champs, de l'habitant du Nord. Mais pour être vraiment avantageuse, elle devait rester toujours la même. On suivit donc l'exemple des anciens Égyptiens et on partagea l'année en douze mois égaux de trente jours chacun. La semaine, en revanche, fut supprimée. « Elle ne mesure exactement ni les lunaisons, ni les mois, ni les saisons, ni l'année » (Instruction sur l'ère de la République). Elle a servi d'ailleurs, à toutes les époques « les vues ambitieuses de toutes les sectes ». C'est un produit de la «-superstition », un « scandale » pour les siècles éclairés. Sa place n'est pas dans l'annuaire d'un peuple libre et d'un gouvernement républicain. La numération décimale permet d'établir une division plus simple et plus conforme à la raison. C'est la décade ou groupe de dix jours. Chaque mois en contint trois. La décade était plus commode que la semaine, car elle mesurait exactement le mois, elle avait encore sur elle l'avantage de s'accorder avec le nouveau système des poids et mesures. L'année, avec ses trois cent soixante-cinq jours, forma trente-six décades et demie. Les jours de la dernière demi-décade furent les épagomènes. Ils n'appartenaient à aucun mois. L'année civile, qui est purement conventionnelle, ne reproduit pas exactement l'année tropique qui lui sert de fondement. Elle est plus courte d'un quart de journée environ. Pour rétablir l'accord on ajoutait tous les quatre ans un jour de plus aux épagomènes. Au lieu de cinq il y en avait alors six. Cette période de quatre ans constitua la Franciade. Le jour allait de minuit à minuit. Il fut divisé en dix parties égales ou heures, chaque partie en dix autres et ainsi de suite jusqu'à la plus petite portion commensurable de la durée. On appela minute décimale la centième partie de l'heure, et seconde décimale la centième partie de la minute. Toutes ces modifications étaient, en somme, fort heureuses; sauf le changement de l'ère, elles étaient inspirées par la science ou dictées par la raison. Elles furent adoptées sans difficulté. Un débat assez long s'ouvrit sur la nomenclature des mois et des jours. Comme proposait, pour les désigner, des noms qui rappelaient les époques les plus mémorables de la Révolution ( Romme le Montagnard, par Marc de Vissac). Un député, Duhem, le combattit. Il fallait faire, suivant lui, le calendrier moins pour la France que pour toutes les nations. « Je vote, dit-il, pour nommer les divisions du temps par leur ordre numérique. » Romme consentit à supprimer les dénominations révolutionnaires ou plutôt à les remplacer par des dénominations morales. « Le premier jour, dit-il, en développant son projet, sera celui des époux. » « Tous les jours sont les jours des époux, » riposta AIbitte. La discussion ne fut guère poussée plus loin et l'on adopta la nomenclature ordinale tant pour les mois que pour les jours. Mais les inconvénients qu'elle recélait éclatèrent, dès qu'on voulut s'en servir. Le peuple, que l'imagination domine et gouverne presque toujours, la trouva trop abstraite. La rédaction des actes officiels eut elle-même à en souffrir. Pouvait-on s'exposer à écrire des phrases comme celle-ci : le deuxième jour de la deuxième décade du deuxième mois de la deuxième année de la République? - Le poète Fabre d'Eglantine fut chargé de trouver une nomenclature moins sèche et moins abstraite. L'idée qui lui servit de principe fut « de consacrer par le calendrier le système agricole et d'y ramener la nation, en marquant les époques et les fractions de l'année par des signes intelligibles ou visibles pris dans l'agriculture ou l'économie rurale ». (Rapport de F. d'EgI., Moniteur, XVIII, 684.) Dans ce système, les dénominations du temps étaient empruntées à son contenu et servaient à le désigner. L'automne, par exemple, voit se succéder trois grands phénomènes, les vendanges (septembre-octobre); les brouillards et les brumes basses (octobre-novembre); les froids tantôt secs tantôt humides (novembre-décembre). Le premier mois de l'automne s'appellera donc, conformément à l'étymologie, vendémiaire, le second, brumaire, le troisième, frimaire. Suivant ce principe pour toutes les parties de l'année, Fabre composa la nomenclature suivante : - Automne | Hiver | Printemps | Eté | Vendémiaire Brumaire Frimaire | Nivôse Pluviôse Ventôse | Germinal Floréal Prairial | Messidor Thermidor Fructidor | Il n'était ni possible ni nécessaire d'appliquer le même système à la dénomination des jours. D'abord il eût fallu créer trois cent soixante-six noms nouveaux : et quelle mémoire eût été assez intrépide pour les apprendre, assez heureuse pour les retenir? L'essentiel était d'ailleurs d'avoir toujours le quantième du mois à sa disposition sans être obligé de recourir au calendrier matériel. On obtint ce résultat avec la dénomination ordinale. Fabre inventa des mots qui, tout en conservant la signification du nombre ordinal, formèrent un nom différent pour chaque jour. Il proposa de dire pour exprimer les jours de la décade : Primedi, Duodi, Tridi, Quartidi, Quintidi, Sextidi, Septidi, Octidi, Nonidi, Décadi. Les avantages de cette combinaison sont bien connus. Elle permet de déterminer presque instantanément le quantième du mois. « Par exemple, dit Fabre, il suffit de savoir que le jour actuel est Tridi pour être certain que c'est aussi le 3 ou le 13 ou le 23 du mois, comme avec Quartidi, le 4 ou le 14 ou le 24 du mois, ainsi de suite. On sait toujours à peu près si le mois est à son commencement, à son milieu on à sa fin. Ainsi l'on dira Tridi est le 3 au commencement, le 13 au milieu, le 23 à la fin. » (Ibid.) Là ne se bornèrent pas les innovations de Fabre d'Eglantine. Le calendrier, remarquait-il, est, par excellence, le livre du peuple. Il faut en profiter « pour glisser parmi le peuple les notions rurales élémentaires, pour lui montrer la richesse de la nature, pour lui faire aimer les champs, et lui désigner avec méthode, l'ordre des influences du ciel et des productions de la terre ». (Ibid.) Les prêtres n'avaient pas ignoré le parti qu'on pouvait tirer du calendrier. Pour propager et affermir leur empire, ils avaient placé chaque jour sous la protection « d'un prétendu saint ». Mais ce catalogue n'était que le « répertoire du mensonge, de la duperie et du charlatanisme ». Le législateur devait chasser « cette foule de canonisés » du calendrier du peuple et leur substituer « tous les objets qui composent la véritable richesse nationale, le digne objet sinon de son culte, du moins de sa culture » (lbid.). Les grains, les pâturages, les arbustes, les racines, les fleurs, les fruits, les plantes remplacèrent, en conséquence, les apôtres, les vierges et les martyrs. A chaque Quintidi on inscrivit le nom de l'animal, poisson, oiseau ou mammifère, qui pouvait à la mince époque aider l'homme dans ses travaux, le nourrir de sa chair, ou le charmer de son chant. Chaque Décadi fut à son tour marqué par le nom d'un instrument aratoire. On choisit, autant que possible, celui dont le travailleur avait besoin pendant le mois. La Cuve, par exemple, était inscrite au premier Décadi de vendémiaire, le Pressoir au second et au troisième le Tonneau. Les railleries n'ont pas été ménagées à cette partie du calendrier républicain; pourtant elle procède d'idées généreuses et de sentiments élevés. Fabre voulut montrer, comme il le dit lui-même, qu'avec la République, était venu le temps « où un laboureur est plus estimé que tous les rois de la terre, et l'agriculture comptée comme le premier des arts de la vie civile » (lbid ). Les jours épagomènes reçurent par un décret du 7 fructidor an III, la dénomination de sans-culottides. On prétendit ainsi glorifier un nom que les aristocrates infligeaient comme une injure aux défenseurs de la Liberté. Les sans-culottides furent consacrés à des réjouissances et à des fêtes. Dans les années ordinaires on célébrait cinq fêtes, celles de la Vertu, du Génie, du Travail, de l'Opinion, des Récompenses (V. sur leur nature le Rapport de Fabre d'Eglantine). Dans les années sextiles, c.-à-d. tous les quatre ans, le sixième épagomène était la Sans-Culottide par excellence, et on y célébrait des jeux nationaux. Les fêtes décadaires ne vinrent que plus tard. Le nouveau calendrier fut bientôt mis en vigueur. On fixa au dernier jour de chaque décade les vacances des fonctionnaires publics. Les caisses publiques, les postes et messageries, les établissements publics d'enseignement, les spectacles, les rendez-vous de commerce, comme foires, marchés, les contrats et les conventions, etc. durent désormais se régler sur la décade, sur le mois ou sur les sans-culottides. On chargea le conseil exécutif, les corps administratifs et les municipalités, de prendre toutes les mesures propres à favoriser et à faciliter l'usage du nouveau calendrier. Mais Bonaparte ne lui permit pas de s'implanter définitivement dans le pays. Dès le mois d'avril 1802, un article de la loi relative à la réorganisation des cultes ramena au dimanche le repos des fonctionnaires de l'Etat. Le 13 floréal suivant, 3 mai, les consuls arrêtèrent que le dimanche serait le jour consacré aux publications de mariage. La ruine du calendrier républicain fut consommée le 15 fructidor an XIII (2 septembre 1805). Regnauld de Saint-Jean-d'Angély et Mounier, orateurs du gouvernement, présentèrent au Sénat un projet de sénatus-consulte qui rétablissait le calendrier grégorien. On nomma une commission d'examen. Sur le rapport de Laplace, la proposition du gouvernement passa sans discussion. Le calendrier républicain fut officiellement supprimé à partir du 1er janvier 1806. Il avait duré douze ans, deux mois et vingt-sept jours. (J. Dubourdieu). | |