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L'histoire de l'Amérique > les Aztèques]
Les Aztèques
Organisation politique 
et sociale des Aztèques

La civilisation qui tomba sous les coups de Cortez et de ses alliés amérindiens a été décrite sous des traits infiniment trop brillants. Du XVIe au XIXe siècle, la civilisation aztèque a été vue avec des yeux européens, jugée à la mesure européenne et déclarée tour à tour admirable ou haïssable. En tout cas, elle a toujours été considérée, à la suite des premiers chroniqueurs du XVIe siècle, comme une civilisation féodale, monarchique, où les classes de la population étaient hiérarchisées, bref, comme un reflet de l'Espagne au temps de Ferdinand et d'Isabelle. Personne ne mit en doute, pendant bien longtemps, la constitution féodale de « l'empire » du Mexique, comme on nomme encore la petite confédération des trois bourgades de Tenochtitlan-Tlaltelolco, Tetzcoco et Tlacopan. La connaissance des autres peuples américains a donné une idée différente de la constitution du Mexique.

Certainement, la confédération mexicaine représente une des formes les plus élaborées de la civilisation américaine; sauf dans l'Amérique centrale (Les Mayas) et peut-être au Pérou (Les Incas), nulle part les aborigènes du Nouveau Monde ne s'élevèrent aussi haut, mais leur civilisation n'était cependant pas comparable à celle des états féodaux de l'Europe du Moyen Age. Des auteurs déjà anciens, comme William Robertson (The history of America, 1800), s'étaient montrés sceptiques sur les beautés de la civilisation aztèque; mais ce n'est qu'après les études de Lewis H. Morgan (Ancient society, 1877) sur le fonctionnement des gouvernements tribaux des Nord-Amérindiens de l'Amérique du Nord, que les ethnographes purent entreprendre l'étude des systèmes juridique et économique du Mexique. 

Morgan en a tracé les premiers linéaments. Adolph Bandelier a essayé d'en donner un tableau plus complet.

Les phratries et les clans

Les Aztèques et les autres Chichimèques étaient, comme toutes les tribus nord-américaines, divisés en clans, c'est-à-dire en groupes plus étendus que les familles, dans lesquels tous les individus portent un même nom.

Mais ce groupe n'avait déjà plus au Mexique la cohésion qu'il possède encore dans la plupart des tribus de l'Amérique du Nord; il n'avait plus de chef particulier; d'ailleurs la notion de la famille, au sens strict du mot, existait chez les peuples de l'Anahuac. Cependant, les anciens auteurs nous ont conservé le nom des sept clans qui formaient la tribu aztèque lors de son arrivée dans la vallée de Mexico : les Yopicas, les Tlacochcalcas, les Huitznahuacs, les Cihuatecpanecas, Chalmecas, Tlacalecpanecas et Itzcuintecatls (Itzcuintl = chien). A l'exception de ce dernier clan, ils ne portaient pas de noms d'animaux, d'où nous concluons que ces clans n'étaient pas totémiques. En réalité cette septuple division est le résultat de la scission d'une organisation plus ancienne, comportant quatre clans primaires ou phratries, qui subsistait encore au temps de la conquête. Cette division en phratries est l'un des traits dominants de la société aztèque. Chacune des phratries formait un des quartiers, « barrios », de la ville de Mexico. Ces quatre quartiers qui furent nommés plus tard par les Espagnols «-barrios  » de San Juan, San Pablo, San Sebastian et Santa Maria la Redonda, portaient les noms nahuatl de Moyotlan, Teopan, Aztacalco et Cuepopan.

Les calpullis

Lorsque Cortez débarqua au Mexique, les quatre clans primitifs étaient subdivisés en 20 clans secondaires locaux. Ces groupes, nommés calpullis, possédaient des domaines particuliers et s'administraient eux-mêmes. Leurs territoires portaient le nom de calpulallis « terres du clan » et devaient être possédés et cultivés exclusivement par eux.

Les affaires du calpulli étaient administrées par un conseil, composé de vieillards, probablement les chefs de famille ou de maisonnées. Le nombre des membres de ce conseil variait avec l'importance numérique du clan. Les décisions de cet aréopage étaient exécutées par les soins de deux fonctionnaires : le calpollec ou chinancallec et l'achcacauhtli ou teachcauhtli

• Le calpollec ou chinancallec était élu par le conseil; il surveillait la répartition des terres et les greniers du clan, et il commandait les calpixquê ou intendants, chargés de faire rentrer les impôts nécessaires à l'entretien des fonctionnaires du clan. Il rendait aussi la justice dans les affaires de peu d'importance, les affaires graves devant être portées devant le conseil. En cas de contestations avec d'autres clans, il était l'orateur de son calpulli et l'avocat des gens de sa lignée.

• L'achcacauhtli, teachcauhtli ou encore, par abréviation, tiacauh, était le chef de la police du clan. C'était aussi lui qui était chargé de l'instruction militaire des jeunes gens.

Le calpulli était l'unité primaire, fondamentale de la société des Aztèques.

La tribu

Tous ces groupes se fondaient dans la grande unité, la tribu de Mexico, propriétaire du territoire de la ville. L'ensemble des terres occupées par les calpullis formait le terrain tribal (altepetlalli). Le gouvernement de Mexico présentait, à l'époque de la conquête, une certaine complication. Le pouvoir législatif était exercé par un conseil tribal (tlatocan), composé de 20 membres (tlatoani = « orateur », pluriel : tlatoquê) délégués par les clans. Ce conseil se réunissait à la maison commune (tecpan) tous les douze jours environ d'une façon régulière, et plus souvent en cas de besoin. Dans ces réunions, le tlatocan jugeait les affaires, tant civiles que criminelles, que lui soumettaient les clans; il ratifiait les nominations de chefs faites par ceux-ci et les investissait; c'était lui qui décidait des opérations militaires de la tribu, concluait la paix, les alliances, etc.

Le territoire tribal comprenait des terrains n'appartenant à aucun clan, mais qui étaient la propriété de la tribu dans son ensemble : tels étaient les emplacements du grand teocalli, temple réservé au culte de la grande divinité de Mexico, Huitzilopochtli, et du marché, tianquiztli. Les crimes ou délits commis en ces lieux ne relevaient de la juridiction d'aucun clan et étaient jugés directement par le tlatocan. Lorsque les membres de cette haute assemblée ne pouvaient se mettre d'accord sur la solution à donner à certaines questions, ils la réservaient au nauhpohualtlatolli, grand conseil qui se réunissait tous les 80 jours au tecpan et qui était formé de tous les chefs de la cité. Outre les tlatoquê, membres du tlatocan, y prenaient part les vingt calpollequé, les vingt teachcacauhtin ou tiacahuan, les quatre chefs des quatre quartiers et les principaux prêtres ou tlamacazquê. Cette réunion plénière des fonctionnaires de Mexico était présidée par le cihuacohuatl, fonctionnaire exécutif dont nous parlerons bientôt; les décisions prises au nauhpohualtlalotli étaient suprêmes et sans recours.

Le personnel exécutif de la tribu était très nombreux. Outre les teachcacauhtin, les calpollequé et autres fonctionnaires de clans, il comprenait les chefs des quatre quartiers principaux; chacun d'eux avait un nom particulier. Celui de Moyopan portait le titre de tlacochcalcatl, celui de Teopan était nommé tlacatecatl, celui d'Aztacalco : ezhuahuacatl, celui de Cuepopan : tlillancalqui ou quauhnochtecuhtli. Ces chefs exerçaient des fonctions surtout militaires; en l'absence des grands chefs de guerre, c'étaient eux qui conduisaient l'armée mexicaine au combat. En temps de paix, ils remplissaient pour l'ensemble de la tribu le même rôle que les tiacahuan ou teachcacauhtin dans les clans.

Au-dessus d'eux, venait le cihuacohuatl. Ce fut pendant longtemps la plus haute charge de la société mexicaine. Il résidait au tecpan, présidait le tlatocan dont il était chargé d'exécuter toutes les décisions. Il était responsable vis-à-vis du tlatocan pour la rentrée des tributs levés sur les clans, pour l'entretien des fonctionnaires et pour leur distribution entre les différents services; c'était lui aussi qui répartissait les terres, révisait cette répartition, etc. Il avait sous ses ordres une quantité d'agents chargés de la police des lieux publics, et surtout du marché. Ces agents de police étaient nommés tianquizpantlayacaqué; ils restaient sur la place du marché et arrêtaient les délinquants qui étaient conduits de suite au tecpan, où un certain nombre de tlaloquê étaient en permanence, pour juger les flagrants délits commis sur les terrains tribaux. Le cihuacohuatl surveillait aussi les calpixquê ou hueycalpixquê, collecteurs d'impôts chez les tribus soumises.

Egal, ou presque égal, en puissance au cihuacohuatl, était le tlacatecuhtli, « chef des hommes, ou des braves », qui a été désigné par les Espagnols sous le nom de « Roi » ou d' « Empereur ». Cette fonction avait été créée par suite de nécessités militaires. Les Aztèques avaient été d'abord commandés par des chefs de guerre occasionnels; le premier des tlacatecuhtli fut Acamapichtli, sa nomination correspond à ce que les auteurs espagnols nommèrent la création de la royauté. Cependant le tlacatecuhtli n'avait rien d'un souverain. Il résidait au tecpan, avec sa famille et les assistants nécessaires de sa charge. Il recevait et hébergeait les hôtes étrangers, assistait le cihuacohuatl dans la répartition du tribut et transmettait au conseil et au cihuacohuatl les affaires qui lui étaient rapportées par ses assistants. Sa véritable fonction était celle de commandant en chef, des Mexicains d'abord, de la confédération plus tard. Lorsque les forces confédérées entraient en campagne, le tlacatecuhtli de Tenochtitlan prenait le commandement général, les forces mexicaines étaient commandées par le cihuacohuatl; lorsque Tenochtitlan seule partait en guerre, le tlacatecuhtli ou le chef d'un des quatre quartiers commandait.

La confédération

Chacune des tribus qui formaient la confédération aztèque était indépendante; elle possédait son territoire tribal, sur lequel était située la ville dont la tribu prenait son nom. Ces groupes étaient commandés par des tlacatecuhtin indépendants, car la confédération ne possédait pas d'organisation politique spéciale. Ces chefs ratifiaient l'élection du tlacatecuhtli de Mexico, mais ce n'était probablement qu'une mesure de courtoisie, car aucun des chefs des trois tribus n'avait le droit de s'immiscer dans les affaires de ses voisines. Chacune des trois villes était libre d'entreprendre des guerres pour son propre compte, de lever le tribut sur les villes qu'elle avait vaincues; lors d'expéditions entreprises en commun, les produits du pillage étaient partagés de façon inégale : Mexico-Tenochtitlan recevait deux cinquièmes des dépouilles, Tetzcoco, deux cinquièmes et Tlacopan, un cinquième seulement. Mexico n'avait sur ses deux confédérées qu'un avantage purement militaire et restreint à la durée de l'action commune : son tlacatecuhtli était commandant en chef des forces; l'action cessant, les trois tribus se séparaient et vivaient indépendantes les unes des autres.

L'organisalion militaire

Les fonctions du tlacatecuhtli de Mexico n'avaient, comme on vient de le voir, rien de celles d'un roi ou d'un empereur : tous ses actes émanaient de décisions du conseil, qu'il exécutait fidèlement; il était simplement un chef de guerre, et, comme tel, il portait des insignes particuliers, auxquels s'attachait un grand respect; mais, s'il sortait du tecpan sans insignes, il devenait un simple citoyen, auquel nulle déférence spéciale n'était due. C'est donc à l'office et non à la personne du tlacatecuhtli que s'attachèrent les prérogatives. Cependant, en certaines circonstances, le « chef des hommes » agissait de sa propre initiative et de façon telle que son pouvoir pouvait passer pour tyrannique, mais cette prérogative s'appliquait uniquement aux choses militaires.

La société mexicaine était par-dessus tout une société militaire. C'est autant à l'heureuse organisation de leur armée qu'à leur vaillance que les Aztèques durent les succès qu'ils remportèrent sur les tribus voisines.

Tous les hommes de la tribu étaient, obligatoirement, des guerriers. A l'âge de quinze ans, l'enfant (piltontli) devenait un éphèbe (telpochtli); on le menait au temple (teocalli) pour y remplir certains des rites de son clan et au telpochcalco, « maison de l'éphébie-», pour y être exercé dans l'art militaire par l'achcacauhtli de son calpulli.

L'exercice consistait à frapper sur des poteaux avec des armes pour se fortifier les bras, à tirer l'arc, à lancer des javelines contre des cibles, etc. Dès que les jeunes gens étaient suffisamment entraînés, on les emmenait au combat, les plus forts comme combattants, les autres comme porteurs

Les guerriers recevaient des titres honorifiques et des insignes mais ces distinctions ne leur conféraient aucun commandement. Le commandement était l'affaire de fonctionnaires élus par le clan ou la tribu, et on peut dire que l'organisation des clans était une organisation militaire. Chaque clan déléguait un teachcauhtli qui commandait ses forces; ces teachcacauhtli étaient placés sous l'autorité de l'un des chefs qui commandait les quatre groupes de clans. Au-dessus de ceux-ci venaient le cihuacohuatl et le tlacatecuhtli, général en chef des forces de la confédération.

Les armes étaient, en temps de paix, renfermées dans des magasins (tlacochcalco = «-maison des javelines »). Il en existait un pour chacun des quatre grands quartiers de Mexico.
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Campagne militaire aztèque.
Campagne militaire aztèque. Codex de Florence.

Les soldats aztèques marchaient au combat vêtus d'une tunique ouatée (ichca-huipitli) qui leur servait de cuirasse. Les principales armes des Mexicains étaient le bouclier rond en bois (chimatli), la massue faite de fragments d'obsidienne tranchants insérés entre deux planches (maquahuitl), la lance (tlatzontectli ou tepoztopilli) avec une pointe en pierre ou en cuivre, l'arc (tlauitolli) et les flèches (mitl); la fronde (tematlatl) et le propulseur (atlatl) qui servait à lancer les javelines.

Les combats étaient menés à la façon des Indiens de l'Amérique du Nord, sans ordre de bataille, toutes les troupes donnant à la fois c'étaient des mêlées où chacun combattait pour son compte. Le service des éclaireurs était très important, le but à atteindre étant de tomber à l'improviste sur l'ennemi. Les guerriers mexicains cherchaient à faire des prisonniers qui étaient ramenés à Mexico et sacrifiés à Huitzilopochtli.

La répartition des terres et des biens

A cette organisation juridique et militaire des clans et de la tribu, correspondait la répartition des terres. Le territoire tribal (altepetlalli) était divisé en vingt territoires de clans (calpolatli) et en terrains neutres (place du marché, grand teocalli, tecpan-tlalli, pillalli, etc.). 

Le calpolatli était divisé en parcelles (tlalmilli); elles étaient attribuées chacune à un homme marié du clan, qui devait la cultiver, ou la faire cultiver. Si la terre restait en friche pendant plus de deux années, elle retournait à la communauté et le titulaire était exclu du clan. Donc, la terre n'appartenait pas aux individus; ceux-ci ne pouvaient pas la vendre, ni la transmettre à leurs héritiers, c'était le conseil du clan, et son fonctionnaire exécutif, le calpollec, qui en disposait après sa mort. Tous les hommes mariés possédaient, en théorie, un tlalmilli, qu'ils devaient cultiver, les chefs comme les autres. Mais ceux-ci, absorbés par leurs fonctions officielles, ne pouvant faire produire leurs terres, on institua des terres publiques (tlalocamilli) qui étaient cultivées pour eux par des tlalmaitl. Les produits de ces terres étaient engrangés au grenier commun du clan et distribués aux fonctionnaires par les soins du calpollec.

Pour l'entretien des tlatoquê formant le conseil, du cihuacohuatl et du tlacatecuhtli, du personnel des temples et du tecpan, il existait des terrains publics de la tribu, désignés d'une façon générale sous le nom de pillalli. Le plus important de ces lots était le tecpantlalli, cultivé par les tecpanpouhguê ou tecpantlaca. Enfin, chez les tribus vaincues, des terres officielles spéciales nommées yaotlatli ou milchimalli assuraient la production des matières premières demandées en redevance (maïs, agave, cacao, etc.). Ces terres étaient surveillées par des intendants (calpixquê), placés sous la dépendance du cihuacohuatl. Mexico entretenait dans les villes vaincues un certain nombre de ces intendants, chargés de surveiller la culture des yaotlaltin et d'assurer l'expédition de leurs produits au grenier tribal de Mexico.

Les classes sociales

La confédération mexicaine constituait donc non pas une royauté féodale, mais bien une démocratie militaire, dont l'organisation était fondée sur le régime des clans, avec propriété commune de la terre. Les citoyens aztèques ne formaient, à proprement parler, qu'une seule classe. Ceux qui refusaient de se marier, ou de cultiver leurs terres, étaient chassés du clan et perdaient ainsi, en même temps que leurs moyens de subsistance, la personnalité civile. Ils se louaient chez les gens qui, ne pouvant cultiver eux-mêmes leur terre, les employaient et les nourrissaient en échange de leurs services; ils se louaient aussi comme porteurs dans les expéditions guerrières. C'est ce que les auteurs espagnols ont nommé les « esclaves » (tlacotli, au pluriel : tlacotin) : mais leur sort ne ressemblait pas à l'esclavage : dans certaines conditions, ils pouvaient rentrer dans le clan, les enfants qu'ils avaient étaient libres et appartenaient au calpulli dont eux-mêmes avaient été exclus, etc. C'était donc leur travail et non leur personne qu'ils louaient pour subsister. Les tlacotin n'appartenant à aucun clan étaient placés sous la surveillance directe du cihuacohuatl

Une portion très particulière de la population était celle des marchands (pochteca). Le terme de « marchand » n'est peut-être pas tout à fait exact et ne saurait, en tout cas, rendre compte de la fonction très particulière des pochteca. Ceux-ci se réunissaient, parfois en nombre assez considérable, et, accompagnés de porteurs, faisaient des expéditions lointaines, souvent très périlleuses, au cours desquelles ils échangeaient les produits naturels et manufacturés de Mexico contre ceux des tribus qu'ils visitaient. Au cours de leur randonnée, ils notaient toutes les particularités des pays qu'ils traversaient et leur rentrée à Tenochtitlan était célébrée par une grande fête au tecpan, où ils informaient le tlacatecuhtli des choses qu'ils avaient remarquées au cours de leur voyage. C'étaient donc aussi bien des espions que des commerçants. D'ailleurs ces voyages n'étaient pas des entreprises privées, mais des expéditions tribales. Quant aux gens qui négociaient sur le tianquiztli, ce n'étaient pas des commerçants de métier, mais des cultivateurs ou des artisans qui venaient là échanger leurs produits contre ceux des autres; on les nommait tlanamacani.

Les artisans, de même, ne formaient pas de castes fermées; ils n'habitaient pas de quartier spécial. Le fils pouvait prendre le métier de son père (et, en fait, cela arrivait souvent), mais ce n'était pas une obligation. Comme les pochteca, les artisans ne cultivaient pas leurs terres, mais ils étaient obligés de les faire cultiver. Certains métiers étaient très honorés, surtout celui des orfèvres, l'or et l'argent passant pour être d'origine divine.

Donc la division que les anciens auteurs, suivis par beaucoup de modernes, faisaient de la nation mexicaine en esclaves, laboureurs et artisans ou commerçants n'existait pas, en droit, bien qu'elle existât en fait, à quelque degré. Reste à examiner la question des chefs, des « nobles » comme on les appelle souvent. Ici, les anciens Espagnols ont constamment confondu le titre et la fonction.

Nous avons déjà vu que les fonctions exécutives du clan et de la tribu étaient tenues par des individus élus à vie, parmi l'ensemble des membres quelconques du clan ou de la tribu. Nous avons vu aussi que les hommes qui s'étaient distingués au combat obtenaient des titres honorifiques, auxquels ne s'attachait aucune fonction et qui s'éteignaient avec eux; ces gens titrés ne pouvaient donc constituer une noblesse. Restent les tecuhtin. On nommait ainsi les hommes qui s'étaient soumis à des rites de pénitence extrêmement sévères, dès leur jeunesse, dans des établissements spéciaux, appelés calmeca, situés dans l'enceinte du grand teocalli de Mexico. Leur temps d'initiation terminé, ils prenaient le titre très honoré de tecuhtin. Ce titre s'éteignait avec celui qui le portait et ne constituait pas un signe de noblesse héréditaire; il ne conférait à celui qui en était revêtu aucun pouvoir politique. Mais, en fait, les chefs étaient toujours choisis soit parmi les tecuhtin, soit parmi les guerriers ayant reçu un titre honorifique. D'autre part, bien que le titre ne fût pas héréditaire, il arrivait très souvent que le fils suivît la même voie que son père; ainsi l'erreur des premiers observateurs, imbus au surplus des idées européennes du temps, s'explique-t-elle facilement.

D'ailleurs, le Mexique se trouvait probablement, à l'époque de la conquête, en état de transformation sociale. Les grandes expéditions des règnes d'Ahuitzotl et de Motecuzoma II avaient amené dans les villes confédérées une prospérité extraordinaire; on ne réclamait plus seulement aux tribus vaincues des produits de leur sol, mais aussi des objets manufacturés. D'autre part, l'héritage, au temps de la conquête, ne revenait pas au clan, mais allait directement du père aux enfants du sexe masculin, ou à ses aînés; dans ces conditions les diverses familles voyaient leurs biens s'accroître; de plus l'abondance des tributs enrichissait les fonctionnaires du clan et de la tribu qui en recevaient, naturellement, la meilleure part. Seuls, les tlacotin, étant hors du droit, ne recevaient rien. La transformation qui s'opérait ainsi était d'ordre purement économique, mais elle tendait à donner une importance de plus en plus grande aux chefs qui remplissaient des fonctions officielles, en même temps qu'elle créait une propriété individuelle composée de biens meubles, à côté du principe de la propriété commune de la terre.

Cette transformation économique eut pour conséquence le développement de monnaies rudimentaires. L'essai fut maladroit et insuffisant, il est vrai, mais il montre que le système du troc, de l'échange en nature, commençait à être jugé trop incommode. Cette monnaie consistait en grains de cacao pour les petites unités, en manteaux, en pièces de cuivre ou d'étain, en forme de T ou de hache pour les valeurs un peu plus élevées, en tubes de plumes d'oiseau remplis de grains d'or pour les fortes sommes. Cependant, le système monétaire était très imparfait; les « pièces » n'avaient pas une valeur bien déterminée, il fallait s'entendre sur cette valeur et le commerce ressemblait encore beaucoup plus au troc qu'à la vente et à l'achat.
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Exécution des coupables d'adultère chez les Aztèques.
Ceux qui étaient reconnus coupables d'adultère étaient exécutés devant l'effigie
de la déesse Itztlacoliuhqui, lors de la douzième treizaine du tonalpohualli (année solaire).

L'organisation judiciaire

Toute la population relevait, au point de vue judiciaire, des fonctionnaires du clan et de la tribu, qui appliquaient les lois. Celles-ci étaient très sévères, et les anciens auteurs nous en donnent une idée suffisante. Les homicides étaient toujours punis de mort; la même peine était appliquée aux hommes qui revêtaient des habits de femme et aux femmes qui revêtaient des habits d'homme. Les adultères subissaient le même sort. On condamnait encore à mort les hommes qui avaient changé les limites des tlalmilpa ou champs attribués par le clan aux individus, et ceux qui négligeaient de cultiver, dans un délai de deux ans, les terres que le calpollec leur avait désignées pour servir à l'entretien des orphelins du clan. Tous les délits de trahison (renseignements fournis à l'ennemi, usurpation des insignes d'un chef militaire, etc.), tous les sacrilèges (séduction d'une femme ayant fait le voeu de chasteté pour entrer dans le sacerdoce, violation des voeux d'un prêtre, ivresse d'un prêtre) étaient également punis de mort.

Les autres délits étaient punis de façon plus ou moins rigoureuse : l'ivresse, qui était tolérée dans les fêtes publiques et chez les hommes ayant passé l'âge de soixante-dix ans, était châtiée avec rigueur : si le coupable était un chef, il était dégradé de son titre de tecuhtli et s'il remplissait un office, il en était chassé; les citoyens ordinaires étaient rasés, pour les signaler au mépris de la population. Le vol était puni plus ou moins, suivant la valeur de l'objet volé et la moralité du délinquant : si l'objet volé était de peu de valeur, si le coupable en était à son coup d'essai, la simple restitution suffisait à éteindre l'action judiciaire; s'il y avait récidive, le voleur devenait tlacotli de celui auquel il avait fait tort : on le privait de son tlalmilli et il devait cultiver celui du volé. Enfin le vol de l'or et de l'argent était puni de mort.

Dans certains cas, les criminels étaient enfermés dans des prisons teilpiloyan ou tecaltzaqualoyan, où ils restaient sans air et sans nourriture.

Ces prisons servaient à la fois pour la détention préventive et pénale. Les condamnés à mort étaient enfermés dans le quauhcalli, cage de bois située au milieu d'une chambre obscure, en attendant d'être sacrifiés. (H. Beuchat).

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