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Des
Lemta et des Lemtouna voilés, ancêtres des Touareg
actuels, qui campaient d'ordinaire le long du Sénégal et dans les vastes
espaces sablonneux du Sahara,
ayant connu l'islam,
entreprirent de faire partager leurs croyances les armes à la main, d'une
part aux populations païennes du Nord du Soudan et du Sud du Sénégal,
de l'autre à toutes les tribus marocaines plus ou moins suspectes d'ignorance
ou d'hérésie. De leur surnom d'El-Morâbetin (= les religieux),
les Espagnols ont fait AImoravides qui leur est resté. Ils ne connaissaient
d'autres montures, même pour la guerre, que les chameaux de course, vivant
sobrement du lait et de la chair de leurs animaux; ils atteignaient un
âge très avancé. Ils sortaient de la vieille population berbère
et sanhadjienne. Les nouveaux sectaires étaient animés d'un esprit de
vengeance et de cupidité très accusé contre tout ce qui s'était élevé
dans le Nord de l'Afrique. Leur première expédition est de l'an 1053.
Elle n'avait d'autre but que d'enlever aux Maghraoua un parc de 50 000
dromadaires à Sidjilmassa; ils y laissèrent des gouverneurs almoravides.
Mais le succès de l'entreprise enflamma et encouragea l'ardeur de ces
ravisseurs, et dès 1056
le cheikh des Almoravides, un certain Abou-Bekr-ibn-Omar, les ramena vers
le Nord, en les conviant à la conquête du pays tout entier, que devait
favoriser l'anarchie complète qui y régnait alors.
Les Maghraoua, Ifren
et Miknasa s'y disputaient le pouvoir; l'influence de Cordoue
avait disparu depuis la chute des Omeyyades. A Tanger commandaient les
Edrisites Hanmoudites, et à Sidjilmassa régnaient les Beni-Ouanoudin-ben-Khazroum.
Dans l'Atlas la tribu des Masmouda était prépondérante, tandis que les
Berghouata où dominait le schisme de Younos vivaient dans l'indépendance.
S'étant donc emparés, en 1056,
des villes de Massa et de Taraudant, les Almoravides franchirent l'Atlas
et occupèrent en 1059
la grande et prospère cité d'Aghmat, capitale de la contrée, qui obéissait
à un prince zénatien du nom de Lerhout. Les ruines très frustes d'Aghmat
se voient encore de nos jours à une très petite distance de Marrakech.
Abou-Bekr, le chef des Almoravides, épouse ensuite la veuve de ce Lerhout,
la belle Zeïneb, originaire du Nefzaoua, femme d'une grande intelligence
et que les chroniqueurs arabes appellent la Magicienne. Puis la
conquête s'étendit au Nord de l'Atlas parmi les Masmouda, et au Tadela,
région qui obéissait à une fraction des Beni-Ifren. Cependant la résistance
devenait de plus en plus vive; aussi bien les conquérants n'avaient eu
à faire jusque-là qu'à des populations animistes ou à des musulmans
chiites,
ils allaient rencontrer en montant vers le Nord des schismatiques semblables
à ceux du faux prophète, Salahben-Tarif, qui leur avait composé un Coran
en langue berbère, modifiant à son gré les prescriptions islamiques.
Dans un combat, le chef des Almoravides, Ibn-Yacin, périt en 1059,
Abou-Bekr, son successeur, réussit cependant à entraîner à nouveau
les Almoravides contre les hérétiques, et cette fois les Berghouata furent
définitivement vaincus; il y eut dans tout le pays un grand carnage de
Beni-Ifren; mais, une révolte ayant éclaté au Soudan, le conquérant
est obligé d'abandonner le commandement à son cousin Yousef-ben-Tachfin.
A cette même époque le Hammadite Bologguine reparaît dans le Nord du
Maroc qu'il envahit et s'empare de Fès où les
descendants de Ziri-ben-Atiya achevaient d'user leurs forces en des luttes
intestines. Après le départ d'Abou-Bekr, les Almoravides poursuivirent
leur marche sous la conduite de Yousef qui avait épousé la belle Zeïneb.
Ce dernier fonde dans la plaine qui s'étend au pied septentrional de l'Atlas,
en une admirable situation, la ville de Marrakech, puis il organise une
redoutable armée où marchent, à côté des Almoravides, des Guezoula,
des Masmouda et même des Zenetes. En 1063,
il s'empare de Fès et de toutes les places de
la vallée de la Molouïa, puis il dompte les Ghomara du Rif, et il se
dispose à assiéger Tanger quand une révolte le rappelle soudain à Fez.
La répression fut terrible, car tous les hommes valides furent passés
au fil de l'épée.
Sauf Tanger et Ceuta,
tout le pays marocain appartenait aux Almoravides. Leur puissance va grandir
sans cesse et, vers 1085,
El-Motamed, le souverain des musulmans d'Espagne, poussé par son fils,
Rechid, se décidera à les appeler pour résister aux progrès des armes
d'Alphonse VI après la prise de Tolède. Comme prix de son concours, Yousef-ben-Tachfin
exige Algésiras et l'aide d'El-Motamed afin de s'emparer de Tanger et
de Ceuta, places auxquelles il ne tardera pas à joindre la possession
du Rif et de Tlemcen. Tout le Maghreb lui obéissant, il franchit le détroit
avec ses troupes. Le 30 ,juin 1086,
il débarqua à Algésiras; son armée offrait, nous dit-on, le plus bizarre
assemblage; à côté des Noirs, Arabes, Berbères et Nomades divers du
SaharaÃ
la figure voilée, marchait un corps de mercenaires et d'esclaves chrétiens
bardés de fer. On y voyait même une troupe espagnole que commandait un
certain Garcia Ordoñez, et pour la première fois on vit des dromadaires
dans le pays. Le récit de cette expédition faisant partie de l'histoire
de l'Espagne, nous reviendrons aux affaires du Maroc qui étaient alors
abandonnées à la direction des fekih et où un puritanisme rigoureux
pesait sur la religion. La puissance almoravide touchait à son apogée;
elle embrassait un des plus vastes empires qui aient existé, des rives
de l'Ebre et des Baléares
jusqu'au delà du Niger. Avant de mourir à Marrakech à l'âge de cent
ans, dans la ville qu'il avait bâtie et où se voit encore son tombeau,
Yousef avait pris le titre glorieux de commandeur des croyants, émir el-moumenin;
il avait été le véritable fondateur de la dynastie almoravide.
Son fils, Ali-ben-Yousef,
lui succéda et régna trente-six ans (1106-43).
Ses commencements furent heureux; il passa plusieurs fois en Espagne y
faire la guerre aux chrétiens. Sous son règne, son fils Temim se distingua
à la victoire d'Ucles
(29 mai 1108),
où périt don Sanche, le fils unique d'Alphonse VI de Castille.
Mais à partir de ce moment la fortune des Almoravides décline, tandis
que dans la chaîne de l'Atlas se lève la puissance d'lbn-Toumert, l'apôtre
almohade. On assistera à un mouvement populaire analogue à celui qui
avait porté les Almoravides au trône du Maroc. Ibn-Toumert avait réuni
en confédération religieuse plusieurs tribus des Masmouda; il se donnait
pour le mahdi ou le guide de Dieu. Pauvre et misérable, il soulevait ces
populations par ses prédications enflammées; blâmant le relâchement
des moeurs, il s'élevait contre les docteurs et les grands. Au fond il
professait les théories sunnites
en voulant ramener l'islam
aux doctrines des premiers siècles. Croyant à l'unité absolue de Dieu
dans son essence et dans sa nature, il donna à ses adeptes le nom d'Almohades
(Almohadoun), ou unitaires, par opposition aux tendances anthropomorphiques
des Almoravides. Ce fut encore une secte qui fonda un empire; la réforme
religieuse suscitait un nouveau conquérant qui allait profiter des embarras
des Almoravides. Ibn-Toumert meurt après la défaite de ses troupes sous
les murs de Marrakech, mais son oeuvre est continuée par son disciple
Abd-el-Moumen qui ne tarde pas à détruire la puissance de la dynastie
almoravide où Ali eut pour successeur son fils, Tachfin, qui périt Ã
Oran durant sa lutte contre les Almohades (1146-47).
Ibrahim remplace Tachfin son frère, mais il est déposé pour son incapacité.
On appela alors au pouvoir Ishak, fils d'Ali-ben-Yousef, qui ouvre les
portes de la ville de Marrakech à Abd-el-Moumen et que le conquérant
almohade fait massacrer (1147).
L'Espagne envahie ne tarda pas elle-même à reconnaître l'autorité des
Almohades. Telle est la fin de la puissance des Almoravides, fondée moins
d'un siècle auparavant sous la conduite d'un homme hors du commun. (H.-P.
de la Martinière).
Chronologie
des souverains almoravides :
Abou-Bekrben-Omar,
vers 1055;
Yousef-ben-Tachfin,
1061;
Ali
ben-Yousef, 1106;
Tachfin-ben-Ali,
1142;
Ibrahim-benTachfin,
1146;
Ishak-ben-Ali,
1447.
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