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Fès

Fès ou Fez. - Ville du Maroc, compte environ 1 million d'habitants. Presque toutes les langues  européennes écrivent Fez, quoique la véritable orthographe transcrite de l'arabe doive être Fès ou Fâs; mais on n'en connaît pas l'étymologie. Les anciens auteurs arabes l'expliquent de plusieurs façons; quelques-uns, avec Ibn Batouta, croient que Fès ou Fâs (qui, en arabe, signifie pioche) indiquerait que l'on aurait trouvé un instrument de cette nature dans les fondations de la ville; selon d'autres, Fès viendrait de Fedd'a, argent.

Fès  est à environ 320 kilomètres de la frontière algérienne, à 180 kilomètres de Rabat, à 195 kilomètres au Sud de Tanger et à 140 kilomètres au Sud du littoral de la Méditerranée au point dit du Peñon de Velez de la Gomera, toutes ces distances étant mesurées à vol d'oiseau. L'altitude moyenne de Fès est de 300 m, mais une grande différence de niveau existe entre Fès Djedid ou la Neuve et Fès et Bâli ou l'Ancienne, qui est au fond de l'étroit vallon où coule l'oued Fès. La ville jouit d'un climat relativement humide; il y pleut beaucoup durant le printemps et les chaleurs y sont très fortes pendant l'été où le thermomètre se maintient entre 35° et 40° à l'ombre; en hiver, il est rare qu'il s'abaisse au delà de +3°. 

L'oued Fès, appelé jadis oued Djouhaïr, ou la rivière des Perles, prend naissance à Ras el-Mâ à peu de distance au Sud-Ouest. L'humidité y est excessive en été; c'est dans une buée chaude que l'on vit; mais c'est à cela que Fès doit la beauté vraiment éclatante de ses jardins qui produisent les plus savoureuses grenades au grain jaune du Maghreb, les meilleures qualités de figues, de raisins, de pêches, d'abricots, de citrons, etc. Cette richesse des jardins et des pâturages de Fès explique l'admiration qu'elle a inspirée aux poètes arabes émerveillés de ce vallon où s'étendent de si jolis jardins d'où montent le parfum des fleurs et le chant de mille oiseaux.

Située à peu près vers le centre de la dépression qui sépare le système rifain du système de l'Atlas, Fès se trouve sur la route naturelle qui longe la base occidentale de l'Atlas à l'extrémité de vastes plaines qui s'étendent jusqu'au littoral atlantique, et elle est en même temps près de l'entrée de la vallée de l'oued Innaouen, communication toute tracée entre l'Algérie et le coeur du Maroc. Les grandes voies historiques se croisent donc dans le bassin de Fès, qui acquiert ainsi une grande importance stratégique et commerciale.

Fes el-Bâli ou l'Ancienne a été fondée en 793 de J.-C. ou 177 de l'hégire par Idris ben Idris ou Idris Serir, fils du grand Idris, l'apôtre de la religion musulmane au Maroc, qui était mort à Oulili, l'antique Volubilis, qu'il se proposait de réédifier et d'agrandir; son fils préféra fonder à Guerouaoua ou Guedoura, dans l'étroit vallon de l'oued Djouhaïr, la ville actuelle. Toutefois l'emplacement choisi paraît avoir succédé à un établissement antique, car Roudh el-Kartas nous assure que l'on y trouva une statue, et Ibn Khaldoun nous apprend que le sol sur lequel s'élève la ville appartenait alors aux Beni Borghos et aux Beni el-Khaïr, tribus zouaghiennes, parmi lesquelles se trouvaient des mages, des juifs et des chrétiens. Les mages avaient même un temple du feu à Chebouba, endroit qui, de nos jours, fait partie de la ville, et a donné son nom à un petit quartier. Idris ben Idris, vénéré au Maroc sous le nom de Moulaï Idris, ne bâtit qu'une cité sur le bord droit de la rivière, mais son petit-fils en bâtit une autre sur la rive gauche; on désigna alors la première du nom de Blida ou la Villette, et la seconde du nom d'El Hâlou, corruption pour Aïn et Hâloua (= la Fontaine douce).
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Fès : une tannerie.
Une tannerie, à Fès. Source : The World Factbook.

Pendant le règne de Yahia, ce fut aux soins éclairés de ce prince idrisside, vers 840 de J.-C., que Fès dut la construction de ses bains, de ses faubourgs et de ses caravansérails; aussi était-elle devenue une ville très florissante, dans laquelle affluaient jusqu'aux habitants des contrées éloignées. En effet, tant que la puissance des Maures s'est maintenue dans tout son éclat, Fès en a été en quelque sorte le foyer. Dans la suite, une terrible rivalité et des guerres sans fin devaient s'établir dans sa population jusqu'au siège que, en 1069 de J.-C., Youçof ben Tachefin, à la tête des Berbères Lemtouna (Les Almoravides), fit de la ville et ou plus de trois mille Maghraouéens, Ifrénides, Miknaciens et Zénatiens trouvèrent la mort.

Le vainqueur fit alors abattre le mur qui séparait le quartier des Cairouanides ou Adoua et Carouïyn de celui des Andalous ou Adoua el-Andalus, et, ayant formé de Fès une seule cité, il l'entoura d'un rempart. Vers 1220 ou 1230, Yakoub ben Abdallah, le second des Beni Merin, fit bâtir sur la rivière, à 1000 ou 1500 m de l'ancienne ville, un autre centre de population tout à fait séparé qu'il nomma Medinet el-Beïda ou la Ville blanche. Mais on ne lui a conservé que le nom de Fès Djedid ou le nouveau Fès, l'ancienne ville prenant, par opposition, le nom de Fès el-Bâli. Près du nouveau Fès, Moulaï Abdallah fit bâtir, vers 1750, le palais de Bou Djeloud, demeure des sultans sans cesse augmentée et modifiée; mais quant à Fès, depuis le Moyen âge, elle ne supporta plus de grands changements dans son périmètre; son histoire a été trop intimement mêlée à celle du Maroc par l'influence que ses révolutions ont exercé sur les destinées des dynastes du Maghreb pour que nous ne la traitions pas avec quelque développement (L'histoire du Maroc), car Fès est la première capitale du pays, et, jusqu'en 1912 (date à laquelle l'administration coloniale française à fait de Rabat la nouvelle capitale du pays), son premier centre politique, puisque, en vertu d'une tradition constante, l'investiture, l'option de ses ulémas a été nécessaire pour valider l'élection des sultans.

Les deux villes de Fès s'étendent sur un espace de terrain d'une longueur assez considérable, mais très resserré dans sa largeur, au fond de la vallée qui forme le petit bassin de l'oued Fès. Fès Djedid est à la tête des eaux et offre plutôt l'aspect d'une sorte de citadelle que d'une ville, car elle ne renferme guère, outre le Mellah ou ancien quartier des juifs (qui, maltraités, ont fini par déserter la ville), que des demeures de fonctionnaires. Fès el-Bâli est bâti sur le versant de plusieurs coteaux, derniers ressauts du djebel Zalagh, dont le sommet atteint 850 m et auquel la ville est comme adossée. La ville descend jusque dans la vallée où coule la rivière, et des flancs du Zalagh on saisit l'entassement des maisons dont l'amoncellement est si épais qu'on ne peut distinguer trace d'aucune rue. De ce fouillis confus s'élèvent de nombreux minarets qui dressent dans l'espace leurs flèches surmontées de trois boules d'or auxquelles s'ajoute un oriflamme aux heures de prière. 
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Fès.
Une ancienne vue de Fès.

Les toitures vertes et lumineuses des mosquées se détachent de la blancheur des terrasses, et une ceinture de jardins semble suivre la vieille muraille pour enserrer la ville de tous côtés. Au loin, le Sebou  promène ses eaux que le soleil fait briller comme un serpent d'argent; Fès, en effet, n'est qu'à 4 kilomètres de ce fleuve que l'on franchit sur un pont qui fut construit en 1669 sous le règne du sultan Errechid. L'horizon est, dans le Sud, borné par les hautes montagnes des Beni Ouaraïne  dont la neige blanchit en hiver les sommets et jusqu'à la fin du printemps, par le massif des Aït Youssi et enfin par la chaîne des Beni Meguild, au pied de laquelle vient expirer la grande plaine dite de Fès, large d'une vingtaine de kilomètres.

L'enceinte de Fès se compose d'un grand mur en pisé,  flanqué de distance en distance de tours carrées également crénelées, ces créneaux se terminant par une petite pyramide tronquée. La ville est dominée par deux petits forts isolés sans portes apparentes et qui n'ont aucune valeur; ce sont de simples blockhaus, mais la principale force défensive de Fès a toujours consisté dans la nature des voies de communication intérieure, les rues formant un labyrinthe inextricable où il était très difficile à des assaillants de s'aventurer, même en nombre, si la population poursuivait la lutte après la prise des remparts. Ceux-ci constituaient aussi un obstacle assez sérieux, moins par leur hauteur de 8 à 10 m et par leur épaisseur de 2 à 3 m à la base, que par la nature de leurs constructions. Ils sont tout entiers en pisé; les projectiles ordinaires de campagne ne pouvaient en avoir que difficilement raison, et une armée assiégeante ne pouvait les détruire qu'à la mine ou à la sape. Cette enceinte à demi ruinée donne à la ville l'aspect d'une cité du temps des croisades; elle est percée de portes monumentales dont les principales sont au nombre de six pour Fès el-Bâli et deux pour Fès Djedid. Ce sont : Bab el-Hadid qui mène à Sefrou et dans le Sud, Bab Djedid qui mène dans les jardins; Bab Sidi bou Jida et Bab Fteur qui, toutes deux, conduisent au pont du Sebou, c.-à-d. à la route d'Oudjda; Bab et Guiza pour la région des Cherarda; Bab Mahrouk vers Meknas et Moulaï Yakoub. A Fès Djedid, ce sont : Bab Sidi bou Nafa ou Bab Jiaf vers Sefrou et le Sud, puis enfin Bab Segma où passe le chemin de Meknas et Tanger.

L'ancienne division en quartier des Andalous et en quartier des Cairouanides n'existe plus; on divise actuellement la ville en sept parties qui rappellent le souvenir historique des grandes familles telles que les Bennis, les Berrada, les Bennani, El Quebadj, El Ha'llou, puis ceux qui proviennent de familles de chorfa, tels les Belretïyen, Idrissïyen et enfin Squelïyen. Ces grandes divisions se subdivisent elles-mêmes en treize quartiers auxquels il convient d'ajouter El Queceba (le village des fleurs) quartier de Filala ou indigènes du Tafilalet.  Fès Djedid, à part le Mellah, l'ancienne juiverie, possède cinq quartiers. Entre le nouveau et l'ancien Fès se trouve Bou Djeloud ou l'endroit des tanneries avec le palais du sultan et le cimetière de Sidi bou Beker el-Arabi, du nom du tombeau de ce saint. A Bou Djeloud campaient autrefois des troupes de cavalerie durant le séjour du sultan, et on y remarque aussi l'ancienne qasba El Lebtata. 

Les rues de Fès sont, en général, en pente, quelques-unes pavées et si étroites qu'on ne peut guère y circuler plus de deux ou trois de front. Les maisons sont, pour la plupart, très hautes, et les façades qui donnent sur les rues sont de simples murs droits sans aucun ornement extérieur et presque sans ouvertures. Des voûtes étroites et obscures, sous lesquelles on rejoint d'autres quartiers, complètent cette impression. L'intérieur des maisons est souvent fort beau et remarquable autant par la richesse que par la variété et par le goût de l'ornementation architecturale. Quant aux marchés, bazars et qaiserïya ou marchés à la criée, ils sont fort nombreux et fort animés, Fès a toujours été un centre de commerce considérable.

Sous la domination des Zenata , Fès fut très agrandie, mais c'est à l'époque des Almohades qu'elle atteignit toute la splendeur de la richesse, du luxe et de l'abondance. On y comptait alors 985 mosquées ou chapelles, 122 lieux aux ablutions, 93 bains publics, 472 moulins, non compris ceux du dehors, et sous le règne de Nacer, 89 236 maisons, 19 041 mezriza ou chambrettes indépendantes pour célibataires, 467 fondouks ou caravansérails. Quoique bien déchue de cette époque, Fès compte encore un grand nombre de mosquées dont quelques-unes ont une importance spéciale. Au premier rang, nous citerons celle de Moulaï Idris ou des chorfa qui est la plus vénérée. C'est un vaste sanctuaire élevé sur le tombeau de ce fondateur de la ville. La mosquée du quartier des Cairouanides ou Djama et Carouïyn, fondée en 859 av. J.-C. par une femme de Cairouan, est peut-être la plus belle de la ville; on remarque ensuite la mosquée du quartier des Andalous. Ces deux mosquées possèdent des medarsa ou écoles religieuses dont les tholba ou étudiants, surtout ceux de la mosquée des Cairouanides, jouissent d'une réelle autorité dans le monde musulman. La porte superbe de la mosquée des Andalous domine presque toute la ville comme une sorte d'arc de triomphe. Citons encore la medarsa des Soffarin, qui fut jadis la plus fréquentée; elle est située près du marché aux cuivres, et sa porte d'entrée est célèbre dans l'histoire locale de la ville, puis la medarsa des Cherrâthin, construite par le sultan Errechid; la mosquée de Si Ahmed Chaoui, bâtie sur l'emplacement de la maison du saint, était autrefois très vénérée; puis celle importante comme centre d'enseignement, et finalement la zaouiya ou couvent de Sidi Hamza des Ahl Seri de l'Idraren, où se forment une grande partie des tholba, missionnaires de la région de l'Atlas : à ce titre, elle est très fréquentée. Nous ajouterons la mosquée de Bab el-Guisa qui est une des plus grandes, et, comme medarsa, celle de Mechâtin du sultan Errechid, de Bab Souk et de Moulaï bou Anan, à Talla, qui, jadis, était la plus vaste.

Dans le nouveau Fès, on remarque la grande mosquée, puis la Djama de Moulaï Abdallah à Bou Djeloud où chaque sultan devait recevoir l'investiture, et enfin la mosquée d'En Nacer. Les mosquées de Fès n'ont pas de coupoles, mais de simples toits en pente, parfois formés de tuiles vertes qui brillent alors au soleil comme du verre incandescent.

Presque tous les ordres religieux du Maroc sont ou ont été représentés à Fès par des zaouiya ou couvents de ces confréries, car Fès est le centre des études théologiques du Maghreb. On ne trouve plus rien, cependant, dans ces bibliothèques si fameuses au Moyen âge; elles ont été dévastées par une théocratie étroite qui condamnait comme impure jusqu'aux études d'histoire. Parmi les principales zaouiya que l'on a pu recenser à Fès au début du XXe siècle, on citera les suivantes : Ordre des Derkaoua : zaouiya de Sidi Ahmed et Bedâoui et zaouiya de Sidi Mohammed et Harraq qui sont les zaouiya mères des deux branches les plus répandues dans le gharb. Ordre des Tidjaniya : zaouiya, mère des Tidjaniya du Maroc, connue sous le nom de zaouiya Sidi Ahmed Tedjini; on trouve aussi une petite zaouiya à Fès Djedid. Ordre des Taïbiyn : zaouiya dépendant de Dâr Ouezzan et centralisant toutes les relations de cet ordre au Touât. On trouve encore une importante zaouiya de Sidi et Ghazi, puis une autre d'El Qacemïyn de Sidi Qacem des Cherarda, et un couvent d'Aissaoua, avec des établissements pour leurs sous-sectes des Sefianïyn, des Harnacha et des Dghoghïyn, et enfin les Qadriya ont à Ras Tiallin une zaouiya. 

Bien que capitale du Maroc septentrional et parfois séjour préféré des sultans, Fès avait jusqu'en 1912 siècle une existence politique autonome, et quoi qu'elle fût la principale résidence des agents du gouvernement, candidats, titulaires en fonctions ou anciens employés de tout rang, cette ville a toujours été un centre d'opposition très difficile à manier, prompte à s'insurger, portée à la guerre civile et où la plupart des sultans n'ont pu se faire admettre que les armes à la main. Ses habitants, en effet, n'ont cessé tout au long de l'histoire de jouer un rôle très actif dans les élections impériales, et, ce qui leur donnait un caractère aussi frondeur, c'était la présence des nombreux chorfa qui y résidaient auprès des tombeaux des saints. La masse de la population demeurait cependant étrangère aux fluctuations de la politique impériale, à l'exclusion des uléma qui avaient une influence marquée sur le sultan et dont les conseils et les requêtes furent toujours animés d'un esprit très étroit, très théocratique.
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Un atelier d'artisans à Fès. © Elsa Soucasse, 2006.

Ville très religieuse, Fès n'en a pas moins été tout au long de l'histoire une ville aussi industrieuse que commerçante, car, sauf les chorfa et les uléma, il n'est quasiment personne qui ne soit négociant ou artisan. Cette ville a toujours été le point traditionnel d'arrivée de toutes les marchandises du Tafilalet, et elle reçoit tous les produits depuis ceux du Gourara jusqu'à ceux du haut Oued Draa, les cuirs si renommés de l'Ouad Ziz, les huiles, les olives, les bois de cèdre et d'arar des contreforts des Ait Youssi, etc. . On manufacture la soie à Fès; on la teint et on y fabrique de belles étoffes brodées, puis des haïks et aussi des vêtements de laine d'une extrême finesse.  On fabrique à Fès des poteries renommées et des carreaux de faïence qui jouent un grand rôle dans les mosaïques qui décorent l'intérieur des maisons et dans lesquelles les ouvriers marocains déploient un talent merveilleux de couleur et de dessin. Aux environs de Fès se rencontre la qasba ruinée d'El-Khemis, célèbre dans l'histoire du Maroc et qui avait été édifiée en 1670 par le sultan Errechid pour y mettre une garnison d'Oudaïa assurant la route entre Fès et Meknès, infestée de pillards qui parcouraient le Saïs. Un palais d'été existe non loin de la ville, à Dar Debibagh, et, plus au Sud, on remarque les jardins de Moulaï Ismael, frère du sultan Moulaï el-Hassan : on les nomme Djenaïn Moulaï ben Nacer. Le versant méridional du Djebel Zalagh qui domine la ville est tapissé de grottes qui ont servi d'habitations aux malheureux et que l'on nommait Sebâ Kifân; elles sont voisines de Bab Mahrouk, en face du marabout de Sidi Ahmed et Filali. (H.-M.-P. De la Martinière).

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Dictionnaire Villes et monuments
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