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L'histoire de l'Afrique
La Région des Grands Lacs
La région des Grands Lacs, très anciennement habitée par des populations de métallurgistes, de pêcheurs, puis d'éleveurs a été au début de notre ère un des centres de l'expansion bantoue vers l'Afrique méridionale. D'importants centres urbains laissent également supposer la grande ancienneté d'États bien organisés dans la région interlacustre. Les restes d'une cité avec d'énormes remparts ont ainsi été découverts à Bigo, à l'Est du lac Albert (Ouganda actuel). Des découvertes analogues ont été faites sur les plateaux tanzaniens et kenyans. A Engaruka, au sud de la vallée du Rift, des ruines semblables à celles de Bigo laissent croire à une ville de plusieurs milliers de maisons, qui pourrait remonter au XIIIe siècle.

L'histoire véritablement connue, elle, ne remonte pas au-delà du XVe s. Elle témoigne de la formation et de la persistance de plusieurs royaumes importants. Le Bunyoro-Kitara, le Buganda, le Rwanda et le Burundi ont été les plus puissants. Mais on peut également citer ceux de l'Ankolé, les États haya (Karagwé, Kyamutwara, Ihangiro), ou encore le  Buzinza . Tous présentent une certaine familiarité culturelle. Ils se reconnaissent les mêmes références historico-mythologiques, et sont nés de la rencontre ancienne de populations de pasteurs-guerriers et de sociétés d'agriculteurs. Le brassage s'est ensuite fait différemment d'un endroit à un autre. La dichotomie pasteurs/paysans, devenue opposition Tutsi/Hutu dans des royaumes tels que le Rwanda et le Burundi, a été inactive au Bunyoro et au Buganda, par exemple. 

A l'exception de la zone qui correspond aux Rwanda et Burundi actuels, apparemment épargnée par le trafic d'esclaves, la région des Grands lacs, comme presque tout le reste de l'Afrique a subi ce fléau pendant de long siècles. Elle a été  parcourue sans cesse par les caravanes armées des marchands arabes; il s'y formait des bandes conduites par les pourvoyeurs des marchés d'esclaves, et qui s'attaquent victorieusement en général aux habitants sédentaires du pays et y entretenaient une anarchie constante, surtout sur les routes de l'Ounyamousi (Tanzanie centrale) qui menaient à Zanzibar, la plate-forme de la traite en Afrique orientale. 

Dates -clés  :
16e siècle : Émergence des premiers royaumes historiques (Bunyoro, Rwanda) dans la région des Grands lacs.

17e siècle : Apogée de la dynastie Bito au Bunyoro-Kitara. Le sultanat d'Oman étend sa domination sur les villes arabo-swahili de la Côte.

19e siècle : Le Buganda devient la première puissance de la région.

1862 : L'explorateur John Speke atteint les rives du lac Victoria.

1890- Partage anglo-germanique de la région.

L'empire du Bunyoro-Kitara et ses voisins

Le Bunyoro-Kitara.
Le mythe de fondation raconte les premiers temps du royaume de Bunyoro-Kitara. La dynastie divine des Tembuzi est au pouvoir. Ces dieux civilisateurs, ils apportent la culture du café, de la poterie, des étoffes d'écorces, la métallurgie du fer et les fortifications de terre. Ils instaurent aussi des institutions centralisées, qui prennent le pas sur l'organisation clanique préexistante. Cette dynastie  est remplacée ensuite par celle - peut-être encore légendaire - des Chwezi. L'histoire connue commence véritablement avec l'arrivée par vagues successives à partir du début du XVIe siècle de populations Luo (nilotiques) originaires du Sud-Est du Soudan actuel. Empruntant leur rituel et leurs pratiques aux locaux  (disons les Chwezi), un de ces groupes, les Bito,  fonde la dynastie Luo-Babito. Celle-ci restera au pouvoir jusqu'au XXe siècle. Entre-temps, le Bunyoro aura connu des heures de gloires et les prémices de sa dislocation. Au XVIIe siècle la souveraineté des Bito s'étend sur presque tout l'Ouganda actuel. La politique d'expansion se heurte cependant à la fin du XVIIe siècle à la résistance du Rwanda voisin. Une défaite militaire abouti à une crise intérieure, puis au recul de la puissance impériale  tout au long du XVIIIe siècle. Et, alors que la puissance de Rwanda peut commencer, le Bunyoro (Ounyoro) commence à se morceler - il ne comptera plus que quelques centaines de milliers d'habitants au début de sa colonisation par les Européens. Les confettis de cet empire, gouvernés par des dynasties apparentées forment les royaumes comme le Toro, qui fait sécession vers 1830, Ankolé, Karagwé et surtout, sur les rives du Lac Victoria, le Buganda, qui devient au milieu du XIXe s. la puissance dominante de la région.

Le Buganda.
Le Buganda existe en tant qu'entité politique et géographique, et centre de rivalités incessantes, depuis le XVe siècle. Mais jusqu'à son émancipation à la fin du XVIIIe siècle, ce n'est qu'un vassal de l'empire Bunyoro. Grâce au déclin de ce dernier et à la mise en place d'une politique de contrôle des routes commerciales utilisées par les Arabes des villes Swahili de la côte orientale, il suffira de quelques décennies pour que le Buganda, devenu une monarchie absolue, affirme son leadership. 

Moeurs royales - "Souverain absolu, intouchable et sacré, le roi du Buganda, - le kabaka - était élu, bien qu'il fût généralement le fils du précédent monarque . Les autres prétendants au trône, candidats malheureux, étaient emprisonnés ou exécutés. La reine-mère, la soeur de la reine, et surtout la première épouse (il en avait plusieurs centaines!) avaient une grande influence.  Autour du roi qui créait les fiefs, les distribuait, les confisquait, condamnait à mort, il y avait un Conseil des grands chefs ou grands dignitaires. [C'était eux qui] levaient les impôts et conduisaient les armées." J. Milley, Y. Thoraval, Kenya, Afrique des Grands Lacs, Ed. du Seuil, coll. Petite planète, 1980.
La clé aura été ici, une fois de plus, l'équation si fréquemment rencontrée dans cette part de histoire africaine qu'est l'histoire de la traite des esclaves : des armes à feu  apportées par les Arabes, contre des esclaves, capturés au bénéfice de l'expansion du royaume, et acheminés vers les villes de la Côte orientale et Zanzibar, ou financiers indiens et négociants européens sont implantés. Les Arabes n'y pénétrèrent qu'au XIXe siècle par le Sud (marché de Tabora), au temps du roi Sinna (1836-60). Sous son successeur Mutesa  Ier (Mtésé) parurent les Européens. 

Mutesa Ier, né vers 1842, mort en 1884 avait succédé à son père Sinna, vers 1860. Il fit la conquête des pays situés à l'Ouest du lac Victoria. Speke et Grant, qu'il a bien accueillis en 1862, l'ont représenté comme « un aimable jeune homme »; ils ont cependant décrit les sacrifices humains qui constituaient un des plaisirs du roi. A partir de 1869, plusieurs expéditions anglo-égyptiennes conduites depuis le Nord par Charles Gordon, alors gouverneur général du Soudan, se heurtent aux armes modernes des Bugandais et échouent. Les tensions s'apaiseront assez vite. Quand le colonel Chaillé-Long est envoyé auprès de Mutesa par Gordon en 1874, il est assez bien reçu. Le roi fait même massacrer trente de ses sujets devant lui, pour lui faire honneur, dit-il (à moins que ce ne soit pour faire preuve de sa détermination...). L'année suivante, Mutesa recevra simultanément un autre envoyé de Gordon, Linant de Bellefonds, et Stanley, venu du Zanzibar en 1875. Il leur fit cette fois le meilleur accueil. Tous deux furent frappés de la dignité de Mutesa; sous l'influence des immigrants musulmans, il avait adopté le costume arabe et se montrait fort doux. Il facilita la continuation du voyage de Stanley; le voyageur crut même avoir presque décidé le roi à se convertir au christianisme. Des missions, l'une protestante, en 1877, l'autre catholique, en 1879, furent fondées dans l'Ouganda et réussirent des conversions conversions, mais sans pouvoir mettre le roi au nombre de leurs prosélytes. 

En 1877, Mutesa reçut Emin Bey, envoyé de Gordon. Il échangea quelques lettres avec le sultan de Zanzibar, et en 1879 chargea les missionnaires Wilson et Felkin de porter une lettre à la reine Victoria. Jusqu'à sa mort, il ne cessa de se montrer plutôt bien disposé pour les missionnaires, sans manifester d'inquiétude contre les projets des blancs. C'est des Égyptiens seuls qu'il redoutait l'invasion, et les relations amicales qu'il entretint avec les envoyés du gouverneur du Soudan furent toujours empreintes d'une certaine défiance. 

La situation change avec le successeur de Mutésa, son fils Mouanga. Celui-ci, parvenu au trône en octobre 1884, se trouve d'emblée confronté à aux bouleversements qui secouent le Nord, avec la  révolte du Mahdi au Soudan, qui dès 1883 a fermé la route du Nord. Les expéditions vers les Grand Lacs reprendront avec plus de succès depuis Mombasa et Dar es-Salaam. Mais cette fois ce sera au prix d'une compétition entre Allemands et Anglais dans la région (Zanzibar et la côte swahili). Les Allemands vont remporter la partie au Tanganyika, et les Anglais vont dès lors devoir se rabattre sur l'Ouganda. Ils s'attacheront à le déstabiliser à leur avantage autant que possible. Résulta immédiat : Mouanga commença à se montrer très mal disposé pour les missionnaires chrétiens, voyant en eux les précurseurs d'une invasion européenne. 

En octobre 1885, il fit assassiner l'évêque anglican Hannington qui, malgré les conseils de ses confrères, avait voulu pénétrer dans l'Ouganda par la route de l'Est (d'où devait venir, d'après une légende, un ennemi qui ferait la conquête du royaume), et qui persista à ne pas reprendre la route de la côte en dépit des ordres du roi. Tout rapport fut interdit aux missionnaires avec les chrétiens indigènes. Enfin, en mai 1886, ceux-ci furent massacrés en grand nombre. Mouanga ne permit cependant que quelques mois plus tard aux missionnaires anglais de quitter l'Ouganda. Également hostile aux chrétiens comme aux musulmans, qu'il voulut exterminer les uns et les autres, il fut chassé en septembre 1888 par une révolution; il se réfugia à la mission catholique de l'île de Sese. Il fut remplacé par ses frères, Kiwewa, puis Kalema. Les musulmans qui régnaient sous leur nom ayant expulsé les chrétiens, ceux-ci s'allièrent à Mouanga, qu'ils replacèrent sur le trône (octobre 1889), et qui, sans se convertir au catholicisme, jugea utile de se dire disposé à le faire. En 1889, Jackson, agent de la Compagnie britannique de l'Afrique orientale, lui envoya un pavillon. L'année suivante, il conclut avec le docteur Peters un traité par lequel il se plaçait sous le protectorat de l'Allemagne. Jackson, arrivant peu après, protesta contre ce traité, dont l'Allemagne a renoncé à se prévaloir.

L'Ouganda ayant été placé dans la sphère d'influence britannique, par le traité du 1er  juillet 1890, le capitaine Lugard, représentant de l'I. B. E. A (= Imperial British East African Association), s'y rendit et obtint de Mouanga, le 24 décembre, malgré la répugnance du roi pour la domination anglaise, la conclusion d'un traité avec la compagnie. L'opposition manifestée par les indigènes catholiques contre ce traité et la préférence marquée aux protestants par Lugard amenèrent une guerre civile sanglante, dans laquelle les agents de la compagnie se montrèrent d'une grande brutalité contre les missionnaires français (janvier 1892). Le roi, qui s'était enfui avec les catholiques dans le Bouddou, fut rappelé par Lugard; le 30 mars, il signa à Mengo, sa résidence, un nouveau traité de protectorat. Il n'a plus été par la suite qu'un instrument aux mains des agents de l'I.B.E.A., puis des représentants du gouvernement britannique (substitué à la compagnie le 19 juin 1894, à la suite de la rébellion des musulmans, de concert avec les Soudanais du cap Macdonald, en 1893). Le Buganda n'en disparaîtra pas pour autant. Et l'on peut même relever pour l'anecdote, qu'après l'accession à l'indépendance de l'Ouganda, en 1962, sont premier président élu ne sera autre que le dernier kabaka du Buganda, Mutesa II (Mutexi Luwangula Mutesa)...
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Photo du lac Tanganyika.
Sur les bords du lac Tanganyika.

Les États Hima.
Cette partie de l'Afrique en est l'une des plus densément peuplées. Un des raisons qui peut être cherchée dans l'histoire est qu'elle a été traditionnellement un refuge.  Rwanda, Burundi et quelques uns des autres petits États qui ont pu les environner sont apparus comme  des centre de solidarités villageoises, analogues à celles que l'on a pu aussi rencontrer chez les Kabyé du Togo contre la traite esclavagiste. Ni le Rwanda, ni le Burundi, contrairement à quelques-uns de leurs voisins plus puissants n'ont participé à ce commerce. 
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Hutu et Tutsi

Il n'est pas possible dans ces pages, dont la seule ambition est de poser des repères chronologiques, de faire un sort à une imposture historique installée dès l'époque coloniale, et si tragiquement active désormais dans les populations concernées elles-mêmes, un imposture qui fait des Hutu et des Tutsi deux supposés "ethnies", dont l'opposition ancestrale pourrait suffire à expliquer, quand ce n'est pas à justifier, les conflits et les massacres qu'ont connu depuis 1962 le Rwanda et le Burundi. 

On signalera simplement que l'opposition Hutu/Tutsi, telle qu'elle se présentait avant la colonisation, était avant tout l'expression d'une structuration sociale duale, dont les modalités ont d'ailleurs été très diverses d'une région à une autre. La catégorie Tutsi (= Hima) se réfère à une frange de la population à vocation pastorale. Initialement, le mot semble-t-il ne servait qu'à désigner une personne qui possédait un riche troupeau, et ne correspondait donc même pas à une catégorie sociale particulière. La catégorie Hutu (= Iru) désigne la frange à vocation agricole de la même population, vivant sur le même territoire. Il n'y a bien sûr qu'une seule langue, et un système de croyances partagé, puisque la distinction s'opère à l'intérieur même d'une société unique. Il n'y a pas de Tutsi sans Hutu, ni de Hutu sans Tutsi.

Le mode de fonctionnement de cette société  a traditionnellement été de nature féodale et clientéliste - le bétail est prêté aux Hutus en échange d'une redevance en récoltes. Les classes dirigeantes se sont recrutées chez les familles les plus riches, donc parmi les Tutsi. Mais il n'y a jamais eu une séparation étanche entre les deux catégories, puisque des temps immémoriaux des mariages existent entre les membres des deux fractions, même si - surtout depuis la fin XIXe siècle - l'on tend comme partout ailleurs à se marier à l'intérieur de sa classe sociale. 

Rwanda - L'archéologie fait remonter l'histoire du Rwanda très loin dans le passé. La métallurgie du fer y était connue dès le troisième siècle  avant notre ère. Mais le récit de cette histoire ne peut être fait qu'à partir de 1506. Le Rwanda est alors une petite chefferie. Une organisation militaire et un pouvoir royal fort et structuré s'installent alors sous la conduite de  familles de pasteurs-guerriers Tutsi. Des raids  sur les territoires voisins, de véritables guerres, et parfois simplement la lente  infiltration des populations dans les régions adjacentes conduisent à une inexorable extension du royaume. Au XVIIIe siècle,  les petites principautés voisines sont annexés par la force, et le Rwanda peut prétendre faire jeu égal avec le Bunyoro, encore puissant à cette époque. Sa politique expansionniste sera encore attestée au XIXe siècle Burundi - L'histoire du pays est assez analogue à celle du Rwanda. Jusqu'au XIXe siècle, la caste dominante est recrutée, comme dans l'État voisin, chez les propriétaires de bétail, les Tutsi. Le pays a connu une expansion de même importance que celle du Rwanda. Seules les méthodes ont peut-être fait la différence. Ici, on a misé davantage sur les alliances, et moins sur les guerres. Encore que celles qui ont épisodiquement opposé le Burundi  à son bouillant voisin aient constitué des jalons importants de  son histoire. On notera encore qu'au Burundi,  l'opposition Hutu/Tutsi a structuré  la société de façon moins rigide qu'au Rwanda. Et l'on verra même apparaître au XIXesiècle un pouvoir - celui des Ganwa - qui maintiendra sa domination, par delà l'époque coloniale, et qui s'est présenté comme n'étant ni tutsi, ni hutu.
Les sources du Nil - Le Nil proprement dit démarre à Jinja, sur la rive nord du lac Victoria. Mais ce lac étant alimenté par diverses rivières, on considère en général que les sources du Nil se situent plutôt à la source de la plus longue d'entre elle, au Burundi. Il s'agit de la rivière Ruvubu, qui se prolonge par la Kagera, qui elle-même se jette dans le lac Victoria. La découverte des sources du Nil a été en Europe, et dans toute l'aire méditerranéenne, une interrogation récurrente depuis l'Antiquité. Elle n'a trouvé sa réponse qu'au XIXe siècle, en même temps que la connaissance de l'hydrographie du haut-Congo et du Zambèze, grâce à quelques missionnaires et explorateurs qui ont laissé leur nom dans l'histoire :  David Linvingstone (1813-1873), John Stanley (1841- 1904), et surtout Richard Burton (1821-1890) et John Speke, mandatés par la Royal Geographical Society, dans le but explicite était bien cette découverte. C'est Speke (1827- 1864), finalement, qui atteindra le premier en 1858 la rive sud du lac Victoria, puis en 1862 le Buganda (L'exploration de l'Afrique).
Alan Moorehead, The White Nile, Dell, 1960.
A la fin du XIXe siècle, à la suite du partage colonial entre l'Allemagne et la Grande-Bretagne, le Rwanda et le Burundi sont devenus des colonies allemandes. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, ces deux pays (ainsi que le Tanganyika, lui aussi allemand) sont passés sous l'administration de la Socité des Nations. Celle-ci a ensuite délégué cette administration à la Belgique (l'adminsitration du Tanganyika revenant à la Grande-Bretagne). 

Les chefferies et tribus du Rift

Les régions qui se situent sur les plateaux intérieurs de l'actuelle Tanzanie et du Kenya n'ont pas connu de véritable unité politique jusqu'au XXe siècle. On y rencontre seulement de petites entités. Entre les grands lacs et la mer on trouve plusieurs petits royaumes, Oukambani et Oumasat, Outeïta au pied du Kilimandjaro; plus au sud, des chefferies qui concluent à l'occasion - c'est-à-dire sous la pression de menaces extérieures (raids Galla, Masaï, Zimba, Kamba, etc) - des alliances entre elles, comme celle des Zaramo et les Shambaa au XVIIe siècle, qui s'érigent parfois en éphémères royaumes tel celui d'Ugweno fondé par les Pare du Nord à la fin du XVIe siècle,  ou en confédérations plus ou moins lâches,  comme comme celles de Hehé, poussés à l'union vers le milieu du XVIIIe siècle par la montée en puissance, au Sud, des Zulu (= Nguni septentrionaux), et de toutes façons  se côtoient en menant des modes de vie parfois très opposés.  Ainsi rencontre-t-on sur un espace, il est vrai assez étendu, une nébuleuse de groupes d'agriculteurs-éleveurs bantous, tels que les Nyamwezi et quelques autres (Kikuyu, Sukuma, Hehe, Makonde, etc.), aussi bien que  des populations nomades d'éleveurs apparentées aux Nilotiques, telles que les Nandi et les Iraku, sans parler des Masaï dispersés sur le territoire le plus grand, et qui sont les plus célèbres. 

A la fin du XIXe siècle cette région a connu une succession de calamités naturelles (sécheresse, sauterelles) et d'épidémies : peste bovine (1890-1891),  variole,  trypanosomiase, qui ont affaibli ces populations au point de faciliter grandement l'implantation coloniale. Mais auparavant, elle aura été l'espace à travers lequel  été tracées l'une des grandes  routes commerciales entre les villes arabo-swahili de la côte et les royaumes de l'intérieur. Les Kamaba, puis le Buganda en contrôlent une au Nord, entre Mombasa et le pays Kikuyu,  les Yao, au Sud  en contrôlent une autre qui mène de Kilwa jusqu'au lac Malawi et au Katanga . La troisième est celle qui contourne la steppe Masaï et traverse, en passant par Tabora (= Kazeh, à l'époque), le pays Nyamwezi. A Tabora un relais est créé vers 1830. La route s'y sépare en deux itinéraires : l'un vers le Nord et le Buganda, l'autre vers  Ujiji, sur la rive orientale du  Tanganyika, qui devient un centre de diffusion vers tout le bassin du Haut-Congo. Tabora et Ujiji, où sont délégués des cadis venus d'Oman seront à la fois des pôles d'islamisation et les plaques tournantes du trafic caravanier (étoffes,  perles,  fil de laiton sont introduits en échange d'ivoire et d'esclaves). Ujiji sera également le point de départ de l'aventure d'un trafiquant  arabo-swahili Hamed Ben Mohammed el-Murjebi ( = Tippu Tip) qui et fonde sur l'autre rive  un petit royaume  qu'il dirigera de 1870 à 1884...

Les Nyamwezi.
Les Nyamwezi (= les gens de la lune), qui vivent à l'Est du lac Tanganyika forment un ensemble de chefferies appartenant au même groupe linguistique, et plus ou moins réunies en confédération au XVIIe siècle. Ils sont traditionnellement le relais des commerçants arabes de la Côte avec les populations des régions centrales de l'Afrique.  lIs se spécialisent dans le portage des produits tels que le miel, les peaux, l'huile des bords du Tanganyika, le sel de l'Uvinza ou encore les houes du Buha et du Buzinza. En  1871, les Nyamwezi s'emparent du relais arabo-swahili de Tabora sous la conduite d'un certain Mirambo qui en fait la première étape de la constitution d'un petit royaume (capitale : Urambo). Pendant quelque temps, il contrôlera les routes esclavagiste d'Ujiji et du Buganda.  Mais le royaume disparaîtra en même temps que son fondateur,  en 1884. A peu près à la même époque, un autre Nyamwezi, le  chef de la tribu Yéké  marche sur le Katanga et s'empare de ses mines de cuivre. Son fils Msiri, conquiert également une partie du royaume Luba déjà chancelant et y crée son propre royaume, dont la capitale - surtout un comptoir commercial, nouvelle plaque tournante du commerce des esclaves, de l'or, du cuivre et de l'ivoire en direction de Zanzibar et des ports de l'Océan Indien - sera Bunkeya. Msiri est tué en 1891 et son royaume est annexé au Congo belge. 

Les Masai.
Les Masai ou Massaï parlent une langue nilo-hamitique, le maa. Venus du Nord - certainement de la région du lac Turkana -, ils font irruption dans la région des Grands lacs en même temps que les Teso, qui s'installent au Buganda, aux côtés de Karamojong, aux XVIIe et XVIIe siècles. De traditions belliqueuses,  ils  exerceront une pression guerrière constante sur les populations locales. L'extension de leur territoire se stabilise dans les années 1830, quand leur marche vers le Sud se trouve stoppé par des bandes de pillards Nguni originaires du  Natal,  et poussés  vers le Nord par les troubles qui règnent à cette époque en pays Zoulou. Cela a eu pour effet d'entretenir de nouvelles guerres avec ceux dont ils occupaient désormais les territoires, et qui ont finalement été rejetés dans le Kavirondo et dans le Lykipia (entre le mont Kenya et le Baringo). 

Photo de guerriers massaï.
Guerriers Masaï.

La société politique masaï traditionnelle est structurée autour de compagnies de guerriers, dont le chef est responsable des affaires civiles et militaires. Les guerriers (elmoran)  comprennent des jeunes gens au-dessous de vingt-cinq ans; après la circoncision, ils sont envoyés au camp des guerriers, on ils vivent exclusivement de viande et de laitage. Les guerriers sont armés d'une lance, d'une épée et d'un grand bouclier ovale orné de dessins héraldiques; ils portent sur la tête un collier de plumes d'autruche, et ont d'autres ornements de plumes ou de poils aux épaules, aux genoux, aux chevilles; ils s'enduisent le corps d'une couche d'argile et portent de nombreux ornements. Les Masaï ont des sorciers et n'enterrent pas leurs morts. 

Au moment des troubles qui ont agité la région, dans le deuxième tiers du du XIXe siècle, on a décrit les Masaï comme "la terreur de toute l'Afrique orientale"; ils n'ont, semble-t-il d'autre occupation que le pillage. On évaluait alors leur nombre à 500 000. Ces compagnies de guerriers s'associaient parfois pour former des tribus dans lesquelles les tâches se partageaient entre guerriers et pasteurs. Quelques unes ont survécu. Les Masaï sont ainsi divisés aujourd'hui en Arusha,  Ilmaasaï, Kwavi et Samburu. Les Arusha sont devenus agriculteurs au début du XIXe siècle.
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Explorations en Pays Masai

Les missionnaires Rebmann (1847) et Krapf (1849) ont étudié, les premiers, le pays des Masaï; le premier découvrit le mont Kilimandjaro, le second le Kenya, et vers 1851 le fleuve Tana; après eux, il faut citer les voyages du baron von der Decken et du docteur Kersten (1862-65); des missionnaires Wakefield (1865) et New (1870), du naturaliste Hildebrandt (1877), du docteur Fischer, qui, en 1882-83, pénétra jusqu'au lac Naïvacha; de Joseph Thomson qui, en 1883-84, explora les lacs Naïvacha et Baringo, reconnut le Kenya et s'avança jusqu'au lac Victoria Nyanza; de Johnston, qui s'est attaché à l'étude du Kilimandjaro (1884); du comte Teleki et de Höhnel, se rendant au lac Rodolphe (1887-99); du docteur Peters, qui a été de Vitou au lac Baringo, puis au Kavirondo (1889); des agents de la Compagnie britannique de l'Afrique orientale, Jackson (1888-90), Pigoti (1889), Lugard (1890), Eric Smith (1891), Dundas (1891); de Höhnel et Astor Chanler (1892-93), de Gregory (1893), des docteurs Stuhlmann (1892) et Baumann (1892-93), qui traversèrent la partie occidentale du pays des Masaï (L'exploration de l'Afrique).

Les traités conclus entre l'Angleterre et l'Allemagne dans les années 1890 ont partagé le pays des Masaï entre les sphères d'influence de ces deux puissances. Des stations anglaises ont été fondées le long de la Tana, dans l'Oukamboni, etc. Une ligne télégraphique a été installée de Mombasa à l'Ouganda. La construction d'un chemin de fer entre Mombasa et le lac Victoria a été décidée; le trajet en a été fixé par les travaux des capitaines Macdonald, Pringle, etc. (1892). Les Masaï ont peu à peu pris l'habitude de laisser passer les caravanes sans les molester. Quelques chefs ont conclu des traités avec le gouvernement britannique.

Les Yao et leurs voisins.
Les Yao vivent au sud de l'actuelle Tanzanie près du lac Nyassa (Malawi), les Makwa, islamisés, plus à l'Est, près de la côte. Ces deux populations ont activement participé au trafic d'esclaves avec les marchands arabes, puis les européens. Ils contrôlait la route méridionale de ce commerce en direction des villes swahili. Les Yao, organisés en chefferies, très belliqueux, s'y sont montrés particulièrement actifs. Autour du lac Nyasa vivent également les Maravi, les Tchewa et Toumbouka, chacun ayant eu à une époque ou une autre une certaine puissance.
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Femmes tanzaniennes.
Femmes du Tankanyika, vers 1920.


Joseph Thomson, Au Pays des Massaï, Voyage d'exploration à travers les montagnes neigeuses et volvaniques et les tribus étranges de l'Afrique équatoriale, L'Harmattan, 2004. - Le pays des Massaï est resté de nombreuses décennies sans qu'aucun Européen n'ait osé tenter l'expédition dans ces "mystérieusescontrées de l'intérieur" alors que les côtes de l'Afrique centrale (L'exploration de l'Afrique) avaient déjà été découvertes depuis Vasco de Gama. Une telle expédition était jugée trop hasardeuse et coûteuse, bien que les récits des trafiquants d'indigènes promissent "une riche moisson de découvertes à l'homme qui oserait regarder en face les terribles Massaï et réussirait à s'ouvrir à leur pays"  (La région des Grands Lacs).

C'est mandaté par la Société royale de géographie à Londres pour une expédition purement géographique que Joseph Thomson met pied au pays des Massaï, sa mission étant de présenter un travail sur la possibilité d'y faire passer une caravane et de vérifier qu'il existât une route praticable aux voyageurs européens pour relier un des ports de la côte au Victoria Nyanza. 

Le livre est étayé de gravures, dont une partie provient des photographies prises par l'auteur, et de la carte qu'il a élaborée à l'aide des documents recueillis au cours de l'expédition. Il reprend les informations qu'il a pu rapporter sur le mont Kenya, la météorologie, la géologie, l'histoire naturelle et l'ethnologie tout en racontant de quelle façon, et dans quelles conditions et pourquoi il a effectué ce travail.

Joseph Thomson a écrit cet ouvrage à 26 ans, suite à sa troisième expédition en Afrique, et après la publication d'un premier ouvrage : Aux lacs de l'Afrique centrale. La première édition de Au pays des Massaï date de 1886.(couv.). 

Xavier Péron, Je suis un Maasaï, Arthaud , 2007.

T. Saitoti, Ma vie de Guerrier masaï, Le Rocher, 2004. - Dans les plaines de Serengeti - dont la verdeur luxuriante à la saison des pluies et la cruelle aridité à la saison sèche sont pareillement peuplées de dangereux animaux sauvages - un enfant grandit, chargé par son père sévère et traditionaliste de garder le bétail, les moutons et les chèvres. 

Le petit Ole s'accommode de son mieux des errances et des épreuves de la vie nomade des Masaï, tout en se comportant comme tous les enfants du monde - même si après la mort de sa mère, il est soumis à l'autorité des diverses épouses de son père. A contrecoeur, il doit quitter sa famille et s'aventurer dans l'inconnu, car il est choisi pour s'en aller étudier dans une école publique, où nous le voyons, lui, l'enfant d'une culture orale, succomber, émerveillé, à la magie de la parole écrite. Il passe ensuite dans une école tenue par des missionnaires où on l'encourage à renoncer aux moeurs traditionnelles de ses ancêtres pour adopter les croyances "civilisées" des enseignants - et se faire baptiser.

Jeune homme, à présent, il retourne dans sa famille, mais il est désormais, de diverses manières qu'il n'imaginait même pas, transformé par son expérience. Ce qui ne l'empêche pas d'être circoncis et initié aux pratiques des hommes de son peuple, grâce auxquelles il devient gardien d'une réserve naturelle et fait la chasse aux braconniers ; peu à peu, son univers s'élargit à la faveur de rencontres avec des visiteurs étrangers.

Il est choisi, encore une fois, pour représenter son peuple dans un film de la National Geographic Society, puis il se retrouve à Munich où il apprend l'allemand ; un concours de circonstances l'envoie en Amérique où, grâce à une dispense spéciale, il peut suivre des études universitaires qui lui permettront d'écrire un livre témoignant de la culture de son peuple, avant de regagner la Masaïland, afin d'aider ce peuple à survivre. (couv.).

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