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Bayard

Pierre du Terrail, seigneur de Bayard, surnommé le Chevalier sans peur et sans reproche, est né entre les années 1473 et 1475 au château de Bayard, dont on montre encore les ruines sur le territoire de la commune de Pontcharra (Isère), et a été tué d'un coup d'arquebuse entre Romagnano et Gattinara le 30 avril 1524. Il descendait d'une famille de petite noblesse mais dont plusieurs représentants avaient déjà versé leur sang pour la France Philippe Terrail, le trisaïeul de notre héros; avait été tué à Poitiers; ses deux fils étaient tombés l'un à Verneuil, l'autre à Azincourt; le grand-père de Bayard avait succombé criblé de blessures à Montlhéry; son père, enfin, reçut à Guinegate (1479) une blessure qui l'obligea à renoncer au service. Par sa mère Hélène Aleman il appartenait à l'une des plus illustres familles du Dauphiné.

A treize ans, ayant exprimé à son père le désir de suivre la carrière des armes, il devint page de Charles Ier, duc de Savoie, qui ne tarda pas à le céder au roi Charles VIII; celui-ci à son tour le plaça dans la maison du seigneur de Ligny (1487). Trois ans plus tard, après son premier succès dans un tournois, à Lyon, le comte de Ligny envoya Bayard tenir garnison à Aire en Artois, dans une compagnie d'ordonnance. Il fit ses premières armes en Italie dans cette brillante armée que Charles VIII avait emmenée à la conquête du royaume de Naples (1494) (Les Guerres d'Italie). A Fornoue il eut deux chevaux tués sous lui et enleva une enseigne (6 juillet 1495). Après la mort de Charles VIII il accompagna Louis XII dans la conquête du Milanais.

Il servait sous Trivulce en 1500, lorsque Ludovic le More avait réussi à rentrer dans la capitale de son duché. Bayard ayant voulu tenter un coup de main sur la garnison de Binasco, celle-ci avertie l'attendit en rase campagne. Furieusement chargée par les Français, elle dut tourner bride et se réfugier à Milan, Bayard, échauffé par l'ardeur de la poursuite, ne s'aperçut pas que ses compagnons s'étaient arrêtés; pêle-mêle avec les Lombards il pénétra dans Milan et ne s'arrêta que sur la place du palais où, reconnu, il fut forcé de se rendre au capitaine de Binasco. Ludovic le More voulut le voir, s'émerveilla de sa bravoure et de sa jeunesse, goûta ses réparties assez audacieuses, lui fit rendre son cheval et ses armes et le renvoya au camp français. 

Bayard avait servi jusqu'alors sous les ordres du comte de Ligny; il le quitta en 1501 lorsque Louis XII entreprit de reconquérir le royaume de Naples où il accompagna l'armée commandée par le seigneur d'Aubigny. Sous les ordres du capitaine Louis d'Ars, il se distingua au siège de Canossa (1502) où il fut blessé sur la brèche, et quelque temps après à l'attaque de Biseglia. Placé en garnison à Minervino dans la Capitanate, il y employa ses loisirs en expéditions et en coups de mains sur les garnisons espagnoles des environs. Ce fut dans une de ces entreprises qu'il fit prisonnier le capitaine Alonzo de Sotomayor qu'il tua plus tard en combat singulier; ce fut alors aussi, pour rompre la monotonie d'une trève, qu'eut lieu le fameux combat des Treize, où six heures durant treize chevaliers français luttèrent contre treize chevaliers allemands; la bravoure de Bayard assura aux Français l'honneur de la journée; ce fut là enfin qu'il s'empara d'un trésorier espagnol porteur de 15,000 ducats qu'il distribua à ses soldats. 

Quand l'heure des revers eut sonné, ses prouesses se multiplièrent; à Cerignola il se battit comme un lion; on connaît son exploit légendaire du pont du Garigliano, où seul à la tête d'un pont, appuyé contre la barrière pour n'être pas entouré, il soutint une demi-heure durant le choc des assaillants, réussit à garder le pont jusqu'à l'arrivée des renforts, et sauva l'armée. Cet exploit  lui fit donner cette devise : 

Vires agminis unus habet.
En cette seule journée il avait eu trois chevaux tués sous lui. Laissé seul avec Louis d'Ars dans le royaume de Naples, tous deux réussirent à s'y maintenir encore pendant six mois et ne l'évacuèrent que sur un ordre exprès de Louis XII. Revenu en France, Bayard reçut la charge d' « écuyer de l'écurie du roi ». En 1507, Louis XII étant allé mater les Génois révoltés, Bayard, quoique malade, le rejoignit bientôt. Chargé d'aller, sous le feu de la place, en reconnaître les abords, il fit si bien qu'il s'empara d'un ouvrage avancé, ce qui, deux jours plus tard, eut pour conséquence la capitulation de la ville (20 avril 1508).

Au commencement de l'année suivante, Louis XII lui donna trente hommes d'armes et le fit chef d'une bande d'infanterie de 300 hommes qu'il l'envoya recruter en Dauphiné. Dès le mois de mars, il avait repassé les Alpes à leur tête et entrait avec eux en campagne contre les Vénitiens. Au siège de Padoue, il fut, comme à Gênes, chargé de reconnaître les approches, attaqua en plein jour et enleva les barrières élevées du côté de Vicence et facilita l'établissement des premières batteries. Le long siège qui suivit n'arrêta pas son activité. Bien renseigné par un service d'espionnage qu'il avait organisé, il ne cessa de battre l'estrade aux environs, d'enlever des convois, de surprendre des fourrageurs, etc. Après la levée du siège il alla tenir garnison dans Vérone, mais, loin de s'y résigner à la défensive, il ne cessa d'opérer contre les bandes vénitiennes qui tenaient la campagne et empêcha la ville d'être jamais étroitement bloquée. 

Quand le pape Jules Il eut pris ouvertement parti contre ses anciens alliés, le roi de France et l'empereur, et alla mettre le siège devant la Mirandole (1511), Bayard, qui avait quitté Vérone pour rallier son ancien capitaine Louis d'Ars et les bandes dauphinoises récemment amenées en d'Italie par le capitaine Molard, conçut le hardi projet d'enlever le pape avec ses cardinaux. L'embuscade eût vraisemblablement réussi, sans un incident qu'il n'avait pu prévoir : une tempête de neige empêcha Jules II de se mettre en route comme il en avait formé le projet. Lorsque la Mirandole eut été perdue Bayard réussit à sauver Ferrare par une pointe hardie sur les troupes pontificales arrêtées au siège d'une petite place, Bastia de Genivolo, qui commandait le cours du Pô, ce qui lui valut le commandement des troupes françaises au service du duc de Ferrare

Grâce à Trivulce, la guerre ayant repris avec d'activité, le pape dut se réfugier à Bologne, puis à Ravenne. A la tête des coureurs de l'armée, Bayard entra des premiers dans Bologne. Sur la fin de l'année, il accompagna La Palice envoyé par le roi au secours de l'empereur qui soutenait difficilement dans le Frioul la guerre contre les Vénitiens; il s'empara de Gradiska et de Goritz qu'il remit aux impériaux et retourna joindre La Palice qui s'était arrêté sur les bords de la Piave.

Sur ces entrefaites, l'armée vénitienne était rentrée par surprise dans Brescia (4 février 1512) et en avait massacré la garnison; le gouverneur français avec quelques soldats avait pu cependant se retrancher dans la citadelle. Gaston de Foix n'hésita pas à se porter à son aide et chargea Bayard de la conduite de l'avant-garde. Celui-ci réussit à assurer à l'armée le passage du Mincio, puis, quelques jours plus tard, en soutenant l'assaut que donnait le capitaine Molard, il reçut à la caisse une profonde blessure. Elle n'était pas cicatrisée, quand, à la nouvelle d'une bataille imminente, il partit pour rejoindre le duc de Nemours qui avait établi son camp devant Ravenne.

Quelques jours après (12 avril 1512), il déployait une valeur héroïque dans cette sanglante bataille de Ravenne, où avec le chef de l'armée française périrent tant de capitaines français.  Une lettre qu'il écrivit le surlendemain à son oncle, l'évêque de Grenoble, nous a conservé l'une des relations de cette victoire néfaste. La bataille de Ravenne fut le prélude de la retraite de l'armée française. La Palice, qui la commandait depuis la mort du duc de Nemours, craignant d'être pris à revers par les Suisses qu'amenait le cardinal de Sion, se dirigea sur Pavie. Arrivé au Tessin, Bayard placé à l'arrière-garde protégea longtemps le passage de l'armée, lorsqu'il reçut un coup de fauconneau qui lui fit une grave blessure entre l'épaule et le cou.

Revenu dans le Dauphiné, il tomba dangereusement malade à Grenoble. Aussitôt guéri il alla rejoindre l'armée que Louis XII envoyait en Navarre pour reconquérir ce royaume dont Ferdinand le Catholique avait dépouillé Jean d'Albret. Arrivé au camp de La Palice devant Pampelune, il reçut mission de s'emparer d'un château voisin qu'il emporta d'assaut, malgré l'inertie des lansquenets auxiliaires qui refusèrent le service. Tout espoir de prendre Pampelune s'étant évanoui et l'armée étant forcée de regagner la France, Bayard reprit à l'arrière-garde le poste d'honneur qu'on lui confiait toujours, et jusquà Bayonne, soutenant sans cesse les attaques de l'ennemi, il protégea la retraite et assura le salut de l'armée.

L'année suivante (1513), il s'agit de défendre la Picardie envahie par les Anglais alliés à l'empereur Maximilien. Bayard et sa compagnie furent placés sous les ordres du sire de Piennes. Dès son entrée en campagne il se signala par des coups de maître dont il était coutumier; à Guinegate il renouvela son exploit du Garigliano; acculé à un pont, il arrêta longtemps l'ennemi pour protéger l'armée en déroute, puis, cerné de toutes parts et forcé de se rendre, il ne voulut pas qu'il fût dit qu'il avait été pris. Avisant à l'écart un gentilhomme bourguignon, il fond sur lui l'épée haute, le somme de se rendre, reçoit son épée et lui tend la sienne. Quelques jours après, Henri VIII, à la prière de Maximilien, lui rendait la liberté à la condition de ne pas reprendre le service avant six semaines.

L'avènement de Francois Ier ne tarda pas à fournir à Bayard l'occasion de retourner sur l'ancien théâtre de ses exploits. Nommé dès les premiers jours du nouveau règne lieutenant général dans le Dauphiné, il reçut au mois de juillet 1515 l'ordre de s'avancer avec 3000 hommes d'infanterie sur les frontières du marquisat de Saluces; « toujours, dit son biographe (Jacques de Mailles), en allant sur les ennemis était le bon chevalier volontiers mis devant et au retourner derrière ». Il passa les Alpes le premier et, pour entrée de jeu, surprit à table dans Villafranca le général Prospero Colonna. A la première journée de Marignan, emporté par son ardeur au travers et au delà des bandes suisses, il ne dut qu'à sa prudence et à son sang-froid de pouvoir rallier à la nuit les quartiers français. Le lendemain, il ne cessa de combattre au plus fort de la mêlée et le soir de cette « bataille de géants », François Ier voulut être armé chevalier de sa main.

L'année 1521 vit le plus grand des exploits de Bayard. Quarante mille Allemands, sous la conduite du comte de Nassau et du fameux aventurier Franz de Sickingen, avaient envahi le nord de la France, et, avant qu'aucune résistance fût organisée, avaient enlevé la ville de Mouzon. Mézières était la seule place forte qui s'opposât encore à leur marche, mais ses fortifications tombaient en ruines : armes, vivres, munitions, tout y manquait, à ce point que les meilleurs capitaines jugeaient qu'il fallait la ruiner et l'incendier, puis dévaster le pays pour affamer l'envahisseur. 

Bayard seul fut d'un avis opposé et proposa de se charger de la défense. Son offre acceptée, il se jeta dans la place avec quelques volontaires et s'occupa activement de la mettre en état. La rançon considérable qu'il avait reçue de Colonna pourvut à la dépense. Quelques jours après, la ville était assiégée et Bayard répondait avec dédain aux sommations des deux généraux. Nassau et Sickingen dressèrent leurs batteries. Trois semaines se passèrent; la place était ruinée par les boulets, les vivres et les munitions manquaient, la brèche était ouverte et l'assaut imminent. 

Bayard, très informé comme à l'ordinaire de ce qui se passait chez l'ennemi, s'avisa d'un ingénieux stratagème pour accroître la mésintelligence qui divisait les deux capitaines de l'armée de siège et forcer Sickingen à modifier ses positions. Quelques jours après, la place était ravitaillée, le siège abandonné et bientôt le roi s'avançait en personne à la tête d'une armée. En arrétant plus de trois semaines, sous les murs d'une place que les plus expérimentés ne jugeaient pas défendable, un ennemi dix fois supérieur en nombre, Bayard avait donné le temps de lever cette armée et la France était sauvée. Il reprit alors sa place habituelle à l'avantgarde et contribua à refouler les impériaux hors du royaume.

En 1522, on le retrouve en Italie, à Gênes d'abord qu'il fallait protéger contre les impériaux, puis en Lombardie où, à la tête des confédérés, Colonna et Pescaire avaient repris Milan et nombre d'autres places. Il combattit à la Bicoque, demeura deux mois sur la frontière du marquisat de Saluces et revint à Grenoble alors désolé par la peste contre laquelle il fit aussi bonne contenance que contre l'ennemi. Pendant la campagne de 1523, placé à l'avant-garde de l'armée de Bonnivet, il écarta de Milan l'armée du duc de Mantoue, secourut et ravitailla le château de Crémone que huit hommes d'armes, seuls survivants de la garnison, avaient conservé à la France. Envoyé dans la position intenable de Robecco avec des forces insuffisantes, malade et attaqué à l'improviste par des forces supérieures, il dut se résoudre à abandonner la place. Comme d'habitude dans les retraites, il se chargea de l'arrière-garde et, par son énergie, réussit à sauver toute la garnison et à rallier l'armée sans perdre plus de dix hommes.

Sur ces entrefaites, Bonnivet, voyant l'armée décimée par la maladie et la famine, se résolut à la mettre en retraite pour regagner la France. Blessé peu de jours après avoir commencé ce mouvement, ce fut à Bayard « comme au plus digne » qu'il laissa le commandement. Suivi de près par les Espagnols, celui-ci, par des escarmouches continuelles, les empêchait de troubler la retraite qui se poursuivait en bon ordre, lorsqu'un matin, sur les dix heures, au moment où après une charge il ralliait sa troupe, il fut atteint dans les reins par un coup d'arquebuse qui lui brisa la colonne vertébrale. Il poussa un cri « Jésus, je suis mort! » mais eut encore le temps de s'accrocher à l'arçon pour demeurer à cheval. Descendu par son écuyer et appuyé contre un arbre, il ne songea d'abord qu'à presser ses compagnons qui l'entouraient de l'abandonner pour ne pas s'exposer à tomber aux mains des impériaux. Ceux-ci ne tardèrent pas en effet à survenir. 

Le marquis de Pescaire qui les commandait mit pied à terre pour le venir voir et saluer, le fit étendre sur un lit de camp et protéger par un pavillon. Le connétable de Bourbon, dont l'injustice de François ler avait fait un traître, aperçut aussi son ancien compagnon d'armes; descendant de son cheval, il lui dit quelle douleur il éprouvait de voir ainsi navré le plus vertueux des chevaliers.

 « Je vous remercie, dit Bayard, mais ce n'est pas moi, qui meurs en homme de bien et servant mon roi, qu'il faut plaindre. C'est moi qui ai pitié de vous, de vous voir servir contre votre prince, votre patrie et votre foi. » 
Bayard mort eut ce rare privilège d'être pleuré par les deux armées en présence. Les Espagnols rendirent à sa dépouille les plus grands honneurs, célébrèrent un service solennel, puis ses serviteurs le rapportèrent à Grenoble où il fut enterré dans l'église Saint-André.

Bayard a bien mérité la popularité qui s'est attachée à son nom. Sans avoir jamais exercé un grand commandement, sa bravoure intrépide, son audace, son habileté dans les conseils, sa générosité, son désintéressement, et par-dessus tout sa loyauté à toute épreuve lui avaient valu ce glorieux surnom de chevalier sans peur et sans reproche que lui avaient décerné ses contemporains et qu'a confirmé le jugement de l'histoire.

Quoiqu'il fût d'un tempérament assez maladif, rien n'altérait sa bonne humeur; ses avis dans les conseils étaient toujours pleins de verve et assaisonnés de ces traits joyeux. Mais ce dont on ne saurait assez le louer, c'est d'avoir humanisé la guerre; au milieu des aventuriers qu'il commandait, à travers les scènes de carnage et de pillage, il n'a jamais cessé d'avoir au coeur la grande pitié du pauvre peuple. 

« Il a été, dit son biographe, en plusieurs guerres où il y avait des Allemands qui au déloger mettent volontiers le feu en leur logis, le bon chevalier ne partit jamais du sien qu'il ne sût que tout fût passé ou qu'il ne laissât garde afin qu'on n'y mit pas le feu. » 
D'un désintéressement absolu, aussi pauvre que généreux, toujours il se refusa au pillage, ne voulait rien prendre sans payer, protégeait l'honneur des femmes; aussi ses contemporains, qui l'avaient appelé le chevalier sans peur, le nommaient plus souvent encore le bon chevalier

La vie de Bayard a notamment été écrite par trois de ses contemporains. La plus célèbre est celle qui est connue sous le nom du Loyal serviteur que l'on croit être Jacques de Mailles. Une autre est due à a été écrite par Symphorien Champier, 1525. La troisième, apparaît dans l'Histoire des Allobroges, de Aymar du Rivail. On trouve également un biographie de Bayard dans la Vie des hommes illustres et des grands capitaines français (1586 - ca.1514), de Brantôme.

Les traits de Bayard nous ont été conservés par deux anciens portraits. L'un est une médiocre peinture sur bois conservée au château d'Uriage; elle date du XVIe siècle; le musée de Grenoble en possède une copie. L'autre, bien supérieur pour l'exécution, est un dessin au crayon noir et rouge dans la manière de Dumonstier, qui peut dater de la fin du même siècle. Il a été acquis par le musée de Grenoble et reproduit en tête de l'édition donnée par Larchey du Loyal serviteur. Une statue lui a été élevée à Grenoble en 1823. (A. Giry).

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Dictionnaire biographique
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