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Critique du jugement, de Kant

La Critique du jugement est un ouvrage de Kant, publié en 1790, traduit en français par Barni en 1846, et dont le titre serait mieux traduit : Critique de la faculté de juger (Kritik der Urtheilskraft). L'auteur y examine successivement les jugements que nous portons sur le beau et le sublime, ou les jugements esthétiques, puis ceux, par lesquels nous attribuons à la nature un rapport de finalité, ou les jugements téléologiques. 

La Critique du jugement est un des plus importants ouvrages de Kant. Elle complète la critique de la raison spéculative et celle de la raison pratique, auxquelles elle est destinée à servir de lien dans l'ensemble de la philosophie critique.

La première partie porte sur les jugements esthétiques. Le beau est ce qui cause une satisfaction libre de tout intérêt, et par là il se distingue de l'agréable, de l'utile et même du bien; c'est ensuite ce qui plaît universellement sans concept, c'est-à-dire sans qu'on ait besoin de le rapporter à une notion antérieure ou à un modèle; c'est ensuite une finalité sans fin, c'est-à-dire un objet où une disposition de parties semble voulue et comme préparée en vue d'une fin, sans qu'il y ait vraiment une fin d'utilité; enfin, c'est ce qui nous donne une satisfaction nécessaire et universelle. Le sublime se distingue du beau en ce que l'émotion qu'il provoque est plus vive et peut même devenir douloureuse. Cette émotion provient de la disproportion qu'il y a entre notre imagination qui se sent petite devant l'objet sublime, et notre entendement qui conçoit ce qui dépasse l'imagination; elle nous révèle supérieurs à la nature puisque nous la dominons en la jugeant.

Dans la deuxième partie de l'ouvrage, Kant traite des jugements téléologiques. Dans l'étude des êtres organisés, d'esprit est contraint de supposer des fins, de manière à s'expliquer complètement l'existence de ces êtres. Il est mû par ce principe

« Rien n'existe en vain. »
Il étend ensuite ce principe à l'ensemble des choses, et le monde apparaît comme un système de fins, c'est-à-dire d'êtres liés entre eux suivant des rapports de moyens à fins. Mais nous n'en devons pas moins poursuivre jusqu'aux derniers détails l'explication mécanique des phénomènes, car rien ne prouve que la nature réalise des fins déterminées. L'idée de finalité n'a qu'une valeur subjective, n'est qu'un principe régulateur. Le principe téléologique est, en un sens, nécessaire; mais sa nécessité est toute relative à la constitution de notre esprit.

La Critique du Jugement a eu une très grande influence sur l'esthétique de Schiller et sur la métaphysique de Schelling. (NLI).

Critique des jugements esthétiques

Kant appelle jugements de goût ceux qui ont pour objet le beau. Voici les caractères par lesquels il les distingue de tous autres jugements. D'abord, la satisfaction propre au goût ou au beau qui en est l'objet est pure de tout intérêt. Elle ne se confond avec aucune autre satisfaction, ni avec celle que cause l'agréable, ni avec celle qui s'attache au bon, soit à l'utile, soit au bon en soi. Ce premier caractère fournit une première définition du goût et du beau : le goût est la faculté de juger d'un objet ou d'une représentation par une satisfaction libre de tout intérêt. L'objet d'une satisfaction de ce genre s'appelle beau. 

Le second caractère assigné par Kant à la satisfaction du beau, c'est qu'elle est universelle, mais sans dépendre d'aucune idée déterminée. Elle se distingue de la satisfaction de l'agréable par son caractère universel; de la satisfaction du bien, par son principe et son caractère essentiellement subjectif; de là cette seconde définition du beau : Le beau est ce qui plaît universellement sans concept

Le troisième caractère des jugements de goût dérive des précédents. 

Comme ces jugements sont indépendants, d'une part, de tout attrait et de toute émotion; de l'autre, de tout concept déterminé, la beauté qui en est l'objet est indépendante, selon Kant, de toute finalité subjective ou objective. Elle réside uniquement dans une certaine concordance de la forme d'un objet avec le libre jeu de nos facultés de connaître, l'imagination et l'entendement. Mais cette concordance peut elle-même être considérée en un sens comme une finalité : en effet, quand le goût juge beau un certain objet, on dirait que cet objet a été fait tout exprès pour nous plaire et que c'est à dessein que la nature en a ainsi disposé les parties. 

Seulement, comme la concordance de cet objet avec l'imagination et l'entendement, ou, ce qui revient au même, celle de ces deux facultés, est indépendante de toute idée de fin réelle, soit subjective, soit objective, puisqu'elle est indépendante de. tout concept de l'objet auquel elle s'applique, et par conséquent de la question de savoir si la nature s'est en effet proposé de composer un objet capable de nous plaire ou en a ainsi disposé les parties à dessein, il n'y a ici que la forme de la finalité. Ainsi s'explique la troisième définition que Kant nous donne du beau : Le beau est la forme de la finalité d'un objet, en tant qu'elle y est perçue sans représentation de fin. Le dernier caractère attribue par Kant aux jugements de goût est la nécessité. 

Quand je juge belle une certaine chose, je juge qu'elle satisfera nécessairement tout homme de goût, comme elle me satisfait moi-même. C'est une nécessité pour moi de juger ainsi, Or cette nécessité a un caractère particulier. Elle n'est pas théorique : elle ne repose pas sur des principes de la connaissance, puisque les jugements de goût ne sont pas des jugements logiques et ne supposent aucune idée déterminée. Elle n'est pas pratique : elle ne repose pas sur des principes de la volonté, comme le sentiment moral. Pourtant elle est réelle. Mais elle n'est possible qu'à une condition, c'est que les facultés de connaître qui entrent en jeu dans les jugements de goût s'exercent chez tous les hommes de la même manière, ou suivant le même principe subjectif. 

Cette universalité des conditions subjectives suivant lesquelles peuvent s'exercer nos facultés de connaître, Kant la désigne sous le nom de sens commun, qu'il prend ici dans une acception différente de celle qu'on lui donne ordinairement. Le quatrième et dernier caractère des jugements de goût nous donne cette quatrième et dernière définition du beau : Le beau est ce qui est reconnu sans concept comme l'objet d'une satisfaction nécessaire.

Les jugements esthétiques comprennent deux espèces de jugements : le jugement de goût ou du beau dont nous venons de parler, et le jugement du sublime. Ils ont cela de commun qu'ils ne sont ni des jugements de connaissance, ni des jugements de sensation; qu'ils ont leur origine ans la réflexion que nous faisons sur le libre jeu de nos facultés de connaître, et dans la satisfaction qui s'y rattache. Ils sont néanmoins profondément distincts. Le jugement de goût suppose l'accord de l'imagination et de l'entendement, librement mis en jeu par la contemplation d'une forme déterminée et limitée; le jugement du sublime suppose le désaccord de l'imagination et de la raison, s'exerçant librement sur la contemplation d'un objet dont le caractère est précisément de n'avoir pas de forme déterminée et de n'être pas limité. 

Aussi, tandis que le sentiment du beau est simple et sans mélange, celui du sublime est mêlé; l'esprit se sent à la fois attiré et repoussé par l'objet; le premier est calme, le second accompagné d'un certain trouble ou d'une certaine émotion; celui-là est riant et s'accommode aisément des jeux de l'imagination; celui-ci est sérieux et repousse tout ce qui n'est pas sérieux. Le sentiment du sublime est produit par la contemplation de la grandeur ou par celle de la puissance. De là deux espèce de sublimes : le sublime mathématique et le sublime dynamique.
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Le beau

« Le jugement de goût n'est pas un jugement de connaissance;
il n'est point, par conséquent, logique, mais esthétique relevant de la sensibilité.

Le goût est la faculté de juger d'un objet ou d'une représentation pour une satisfaction dégagée de toits intérêt. L'objet d'une semblable satisfaction s'appelle beau.

[...]

Lorsque je donne une chose pour belle, j'exige des autres le même sentiment. Le beau est ce qui plait universellement sans concept.

[...]

La nature est belle quand elle fait l'effet de l'art; l'art à son tour ne peut être appelé beau que si, quoique nous ayons conscience que c'est de l'art, il nous fait l'effet de la nature.

Pour juger une beauté naturelle comme telle, je n'ai pas besoin d'avoir préalablement une conception abstraite de ce que doit être la chose. »
 


Le beau, symbole de la moralité

« Le beau est le symbole de la moralité, et c'est seulement sous ce point de vue qu'il plait et qu'il prétend à l'assentiment uni versel, car l'esprit s'y sent comme ennobli, et s'élève au-dessus de cette simple capacité en vertu de laquelle nous recevons avec plaisir des impressions sensibles, et il estime la valeur des autres d'après cette même maxime du jugement. C'est l'intelligible que le goût a en vue, c'est vers lui en effet que conspirent nos facultés de connaître supérieures; et sans lui il y aurait contradiction entre leur nature et les prétentions qu'élève le goût. Dans cette faculté, le jugement ne se voit plus, comme quand il n'est qu'empirique, soumis à une hétéronomie des lois de l'expérience : il se donne à lui-même sa loi relativement aux objets d'une si pure satisfaction [...]. Il se voit lié à quelque chose qui se révèle dans le sujet même et en dehors du sujet, et qui n'est ni nature ni liberté, mais qui est lié au principe de cette dernière, c'est-à-dire avec le supra-sensible, dans lequel la faculté théorique se confond avec la faculté pratique, d'une manière inconnue, mais semblable pour tous. »
 

(Kant, extraits de la Critique du jugement).

Kant définit le sublime mathématique comme ce qui est absolument grand. Mais qu'est-ce qui dans la nature est absolument grand? C'est, répond Kant, ce qui est grand sans comparaison avec quoi que ce soit, ou ce en comparaison de quoi toute autre chose est petite. Mais à ce compte il n'y a rien dans la nature qui soit absolument grand, et qui, par conséquent, puisse être jugé sublime. Il n'y a rien, en effet, de si grand, qui, considéré sous un autre point de vue, ne puisse aller jusqu'à l'infiniment petit. Donc, à proprement parler, il n'y a pas de sublime dans la nature : c'est en nous-mêmes, dans une certaine disposition d'esprit nécessairement liée aux idées de la raison, qu'il faut le chercher. Il suit de là qu'à ces deux définitions du sublime mathématique : Le sublime est ce qui est absolument grand; - Le sublime est ce en comparaison de quoi toute autre chose est petite, il faut encore ajouter cette formule : Le sublime est ce qui ne peut être conçu sans révéler une faculté de l'esprit qui surpasse toute mesure des sens. Dans l'estimation de la grandeur, il y a deux mouvements de l'imagination, l'un par lequel elle saisit successivement les parties de l'objet, l'autre par lequel elle embrasse simultanément ces parties en un tout. Kant donne au premier de ces mouvements le nom d'appréhension, et celui de compréhension au second. C'est l'impuissance de l'imagination dans ce second mouvement qui éveille en nous le sentiment du sublime. Il y a là une discordance entre l'imagination et la raison, l'imagination faisant sans cesse et vainement effort pour rapprocher l'intuition sensible de la nature, sur laquelle elle opère, de l'intuition supra-sensible de l'infini, dont la raison nous donne le concept. On voit comment le sentiment du sublime est mêlé de plaisir et de peine. En effet, la conscience de l'impuissance de notre imagination à s'accorder avec une idée de la raison doit nécessairement être accompagnée d'un certain sentiment de peine; mais en même temps, comme cette impuissance même éveille en nous le sentiment d'une faculté supra-sensible, d'après laquelle nous devons regarder comme petit tout ce que la nature, en tant qu'objet des sens, contient de grand pour nous, et que ce sentiment ne va pas sans une certaine satisfaction, il suit qu'à à la peine, qui naît de la disconvenance de l'imagination avec la raison, se mêle le plaisir, qui s'attache au sentiment d'une faculté ou d'une distinction supérieure, que cette disconvenante fait éclater.

Le sublime mathématique répond à la grandeur de la nature, le sublime dynamique à sa puissance. Ici encore, le sublime n'est pas dans la nature, mais en nous-mêmes, dans le sentiment d'une destination supérieure à la nature; et si nous nommons la nature sublime, c'est qu'elle excite en nous ce sentiment par le spectacle de sa puissance.

"De même, dit Kant, que l'immensité de la nature et notre incapacité à trouver une mesure propre à l'estimation esthétique de sa grandeur nous ont révélé notre propre limitation, mais nous ont fait découvrir en même temps dans notre faculté de raison une autre mesure non sensible, qui comprend en elle cette infinité même comme une unité, et devant laquelle tout est petit dans la nature, et nous ont montré par là dans notre esprit une supériorité sur la nature, considérée dans son immensité; de même l'impossibilité de résister à sa puissance nous fait reconnaître notre faiblesse, en tant qu'êtres de la nature; mais elle nous découvre en même temps une faculté par laquelle nous nous jugeons indépendants de la nature, et elle nous révèle ainsi une nouvelle supériorité sur elle."

Critique des jugements téléologiques 

Dans la seconde partie de la Critique du jugement, Kant commence par distinguer deux espèces de causalité : le causalité efficiente et la causalité finale, ou la finalité. Lorsque nous n'avons pas besoin d'avoir recours à l'idée de but et de fin, pour y chercher, en partie du moins, la cause des phénomènes que nous observons dans la nature, le rapport de causalité que nous établissons entre ces phénomènes est un rapport de causalité efficiente, un nexus effectivus; nous ne sortons pas du mécanisme. Que si, au contraire, pour nous expliquer ces phénomènes ou certains d'entre eux, pour nous expliquer certains êtres, il nous faut recourir à une idée de ce genre, c'est-à-dire si nous sommes forcés de concevoir que la nature en les produisant a agi pour certains buts, il n'y a plus là seulement pour nous un rapport de causalité efficiente, un nexus effectivus, un pur mécanisme, il y a un rapport de causalité finale ou de finalité, un nexus finalis. II y a dans la nature deux espèces de dualités. Ou bien, considérant une production de la nature en elle-même, nous supposons que la nature a eu immédiatement pour but cette production; ou bien nous la considérons comme un moyen relativement à d'autres choses, que nous regardons comme des fins de la nature. Dans le premier cas, la finalité que nous attribuons à la nature est intérieure; elle est relative et extérieure dans le second. La finalité intérieure se montre dans les êtres organisés, qui peuvent être définis, selon Kant, des productions de la nature dans lesquelles tout est réciproquement fin et moyen. De ce concept de l'organisation vient ce principe que, dans les êtres organisés il n'y a pas d'organe qui n'existe pour une fin, ou que dans ces êtres la nature ne fait rien en vain. Ce principe est universel et nécessaire. C'est-à-dire que nous l'appliquons toujours et que nous ne pouvons pas ne pas l'appliquer à l'observation des êtres organisés. Aussi, en étudiant les plantes et les animaux, cherchons-nous à déterminer la destination de chacune des parties de la plante où de l'animal que nous considérons. Appliqué d'abord uniquement aux êtres organisés, le principe téléologique ne tarda pas à s'étendre à l'ensemble des choses. Le monde nous apparaît comme un système de fins, c'est-à-dire d'êtres liés entre eux suivant des rapports de moyens à fins. Nous ne nous bornons plus à dire : Dans les êtres organisés, rien n'existe en vain; nous posons ce principe général : Dans le monde en général, rien n'existe en vain. Ce principe n'est ni un concept empirique ou a posteriori, ni un concept a priori de l'entendement. D'un côté, nous ne pouvons tirer ce concept de la connaissance empirique des objets, et l'expérience ne saurait démontrer la réalité de ce rapport de moyen à fin que nous attribuons à la nature. Elle peut bien nous faire connaître la conformation et les propriétés d'un être organisé on d'un organe; mais comment démontrerait-elle que la nature, en le formant, a agi pour un but déterminé? Et, d'un autre côté, que le nature agisse en effet pour certains buts, c'est ce que nous ne pouvons conclure a priori de l'idée que nous en donne l'entendement; car la loi de causalité que l'entendement applique à la nature n'est pas la finalité, mais la causalité efficiente, ce nexus effectivus dont nous avons parlé plus haut et dont le caractère essentiel est la nécessité. Quelle est donc l'origine de ce concept, que la nature agit pour des fins, si nous ne le tirons ni a posteriori de la connaissance empirique de la nature, ni a priori de l'idée que nous en donne l'entendement? C'est nous qui l'introduisons, par analogie, dans la considération de le nature. Ce mode de causalité qui consiste à agir en vue de certaines fins, c'est le nôtre. Or, comme nous ne pouvons nous contenter de ne voir dans certaines productions de la nature qu'un pur mécanisme, nous lui attribuons un mode de causalité analogue à celui que nous trouvons en nous-mêmes. Ainsi l'idée d'une finalité de la nature n'a qu'une valeur subjective, n'est qu'un principe régulateur. Nous ne pouvons nous passer du principe téléologique dans la considération des êtres organisés et de la nature en général, et, en ce sens, ce principe est nécessaire; mais cette nécessité est toute relative à le constitution de notre esprit.

Kant passe en revue les divers systèmes qu'a suscités le question de la finalité de la nature. De deux choses l'une : ou bien on ne reconnaît dans le nature d'autre principe réel que celui du mécanisme, et cet art qu'on lui suppose en certaines productions n'est qu'une apparence, qu'on explique par notre ignorance de ses lois; ou bien on y admet un autre mode de causalité et un autre principe que celui du mécanisme, et l'on regarde comme réelle la finalité que nous lui attribuons. De là deux sortes de systèmes, dont l'un regarde le finalité de la nature comme apparente, idéale, et l'autre comme réelle, et que Kant désigne et distingue, à cause de cela, par les expressions d'idéalisme et de réalisme de la finalité de la nature. Chacun de ces deux genres de systèmes se subdivise en deux espèces particulières. Parmi les systèmes pour qui la finalité n'est qu'apparente, idéale, les uns rapportent tout à des causes purement physiques agissant au hasard, - tel est le système d'Epicure -; les autres remontent au delà de la nature, à une cause hyperphysique, dont les déterminations nécessaires produisent fatalement tout ce qui est et cette apparence même de finalité que nous rencontrons dans la nature, tel est le système de Spinoza. Les systèmes qui regardent la finalité de la nature comme réelle sont aussi de deux espèces. 

Ou bien on attribue au monde lui-même une puissance naturelle, analogue à une faculté agissant d'après des fins : cette puissance, c'est la vie de la matière, soit qu'on la rapporte à la matière elle-mêmes soit qu'on la fasse dériver d'un principe intérieur vivant d'une âme du monde. On reconnaît là la doctrine des stoïciens. Kant désigne cette espèce de système en général sous le nom d'hylozoïsme

Ou bien enfin, pour expliquer la finalité de la nature, on remonte au delà de la nature, jusqu'à une cause première du monde, à laquelle on attribue l'intelligence et la volonté, et c'est le théisme

Dans le premier cas, le réalisme de la finalité de la nature est physique; dans le second, il est hyperphysique. Ainsi une matière inanimée (épicurisme), ou un dieu inanimé (spinozisme); une matière vivante (hylozoïsme), ou un dieu vivant (théisme) telles sont les quatre grandes solutions dogmatiques auxquelles est arrivée la philosophie sur le problème de la finalité de la nature. 

Aucune d'elles selon Kant, ne saurait être démontrée. D'abord ni l'épicurisme ni le spinozisme, qui nient la possibilité d'une finalité de la nature, ne peuvent rendre compte de nos jugements téléologiques. Les systèmes qui accordent de la réalité aux causes finales sont-ils plus satisfaisants? Attribuer la vie à la matière implique contradiction, puisque l'inertie en est le caractère essentiel. D'un autre côté, supposer une âme du monde, comme les stoïciens, et faire de la nature une sorte d'animal, est une hypothèse dénuée de fondement; car, d'une part nous ne saurions la justifier a priori et, d'autre part, comment la confirmer par l'expérience? Comme nous ne pouvons nous faire aucune idée de la vie que par les êtres organisés, nous ne pouvons, sans tourner dans un cercle, invoquer le principe même de la vie pour les expliquer. Enfin, si le théisme a l'avantage d'arracher à l'idéalisme la finalité de la nature, en attribuant un entendement à l'être premier, et en invoquant une causalité intentionnelle pour expliquer cette finalité, il ne saurait prouver sa thèse, car il ne saurait établir que le principe téléologique diffère en réalité du principe mécanique. La distinction que nous établissons entre ces deux principes est, selon Kant, indispensable, comme celle du réel et du possible, du vouloir et du devoir, du contingent et du nécessaire; mais elle est relative à la constitution de notre esprit, et elle disparaît dès qu'on suppose un entendement constitué autrement que le nôtre, comme celui que nous devons attribuer à Dieu. (PL).

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