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Les canaux de Mars
Aperçu La circulation des eaux Les découvertes de Schiaparelli Les Martiens
Grandeur et décadence des Martiens

L'aspect singulier et la disposition géométrique des canaux, qui semblent dressés à la règle et au compas, ont conduit quelques personnes à considérer ces canaux comme l'oeuvre d'êtres intelligents, habitants de la planète. Cette supposition n'avait, estimait-on à l'époque, rien d'impossible.

« L'hypothèse d'une origine intelligente de ces tracés se présente d'elle-même à notre esprit, note Flammarion, sans que nous puissions nous y opposer. Quelque téméraire qu'elle soit, nous sommes forcés de la prendre en considération. Tout aussitôt, il est vrai, les objections abondent. Est-il vraisemblable que les habitants d'une planète construisent des oeuvres aussi gigantesques que celles-là? Des canaux de cent kilomètres de largeur? Y pense-t-on? et dans quel but?

Eh bien (circonstance assez curieuse), dans l'hypothèse d'une origine humaine de ces tracés, on pourrait en trouver l'explication dans l'état de la planète elle-même. D'une part, les matériaux sont beaucoup moins lourds sur cette planète que sur la nôtre. D'autre part, la théorie cosmogonique donne à ce monde voisin un âge beaucoup plus ancien que celui du globe où nous vivons. Il est naturel d'en conclure qu'il a été habité plus tôt que la Terre, et que son humanité, quelle qu'elle soit, doit être plus avancée que la nôtre. Tandis que le percement des Alpes, l'isthme de Suez, l'isthme de Panama, le tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre paraissent des entreprises colossales à la science et à l'industrie de notre époque, ce ne seront plus là que des jeux d'enfants pour l'humanité de l'avenir. Lorsqu'on songe aux progrès réalisés dans notre seul dix-neuvième siècle, chemins de fer, télégraphes, applications de l'électricité, photographie, téléphone, etc., on se demande quel serait notre éblouissement si nous pouvions voir d'ici les progrès matériels et sociaux que le vingtième, le vingt et unième siècle et leurs successeurs réservent à l'humanité de l'avenir. L'esprit le moins optimiste prévoit le jour où la navigation aérienne sera le mode ordinaire de circulation; où les prétendues frontières des peuples seront effacées pour toujours; où l'hydre infâme de la guerre et l'inqualifiable folie des armées permanentes seront anéanties devant l'essor glorieux de l'humanité pensante dans la lumière et dans la liberté! N'est-il pas logique d'admettre que, plus ancienne que nous, l'humanité de Mars est aussi plus perfectionnée, et que dans l'unité féconde des peuples, les travaux de la paix ont pu atteindre des développements considérables? »

Le point de vue de Flammarion (plus largement développé dans Mars et ses conditions d'habitabilité, 1892) est sans doute quelque peu suspect. L'astronome, qui croit aux tables tournantes, et défend depuis toujours l'idée que « la vie est partout dans l'univers», n'est sans assurément pas l'autorité dont le jugement est le plus fiable quand il s'agit de parler de vie extraterrestre. Reste qu'il est loin d'être le seul à s'interroger. Des esprits beaucoup moins portés à l'ésotérisme (et d'autres, il est vrai, qui le sont bien davantage, tels V. Considérant, le vieux phalanstérien, qui voulait reconnaître dans ce réseau une sorte de cadastre de cultures collectives sur un globe « arrivé à la période d'harmonie ») envisageaient  désormais très sérieusement,  dans un même élan, la présence sur Mars de... Martiens. Le débat s'engagea donc entre astronomes.

La fièvre martienne
 Proctor, dans un article du Times, suggéra l'idée que : 

« les habitants de Mars doivent être engagés en de vastes travaux d'ingénieurs, attendu que ces lignes sont tracées dans toutes les directions et gardent entre elles une distance constante et significative. »
A la séance de la Société Royale astronomique de Londres du 14 avril 1882, M. Green, l'habile observateur de Mars, signalant cette interprétation de Proctor, ajouta qu'il n'avait aucunement l'intention d'introduire un sujet de plaisanterie dans une matière scientifique aussi importante, mais que de tels aspects géographiques méritaient la plus grave attention et qu'il est du plus haut intérêt de les vérifier. Maunder, de l'Observatoire de Greenwich, fit remarquer que ce qu'il y avait de plus étrange, c'est que ces canaux paraissaient changer de place et étaient tantôt visibles et tantôt invisibles. Pour plusieurs observateurs, ce ne n'étaient pas des canaux proprement dits, mais plutôt des bordures de districts plus ou moins foncés; les dessins de Mars obtenus à Greenwich pendant l'opposition de 1881 concordaient mieux avec ceux de Milan de 1879 qu'avec ceux de 1881; sans doute la différence était-elle due à l'atmosphère, qui n'aurait pas permis de distinguer en Angleterre les détails observés en Italie. Quant aux doublements des canaux arrivés sous les yeux de Schiaparelli, si cet effet n'étaient pas dû à l'objectif de sa lunette, nos doctes savants étaient bien obligés d'avouer qu'un tel phénomène était bien fait pour les surprendre et les confondre. Le caractère passager de la gémination (puisque les apparences et les dimensions des canaux changeaient d'une saison et même, d'une semaine à l'autre) était plus que troublant. Peut-être s'agissait-il d'un travail intermittent, provoqué par les besoins de l'agriculture et produisant des irrigations sur une grande échelle...
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Nouvelles vocations

L'engouement suscité par les dernières nouvelles de Mars éveille à cette époque les vocations de nombreux astronomes. On citera parmi les plus marquants, Eugène Antoniadi à l'observatoire de Meudon, et William Pickering à l'observatoire de la Jamaïque. Ce même engouement explique aussi la création à cette époque de plusieurs observatoires privés. Camille Flammarion, grâce à un mécène fonde ainsi un observatoire à Juvisy, près de Paris, en 1882. Il est suivi de peu par Georges Fournier, qui pourra lui aussi disposer d'un observatoire grâce au mécène Jarry-Desloges. Aux États-Unis, Percival Lowell, ancien diplomate fortuné, fonde de son côté, en 1894, un observatoire martien à Flagstaff (Arizona), que rejoindront  bientôt E. C. Slipher et C. Tombaugh. A la génération suivante, les astronomes qui apporteront les principales contributions à l'étude de la planète seront Kuiper, Menzel, Lyot, Dollfus, Camichel, Maggini, ou encore le vieux Tikhov, bercé dès l'enfance par ce que P. Rousseau appelait le "Roman des Martiens".

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Pour d'autres, cependant, l'intervention d'êtres intelligents qui expliquerait très bien les dispositions géométriques n'était pas nécessaire. Après tout, cette nature géométrique est manifestée dans plusieurs autres occasions où l'on ne peut avoir aucune idée d'un travail artificiel : les sphéroïdes parfaits que nous offrent les corps célestes, les anneaux circulaires de Saturne n'ont pas été construits au tour et ce n'est pas avec des compas qu'Iris décrit les arcs-en-ciel si réguliers et si bien colorés. 

On se souvient aussi que Kepler, arguant de la forme qu'il supposait nécessairement d'origine artificielle, des cratères lunaires avait usé, dans le Songe (1634),  du même raisonnement pour justifier de l'existence de créature intelligentes sur la Lune.
La gémination pouvait provenir, selon certains, d'effets lumineux dans l'atmosphère de Mars ou d'illusions optiques produites par des vapeurs, ou par la fatigue rétinienne, ou de doubles crevasses formées sur le globe de Mars, ou de crevasses simples dont les images sont reproduites sur des nuages ou sur des vapeurs ou dont les deux bords montraient deux lignes parallèles. 

Pas de Martiens intelligents, mais pourquoi pas une vie végétale? D'après Percival Lowell, qui avait longuement étudié la planète Mars pendant l'année 1894 dans son observatoire d'Arizona, les différences d'aspects constatés sur la planète Mars étaient bien dues à l'eau, mais indirectement, et provenaient ainsi plutôt de la végétation qu'elle produisait. A son avis, les mers martiennes étaient probablement un moyen terme entre nos mers terrestres et les mers de la Lune. Dans son ouvrage, Mars, publié l'année suivante, il expliquait que l'eau seule pouvait donner par son absence des espaces arides comme ceux que nous apercevons sur la Lune, des régions fertiles dans les parties humides que nous trouvons sur la Terre et probablement aussi sur Mars dans les provinces inondées. Lowell décrivit les intersection des anaux comme des oasis. Il y avait même une sorte d'explication de la gémination, en admettant que les deux rives du canal soient couvertes d'une végétation luxuriante; mais alors comment en expliquer le caractère passager sans admettre que cette végétation soit éphémère?

L'histoire géologique des planètes
D'autres, enfin, préféraient renoncer à ces explications, et se tournaient plutôt vers des phénomènes géologiques analogues à ceux qui auraient pu affecter la Terre dans un lointain passé, ou bien qui l'affecteront supposément dans le futur. Une perspective qui n'est certes pas nouvelle, mais qui s'installe désormais dans une perspective qui est toujours la sienne aujourd'hui.

On se demande ainsi déjà si Mars est un astre où la vie commence ou si c'est au contraire une planète déjà morte : la seconde hypothèse paraît à certains la plus vraisemblable. 

« La distance du Soleil à cette planète, écrit par exemple Barré, lui assure une quantité de chaleur fécondante bien moindre que celle de la Terre, et son faible volume a dû la faire vieillir plus vite. Les espaces célestes auront sans doute enlevé la plus grande partie de son atmosphère faiblement attirée par la petite masse de Mars. Le noyau central est peut-être déjà éteint, et le système de craquelure des canaux peut résulter de l'hydratation de ce noyau ou de la transformation de l'ancienne écorce solide, formée seule de roches hydratées, mais dont l'eau constitutive tend à se séparer. L'étude de Mars nous ferait alors prévoir ce que deviendra la Terre à sa période géologique sexénaire ou septénaire avant son dessèchement total. »
Vers la même époque, de Villenoisy écartait lui aussi l'origine technologique des canaux, et plaçait des des limites à la présence d'une hypothétique végétation. Pour lui, ce que l'on voyait, c'était le réseau polyédrique de la planète, que les géologues de son temps croyaient pouvoir être aussi la clé de la tectonique terrestre : 
« Si les canaux avaient été creusés par des êtres intelligents, comme ils mesurent jusqu'à 5 000 kilomètres de long et 300 kilomètres de large, on verrait aisément au télescope d'autres travaux d'une importance analogue. Le caractère dominant des canaux est la distribution géométrique des lignes, leur groupement autour de certains centres analogues aux étoiles d'éclatement d'une glace brisée. Leur réseau est très semblable à ceux qu'ont obtenus MM. Daubrée et Stanislas Meunier dans leurs essais de géologie expérimentale où ils recherchaient le mécanisme des fractures de l'écorce terrestre. Si une couche homogène enveloppait l'astre et s'était ensuite contractée, ou si le noyau central s'était dilaté, il se serait produit un semblable réseau de fissures. Les failles résultantes, qui ne sont autre chose que les canaux de Mars; se seraient ouvertes suivant des grands cercles qui sont les lignes de moindre résistance. La vérification est assez difficile à faire sur la carte de M. Schiaparelli; cependant les canaux dirigés suivant les méridiens en paraissent une preuve; tandis que d'autres ne montrent que des probabilités ou sont inexplicables. On peut cependant voir que tous les canaux semblent appartenir à deux systèmes de brisures d'époques différentes; les plus récents paraissent dévier vers les anciens centres d'éclatement; les côtes elles-mêmes doivent tirer leur origine des canaux disparus, car leur tracé obéit précisément aux mêmes lois. La grande rigueur avec laquelle ces lois ont pu s'appliquer sur le sol de Mars montre bien l'homogénéité des couches extérieures.

Les continents doivent être d'un niveau sensiblement égal et presque sans montagnes. Schiaparelli en a cependant découvert quelques-unes, grâce à leur calotte neigeuse. Celle qui est située par 268° de longitude, et par 16° de latitude boréale vient à l'appui de l'hypothèse précédente; le canal Amenthes cesse justement en ce point de suivre les contours d'un grand cercle, cette courbe n'étant plus celle de moindre résistance. Les régions nuageuses que l'on a cru reconnaître fournissent aussi des indices sur là distribution des montagnes. Elles se trouvent au-dessus des îles de la mer Australe, dont les côtes n'ont pas un contour rectiligne, mais bien arrondi, comme si des massifs montagneux en avaient dirigé la rupture et y servaient de condensateur à l'humidité atmosphérique. C'est aussi dans ces régions que se déposent les amas de neige. Le grand phénomène de l'inondation annuelle ne suppose pas un sol aride, mais bien le contraire. Si l'atmosphère martienne est assez humide pour qu'on puisse le constater au spectroscope, assez voisine, dans toute sa masse, de son point de saturation pour déposer des neiges abondantes aux pôles et sur les hauteurs, presque sans formation préalable de nuages, l'eau doit se condenser à peu près partout, en abondance et en toute saison, dès que la température le permet. Si l'on tient compte aussi de la fonte rapide d'une masse de neige capable de créer des mers temporaires, on voit que la surface des terres doit être soumise à un lavage presque perpétuel. Vers la fin de l'époque quaternaire, des circonstances analogues ont existé sur notre globe, mais en raccourci. Elles ont provoqué des dépôts d'argile limoneuse, qui, sous les divers noms de loess, lehm, terre à brique, forment une immense nappe jaune rougeâtre sur la plupart des régions septentrionales et centrales de l'Europe et de l'Asie.

L'eau pluviale, s'emparant de l'acide carbonique libre de l'atmosphère, dissolvait le carbonate de chaux des couches superficielles de formation récente et ne laissait qu'un résidu rougeâtre d'argile ferrugineuse. Or les continents de Mars, qui, d'après la théorie, doivent subir le même phénomène, présentent justement la même coloration. Si l'atmosphère martienne renferme de l'acide carbonique libre, la phénomène de la formation du loess il pu être plus intense qu'il ne l'a été chez nous, car l'eau s'y trouve en quantité bien supérieure. C'est une masse suffisante pour créer des mers temporaires, qui est transportée dans le courant de l'année, sous forme de vapeur, d'un pôle à l'autre, avant de s'écouler par les canaux au moment de la fonte des neiges. Ces canaux doivent être le siège de courants torrentueux, changeant de sens avec les saisons, lorsque la pente du sol le permet, ou, dans le cas contraire, se desséchant, à la fin du printemps. Là est peut-être la cause de la gémination de certains canaux. La baisse des eaux doit à la longue les combler lorsque l'alternance des courants ne les entretient pas libres. Les bancs de sable et de vase émergent alors et rejettent les eaux le long de chaque berge. Si cette explication est la bonne, les canaux susceptibles de gémination doivent être parmi ceux qui semblent appelés à disparaître les premiers; il en sera de même pour ceux qui sont peu distincts, à certaines époques, correspondant probablement à la saison chaude et sèche. Une partie au moins des divers aspects des lignes nommées canaux s'explique si on les considère comme des canaux naturels, assez peu profonds pour se trouver parfois à sec ou accidentellement obstrués. Une autre hypothèse peut être également présentée. Les cours d'eau terrestres, d'une importance suffisante, modifient la couche atmosphérique qui les recouvre et y créent une véritable rivière aérienne, épousant toutes les sinuosités du lit fluvial. L'humidité, qui se condense dans cette zone, la rend parfois visible, et l'observateur, placé dans des conditions favorables, aurait l'illusion de deux rivières parallèles et d'égale largeur.

Une troisième explication repose sur la différence d'éclairement de hautes parois verticales. Peut-être aussi la présence momentanée de l'eau ou la diminution d'une humidité excessive provoque-t-elle sur deux étroits périmètres des phénomènes d'un caractère encore indéterminé, je n'ose pas dire une végétation temporaire, car on touche alors le problème délicat et hypothétique de la vie dans les astres. Sans doute, la vie se rencontre à peu près partout sur la Terre, dès que la température ne dissocie pas les éléments chimiques indispensables à la composition de la cellule, et les milieux réellement morts sont extrêmement rares. Nous avons le droit de nous demander s'il en est de même dans les astres. La matière vivante, qui s'adapte à tous les milieux de notre planète, avec une si merveilleuse souplesse, a-t-elle eu le temps d'évoluer sur les autres mondes, parallèlement avec les phénomènes d'ordre purement minéralogique et d'y rendre possible l'existence d'un animal raisonnable (car c'est toujours à un être humain que l'on songe), ou en a-t-elle déjà disparu? C'est là une question fort délicate sur laquelle nous ne pouvons nous prononcer. Le sol de Mars ne nous semble pas apte à faire vivre des organismes terrestres supérieurs : plus un être s'élève dans le règne animal ou dans le règne végétal, plus il s'adapte au milieu dans lequel il se trouve et se montre sensible à ses modifications; son existence est donc subordonnée à celle d'un régime d'une stabilité suffisante. Sur la planète Mars, la condensation rapide de la vapeur d'eau, qui surcharge une atmosphère mince et peu dense, doit provoquer des appels d'air bien supérieurs à nos vents de tempête les plus violents, des alternatives de sécheresse et d'humidité, de chaleur et de froid extrêmes : des organismes appropriés à un milieu fixe ne pourraient y vivre. Les êtres seuls des derniers degrés de l'échelle animale pourraient supporter de semblables vicissitudes; mais leur existence même serait compromise par les remaniements perpétuels que doit subir le sol à cause des inondations et des vents violents. Les roches dures elles-mêmes doivent être désagrégées depuis des siècles par les changements climatiques, puis dispersés par les rafales et par les inondations. La vie ne paraît donc possible que dans les parties profondes des mers permanentes. »


Climax
Ainsi donc pas de Martiens, peut-être pas de végétation, mais pas question cependant, pour les astronomes, d'abandonner les canaux. Ils en comptent 400 en 1900. Bientôt, et pour la première fois un élément objectif va s'ajouter au dossier : en 1905, C. O. Lampland obtient la première photo des présumés canaux. On en distingue 38. De quoi pousser à l'inflation: en 1909, on n'hésitait pas à en dénombre un millier. Entre-temps, Lowell publie son fameux ouvrage Mars et ses canaux (1906), qui semble marquer un retour en force des Martiens : 

« Ces canaux ne sont pas de vrais canaux [...]. Non, ce sont des bandes de végétation qui poussent tout autour du vrai canal, lequel est au milieu et invisible. A chaque printemps martien, quand la calotte polaire fond, ce sont les canaux qui recueillent les eaux et qui font reverdir la flore.

Vous m'objectez que Mars est renflé à l'équateur et que, par suite, l'eau devrait être entraînée par sa pente naturelle, qui est de l'équateur aux pôles et non des pôles à l'équateur. Eh bien, si l'eau va dans un sens contraire à la pesanteur, c'est qu'elle est aspirée par des pompes super puissantes, qui la répandent partout grâce au réseau des canaux. 

Pourquoi cette gigantesque irrigation? demandera-t-on. Évidemment parce que Mars est une planète terriblement desséchée, et que cette quête et cette distribution des eaux polaires sont, pour les Martiens, le seul moyen d'éviter la mort par la soif et par la faim. » (Lowell, cité par Pierre Rousseau, L'Astronomie, 1959).

L'ouvrage a installé durablement dans l'esprit du grand public le thème des Martiens, qui n'est plus de l'ordre de la littérature fantastique, comme il l'était par exemple encore en 1898, lorsque H. G. Wells avait publié la Guerre des Mondes. Pourtant, pour les astronomes

Puis le soufflet est retombé, presque brutalement. Car, dans le même temps, le perfectionnement  des observations ouvre de nouvelles pistes, et  permet à des voix nouvelles de commencer à se faire entendre. Eugène Antoniadi, en particulier, profite des oppositions de 1909 et de 1911, et de la qualité des observations permises par la Grande lunette de l'observatoire de Meudon, pour montrer que l'on on y regarde de près, aucun canal n'est observable sur Mars. Ce que l'on a vu jusque là, explique-t-il, ce n'était que des illusions d'optique. On repère aussi sur la surface de la planète des traces de cratères, que dans lesquels le naturaliste Alfred Wallace, par exemple, propose en 1907 de voir des impacts de météorites, semblables à ceux qui ont creusé les cratères lunaires. Désormais, les "océans" commencent à ressembler dangereusement à de la terre ferme! En 1912, Svante Arrhenius, explique les grandes variations d'aspects des formation martiennes non plus en invoquant directement la circulation des eaux à grande échelle, ni en invoquant une quelconque végétation : pour lui, les changements de couleur et d'albédo sont explicables par de simples réactions chimiques qui affectent le sol, selon les conditions saisonnières, peut-être, il est vrai, encore en relation avec la fusion des glaces des calottes polaires.


Les canaux ne figuraient plus sur la carte de Mars publiée par Antoniadi...
Plus tard, Antoniadi résumera  dans La Planète Mars (1930), la situation de la façon suivante :
« Personne n'a jamais vu un véritable canal sur Mars, et ainsi les « canaux » plus ou moins rectilignes, simples ou doubles, de Schiaparelli n'existent ni comme canaux, ni comme tracés géométriques; mais ils ont une base de réalité, puisqu'à l'emplacement de chacun d'eux, la surface de la planète présente soit une traînée irrégulière plus ou moins continue et tachetée, soit un bord déchiqueté de grisaille, soit encore un lac isolé, complexe. »
Pas exactement une fin de non recevoir, même si à partir de 1912, la plupart des astronomes sont convaincus qu'il n'y a pas de canaux sur Mars. Des « traînées » semblent  exister au demeurant. Et cela sera suffisant pour que l'hypothèse des canaux, abandonnée, donc, par l'immense majorité des astronomes, puisse subsister à l'état endémique. Clyde Tombaugh, par exemple, qui travaillait il est vrai dans l'environnement bien particulier de l'observatoire fondé à Flagstaff par Lowell, expliquera en 1950 que les canaux martiens sont des fractures de l'écorce de la planète, peut-être causés par l'impact des météorites dont la trace formerait les oasis chers au fondateur de son observatoire... 
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Les Martiens en Union soviétique

C'est dans l'ancienne URSS que l'on a rencontré les plus inattendues des thèses en faveur de l'existence de Martiens et d'éventuelles autres civilisations extraterrestres. Inattendues, non pas parce ces idées auraient été particulièrement originales (elle ont été largement élaborées aux États-Unis par les ésotéristes du dernier quart du XIXe siècle), mais plutôt à cause de la sympathie qu'elles ont rencontré auprès des cercles dirigeants. 

De ce point de vue, il convient ici de relever d'abord le nom cette figure de proue de la "science prolétarienne", qui l'on essayait alors d'ériger face à la "science bourgeoise", celui de Konstantin Tsiolkovski (1857-1935). Cet obscur instituteur fut déniché par les Soviétiques dans les cercles occultistes de Kaluga (un des centres historiques de la Théosophie en Russie) où il officiait, pour se voir ériger en physicien, précurseur de l'astronautique. On ânonnera souvent sa phrase messianique sur la vocation de l'humain à conquérir les étoiles, mais en s'empressant d'oublier le contexte  dans laquelle elle s'était forgée. Tsiolkovski croyait en la communication entre les mondes. Et il doutait si peu de l'existence des Martiens, qu'il proposait même de communiquer avec eux à l'aide d'un code dérivé du Morse. On aurait utilisé pour ce faire des éclairs dont ont aurait ajusté la durée. Un des amis de Tsiolkovski, Nicolaï A. Rynine, lui aussi imbibé de la thématique théosophiste, expliquera dans les années 1930, que des extraterrestres ont visité notre planète dans un lointain passé. Idée que reprendra en la développant un certain Modest Agrest, docteur ès sciences, dans le numéro de janvier 1960 de l'officielle Literatournaïa Gazeta. Selon Agrest cette visite expliquerait rationnellement divers passages de la Bible d'apparence miraculeuse... 

Ce type d'explication n'est qu'une forme de l'évhémérisme (Evhémère) ordinaire, mais l'imprégnation est telle, que même des faits concrets, dès lors qu'ils mettent au jour une difficulté d'interprétation, vont pouvoir bénéficier d'une explication  "par les Martiens" facilement jugée acceptable. Et c'est ce que l'on constatera en particulier en 1959, quand l'astronome et membre de l'Académie des sciences soviétique Iosif Shklovsky, sur la base d'observations réalisées d'ailleurs aux États-Unis, constata que le mouvement orbital de Phobos, le principal satellite de Mars, accélérait légèrement (3,16° d'avance entre 1900 et 1941). L'explication la plus simple était que cette accélération provienne d'un léger freinage par la haute atmosphère de la planète (c'est le phénomène que l'on observera bientôt en tout cas pour les satellites artificiels). Mais pour que cela fonctionne, il aurait fallu que Phobos eût une masse des milliers de fois plus faible que celle qu'on lui imputait. Le calcul donnait alors pour l'objet une densité plus faible que celle de l'air. La conclusion de Shklovsky, publiée dans la Komsomolskaïa Pravda, fut très simple : Phobos était en fait creux; c'était donc un objet artificiel; il devait avoir été fabriqué par des Martiens il y avait plusieurs millions d'années. Air bien connu dans le pays depuis Tsiolkovski, Rynine et Agrest.

Sans doute plus intéressante aura été la démarche de Gavriil Tikhov (1875-1960). Persuadé de l'existence de végétation sur Mars, il posera les premiers jalons de l'astrobiologie, et se lancera même dans plusieurs expéditions, en Sibérie et dans le Pamir (c'est-à-dire en des lieux supposés connaître des conditions climatiques comparables à celles de la planète rouge), afin d'y rechercher des plantes possédant des caractéristiques analogues à celles qu'il attribuait aux végétaux martiens. En 1956, il réussira même à découvrir au Kazakhstan une plante inconnue jusqu'alors, qui était à la fois verte et sans spectre de la chlorophylle. Exactement ce qu'il cherchait...



En librairie - Wiktor Stoczkowski, Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologie d'une croyance moderne, Flammarion, 1999.

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L'acte de décès définitif des canaux devra encore attendre 1964, quand la sonde spatiale Mariner IV transmettra les premières photographie prises in situ du sol martien, et donnant de celui-ci une image très proche de celle que l'on a de la Lune, uniquement constellée de cratères. Il est vrai que l'exploration spatiale de Mars n'a pas complètement éteint les fantasmes touchant aux civilisations martiennes. Le plus bel exemple en est donné par cette image transmise par une sonde Viking d'un supposé visage (Cydonia Face, ci-dessous) sculpté à la surface de la planète, et qu'une observation plus récente (à droite), par Mars Global Surveyor, en mars 1998, révèle n'être qu'une formation montagneuse parmi d'autres, du même genre et cependant bien moins anthropomorphes...


Cydonia Face sous différents angles.

Le cratère Galle : une figure avenante...
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