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Les canaux de Mars
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La circulation des eaux

Pendant le dernier quart du XIXe siècle, l'opinion dominante chez les observateurs de la planète Mars était non seulement que la planète possédait bien des océans composés d'eau, mais aussi, au moins à la fin de cette période, que les contours de ces océans pouvaient se modifier assez rapidement, comme le niveau des eaux variait dans des proportions notables au fil des saisons. Ainsi, en 1876, en rédigeant la première édition des ses Terres du Ciel, Flammarion écrivait-il : 

« Il semble que les mers de Mars ne soient pas invariables; car, depuis 1830, il y a quelques changements qui paraissent incontestables : par exemple, le golfe de Kaiser [Sinus Sabeus], qui présentait alors, comme à la fin du siècle dernier, l'aspect d'un fil terminé par un disque, et qui depuis 1862 est beaucoup plus large et se termine non par un cercle noir isolé, mais par une baie fourchue. Peut-être y a-t-il sur cette planète des déplacements d'eau et des variations de couleur qui n'existent pas sur la nôtre. » 
Revenant sur ce point en 1879, le même auteur résumera dans les termes suivants l'impression résultant de l'examen de ces variations problématiques (les nom actuels des formations citées sont entre crochets) : 
« Une différence spéciale avec la Terre, écrivait-il alors, est offerte par la variabilité de quelques-unes de ses configurations géographiques. L'étude constante du golfe de Kaiser [Sinus Sabeus] pourrait conduire sur ce point à des résultats fort curieux. En 1830, Maedler l'a plusieurs fois très nettement et très distinctement vu tel qu'il est représenté au point A.

Variations de la région de Sinus Sabeus de 1830 à 1877.

En 1862, M. Lockyer l'a vu avec la même netteté comme il est dessiné à cette date, et, en 1877, M. Schiaparelli l'a représenté tel que nous le voyons reproduit. Ce point, vu rond, noir et net en 1830, si net en réalité que Maedler le choisit pour origine des longitudes martiennes comme étant le point le plus noir, déjà vu sous la même forme par Kunowsky en 1821, et indiqué aussi dès 1798 par Schroeter comme globule noir, n'a pu être distingué en 1858 par Secchi, malgré la recherche spéciale qu'il en a faite. Ce même point a été vu bifurqué par Dawes en 1864, et il l'est certainement; mais la réunion qui l'environne au Sud paraît couverte de marais et variable d'aspect suivant les années; les dessins de 1877 ne montrent plus cette même tache comme un disque noir suspendu à un fil serpentant, mais le fil s'est élargi au point de ne plus pouvoir soutenir cette comparaison : le golfe est aussi large au centre et à l'origine qu'à son extrémité orientale.

Actuellement la tache la plus noire et la plus nette, celle que l'on choisirait de préférence pour marquer l'origine des méridiens, serait le lac circulaire de Terby [Solis Lacus] : on la choisirait certainement de préférence à la première. En 1830, Maedler a expressément déclaré au contraire que celle-ci était la plus nette et la plus sombre, et il l'a choisie pour origine; sur plusieurs dessins on voit les deux faire exactement pendant de chaque côté de l'océan Kepler [Mare Erythraeum]. Ces tracés ne pourraient plus être dessinés aujourd'hui. Voilà une première variation. Une deuxième est présentée par l'aspect même de la tache : en 1862, les différents observateurs l'ont vue allongée de l'Est à l'Ouest; en 1877, on l'a vue au contraire parfaitement ronde (correction faite de la perspective) et certainement non allongée dans le premier sens. Troisième variation : elle paraissait, en 1862, réunie à l'océan Kepler [Mare Erythraeum] par un détroit, et en 1877, instruments de même puissance et observateurs de même habileté n'ont rien vu de ce détroit et en ont distingué un autre au nordets.

Variations de la région de Solis Lacus de 1830 à 1877.

Assurément, il ne faudrait pas prendre pour des changements réels toutes les différences qui existent entre les observateurs. Ainsi par exemple, en 1877, plusieurs ont vu réunies à l'Occident les mers de Hook [Mare Tyrrhenum] et de Maraldi [mare Cimmerium], tandis que la séparation est restée visible pour les autres; l'oeil est différemment impressionné, et l'on pourrait presque dire que pour certains détails il n'y a pas deux yeux qui voient identiquement de la même façon, même les deux yeux d'une même personne. Mais lorsque l'attention s'est tout spécialement fixée sur certains points remarquables qui auraient dû être rendus parfaitement visibles dans les instruments employés, et que l'on constate ainsi des différences qui paraissent incompatibles avec les erreurs d'observation, la probabilité penche en faveur de la réalité effective des changements signalés.

De quelle nature sont ces variations? c'est ce que l'avenir nous apprendra. Nous ne pourrions émettre actuellement que de vagues conjectures à cet égard. »

A cette époque Flammarion hésitait encore à attribuer ces changements observés à des inondations ou à des retraits dans les eaux; en 1884, il présentera  cette hypothèse "comme la plus probable, on pourrait presque dire comme certaine". Il faut dire qu'entre-temps Schiaparelli aura fait quelque peut évoluer les idées de ses contemporains ce sujet.

Pendant ses patientes observations faites en janvier et en février 1882, l'astronome de Milan a ainsi constaté que « des centaines de milliers de kilomètres carrés de surface sont devenus sombres, tandis qu'ailleurs des régions sombres se sont éclaircies ». Cherchant la cause de ces variations, il balance alors entre l'hypothèse d'un changement dans les eaux et celle d'une végétation qui varierait avec les saisons et se propagerait rapidement sur de vastes étendues. Mais il est des arguments qui font préférer la première : 
1° c'est dans le voisinage des mers et dans les mers elles-mêmes que ces effets se présentent; 

2° la nuance de ces golfes variables, de ces canaux, est la même que celle des mers;

 3° les canaux qui traversent les continents sont toujours, et à leurs deux extrémités, en communication avec les mers. 

« Dans l'hypothèse d'une cause végétale,  note Flammarion,  nous serions graduellement conduits à admettre que les taches sombres de Mars ne sont pas des mers, mais des forêts, des prairies, ou autre chose, ce qui est beaucoup moins probable. »

Un autre exemple des changements observés sur Mars peut être pris dans la région, située au-dessous du lac foncé, circulaire que Schiaparelli appelle le lac du Soleil (Solis Lacus). En 1830, Beer et Maedler ont observé au-dessous de ce lac, et dessiné sur leur carte une grande tache grise assez foncée, qui a reçu de Schiaparelli le nom D'Agathodémon, de Proctor celui de mer Dawes (270e degré de longitude). En 1877, Trouvelot, à Cambridge, cherchant précisément cette tache, constata avec certitude son absence. Le 14 octobre, à minuit 40 mn (temps moyen de Cambridge), ce supposé lac circulaire arrivait vers le méridien central en d'excellentes conditions d'observation, par une nuit calme et transparente. On apercevait distinctement deux bandes grisâtres, traversant Thaumasia, venant de Mare Erythraeum; mais juste au-dessous de la tache, le terrain était blanc, libre, sans aucune marque. Les observations des 27 août, 2, 3 septembre, 1er, 6, 10 octobre, 6, 9, 13 novembre de la même année, montrent le même aspect. 

Si l'on compare les dessins faits en même temps à Milan, par Schiaparelli, on remarque qu'ils concordent assez bien avec cette description, car sur ces dessins, il n'y a qu'une sorte de jonction  extrêmement fine qui peut fort bien avoir échappé à l'observation de Trouvelot. En 1881, au contraire, à partir du 16 décembre et jusqu'en février 1882,  Trouvelot a observé là, quoique la planète fut alors beaucoup plus éloignée de la Terre et dans de moins bonnes conditions d'observation, une forte tache presque aussi foncée que ledit lac. Cette tache est également visible avec de grandes ramifications sur les dessins faits à Milan à la même époque. 


Variations de la région D'Agathodémon entre 1830 et 1881.

On se rendra compte de ces variations sur la figure ci-dessus, qui reproduit fidèlement les dessins de cette même région faits en 1830 par Maedler, en 1877 par Schiaparelli et en 1881 par Trouvelot. Au vu de ces dessins, malgré les différences imputables aux conditions de visibilité, il semble bien que la région marquée A sur cette figure, ne soit le siège de grandes variations, parfaitement perceptibles d'ici.

Une fois acceptée l'hypothèse d'inondations et de dessèchements alternatifs, il restait encore aux astronomes à expliquer  comment ces phénomènes pouvaient se produire concrètement. Supposer des exhaussements et des affaissements dans le niveau du sol, comme il s'en produit, par exemple, sur les bords de la Méditerranée, entre autres à Pouzzoles (où l'on voit le temple de Sérapis tour à tour au-dessus et au-dessous du niveau de la mer), paraissait une hypothèse extrême. C'était donc plutôt dans la quantité d'eau que l'on se mit à chercher les variations. Mais comment cette quantité pouvait-elle varier? Par les gelées, par la fonte des neiges, par les pluies? Sans doute, estimait-on, fallait-il invoquer tous ces mécanismes à la fois. 

Après tout, le procédé météorologique des transformations de l'eau paraissait être le même sur cette planète que sur la nôtre; seulement il semblait probable que les variations étaient  beaucoup plus importantes là qu'ici; les mers martiennes paraissaient avoir beaucoup moins d'eau et subissaient donc des changements relativement considérables pour elles; de plus les rivages devaient être  plats, et en certaines régions les plaines devaient être juste au niveau de la mer.

Restait une difficulté. On ne pouvait pas attribuer ces modifications à des marées, car quoiqu'il y ait deux satellites pour les produire, l'un tournant en sept heures trente-neuf minutes et l'autre en trente heures dix-huit minutes, ces deux satellites ont une masse trop faible pour causer de tels effets, et d'ailleurs ces effets ne présentent ni la rapidité ni la périodicité correspondantes aux révolutions de ces minuscules satellites. Ces variations considérables mettaient donc les astronomes dans un grand embarras. Assurément, ce n'étaient pas des mers comme les nôtres, aux bassins profonds, aux rivages fixes et arrêtés. Les taches se montraient fixes dans leur ensemble, mais bizarrement variables dans les détails. 

« Seraient-ce des plaines liquides et végétales à la fois? se demandait Flammarion, des lacs peuplés de plantes aquatiques? Les pluies suffiraient pour inonder les bords, les plaines basses, les vallées, comme il arrive pour nos rivières dans les inondations, ou peut-être, suivant certaines circonstances météorologiques, la végétation varie-t-elle rapidement sur toute l'étendue des prairies humides... On peut chercher; on peut faire des conjectures; mais, sans doute, la nature de Mars étant différente de la nature terrestre, nous ne pouvons pas deviner. »
La tentative que l'on faisait pour Mars au travers des similitudes de la planète avec la Terre, trouvait donc ici ses limites.

Mars, en fait révélait dans ces changements un complexité et une richesse qui poussaient à attribuer à la planète une "vitalité" qui implique de façon apparemment très spéciale des phénomènes atmosphériques, climatologiques et océaniques. Voici un exemple. La figure I ci-dessous montre une vue de Mars due à Green, datée du 2 septembre 1877, 1 h 10 mn. On y distingue entre autres une petite tache foncée (a) appelée par cet observateur « lac Schiaparelli » (Fons Nectaris?), et une petite tache blanche (b) appelée depuis longtemps « île neigeuse ». Un région que l'on décrivait comme particulièrement fertile en variations atmosphériques. L'île neigeuse semblait aux astronomes parfois admirablement visible, comme un point blanc, et parfois complètement invisible; sa blancheur paraissait due à de la neige qui aurait couvert là de hautes montagnes et serait fondue en certaines saisons, ou bien, plutôt encore (à cause des variations plus rapides observées) à des nuages qui s'accumuleraient sur les sommets de ces hautes montagnes. Quant au "lac Schiaparelli", il paraissait  disparaître aussi sur certaines vues d'ailleurs jugées tout à fait satisfaisantes. 


I - Dessin de Green
(2 septembre 1877, 1 h 10 mn).
II - Dessin de Burton
(24 octobre 1879, à 2 h).

Ainsi, le 24 octobre 1879, à 2 h du matin, Burton, en Irlande, dessinant le croquis II ci-dessus, fait la remarque suivante : 

« La continuité de l'esquisse de [Mare Erythraeum], au sud-est de [Aurorae Sinus], est interrompue par une sorte de langue pointue dont l'extrémité orientale cache l'île neigeuse. Cette bande est évidemment formée par une traînée de nuages. Cette région est particulièrement sujette à la formation des nuages. Toutefois, ces nuages-ci paraissent moins blancs, moins lumineux que ceux de la Terre vus d'en haut. J'ai plus d'une fois remarqué que ces voiles ou brumes temporaires n'étaient pas très brillants, et même un jour, j'ai observé que l'une de ces taches. était certainement beaucoup moins blanche que les neiges polaires, un peu grise et presque de la teinte orangée des continents. »
William Herschel avait déjà fait cette remarque assez bizarre d'une tache nuageuse foncée. Cependant, il semble que les nuages éclairés par le soleil devraient toujours, vus par leur surface supérieure, paraître blancs. Il fallait croire que, dans ce cas, ce sont des vapeurs à demi transparentes qui passaient sur des régions très foncées.

Burton  écrivait encore à propos d'une autre tache blanche : 

« On aperçoit un point brillant tout prés du bord occidental, à peu près dans la position de l'île Hirst [?]. C'est la seule occasion où nous ayons pu apercevoir cette tache pendant l'opposition de 1879, quoiqu'on l'ait très souvent observée en 1877. »
Remarquons encore à ce propos que le petit « lac Schiaparelli », mal vu dans certaines circonstances et simplement estompé, donne l'idée d'une ligne sombre réunissant le Solis Lacus à Mare Erythraeum et a souvent été représenté de la sorte.


Variations signalées dans la région de Syrtis Major, de 1877 à 1888.

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